Le mois d’octobre marque le retour de nombreuses licences vidéoludiques comme le nouveau « Call of Duty: Black Ops 4 ». Bien que ces jeux soient souvent déconseillés aux mineurs, la plupart trouvent preneur auprès des plus jeunes.
Maximilien a fait son choix. Ce vendredi, c’est école buissonnière. « Je sèche jamais mais là c’est obligé », confesse ce collégien de 14 ans. Sur le boulevard Voltaire à Paris, l’adolescent rondouillet profite de l’instant, il tient fermement dans sa main le jeu qu’il attendait depuis des mois, sourire aux lèvres : « Toute la journée ce sera Call of ».
« Call of », le diminutif du jeu vidéo « Call of Duty », l’une des plus grosses licences de l’industrie vidéoludique. Le nouveau volet de la saga est aujourd’hui disponible en magasins et sur Internet. Dans certaines boutiques du quartier République, le jeu est même en rayon depuis quelques jours, mais certains vendeurs ne prennent pas ce risque. « On ne vend qu’à partir du jour J, ça évite les ennuis avec les éditeurs… » confie Alexandre qui travaille à la boutique Retrogameplay. Malgré son nom trompeur, le magasin propose lui aussi les dernières sorties jeux vidéo, « Le Spiderman et le dernier Assassin’s Creed se vendent bien… et maintenant on propose le dernier Call of Duty. »
Le vendeur assure que pour ces produits, sa clientèle est plutôt adulte : « C’est très rarement des jeunes tout seul qui viennent acheter ces jeux-là. Ils sont accompagnés de leurs parents ou alors ils nous les passent au téléphone. Il nous faut leur accord. Ça nous rassure car vu le contenu, drogues, braquages et prostitution qu’il y a dans ces jeux-là, on se dit que c’est moralement pas possible de le vendre comme ça à des enfants. »
Aucune interdiction de vente aux mineurs
Sur chaque jaquette de jeu vidéo, on distingue une petite signalétique en vert, orange ou rouge : « PEGI » ou Pan European Game Information. Un pictogramme qui permet la classification d’un jeu vidéo selon le degré de violence qu’il contient. 3: c’est pour toute la famille. 12: à ne pas mettre entre les mains des plus jeunes. 18 : le jeu contient des scènes explicites de sexe et/ou de violence.
Pour cette fin d’année, presque tous les jeux « AAA » (à très gros budget), sont classés PEGI 18. Call of Duty, Red Dead Redemption II, Battlefield V… Des expériences vidéoludiques où l’on incarne le plus souvent un héros ou un soldat qui n’hésite pas à faire usage d’armes létales. La violence y est bien souvent omniprésente. Sauf que la classification PEGI n’a qu’un caractère informatif et n’est en rien contraignante. Résultat : de nombreux adolescents peuvent sans grande difficulté acheter des jeux qui leur sont pourtant déconseillés.
« Ils ne vérifient ni en magasin ni sur Internet »
À 15 ans, Hector a déjà joué à de nombreux jeux au contenu inadapté à son âge : « Mon grand frère et moi on joue aux mêmes jeux donc je n’en achète pas beaucoup. J’ai acheté FIFA il y a quelques semaines, mais je sais que je n’aurai aucun problème à acheter Call of Duty ou n’importe quel autre jeu violent en grande surface. »
Le lycéen affirme n’avoir jamais été interrogé sur son âge pour acheter un jeu : « Ils ne vérifient ni en magasin ni sur Internet. Quand je vais à la Fnac, je m’achète des cartes prépayées que j’utilise ensuite sur mon ordinateur pour m’acheter les jeux qui me plaisent. Il n’y a aucun contrôle. »
Un marché de 4,3 milliards d’euros en 2017
Fnac, Micromania, Auchan… Les principaux vendeurs de jeux en magasins font preuve de trop de laxisme. « J’ai acheté un ancien Call of Duty en magasin en 2015, j’avais 12 ans et personne ne m’a posé de question à la caisse. Pareil pour mon pote qui s’est offert GTA », raconte Hector. Le secteur du jeu vidéo profite de l’absence d’interdiction. En France, l’industrie vidéoludique représentait 4,3 milliards d’euros en 2017 selon le S.E.L.L (le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs) . Un chiffre en constante augmentation et qui fait du jeu vidéo, selon Le Parisien, le premier produit culturel en France, devant le livre, le cinéma et la musique.
Mais résumer les jeux vidéo à du contenu violent serait malhonnête. Depuis quelques années, le rétro-gaming et les jeux conviviaux ont le vent en poupe : « Le dernier Mario Party marche bien et en décembre il y a Super Smash Bros qui sort et ça va cartonner. Ce sont des jeux familiaux et plutôt bon enfant mais c’est ce que recherchent aussi les joueurs. Qu’ils soient jeunes ou plus âgés », explique Alexandre. Le jeu vidéo familial, c’est la marque de fabrique de Nintendo. Le constructeur nippon a sorti en 2017 la Switch qui connaît un franc succès partout dans le monde avec plus de 20 millions d’unités vendues. Preuve que les jeux vidéo non violents rapportent eux aussi énormément d’argent.
Ce pays de l’est-asiatique fournit aujourd’hui les meilleurs joueurs du monde. L’engouement face à l’e-sport est devenu si important que le gouvernement coréen a dû intervenir.
Au pays du Matin Calme, le Baseball est une religion. Mais depuis une vingtaine d’années, la Corée du Sud s’est découvert une nouvelle passion, le jeu-vidéo. En 1997, l’industrie coréenne subit de plein fouet la crise asiatique. Dans le même temps, presque par accident, le pays va voir naître un phénomène qui deviendra mondial : le sport électronique.
Pour faire face à la crise, les gamers coréens qui n’ont plus les moyens de s’équiper pour s’adonner à leur passion se retrouvent dans des salles qui louent leur matériel et une connexion internet. Ces « Pc-bangs » deviennent tellement fréquentés qu’il s’en crée près de 20 000 en deux ans. Malgré l’embargo du gouvernement sur les consoles japonaises, la vente de jeux-vidéo explose. Grâce en partie à un titre qui arrive à accéder au marché sud-coréen, Starcraft. Une communauté de passionnés se forme autour de ce jeu et en 2000, le gouvernement se voit presque contraint de fonder la KeSPA (Korean e-Sport Association). Un an plus tard, le développeur Blizzard vend deux millions d’exemplaires de son titre “phare”.
Quinze années se sont écoulées, et la Corée du Sud reste le pays qui fournit les meilleurs joueurs professionnels de sport électronique. En 2013, 17 des 20 meilleurs joueurs mondiaux du jeu Starcraft II étaient coréens. Les équipes sont sponsorisées par de grandes marques, et les parties sont regardées en direct par des centaines de milliers de spectateurs. Le gouvernement a même débloqué près de 200 millions d’euros pour soutenir l’industrie du e-Sport, en attendant la construction d’un stade à Séoul pour accueillir les grandes compétitions. La finale mondiale du célèbre jeu League of Legends a déjà attiré l’an dernier près de 40 000 spectateurs dans une enceinte construite pour la Coupe du monde de football en 2002. « En Corée du Sud, ils vivent avec des claviers. Nous, avec des ballons au pied », confirme Christopher Labbé, jeune gamer professionnel.
Si les plus jeunes vouent un culte sans faille à ce type de pratiques, le gouvernement émet tout de mêmes quelques réserves, et tente de lutter contre l’addiction des plus jeunes. Depuis 2011, la loi « Shutdown » (surnommée « loi Cendrillon » par ses détracteurs) interdit les Coréens de moins de 16 ans de jouer en ligne entre minuit et 6h du matin, avec la mise en place d’un enregistrement par carte d’identité. Mais le système est facilement contournable, et les entreprises ne voient pas d’un bon œil cette limitation. En 2013, un nouveau projet de loi « anti-addiction » a dû être suspendu.
Malgré l’inquiétude des anciennes générations, le sport électronique est toujours plus populaire en Corée du Sud, et s’est développé dans le monde entier en réunissant des dizaines de millions de joueurs. Depuis 2015, il est même reconnu comme un sport de second niveau par le Comité National Olympique Coréen. Si la présence de cette discipline aux Jeux Olympiques reste pour l’instant utopique, c’est une avancée non-négligeable dans la quête de légitimité de l’e-sport.
Après une licence en psychologie, Damien L’Hostis a décidé de devenir joueur professionnel.
Mercredi dernier, le Meltdown affichait presque complet. Le lieu de rendez-vous des gamers parisiens organisait comme chaque semaine son tournoi Hearthstone. Par ordinateurs interposés, les compétiteurs se sont affrontés à travers le jeu de cartes (en anglais DCG, Digital Card Game) dérivé de World of Warcraft, le jeu de rôle aux 10 millions d’abonnés. Damien L’Hostis, venu prendre un verre avec ses amis, a fait ses gammes sur “WoW”, avant de passer le plus clair de son temps sur Hearthstone. « En fait je suis un grand fan des jeux développés par Blizzard » assure-t-il. « J’ai débuté il y a quelques années sur World of Warcraft et Diablo, et j’ai décidé de tester mon niveau sur les DCG ». Bien lui en a pris, car il fait désormais partie du top 10 des joueurs européens sur ce titre. S’il ne joue pas ce soir, c’est aussi parce que le niveau amateur ne l’intéresse plus.
“Yogg”, comme il se fait appeler, est un pro-gamer. À 25 ans et après avoir obtenu une licence de psychologie à Brest, il a décidé de se consacrer totalement au sport électronique. Recruté par GamersOrigin grâce à ses résultats, il fait maintenant partie de la deuxième meilleure équipe française derrière Millenium, et peut se permettre de vivre de sa passion. Il n’a pas de sponsor, mais grâce au salaire que sa « Team » lui verse et aux résultats qu’il obtient, Damien gagne environ 900 euros par mois. « Pour l’instant, je ne fais que du coaching et des tournois, précise-t-il, dès le mois prochain, je me lance dans le streaming ». Autrement dit, à diffuser ses entraînements en ligne sur Twitch, une plateforme de flux vidéos en direct grâce à laquelle il encaissera entre 600 et 1800 euros supplémentaires suivant le nombre de viewers (téléspectateurs) de ses parties. Son équipe s’est associée avec la chaîne Twitch « Hearthstone Strategy FR » pour produire du contenu. Des parties sont disputées en ligne par les joueurs professionnels de GamersOrigin, et sont commentées en direct par les animateurs de HSFR.
Lors de la dernière édition de la Gamers Assembly qui s’est tenue à Poitiers il y a quelques jours, “Yogg” a fini 3ème sur Hearthstone. Sa dextérité et son intelligence de jeu lui ont permis d’empocher 600 euros, une manne financière non négligeable. En France, le sport électronique reste cependant très mal réglementé. Pas de fédération, pas de statut professionnel. Les joueurs restent livrés à eux-mêmes, et il est très rare qu’ils réussissent à vivre de leur passion pendant plusieurs années. En attendant une retraite précoce, Yogg continue de cliquer sur sa souris, en espérant bientôt se rapprocher des émoluments des meilleurs mondiaux.
Importé de Corée du Sud, le sport électronique se professionnalise dans l’Hexagone.
Dimanche 19 octobre 2014, environ 40 000 personnes attendent au petit matin devant le Seoul World Cup Stadium pour obtenir les meilleures places. Ce n’est pas pour applaudir la vedette nationale Psy (le fameux créateur du Gangnam Style), mais bien pour assister à la finale des championnats du monde de League of Legends. Les adeptes de ce jeu vidéo en ligne sont venus du monde entier pour encourager les finalistes. La scène peut sembler surréaliste. Deux équipes de 5 joueurs rivés sur leur ordinateur s’affrontent devant des fans aussi survoltés les uns que les autres.
Drapeaux aux couleurs de leur équipe préférée en main, les plus passionnés applaudissent, huent, sautillent et pleurent de joie comme de tristesse selon les actions de leurs idoles. A l’image d’une finale de Coupe du Monde de football, les organisateurs de l’événement ont prévu d’en mettre plein la vue aux spectateurs. Feux d’artifices, jeux de lumières et même concerts de rock: la finale est avant tout un spectacle exceptionnel.
Sur internet, plus de de 27 millions de spectateurs suivent l’évènement en direct. Ce jour-là, l’équipe coréenne Samsung White remporte la partie face aux Chinois de SH Royal Club. Les vainqueurs se sont partagés la somme d’un million d’euros. Cette professionnalisation du sport électronique fait rêver plus d’un geek. En effet, cette nouvelle activité parfois rémunérée est sur le point d’être considérée en France comme un véritable sport de haut niveau, autour duquel gravite un environnement économique puissant.
Né dans les années 1980, le phénomène connu sous le nom de e-sport, captive de plus en plus de jeunes âgés de moins de 30 ans. Face à une salle remplie à craquer ou dans un modeste cybercafé, les gamers, seuls ou en équipe, s’activent sur internet à travers des jeux de stratégie, de rôle, de guerre ou de combat.
Le but de chaque partie est souvent le même : neutraliser les adversaires en éliminant tous leurs personnages. Starcraft, League of Legends, Hearthstone, Dota, Counter-Strike, Call of Duty : chaque jeu donne lieu à des tournois plus ou moins vénérés selon l’enjeu et le talent des participants. A l’instar de la sphère football, le e-sport s’est doté de ses vedettes interplanétaires, de ses commentateurs, de son modèle économique ainsi que de ses passionnés les plus fidèles.
« Tous nos joueurs sont des professionnels. Dans notre équipe Starcraft II, on a même recruté un joueur coréen », explique Rémy Chanson, responsable de la section e-sport à Millénium. Cette organisation basée à Marseille fait partie des trois plus grandes structures en Europe. Ses équipes formées en fonction des différents jeux vidéo accèdent très régulièrement aux podiums internationaux, ce qui permet à Millénium de faire la cour aux meilleurs gamers du monde. « Nous avons un vrai centre d’entraînement où les joueurs peuvent s’entraîner à fond et être hébergés », explique Rémy Chanson, chargé de gérer les équipes.
Pour atteindre l’excellence, l’exercice quotidien est primordial. Avant la Gamers Assembly 2015, l’un des plus grands rassemblements de joueurs de jeux vidéo en France organisée à Poitiers du 3 au 6 avril, les professionnels de la console et de l’ordinateur se sont tous retrouvés à Marseille pour réaliser une semaine d’entraînement intensif. Le but : s’entraider pour ajuster les stratégies de chacun en vue du Jour J. Et comme dans n’importe quel sport, le matériel est primordial.
Si le sélectionneur des Bleus Didier Deschamps peut décider de laisser sur le banc l’un de ses attaquants pour un match, son homologue du Millénium Rémy Chanson peut également décider d’écarter l’un de ses hommes pour une compétition s’il le juge trop fébrile. « Il y a des raisons budgétaires à prendre en compte. Si par exemple un joueur veut faire une compétition en Suède, je vais regarder s’il a des chances de s’imposer », explique le responsable de 35 ans.
Ces paramètres financiers sont en partie liés aux sponsors, acteurs majeurs du sport électronique moderne.En fournissant du matériel informatique ou de l’argent à une équipe de renom, les marques s’assurent une publicité à grande échelle. Avec le développement du e-sport, il est désormais bien plus facile de conclure des partenariats avec les publicitaires.
« La démocratisation de cette pratique fait que certaines entreprises s’intéressent à nous, même si elles n’ont aucun rapport avec le jeu vidéo. Je pense à des banques ou des marques de café, par exemple », explique Rémy Chanson. Grâce à ce mécanisme, les équipes s’autorisent à payer les frais de déplacement, les hôtels ainsi que les salaires des joueurs. Chaque mois, la part du sponsoring versée à un pro-gamer varie en moyenne entre 300 et 1500 euros.
Puis, une poule aux œufs d’or s’occupe du reste de leur salaire mensuel. Il s’agit des Web TV. En plus de posséder des équipes d’e-sport, Millénium est à la tête de plusieurs télévisions en ligne permettant de retransmettre les entraînements de ses joueurs en direct. Dailymotion, Youtube et Twitch, hébergent les Web TV et permettent ainsi aux joueurs de monétiser leurs séances grâce aux streams. Cet anglicisme désigne en fait un flux vidéo permettant le visionnage des parties en cours.
Trois grands éditeurs de jeux vidéo ont élaboré une politique de communication bien plus habile que le simple sponsoring ou la publicité à la télévision. Riot Games et Valve organisent des compétitions pour mettre leurs jeux League of Legends et Dota2 sur le devant de la scène. Blizzard Entertainment, quant à lui, met en place des rendez-vous autour de ses jeux Starcraft et Hearthstone.
Avec des moyens financiers et techniques colossaux, ils élaborent des tournois gigantesques et ont poussé à la professionnalisation des joueurs à travers les sommes d’argent que récoltent les vainqueurs. Ces pactoles, appelés cash prizes se divisent parmi les joueurs les plus doués de la compétition et peut comporter jusqu’à six zéros.
En juillet dernier, cinq pro-gamers de l’équipe chinoise NewBee sont devenus millionaires en s’imposant en finale de l’International IV, le plus grand tournoi de Dota2. Ces énormes dotations ont été obtenues en grande partie par le financement participatif et proposaient 5 millions d’euros à l’équipe gagnante. Au classement des joueurs ayant gagné le plus d’argent sur les tournois, sans compter le sponsoring ou les contrats offerts, les cinq compères squattent évidemment les premières places.
En matière de sponsoring, Melty, associé au groupe Bouygues, a décidé d’être audacieux et de casser les codes. Le groupe de médias est à l’origine de la création d’une équipe de sport électronique féminin. Comme dans l’univers du ballon rond, l’e-sport est un secteur où les hommes sont majoritairement représentés.
« Pendant des années et des années, les manettes et claviers ont été massivement utilisés par les garçons. Mais dans les jeux plus récents, comme League of Legends, la population féminine est plus importante », analyse Rémy Chanson, précisant que les anciens jeux compétitifs étaient plus axés sur les aspirations des hommes.
Peu de femmes dans un monde viril
Il est vrai que les jeux de guerre et leurs personnages aux muscles saillants ont davantage attiré les garçons que les filles. Pourtant, Déborah Tessonnière, alias Torka, joue à Counter Strike depuis une dizaine d’années. Elle est devenue l’une des meilleures « gameuses » de France. Elle aussi est passée par Millenium avant d’accepter un contrat plus intéressant au sein de l’équipe Melty.
« C’est une question de personnalité. Mais nous sommes toutes assez féminines dans mon équipe. Jouer à Counter Strike ne nous empêche pas d’aller faire du shopping », explique la jeune femme. Encourager la création d’équipes féminines est une chose, mais étendre l’e-sport aux non-initiés en est une autre. Car si les femmes sont minoritaires dans ce monde viril, il faut avouer que les non-initiés assez éloignés de la culture geek le sont encore plus.
Pour l’instant, le sport électronique se concentre donc presque exclusivement sur la toile, où l’on retrouve une multitude de Web TV et de parties en streaming. Les trois plus célèbres sont les Web TV de Millenium, d’Eclypsia et d’O’Gaming. Cette dernière, après avoir vu le jour sur Youtube, est devenue un site internet à part entière en 2011. Alexandre Noci, Hadrien Noci, Fabien Culié et Charles Lapassat, plus connus sous les noms de Pomf, Thud, Chips et Noi, en sont à l’origine.
Chose rare en France, ils arrivent à gagner leur vie avec le shoutcast. Fonctionnant en binôme, ils ont conquis un très large public en commentant pour les internautes français des parties de Starcraft et de League of Legends diffusées en streaming. À titre d’exemple, les vidéos de Pomf et Thud ont été vues plus de 45 millions de fois sur le Web. À l’instar de Thierry Roland et de Jean-Michel Larqué, les plus célèbres commentateurs de football en France, leurs voix sont directement associées au sport électronique.
Les non-initiés sur le banc de touche
Pourtant, il reste très difficile pour eux de séduire au-delà des initiés, la faute à un langage très particulier. “GG”, “drop”, “line-up” ou “metagame”, autant dire que les élèves ayant séché les cours d’anglais partent avec un lourd handicap lorsqu’ils se lancent dans les jeux en réseau. « Pour les non-gamers, c’est incompréhensible » confirme Noi, le commentateur. « C’est le problème du e-sport. C’est inaccessible si on ne fait pas l’effort d’apprendre le lexique. Un peu comme lorsque l’on regarde du football américain. On a tendance à le vulgariser de plus en plus, notamment en supprimant les anglicismes, mais il reste une barrière à franchir. » Une barrière qui pourrait faire passer l’e-sport dans une dimension plus populaire, et donc plus intéressante d’un point de vue médiatique.
Lorsqu’ils ne commentent pas de streams, les deux binômes organisent leurs propres tournois ou interviennent lors des grandes manifestations. L’année dernière, le All Star Game du jeu League of Legends s’est déroulé au Zénith de Paris. Et ce sont Chips et Noi qui ont été choisis par le développeur et organisateur du tournoi Riot Games comme commentateurs officiels des parties.
Pour cet événement, 6000 spectateurs se sont déplacés sur 4 jours, et plus de 450 000 spectateurs l’ont suivi dans le monde grâce au streaming. Et en 2013, 32 millions de fans ont suivi ces mêmes championnats du monde sur internet. Pas étonnant que les grandes marques se bousculent aujourd’hui au portillon pour sponsoriser des équipes ou des évènements.
Si vous n’avez pas envie de regarder les compétitions depuis chez vous, il est également possible de se rendre dans un Barcraft, un de ces établissements où l’on peut jouer à la console tout en dégustant une bonne bière entre amis. En France, Sophia Metz est une pionnière dans le genre. Avec des amis, elle a co-fondé le Meltdown pour réunir la communauté des gamers de Paris.
Le concept a fait fureur, et se décline maintenant en province comme à l’étranger. Des tournois sont organisés, et l’ambiance se rapproche souvent des soirs de matchs dans le « Pub » du coin. Des dizaines de personnes regardent fixement le même écran et s’exclament volontiers lorsqu’un joueur réalise une bonne action, le tout dans une ambiance conviviale. Parfois, il arrive que des stars du e-sport viennent boire un verre dans ce lieu de passage incontournable pour tout amateur de jeux vidéo.
Dans ces endroits, il est également courant de croiser des journalistes, micros en main, venus prendre le pouls de la scène e-sport parisienne. Ils suivent les actualités du sport électronique au jour le jour. Transferts de joueurs, création de nouvelles équipes, arrivées de sponsors ou résultats de tournoi: tout est passé au peigne fin. Mais il est pour l’instant difficile de gagner sa vie et de faire “se faire un nom” dans la profession.
Pour Adrien Auxent, jeune français parti tenter sa chance comme journaliste e-sport au Brésil, c’est avant tout le fonctionnement du monde du sport électronique qui pose problème. « Ce sont les grandes marques ou les développeurs des jeux vidéo qui organisent les tournois et rémunèrent les gagnants. Le problème, c’est qu’ils ne veulent pas de journalisme sérieux et critique, analyse-t-il. En haut, ils n’aiment pas qu’on remue la merde (sic). C’est avant tout des pressions indirectes du style “tel ou tel journaliste, vous ne lui donnez plus d’interview” un peu comme dans les autres sports finalement.»
Récemment, le journaliste Richard Lewis s’est par exemple mis à dos l’éditeur de jeux Riot Games pour des propos critiques. Par conséquent, la majorité des articles sur le e-sport proviennent de rédactions affiliées aux équipes. Pour se développer encore plus, et notamment en France, le sport électronique va devoir faire des concessions. L’acceptation de la critique et l’ouverture au grand public sont des conditions sine qua non au développement de cette culture. Car malgré une croissance exponentielle et de nombreux points communs avec des sports historiques, le e-sport cherche encore sa place en France.
En dépit de quelques apparitions sur Eurosport ou Canal+, les grands médias restent méfiants et frileux concernant cette discipline. Mais compte tenu du nombre croissant de joueurs et de spectateurs, nul doute qu’elles devraient bientôt réviser leur jugement. Si le sport électronique arrive à se rendre plus accessible, il pourrait devenir un vecteur d’audience potentiel, ce qui le rendrait plus lucratif pour les chaînes de télévision.