Fake-news dans la santé : les journalistes au défi
Sur les réseaux sociaux ou les forums internet, les fake news dans le domaine de la santé pullulent. Ces infox vont jusqu’à affecter la pratique des médecins. Les désamorcer ou les éviter n’est pas toujours simple pour les journalistes, notamment pour ceux qui ne sont pas spécialistes.
La papaye qui guérit Alzheimer, le verre de vin rouge par jour bon pour la santé … Dans le domaine de la santé, les fake news ou infox sont particulièrement tenaces. Celle qui affecte le plus la pratique des médecins est l’idée selon laquelle les vaccins seraient dangereux pour la santé et qu’ils augmenteraient le risque de mort subite du nourrisson.
“ Tous les jours, j’ai des discours de défiance envers le discours médical. Des gens ne veulent pas se vacciner, ils ont peur. Je passe un temps incroyable à les rassurer “, témoigne Céline Berthié, médecin généraliste près de Bordeaux, lors d’une conférence sur “Les fake news dans la santé” organisée par Radio France et France Info le 8 octobre à la Maison de la Radio à Paris.
La défiance des Français vis-à-vis des vaccins est parmi les plus fortes du monde. Selon une étude publiée en mai par l’institut de sondage américain Gallup pour l’ONG médicale britannique Wellcome, un français sur trois pense que les vaccins ne sont pas sûrs. Pour contrer cette tendance qui porte atteinte à la santé publique, l’Assemblée nationale vote en octobre 2017 l’obligation de vacciner les enfants contre onze maladies (3 auparavant). Depuis 2018, les enfants non-vaccinés ne sont pas autorisés à aller à la crèche, à l’école ou en colonie de vacances.
Si la nécessité de se vacciner fait presque consensus chez les médecins, Martin Hirsch -directeur de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris- raconte que cette défiance touche parfois le corps médical. “ Dans les hôpitaux, il n’y a pas 100 % des infirmiers et des médecins qui sont vaccinés contre la grippe. En présence de patients fragiles, ils sont susceptibles de la transmettre. ”
Les praticiens présents lors de la conférence insistent sur la nécessité de dire la vérité aux patients et de parler des effets secondaires possibles de certains traitements notamment les vaccins. “ Un discours nuancé peine à pénétrer par rapport à un discours très plaisant à entendre qui est que l’on peut se soigner sans effet secondaire “, regrette cependant Martin Hirsch.
Un combat difficile
Face à l’abondance de fake news et à leurs effets sur la pratique médicale, des organismes de santé se mobilisent. En 2018, l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) crée la chaîne youtube « Canal Détox » pour faire la peau aux idées reçues en trois minutes.
Les médias tentent également de faire barrage dans le domaine de la santé. Lancé par Franceinfo et France Culture, “Les idées claires” est un podcast pour lutter contre la désinformation. En octobre 2018, il s’attaque à la question des vaccins. La journaliste y Lise Barnéoud explique que les risques d’effets secondaires graves sont de 1 / 100 000 alors que sans vaccin, le risque de coqueluche chez le nouveau né est de 1 / 100 et les complications suite à la rougeole de 1 / 1500.
Pourtant, la lutte contre les fake news n’est pas si simple pour les médias. Ils en sont parfois eux-mêmes producteurs. “ Fille ou garçon ? Et si vous pouviez choisir “ titre le Parisien en Une de son journal en janvier 2019. Le quotidien présente une méthode “controversée” mais cautionnée par des “médecins de renom” qui consisterait à choisir un régime alimentaire précis selon le sexe souhaité. De nombreux spécialistes ont décrié l’efficacité de cette méthode.
Une formation sur le tas
Dans un domaine particulièrement complexe, il peut être difficile pour des journalistes non-initiés de s’y retrouver. “ Tout journaliste en sciences ou en médecine devrait avoir un bagage scientifique ”, estime Marc Gozlan, journaliste médico-scientifique free-lance et auteur du blog « Réalités Biomédicales » sur le journal Le Monde. . Il estime essentiel dans les rédactions d’avoir des journalistes spécialisés en science, qui manquent souvent. “Moi, je ne vais pas me mettre à écrire des articles de jardinage ou de géopolitique. Je n’ai pas les compétences. “ Aurélie Franc, journaliste santé à l’APM une agence d’information destinée aux professionnels de santé, n’est pas de cet avis. Passée par l’IEP de Bordeaux puis par l’école de journalisme de l’IPJ à Paris, elle n’a pas suivi de cursus scientifique. Tous deux s’accordent cependant sur la prudence à avoir et les pratiques à adopter.
“ Il ne faut pas se contenter de lire les communiqués envoyés par les instituts de recherche ou les laboratoires. Il faut lire les enquêtes en entier “, précise Aurélie Franc. Marc Gozlan met en garde contre ces communiqués, dont la nature même fait qu’ils mettent parfois en avant des éléments susceptibles d’attirer l’attention mais qui ne sont pas essentiels. “ Dans la santé, le plus souvent il ne s’agit pas de pure désinformation mais de mésinformation, d’information déformée “, estime-t-il.
Pour porter un regard critique sur une étude et repérer un travail sérieux, encore faut-il comprendre la méthodologie scientifique. Aurélie Franc pense que les écoles de journalisme devraient l’enseigner dans les grandes lignes aux étudiants, même ceux qui ne sont pas en cursus de journalisme scientifique. Marc Gozlan conseille également de contacter des experts variés très régulièrement et de confronter leurs points de vue. “ Si il lit et qu’il se renseigne suffisamment, un journaliste peut en savoir plus sur certains points que des médecins généralistes. “
Cependant, une fake news devenue virale est très difficile à corriger auprès de tout le public touché. Pour les internautes, le mieux reste d’éviter les sites non-vérifiés et surtout de se renseigner directement auprès de son médecin.
Antonella Francini
Loi « fake news » : un conseil de presse en chantier
La loi « fake news » a été adoptée en seconde lecture par les députés de l’Assemblée nationale, dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 octobre. La création d’un conseil de presse est prévue dans le texte législatif, emboitant le pas à d’autres pays européens.
Si la loi fake news ne fait pas consensus parmi la classe politique -certains la jugent inutile, voire liberticide- le projet de création d’un conseil de presse, mis en avant par la ministre de la Culture Françoise Nyssen, met quasiment tout le monde d’accord. Jean-Luc Mélenchon, député La France Insoumise, s’est d’ailleurs félicité mardi 9 octobre que le gouvernement reprenne sa proposition de mise en place d’un organe qui veillerait sur le bon fonctionnement des médias français.
Nous avons proposé la création d’un conseil de déontologie des médias. Une organisation de ce genre existe dans une quarantaine de pays. #FakeNews#DirectANhttps://t.co/qlXwRvtUJR
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) June 7, 2018
Un organe d’autorégulation
Un tel projet est également vu d’un bon œil par le Syndicat National des Journalistes (SNJ). La secrétaire générale Dominique Pradalié plaide depuis longtemps pour qu’un conseil de presse voit le jour et qu’il ait pour « mission de se saisir ou d’être saisi d’un dysfonctionnement dans un média, d’effectuer une enquête complète et d’émettre un avis ».
Pour Florent Desarnauts, avocat spécialiste du droit des médias, « si le projet français ne prévoit pas que le conseil puisse demander au média visé de diffuser un rectificatif, l’utilité d’un tel organisme est limitée. » Ce type d’instance existe déjà en Belgique, où le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ), créé en 2009, « peut être saisi par les citoyens, rend des avis et a le pouvoir de demander au média concerné de diffuser un rectificatif, que l’organisme a lui-même rédigé », explique maître Desarnauts.
Un conseil alliant journalistes, éditeurs et société civile
D’un point de vue légal, le statut conféré à un tel organisme pourrait s’apparenter à celui de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, soit celui d’une association de la loi de 1901, éclaire Florent Desarnauts. Pour le moment, le statut juridique d’un tel conseil de presse n’a pas été précisé, pas plus que sa composition. Françoise Nyssen a simplement évoqué une instance associant journalistes, éditeurs et société civile. Pour Dominique Pradalié, qui juge par ailleurs liberticide l’ensemble de la loi « fake news », une composition paritaire est indispensable pour un gage d’indépendance et de transparence.
Pour autant, il faudrait, selon la secrétaire générale du SNJ, que les employeurs de presse soient intégrés au sein du conseil. Car ces derniers ont déjà manifesté leur désaccord face à un tel projet. En 2014, une première consultation organisée par le ministère de la Culture avait recueilli les ressentis de la profession et s’était heurté à la frilosité des patrons de presse. « Les employeurs qui bloquent, c’est exactement le point nodal de difficulté, parce qu’un conseil de presse démontrerait les manipulations, estime Dominique Pradalié. Ce sont les mêmes qui bloquaient en Belgique l’établissement d’un conseil de presse, sauf que les autorités gouvernementales ont pris leur responsabilité et leur ont dit « les aides à la presse iront à tous ceux qui entreront dans le conseil ». Résultat, les employeurs ont trouvé ce conseil génial et y sont tous rentrés. »
Le @SNJ_national réclame une instance nationale de déontologie depuis des années mais quel est le «mandat» de @emmanuelhoog ? Le journaliste ne peut être « jugé » que par ses pairs #charte1918. @vinclanier@dpradalie#Nice#Nice06pic.twitter.com/xPT4fzFrh9
— NiceRendezVous (@actualites_nrv) 9 octobre 2018
Le dossier a été confié à l’ancien PDG de l’AFP, Emmanuel Hoog. Pour le SNJ, le problème n’est pas tant l’homme que le manque de transparence autour de ses attributions. C’est ce qu’explique Dominique Pradalié : « Nous nous posons des questions sur le cadrage de la mission qui lui est confiée. Nous n’avons pas d’informations à ce sujet et c’est quand même important. »
Conformément à la navette parlementaire, le texte doit repasser une nouvelle fois devant les sénateurs, avant d’être soumis à un vote final.
Caroline Quevrain
En Turquie, la disparition du journaliste saoudien suscite des interrogations
Une semaine après sa visite au consulat saoudien d’Istanbul, la disparition de Jamal Khashoggi reste un mystère.
Enlèvement ou assassinat ? Voilà les deux hypothèses les plus crédibles à en croire les images de vidéosurveillance. Mardi 2 octobre, Jamal Khashoggi, un journaliste critique du pouvoir de Riyad, s’est rendu au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul pour des démarches administratives. Entré dans l’enceinte diplomatique, il n’en est jamais ressorti selon la police turque.
La thèse du commando
Les autorités turques ont révélé samedi 6 octobre qu’un groupe de quinze Saoudiens a fait l’aller et retour à Istanbul et au consulat le jour de la disparition du journaliste. Deux avions privés étaient arrivés d’Arabie saoudite à Istanbul ce jour-là et les personnes à leur bord avaient des chambres réservées dans des hôtels proches du consulat. Le quotidien turc Sabah a également publié les noms, l’âge et les photographies de quinze hommes présentés comme l' »équipe d’assassinat » dépêchée par Riyad. Les autorités turques ont obtenu mardi l’autorisation de fouiller le consulat saoudien, mais cette fouille n’a pas encore eu lieu.
Footage from Turkish TV of alleged #JamalKhashoggi Saudi assassination team entering into Turkey on private jet, going to, and leaving, Saudi consulate in Istanbul, last Tuesday. Note black van. pic.twitter.com/yU2LgBrbHY
— WikiLeaks (@wikileaks) 10 octobre 2018
Washington au courant
Le Washington Post, pour qui Jamal Khashoggi a plusieurs fois travaillé, affirme que les renseignements américains étaient au courant d’un projet de capture de son collaborateur. Le Saoudien s’était exilé en 2017 aux États-Unis, après être tombé en disgrâce à la cour du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Le président Trump s’est dit « préoccupé » en début de semaine par le sort du journaliste saoudien. Il a promis de parler « le moment voulu » aux dirigeants saoudiens, tout en confirmant ne « rien » savoir de ce qui s’est passé. Dans une tribune publiée par le Washington Post, la fiancée de journaliste, Hatice Cengiz, « J’implore le président Trump […] d’aider à faire la lumière sur la disparition de Jamal ».
H.G.