L’Europe des Britanniques de France

« Grexit » ou encore « Brexit », ces nouveaux mots ont fait leur apparition il y a peu de temps mais ils sont symptomatiques des maux que l’Union européenne connaît en ce moment. Les velléités de sortie de l’Union exprimées par David Cameron qui brandit cette menace auprès des chefs d’états européens lors de sa tournée post-électorale met en lumière ces visions différentes d’une Europe qui peine à devenir la fédération dont rêvaient les pères fondateurs. Mais qu’en pensent les Anglais qui vivent l’Europe au quotidien ? 

Dans les pubs anglais de Paris, les discussions sur la sortie du Royaume-Uni vont bon train / Photo Joits

 

Il est 19 heures passées, et ce lundi soir au Cricketer Pub, situé rue des Mathurins, près de la Madeleine, la bière coule à flot. Le robinet de Guinness est grand ouvert et si les deux serveuses sont ukrainiennes, c’est bien l’anglais qui résonne fort entre les quatre murs de ce haut lieu de la culture britannique dans la capitale française. Des étudiants se mélangent aux hommes d’affaires et aux touristes de passage à Paris.

Théo Gauchet est un jeune Franco-britannique de 25 ans. Après avoir vécu vingt ans à Birmingham, il vit et travail désormais à Paris. Le « Brexit » (ou Britain Exit – pour une sortie de l’Union européenne du Royaume-Uni), il en entend parler dans son entourage mais « ne comprend pas vraiment pourquoi ce débat arrive sur la place publique ». L’Europe, il l’aime et « espère vraiment que les anglais ne feront jamais la bêtise d’en sortir après le vote de 2017″. Parce que la question est là.

La question de la sortie de l’UE centrale dans la vie politique britannique

David Cameron, fraîchement réélu à la tête du gouvernement britannique (voir encadré), en a fait une promesse de campagne. La question sera posée au peuple anglais à l’occasion d’un référendum en 2017. Si l’échéance n’est pas immédiate, la question de la sortie de l’Union européenne est bien présente au Royaume-Uni.

Sophie Pedder, correspondante à Paris pour The Economist, explique que le résident du 10 Downing Street a cédé aux sirènes de la démagogie. « Pour s’assurer une réélection David Cameron devait attirer à lui les électeurs du UKIP de l’europhobe Nigel Farage », explique-t-elle. La question de la sortie de l’UE est centrale en ce moment dans la vie politique britannique. Mais selon la journaliste, « David Cameron, comme les financiers et patrons britanniques, ne veut absolument pas d’une sortie de l’Union. Les conséquences seraient réellement négatives. Pour l’économie, mais aussi pour la cohérence de la politique étrangère du Royaume ».

Michael Nosvorthy, lui, est un patron anglais « marié depuis plus de 25 ans avec une Française ».  Il vit avec sa femme dans le sud de la France mais ses enfants vivent et étudient à Londres. Il se rend dans ce pub à chaque fois qu’il vient à Paris pour le travail. Et pour lui l’Europe est une évidence. « Il suffit de regarder une carte du monde pour éluder la question » semble-t-il s’énerver.

« Comment pourrions nous être crédibles auprès de nos partenaires en demandant le beurre, l’argent du beurre et la crémière ? »

Mais pour Jennie, 28 ans, qui travaille dans la finance à la « City », et ses amis en vacances à Paris, la vision semble bien différente de ces « Anglais de France » comme elle le dit en souriant. « L’Angleterre subit des vagues d’immigration très importantes, et notre vision de ce que doit être l’Union européenne est éloignée de celle que peuvent avoir les Français et les Allemands. »  Elle ne connaît pas la clause dite « d’une Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens » mais ses revendications semblent se diriger vers cette question que David Cameron juge centrale. La suppression de cette clause impliquerait de facto un véritable frein à une intégration politique plus importante. Il s’agit pour lui de mettre un terme aux envies de fédéralisme des pays véritablement pro-européens comme la France ou l’Allemagne, et oublier définitivement l’idée des pères fondateurs qui rêvaient des « Etats-Unis d’Europe ». Elle semble d’accord avec David Cameron qui souhaite un « Better Deal » pour les britanniques.

Ce « meilleur accord » consisterait en une révision en plusieurs points des traités instituant la Constitution européenne. Mais les autres pays de l’Union (dont la France) ne souhaitent absolument pas avoir à soumettre un nouveau texte à un référendum populaire : l’échec du précédent vote est encore trop présent. Soit tout le monde se met d’accord, soit le Royaume-Uni bénéficie de nouvelles spécificités qui lui seront propres. Michael, qui n’avait pas entendu parler de ce « Better Deal » est « atterré ». Comment pourrions nous être crédibles auprès de nos partenaires en demandant le beurre, l’argent du beurre et la crémière ? Il faut arrêter de se sentir supérieurs aux autre nations européennes. » Les propos de Michael, Théo les approuve, mais Jennie et ses amis ne semblent pas du tout les entendre.

Le travail entamé par David Cameron lors de sa tournée européenne doit lui permettre de plaider le « oui » auprès des citoyens britanniques qui, en fonction des accords qu’il aura obtenus, seront soit comme Théo et Michael d’accord pour rester dans l’union, ou comme Jennie et ses amis, pour la sortie d’une Union qu’ils jugent inutile.

Gaspard WALLUT.