Avec le rachat de son nouveau poulain, Rodolphe Saadé se lance à l’assaut aux réseaux sociaux

Le patron de CMA-CGM continue d’étendre son empire médiatique. Au cours de ces trois dernières années, le groupe a fait l’acquisition de BFM-TV, RMC et les chaînes de la TNT RMC Découverte et RMC Story à Altice ou encore le groupe La Provence. Il s’attaque aujourd’hui à un nouveau terrain : celui des plateformes numériques.

C’est à présent chose faite. Le média de vidéos en ligne Brut fait désormais parti du groupe CMA CGM appartenant au milliardaire Rodolphe Saadé. La finalisation de son acquisition a été annoncée vendredi 12 septembre. Le pure player vient compléter la liste des autres médias notamment la chaîne BFM-TV et la radio RMC.

Début juillet dernier, la filiale avait déclaré commencer des négociations inédites dans la perspective de racheter Brut, dont il était déjà actionnaire. Au délà des chaines télévisées et radios, CMA Media possède également les titres de presse La Tribune et La Tribune Dimanche, La Provence et Corse Matin. En parallèle, la société est actuellement en cours d’acquisition de la chaîne de télévision Chérie 25, propriété du groupe Chérie 25.

Dans un communiqué, CMA Media, filiale dédiée au médias de CMA CGM, applaudit ce rachat qui fait de Brut « un acteur incontournable du paysage médiatique français, s’adressant à tous les publics et couvrant l’ensemble des canaux : presse régionale et nationale, télévision, radio et réseaux sociaux ». Contacté, le groupe n’a pas répondu à nos demandes d’interviews. 

Des piliers de Brut toujours aux manettes

Cependant, la direction du média Brut restera la même avec aux commandes Elsa Darquier, son actuelle directrice générale. Elle sera à présent sous la responsabilité de Claire Léost, directrice générale de CMA Media et anciennement en poste au groupe de magazines Prisma Media. Claire Léost devient ainsi la nouvelle présidente de Brut. Les fondateurs du média en ligne, Renaud Le Van Kim et Guillaume Lacroix, “continueront d’accompagner la stratégie de Brut en rôle de conseillers, d’après le communiqué.

Brut emploie actuellement près de 250 salariés. Contrainte ces dernières années à faire des économies, sa réorganisation est rentable depuis le dernier trimestre de 2023. Le média se distingue par son influence sur les réseaux sociaux (temps passé devant une vidéo, nombre de vues, interactions…), en particulier sur les jeunes audiences. 

« La deuxième plus grande rédaction de France »

Avec ce rachat, CMA Média devient le premier groupe media digital en France. Dans son communiqué, le groupe prévoit de cumuler « près de 25 milliards de vidéos vues sur les réseaux sociaux et le web ».

« L’intégration de Brut marque la création d’un troisième pilier stratégique au sein de CMA Media, le pôle social [réseaux sociaux], aux côtés des pôles presse et audiovisuel », a réaffirmé, CMA Media dans son communiqué. La branche médias deviendra avec cette acquisition « la deuxième plus grande rédaction de France [et la première du secteur privé] avec plus de 1 600 journalistes ».

Mobilisations du 10 septembre : comment la presse étrangère les a-t-elle vécues ?

Alors que Sébastien Lecornu prenait ses fonctions de Premier ministre à Matignon, le reste de la France était traversé par une vague de contestation générale. L’expression d’une colère que nos confrères des médias européens ont regardée avec recul et pondération.

Pendant une journée, on ne parlait presque plus que de cela. Le mouvement « Bloquons tout » s’est propagé partout en France dans la journée du 10 septembre, réunissant un total de 175 000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur, dont 473 interpellées. Cela n’est pas passé inaperçu aux yeux de nos voisins européens, habitués aux coups de sang des Français.

« C’est toujours facile de raconter une contestation populaire en France car les Espagnols connaissent la réputation contestataire des Français », s’amuse Antonio Delgado Palacios, correspondant à Paris pour la radio espagnole RNE, auprès de CelsaLab.

Selon lui, c’est ce qui a contribué à la couverture médiatique intense de cette journée : « S’il n’y avait pas eu les manifestations mais uniquement la passation à Matignon, cela aurait été beaucoup plus difficile à vendre. »

Des manifestants aux profils similaires

« Les protestations françaises réunissent enseignants, Gilets jaunes et étudiants », titrait le quotidien britannique The Guardian quelques heures après la fin de la manifestation à Paris. Dans la capitale et à Montreuil, tous les participants interrogés par la journaliste Angelique Chrisafis partagent un trait commun : ils sont jeunes.

« C’est ce qui m’a frappé, nous confie Richard Werly, correspondant pour le média suisse Blick, c’est cette jeunesse déçue qui se sent trahie par Emmanuel Macron. » Avec cette prépondérance de manifestants « jeunes », cette journée se distingue des mouvements précédents, encore frais dans les mémoires des Européens, tels que les Gilets jaunes qui avaient rassemblé des protestataires de plusieurs classes socio-culturelles.

« Ce n’est pas l’aube d’un mouvement social qui pourrait dégénérer et bloquer la France », observe ainsi Richard Werly. Un avis partagé par Antonio Delgado Palacios : « Le mouvement d’hier n’est pas universel, il est plutôt de gauche, mais c’est le fruit d’un mécontentement généralisé. »

Né au printemps sur les réseaux sociaux, le mouvement citoyen « Bloquons tout » a émergé sur les bases d’un « ras-le-bol » de nombreux Français face à la situation politique et économique du pays. Le 10 septembre, des cortèges de manifestants demandaient la démission d’Emmanuel Macron.

Loin des yeux, proches du cœur

Si cette journée de mobilisation semble marquée du sceau de la revendication à la française, elle n’est pas totalement sans rappeler les maux de la vie politique à l’étranger. « Les cycles politiques ne sont pas identiques entre la France et l’Espagne, mais il y a des récits parallèles », estime Antonio Delgado Palacios. D’après ses observations, les médias hispaniques « utilisent l’exemple de François Bayrou pour critiquer le Premier ministre Pedro Sanchez qui n’a pas non plus de majorité à l’Assemblée mais ne proposerait jamais un vote de confiance ».

En Suisse, les récents évènements suscitent surtout l’incompréhension. « On n’arrive pas à comprendre comment quelqu’un comme Emmanuel Macron, qui a une bonne réputation, apparaît comme intelligent, peut être autant détesté. »

Pour lui, c’est d’ailleurs cette « détestation » du président français qui est au cœur des revendications du 10 septembre. Mais le journaliste ne craint pas que cette colère s’exporte : « Contrairement à la France, le système présidentiel suisse fait qu’il n’y a pas de polarisation de la colère autour d’un personnage. »

Bien qu’elle n’ait pas été organisée par des institutions syndicales, le mouvement « Bloquons tout » a tout de même été relayé par la CGT, Solidarités et FSU ainsi que des élus de gauche et d’ultra-gauche. Une intersyndicale (UNSA, CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, Solidaires, FSU) appelle désormais à « une journée nationale de grève et de manifestations » le 18 septembre prochain pour montrer son désaccord avec les mesures du budget 2026 qu’elle juge « inacceptables ».

Comprise ou non par les pays européens, cette journée « est un rappel de la distance entre la classe politique et la rue », conclut Antonio Delgado Palacios.

 

Domitille Lefebvre

Médias : la liberté de la presse est au plus bas depuis 50 ans

Selon un rapport de référence sur la démocratie publié ce matin, la liberté de la presse s’est considérablement dégradée depuis cinq ans dans le monde et a touché son point le plus bas en 50 ans. 

La liberté de la presse est au plus bas depuis 50 ans, alerte un rapport (Photo by Elijah Nouvelage / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)

Selon un rapport publié ce matin, la liberté de la presse s’est dégradée dans 43 pays répartis sur tous les continents, dont 15 en Afrique et 15 en Europe. Plus d’un pays sur deux dans le monde (54%) a enregistré entre 2019 et 2024 une baisse de l’un des cinq indicateurs clés de ce qui définit une démocratie.

« L’état actuel de la démocratie est inquiétant », souligne auprès de l’AFP Kevin Casas-Zamora, secrétaire général du groupe de réflexion International Idea basé à Stockholm, et d’ajouter « La conclusion la plus importante de notre rapport est probablement la détérioration très grave de la liberté de la presse dans le monde ».

En cinq ans, la liberté de la presse a connu sa plus forte baisse enregistrée au cours des 50 dernières années. « Nous n’avons jamais observé une détérioration aussi grave d’un indicateur clé de la santé démocratique », précise le responsable.

L’effet Trump pas intégré au rapport

Afghanistan, Burkina Faso et Birmanie, déjà mal classés, enregistrent les plus forts reculs à ce chapitre. Le quatrième plus fort déclin vient de la Corée du Sud, selon le rapport qui cite « la multiplication des procès en diffamation intentés par le gouvernement et ses alliés politiques contre des journalistes, et les perquisitions au domicile de journalistes ».

A noter que le rapport n’intègre pas les premiers effets du deuxième mandat de Donald Trump mais « certaines des choses que nous avons vues pendant les élections à la fin de l’année dernière et au cours des premiers mois de 2025 sont assez inquiétantes », anticipe M. Casas-Zamora.

Romanée Ducherpozat et AFP

La presse indépendante, un modèle « de l’expertise » pour Jean-Marie Charon

Le Canard enchaîné souffle ses bougies et fête mercredi 10 septembre 2025 son 110ème anniversaire depuis sa fondation. Hebdomadaire historique, le journal prospère avec un modèle garant d’indépendance : capital verrouillé et actions détenues uniquement par les journalistes ou retraités du journal. Face à un écosystème médiatique en recomposition, comment de tels modèles peuvent-ils survivre ?

LVMH, Rodolphe Saadé ou encore Patrick Drahi : ces trois noms se font concurrence. Dans un marché médiatique où la concentration des titres de presse se rétrécit, la presse indépendante se fait sa place.

Le Canard enchaîné, Mediapart, Alternatives Économiques : tous maintiennent un modèle économique indépendant, ne dépendant pas de publicité ou de financements privés. Pour Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias, le système de la presse indépendante se porte bien : “On a un paysage médiatique qui est un peu ancien, dans lequel on a eu des mass médias qui avaient la prétention de toucher les publics les plus larges possibles. A côté de cela, on a toujours des médias qui venaient compléter cette offre, plus spécialisés ou avec plus de diversité.”

Une transition du support d’information à intégrer

Un bouleversement fracasse aujourd’hui l’écosystème des médias : l’Internet. Ce phénomène réorganise le fonctionnement des médias comme l’explique Jean-Marie Charon : « Les plateformes numériques captent la plus grande partie des revenus qui sont générés par les médias, avec la publicité. Selon les chiffres de 2022-2023, 80 % de cette captation allait uniquement sur deux plateformes : Google et Facebook. »

Face à ce phénomène de rétrécissement des marchés publicitaires, les rédactions se réadaptent pour favoriser leur transition numérique. La gratuite d’Internet a également eu des conséquences sur les modèles indépendants : « Selon l’Arcom, dans les quinze dernières années, le chiffre d’affaires de la presse écrite, tout secteur confondu, c’est moins 30 % de revenus. Les éditeurs ont deux options : il faut aller concurrencer les grandes plateformes sur leur terrain. Si on part sur cette option, on part sur de la concentration. »

Comment survivre dans un modèle économique dominé par ces changements ? La récente annonce du possible rachat du titre de presse Le Parisien par le milliardaire Vincent Bolloré interroge sur la capacité de la presse indépendante à évoluer à la même vitesse. 

Une force de la presse indépendante

D’après le sociologue, certains titres de presse indépendants ont su adopter une approche différente pour assurer leur pérennité : « aller vers un public intéressé par une info approfondi, décalé, dans laquelle il va trouver autre chose que cette information de flux et il faut réinvestir dans les rédactions et l’information de fond. »

Pour Jean-Marie Charon, Mediapart constitue une réussite dans son modèle : « Ses fondateurs ne sont pas partis de rien. Ils ont réuni un capital de départ et des journalistes experts qui savent travailler dans la durée ainsi qu’une idée éditoriale forte pour le journal. » Pour l’universitaire, « on ne peut pas être complètement généraliste Il faut vraiment faire un pas de côté. Pour Mediapart, ils ont failli se casser la tête car le ‘commercial et technique ne sont pas très importants’. Ils ont compris très vite qu’ils ne pourraient pas capitaliser sans cela. »

La presse indépendante peut également compter sur son expertise, une qualité à exploiter pour Jean-Marie Charon : »Ce qui est frappant dans les autres médias généralistes, c’est à quel point ils se sont débarrassés de compétences journalistiques et des spécialisations. On est aujourd’hui tiraillé entre les demandes de l’entreprise et le besoin de se spécialiser. Cette expertise est l’enjeu de l’investigation où il faut être capable de rendre compte de la complexité du monde dans lequel on vit”. 

Le passage au numérique est également nécessaire selon Jean-Marie Charon pour les titres de presses indépendants : « Face à des acteurs qui ont la capacité de faire évoluer le goût du public, on ne peut pas dire “on ne fait que du texte”. 

Un lectorat culturel mais restreint

Malgré la bonne pérennité de cette presse, sa durée dans le temps est fragilisée par la marginalité de son lectorat. En effet, le public reste un public privilégié. Selon Jean-Marie Charon, une crainte persiste : que « la presse indépendante soit condamnée à être presse intellectuelle”. 

En s’appuyant sur les travaux de l’Arcom, le sociologue distingue deux espaces dans la sphère de l’information : « l’un avec un public éduqué, des pratiques culturelles diversifiées et qui sait utiliser la multiplicité de ressources pour s’informer et l’autre côté, ceux qui ont plutôt les réseaux sociaux et la télévision comme source d’information.”

Dans un contexte de méfiance envers les médias, la presse indépendante fait figure de garantie de l’information. Elle doit cultiver cette transparence et l’expliquer selon Jean-Marie Charon : « Il faut savoir montrer comment on travaille et quand on se trompe pour expliquer comment on s’est trompé. La situation se transforme au moment où on l’analyse donc les erreurs peuvent survenir. Il faut rendre compte de son travail”.