A une semaine des élections européennes, la bataille fait rage entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen alors que leur partis sont en tête des sondages. Le débat est hypersonnalisé et se détourne de l’enjeu européen au risque de démobiliser les électeurs.
« Ça devient donc un référendum pour ou contre Emmanuel Macron, cette élection européenne. J’accepte cela, mais dans ces conditions, il faut qu’il fasse comme le général de Gaulle: s’il perd cette élection, alors il devra partir« , a asséné Marine Le Pen sur LCI le 9 mai. Le même jour, Macron avait déclaré qu’il « mettrait toute son énergie pour faire en sorte que le Rassemblement National ne soit pas en tête » des élections européennes du 26 mai. Le ton était déjà donné à deux semaines des élections européennes. Le chef de l’Etat et la candidate d’extrême droite se livrent un duel électoral de plus en plus vif. Pourtant, ils ne sont pas candidats et leurs partis sont respectivement représentés par Nathalie Loiseau et Jordan Bardella.
Les élections européennes ont une allure d’élection présidentielle et remettent face à face les candidats du deuxième tour de 2017. « La vraie tête de liste du Rassemblement national n’est pas Bardella mais Le Pen. Idem pour La République en marche dont le véritable candidat est Macron. Ces têtes de liste souvent inconnues. Elles sont des prête-noms », explique le politologue Olivier Costa.
Ces élections européennes revêtent aussi des allures de test de popularité pour Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat sort de sa posture présidentielle et appelle à voter La République en Marche. Le parti de la majorité est en coude-à-coude dans les sondages avec le parti du Rassemblement national. Le dernier en date, réalisé par Harris Interactiv et Agence Epoka le 19 mai, prévoit LREM derrière le Rassemblement national avec respectivement 22,5% et 24% des intentions de vote.
Un schéma binaire qui risque de démobiliser l’électorat
Ce duel exaspère les autres candidats aux élections européennes. Les têtes de listes François-Xavier Bellamy et Manon Aubry l’ont notamment dénoncé lors du grand débat RTL-Le Figaro-LCI dimanche. Pour la candidate La France insoumise, il s’agit d’une « nouvelle version du ‘second tour' ». Le candidat des Républicains a, lui, comparé la posture d’Emmanuel Macron face au RN à un «antifascisme de théâtre». Ils ont dénoncé ce duel qui écarterait les candidats des autres listes.
« Cette polarisation autour du débat contribue à écraser le débat sur les questions européennes et risque de démobiliser une partie de l’électorat, las de ce schéma binaire et qui ne se reconnaîtra ni dans Macron ni dans Le Pen » précise le politologue.
En effet, lors de la campagne présidentielle, la question d’un « vote utile » est fréquemment évoquée pour éviter la victoire de l’un des deux partis. Andrea Kotarac, conseiller régional La France insoumise, a même appelé à voter pour le RN le 26 mai, « la seule liste souverainiste qui met en avant l’indépendance de la France et qui est la mieux à même de faire barrage à Macron ».
Européennes : Ras le bol du bourrage médiatico-politique du « vote utile »: Si tu es contre Le Pen, vote Macron ; si tu es contre Macron vote Le Pen
Dimanche 26 mai ,je vote Debout La France.
Pour ceux qui n’aiment pas DLF , ‘il y a 31 listes qui sont contre Le Pen et Macron. pic.twitter.com/wcb7kIkYV0— DLF PARIS 09 (@DLFParis09) May 18, 2019
Les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages bénéficient d’un nombre de sièges proportionnel à leur nombre de voix. La problématique du vote utile du second tour n’est donc pas présente pour ce scrutin. « Faire croire aux gens que leur vote sera perdu s’ils ne prononcent pas pour les deux partis en tête est une forme d’intox. On joue sur le manque de connaissance des citoyens de cet élection en faisant appel au vote bénéfique » pointe Olivier Costa.
Une hyper-personnalisation historique et bien française
Cette hyper-personnalisation des partis en lice pour les élections européenne n’est pas nouvelle. De 1979 à 1999, la même configuration était la même qu’aujourd’hui : les listes sont nationales et se prêtent à des débats polarisés autour de leaders. De 1999 à 2014, le gouvernement a tenté de mettre fin à cette polarisation en rendant les listes régionales. Chaque parti candidat aux élections était représenté par huit têtes de liste, une par circonscription. Un électeur pouvait voter pour la tête de liste de sa circonscription. Cette multiplicité des candidats politiques rendait difficile la mise en valeur des têtes de listes. Mais depuis 2014, et la mise en place de la loi de non-cumul des mandats, le scrutin est redevenu national. Cette hyper-personnalisation est-elle propre à la vie politique française?
Les élections européennes sont des tests de popularité des chefs de gouvernement dans de nombreux pays européens. Merkel est remise en cause dans la crise de réfugiés, Theresa May la Première ministre britannique est attendue au tournant alors que les négociations du Brexit sont en cours, et Matteo Salvini espère asseoir sa popularité lors des élections. Mais le fait que toute la vie politique française soit organisée autour de l’élection présidentielle, renforce la polarisation d’un débat qui oppose le chef en place et son opposant principal… plus que chez ses voisins européens.
Esther Michon et Camille Kauffmann