Ginette* est une retraitée de 85 ans vivant à Paris. Souffrant de problèmes cardiaques, elle témoigne de ses difficultés pendant la période de confinement.
« J’ai fait un infarctus il y a quelques mois, on m’a donc posé deux stents cardiaques. Depuis je dois être suivie régulièrement. Pendant le confinement, j’ai essayé d’avoir un rendez-vous avec mon cardiologue. Je voulais changer mon traitement car je ne le supporte plus, j’ai comme l’impression d’être ivre, ça m’engourdit le cerveau. Je l’ai appelé plusieurs fois pour pouvoir aller le voir, mais il n’a jamais répondu. Pour me soulager un peu, je prenais un quart de Lexomil chaque soir, mais ça me rendait plus zombie qu’autre chose. J’ai réussi à prendre contact avec un autre cardiologue. Il m’a conseillé, par téléphone, de réduire la dose de mon traitement. Comme je n’ai pas l’Internet chez moi, ni de webcam, je ne peux pas faire de téléconsultation. Je suis donc venue m’installer chez ma fille et ma petite-fille. Mais mardi dernier, j’ai eu des vertiges, je ne savais pas quoi faire donc j’ai appelé le SAMU. Ils m’ont posé plusieurs questions pour finalement me dire d’aller voir mon généraliste. Ce n’est pas concordant je trouve, par rapport à l’urgence de mon état. Maintenant que je suis chez ma fille, je pourrais avoir une téléconsultation dans les jours à venir. Mais il faudrait que je refasse une vraie bonne consultation physique. Parce que, pour l’instant, c’est le grand point d’interrogation pour moi. Je n’arrive pas à contacter mon cardiologue habituel et j’ai peur d’être lâchée dans la nature sans pouvoir être suivie. »
Diabète, cancer, insuffisance cardiaque, ou petits bobos de la vie courante – ce sont tout autant de pathologies qu’il a fallu continuer de soigner pendant le confinement. De mars à mai, patients et spécialistes ont dû adapter les soins. Entre retard de prises en charge et isolement des patients, le monde médical a fait face à de graves complications et à la réapparition de pathologies disparues.
« Je n’avais pas vu ça dans mon cabinet depuis quinze ans », souligne le Dr Vermesch, stomatologue libéral à Saint-Raphaël (Var). À la fin du confinement, il a dû prendre en charge des patients qui présentaient des pathologies quasi disparues. Ils avaient préféré attendre, inquiets à l’idée d’attraper le Covid-19, jusqu’à se retrouver en grande difficulté.
Pendant le confinement, de nombreux patients ont évité le moindre contact, même avec le corps médical. « Le retard des soins a engendré des douleurs dentaires importantes qui auraient nécessité d’être soignées plus vite. C’est aussi le cas pour le cancer, les insuffisances cardiaques, le diabète, et bien d’autres
maladies », ajoute le Dr Vermesch.
Dans les hôpitaux français, les infarctus et accidents cardio-vasculaires (AVC) constatés ont été deux fois moins nombreux. Face à l’ampleur de la crise du coronavirus, certains patients ont sous-estimé leur propre pathologie, se mettant en danger en évitant de consulter malgré les signaux d’alerte. D’après le Dr Bigot, cardiologue en établissement de soins de suite et de réadaptation à La Rochelle (Charente-Maritime), « c’est simplement que les gens ne sont jamais arrivés aux urgences. Il va probablement avoir une surmortalité et plus de complications à cause des retards de prise en charge », alerte-t-elle.
Certains patients atteints de maladies chroniques n’osent plus aller se faire soigner. Une réticence qui peut entraîner de graves complications. Le Dr Bigot s’inquiète particulièrement pour les victimes d’infarctus. « Des patients ont attendu le dernier moment pour se rendre aux urgences. Ils sont arrivés avec des tableaux beaucoup plus sévères que s’ils avaient été pris en charge dans les délais précoces habituels. Cela représente une perte de chance pour les malades cardiaques », alerte-t-elle.
« Il se peut que le Samu ait hésité »
C’est ce que Justin Breysse, président de l’InterSyndicale nationale des internes, appelle le phénomène de « morbidité collatérale » : « il y a ceux qui meurent du Covid, et ceux qui meurent à cause du Covid. Par exemple, un patient pourrait décéder d’un infarctus parce qu’il n’a pas appelé le Samu, minimisant ses symptômes et de peur d’encombrer des services saturés. Étant débordé, il se peut que le Samu ait hésité à orienter des malades vers les services d’urgence.»
Il n’y a donc pas moins d’AVC et d’infarctus pendant le confinement, mais les méthodes d’enregistrement sont biaisées. Et ce n’est pas tout. Le recensement des causes de décès en 2020 serait largement faussé par le Covid-19, estime Justin Breysse : « Si une personne âgée meurt soudainement, on soupçonnera davantage ce nouveau virus. Dans d’autres circonstances, on supposerait plus un AVC ou une crise cardiaque. »
Pendant la crise, c’est toute l’organisation des établissements médicaux qu’il a fallu repenser. Accueil, suivi et traitements ont été adaptés aux personnes fragiles, comme au centre hospitalier privé de Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine). Le service d’oncologie a mis en place un parcours de soin inédit. Pour éliminer tout risque de propagation, chaque patient doit passer un test – au résultat obligatoirement négatif pour pénétrer dans le service. Une première étape, avant d’être tout de même placé en quarantaine pendant une semaine avant de rejoindre le secteur sensible d’oncologie. Une précaution jugée indispensable, compte tenu de la très faible immunité des patients en chimiothérapie.
Les consultations physiques n’ont été maintenues que pour les visites annuelles de surveillance, et pour les changements de traitement. Dans l’hôpital de jour, les durées de séjours sont raccourcies, et les sièges en salle d’attente sont espacées d’un mètre, séparés par des bâches.
“C’est du jamais vu.”
Enfin, des masques sont distribués à tous les patients. Des masques qui, à La Rochelle, ont fait l’objet de « troc » entre différents établissements. Pour le Dr Bigot, « c’est du jamais vu ! »
La téléconsultation, un cache-misère ?
Sur le podium des aménagements cliniques, la première place revient à la téléconsultation. Une alternative qui permet non seulement de réduire le nombre de venues à l’hôpital, mais aussi de rassurer les patients qui ont peur de se déplacer. Mais cette méthode a ses limites. Pour le Dr Gobert, cancérologue à Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine), « cela induit une perte de l’aspect humain. Le cancer est une pathologie difficile, la téléconsultation permet juste de maintenir un contact. »
Un sentiment qui rejoint celui du Dr Bauduceau, cancérologue au centre de radiothérapie de Levallois-Perret (Haut-de-Seine), qui a déplacé plus de la moitié de ses consultations : « la téléconsultation fonctionne bien quand le patient n’a pas de problème urgent, mais c’est plus compliqué quand il ne va pas bien. On ne peut pas l’examiner, ni gérer son stress. Imaginez annoncer des mauvaises nouvelles via un écran. »
Du côté des patients, nombreux sont ceux qui y ont vu un acte de bienveillance. C’est le cas d’Ariane J., diabétique de type 1 et insulino-dépendante, immédiatement contactée par son équipe médicale dès l’annonce du confinement. Diabétologue, infirmière de pompe à insuline et médecin généraliste, tous l’ont appelée. « Ils n’avaient qu’un mot d’ordre : la vigilance. Malgré la distance, je me suis sentie traitée comme un vrai être humain. Ils étaient tout aussi attentifs à mon état psychologique », confie-t-telle.
Mais le confinement a aussi sacrifié certains examens. Dans le Finistère, Denise Prat en a fait les frais. À 63 ans, elle souffre d’une fibrose pulmonaire et prend un traitement immunodépresseur. Le 18 mars dernier, elle devait passer la journée à l’hôpital de Brest en vue d’adapter son traitement. Non considérée comme un cas urgent, tous ses rendez-vous ont été annulés – avec des conséquences directes sur son quotidien. « Je suis de plus en plus essoufflée chaque jour, et je risque de choper tout ce qui passe », s’inquiète-t-elle.
Fahim Sultan*, quant à lui, souffre d’une tendinite à l’épaule. Toutes ses séances de kinésithérapie ont été suspendues. Il doit donc faire face à de nouvelles douleurs pendant le confinement.
D’autres patients ont vu leur opération annulée. Toutes les interventions chirurgicales non urgentes ont été reportées. Marie* souffre d’un doigt à ressaut. Sa douleur aurait dû être apaisée grâce à une opération prévue début mars. Suite à son annulation, Marie a subi des douleurs difficiles supporter. « Je ne peux pas du tout ouvrir mon doigt, je ressens une sensation de brûlure tout le long des phalanges », déplore-t-elle. Son médecin l’a rappelée suite à l’annonce du déconfinement pour reprogrammer une intervention, le 25 mai. Un soulagement pour cette retraitée, qui avait peur d’être à nouveau coincée en cas d’une deuxième vague.
Les opérations, examens et consultations reprennent progressivement leur rythme habituel depuis la fin du confinement. « On sent que la pression commence à diminuer », constate le Dr Gobert – même si les règles d’hygiène et les parcours de soins sont maintenus. Et pour le Dr Bigot, bon nombre de ces nouveautés devraient être conservées à l’avenir : « il y a eu de bonnes idées. Comme le fait que les médecins appellent leurs patients d’eux-mêmes. On ne le faisait jamais, on devrait continuer de le faire. »
Texte et photos : Marine Saint-Germain et Sarah Ziaï
Depuis plus d’un mois, le système hospitalier français tout entier a dû se réorganiser pour faire face à l’épidémie de Covid-19, touchant à la fois les soignants, mais aussi les étudiants en médecine dont les conditions de stage ont été modifiées. Rencontre avec Leslie Maillot, 22 ans, étudiante en quatrième année à la Faculté de Médecine de Nancy (Grand-Est), qui vient de mener ses premiers stages en tant qu’externe.
Avocate, architecte, ingénieure ou encore danseuse… Leslie est passée par de nombreuses idées quant à son futur métier. L’important pour elle : aider les gens, entretenir un lien, se rendre utile, et pour cela, toutes les pistes étaient bonnes. Mais la médecine, jamais. « Je ne m’imaginais pas du tout faire ça », explique-t-elle avec ironie.
Pourtant, aujourd’hui en quatrième année à la Faculté de Médecine de Nancy (Grand-Est), elle vient de vivre ses premiers mois d’externat – deux années durant lesquelles les étudiants en médecine alternent entre stages et préparation du concours d’internat – dans des conditions chamboulées par le coronavirus. Deux stages ont amené la jeune femme de 22 ans aux urgences de l’hôpital Mercy à Metz (57) et dans le service d’onco-hématologie pédiatrique de l’hôpital d’enfants de Nancy (54). Des expériences qui l’ont plongée dans une réalité difficile.
Et quand on lui demande si ce qu’elle voit à l’hôpital n’est pas trop dur à supporter, elle évacue rapidement la question. « Je sais que je suis faite pour ça, je suis sûre de moi« , affirme-t-elle. Une force de caractère nécessaire pour poursuivre dans la voie qu’elle ambitionne.
« Quand on est étudiant, les professeurs nous parlent du manque de moyens. On voit aussi les internes qui sont très actifs sur les réseaux sociaux et qui dénoncent leurs conditions de travail, mais quand on met les pieds à l’hôpital, on réalise la gravité de la situation.«
Le Grand-Est en première ligne
Une situation qu’elle a vécue de manière encore plus intense avec l’épidémie de Covid-19 qui s’est invitée dans son deuxième stage. En plus d’avoir entraîné le pays dans un confinement depuis le 17 mars, le nouveau coronavirus a ébranlé le système hospitaliser et montré ses limites. Dans la région du Grand-Est, où Leslie a grandi, l’épidémie a été particulièrement rude, prenant les soignants de court.
« On a commencé à beaucoup en parler à la fin du mois de février, mais tout le monde pensait la même chose ; que c’était une grippe qui ne touchait que les personnes âgées, comme on en avait tous les ans, et comme la Chine nous l’avait décrit. Et puis on a vite compris que c’était bien plus sérieux. »
Face à l’urgence grandissante de l’épidémie, l’hôpital de Nancy s’est totalement réorganisé. L’hôpital d’enfants, dans lequel travaillait Leslie, a notamment dû mettre certains de leurs lits de réanimation à disposition des adultes.« Le service d’onco-hématologie pédiatrique est un service très vivant. Il y a des jouets partout, beaucoup de visiteurs… Du jour au lendemain , plus personne n’avait le droit d’entrer, et tous les jouets ont été renvoyés. L’environnement est devenu assez anxiogène et tendu, avec des parents très inquiets. »
Au fur et à mesure, le problème s’est aussi étendu au matériel de protection, particulièrement nécessaire dans ce service puisqu’il accueille des enfants immunodéprimés, autrement dit, des enfants ayant un système immunitaire affaibli, et donc particulièrement sujets aux maladies qui circulent.
« Rapidement, notre stock de sur-blouses s’est vidé, donc il fallait les réutiliser. Pendant plusieurs jours, il n’y avait plus du tout de gel hydroalcoolique, probablement suite à des vols, ce qui nous obligeait à nous laver les mains toutes les trente secondes au savon, irritant beaucoup notre peau. Et surtout, au lieu de changer de masque entre chaque enfant, il a fallu garder un même masque toute la journée, alors même que ça ne protège plus. »
Cette situation dramatique, Leslie l’a gérée avec pragmatisme et lucidité. « Il n’y a pas la question de, comment fait-on ?Il faut continuer à voir les patients, on n’a pas le choix, donc on fait avec ce qu’on a. » Si elle reconnaît que l’adaptation est une partie intégrante du métier de médecin, elle déplore que les soignants aient dû travailler dans de telles conditions. « On doit s’adapter, oui, face à l’état d’un patient qui se dégrade soudainement, par exemple, mais on ne doit pas s’adapter à un manque de matériel et de moyens. Ça, ce n’est pas normal. »
Les soignants, « premières victimes de cette crise »
Alors que la situation s’améliore doucement dans le Grand-Est, avec encore 4 246 personnes hospitalisées pour cause de Covid-19, Leslie s’inquiète quant à la réouverture des écoles qu’elle juge prématurée. Selon elle, une deuxième vague est inévitable, surtout si le déconfinement ne se fait pas de manière très progressive.
Mais la jeune étudiante pense aussi à la suite et à l’avenir de l’hôpital : si elle apprécie le geste d’applaudir les patients chaque soir à 20 heures, elle réclame davantage, à la fois de la part des citoyens et de l’État.
« Applaudir les soignants, c’est bien, à condition qu’à la fin du confinement, le soutien continue, par exemple par le biais de manifestations. C’est pareil pour l’État. Dire que les soignants sont des héros est d’abord faux, car ce sont les premières victimes qui subissent de plein fouet cette crise, et ce qu’ils attendent, ce sont des moyens, parce que le manque de lits, en réalité, c’est chaque année. »
Consciente que la France s’engage vers une crise économique sans précédent, Leslie a peu d’espoir sur les mesures qui seront prises en faveur de l’hôpital. À l’aube de sa carrière, elle s’efforce malgré tout de rester optimiste. Une chose est sûre, elle a trouvé son lien social et son utilité dans l’hôpital public, et elle compte tenter d’y faire carrière, malgré toutes les contraintes que cela oblige, parce que, l’hôpital public, « on en a besoin, et c’est une manière de le soutenir. »
Baisse des effectifs, blocage des salaires, regroupement des hôpitaux : les soignants se sont rassemblés ce mardi 10 octobre pour protester contre les mesures gouvernementales sur la fonction publique. Pour la première fois depuis une dizaine d’années, l’ensemble des syndicats de la santé ont marché côte à côte.
« On veut des sous et du personnel ! », lance Catherine, puéricultrice à l’hôpital Necker à Paris. « Nos conditions de travail sont devenues intenables, nous travaillons trop souvent sur nos jours de repos », ajoute Johanna, sa collègue. En grève, elles sont venues toutes les deux manifester ce mardi 10 octobre contre les mesures annoncées par le gouvernement. Pour la première fois depuis la loi Bachelot en 2009, une dizaine de syndicats de praticiens hospitaliers s’unissent pour battre le pavé ensemble.
« Mon salaire n’a pas bougé depuis dix ans »
Aux alentours de 14 heures, la place de la République se remplit doucement. Les blouses blanches se rassemblent, sortent les pancartes d’un camion à l’effigie du syndicat Sud Solidaires. Sur l’une d’entre elles est inscrit, en lettres capitales, « L’hôpital n’est pas une entreprise ». Patrick, 55 ans, distribue les tracts aux passants. « C’est pour les générations futures que je suis là aujourd’hui, lâche cet agent logistique. Les salaires sont bloqués, les CDD ne sont pas titularisés… Entrer dans la fonction publique aujourd’hui, c’est devenu tellement plus compliqué ».
Patrick pointe du doigt les plans d’austérité successifs, le regroupement des hôpitaux qui « signe la mort de l’hôpital de proximité ». Il engage la conversation dès qu’il le peut avec les passants, aux abords de la place. « Les horaires de travail ne sont plus respectés. Mon salaire n’a pas augmenté depuis dix ans. Nous ne sommes pas responsables de la dette, que le gouvernement aille chercher l’argent ailleurs », poursuit Patrick.
La crainte de la privatisation
Médecins, pharmaciens, dentistes, personnels paramédicaux et employés administratifs sont présents dans le cortège. Tous sont concernés par le gel du point d’indice et le rétablissement du jour de carence qui n’indemnise plus le premier jour de congé maladie. Les soignants s’inquiètent d’une baisse de leur pouvoir d’achat, mais ils sont nombreux à demander, en priorité, des conditions de travail décentes. « Nous voulons dire stop à la baisse des effectifs et à la privatisation de la santé. La question des salaires est importante mais elle reste secondaire », estime Marie-Christine, ancienne cadre de santé à Meaux et déléguée syndicale des fonctionnaires autonomes (FGAF).
L’hôpital dans lequel elle travaillait, à Meaux, est déjà en fusion avec d’autres établissements de santé. « On en voit déjà les effets, assure Marie-Christine. Au mois d’août, 40 postes d’ASH (assistantes de soin, NDLR) ont été supprimés. Le gouvernement compte sur notre bonne volonté. Ce n’est plus tenable. »
Parmi les soignants qui manifestent, le secteur public, davantage représenté, n’est pas seul. « Une convergence des revendications est possible avec le privé, mais n’oublions pas qu’ils n’ont ni les mêmes moyens, ni les mêmes salaires », commente Catherine.