365 jours depuis que le décès de Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, a fait exploser l’Iran. Morte après une arrestation par la police des mœurs, elle est devenue le symbole d’une génération qui refuse de continuer à obéir à la République Islamique.
« J’ai vu des crop-tops dans la rue, je n’en revenais pas. » Leïla*, jeune iranienne expatriée, est rentrée il y a quelques semaines de Téhéran. L’Iran est en proie, depuis le 16 septembre dernier, à une vague de révolte contre les lois de la République Islamique, après la mort de Mahsa Amini, suite à son arrestation pour un port du voile jugé indécent par la police des mœurs. Un combat visible dans les manières de s’habiller, qui ne suivent plus les obligations de la charia, confirme Sarah*, sa cousine, « beaucoup de femmes ne portaient pas le voile, les hommes étaient en short, et même dans les bureaux de Poste, les employées portaient des foulards, mais on sentait bien qu’elles étaient plus détendues ».
Un changement en surface, que Naïma*, 60 ans, a du mal à voir dans les autres aspects de la société, « on ne change pas les coutumes d’un pays aussi vite». Du haut de ses « 21 ans, presque 22 », Leïla, elle, n’est pas d’accord: « Je n’étais pas revenue en quatre ans, j’ai eu l’impression de voir les habitants plus à l’aise, plus puissants. » Sociologue, démographe et autrice de La République islamique d’Iran vue de l’intérieur, Marie Ladier-Fouladi confirme: « C’est presque devenu un acquis malgré les efforts du gouvernement pour le dissuader. » Aux vagues de manifestations, détonations successives mais temporaires, le combat trouve sa constance dans la résistance vestimentaire.
« Tout le monde est au diapason contre le gouvernement »
En face, le gouvernement tente de trouver une sortie de crise, par la force surtout: les manifestations sont réprimées dans la violence. En novembre dernier, l’organisation Iran Human Rights décomptait près de 450 morts, dont 60 enfants, tués par les forces de police. En un an, les manifestants sont devenus des martyres du mouvement. À l’automne, la prison d’Evin, où se trouvaient nombre d’entre eux après avoir été arrêté, a pris feu dans des circonstances encore floues, faisant au moins huit morts. Au printemps, trois contestataires ont été exécutés. « Les condamnés à mort, les explosions dans les prisons, ça n’a fait que relancer la machine », affirme Sarah, suivie par sa cousine: « Même s’il y a des morts, la colère ne redescend pas, tout le monde est au diapason contre le gouvernement. »
Le gouvernement a aussi tenté de faire patte blanche, en annonçant la dissolution de la décriée police des mœurs en décembre dernier. Une annonce qui prête à confusion, puisqu’elle semble toujours être active. « Ils ne savaient pas comment gérer cette vague protestataire. Ils ont changé le nom de la police des mœurs, qui a désormais pour consigne de ne pas brutaliser le peuple. L’idée, c’est surtout de faire peur», explique Marie Ladier-Fouladi. Sarah en a fait l’expérience: « Normalement on voit les vans de la police des mœurs dans la rue, mais là je ne les ai pas vus. Mais on m’a prévenue de faire attention, qu’ils continuent à surveiller de loin, surtout les femmes en voiture. »
Une répression qui s’exprime désormais avec des mesures juridiques, comme le fichage ou le retrait de permis, mais qui sont « peu prises en considération par la population » selon la chercheuse. Un semblant de détente insuffisant, pour Irène Ansari, coordinatrice de la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie: « Les Iraniens ont compris qu’ils ne pourraient pas réformer le régime. » Sur Twitter, des militants clament que les arrestations pour refus de port du voile seraient toujours d’actualité.
L’étincelle dans la poudrière
Le voile est devenu un symbole, un signe de ralliement contre un gouvernement et cristallise quatre décennies d’injustices, renforcées par la pandémie et la crise économique qui a fait suite, faisant exploser la pauvreté dans le pays. En avril dernier, les employés de l’industrie du pétrole ont posé le piquet de grève. En juin, les retraités prenaient la rue pour réclamer une réévaluation de leur pension. Si, pour l’instant, la convergence des luttes n’est pas affichée, « il y a un jeu entre ceux qui travaillent et soutiennent indirectement le mouvement et ceux qui sortent dans la rue », pour Marie Ladier-Fouladi.
Autre facteur: les tensions ethniques. L’Iran possède plus d’une douzaine d’ethnies, incluant les Kurdes, dont était issue Mahsa Amin. Des tensions historiquement invoquées par le régime, selon la chercheuse. Mais le peuple n’est pas dupe: « Lors des manifestations, les Iraniens ont scandé: ‘Le Kurdistan est la prunelle de l’Iran’ ». Le maître mot du mouvement « Femmes, vie, liberté » serait donc « solidarité ».
La mort de Mahsa Amini a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » pour Irène Ansari, « le mouvement ne se limite pas au voile, c’est une revendication de liberté, d’égalité et de justice sociale. Et comme le régime ne peut pas y répondre, cela va continuer». Une vague que la militante estime friable en l’absence de projet politique clair de la part des contestataires. Marie Ladier-Fouladi voit ce projet en cours de construction: « Le mouvement a déjà réussi à délégitimer le pouvoir. La nouvelle génération est déterminée et intelligente. J’ai beaucoup d’espoir en cette génération, qui sait cacher son jeu et imaginer de nouvelles formes de résistance. » Une résistance vouée à continuer, sans retour en arrière possible pour Irène Ansari: « La société iranienne ne sera plus jamais la même. »
*Les prénoms ont été modifiés par souci d’anonymat
Shad De Bary