Tourisme spatial : quelles leçons retenir de la première sortie extravéhiculaire ?

C’est une grande première ! Deux astronautes ont réalisé ce jeudi la première sortie extravéhiculaire privée de l’histoire. L’objectif de la mission : tester la résistance des combinaisons de SpaceX et de la capsule au vide spatiale. Mais difficulté : l’ensemble de la capsule ainsi que son équipage ont été soumis à ce vide et ses dangers. Quelques heures après la sortie, le Celsalab a pu interroger plusieurs spécialistes sur les premières leçons à en tirer.

Il est 12h15 ce jeudi 12 septembre lorsque l’Américain Jared Isaacman ouvre la trappe de la capsule spatiale Dragon. Un geste apparemment anodin suivi par plus de 2 millions de téléspectateurs sur le site de l’entreprise SpaceX. Mais en réalité, ce geste de la mission Polaris Dawn est lourd de records et de nouveautés. Les premiers astronautes non-professionnels sont sortis dans l’espace ! Petit plus : ils sont équipés des combinaisons SpaceX. Le tout, à plus de 1 400 kilomètres de la Terre, ce qui en fait la sortie la plus éloignée de la Terre depuis que l’Homme a été sur la Lune. Une nouvelle étape franchie sur la route de la conquête de Mars. Un défi fixé par Elon Musk en 2002 avec la création de son entreprise SpaceX.

Derrière cet objectif ambitieux, cette sortie extravéhiculaire vient définitivement sacrer l’entreprise américaine comme un acteur à part entière de la conquête spatiale. « Ils veulent prouver à la Nasa qu’ils maitrisent la sortie extravéhiculaire, analyse Bernard Comet, médecin en physiologie spatiale et ingénieur aérospatial. La Nasa a toujours eu la mainmise sur les sorties humaines dans l’espace. » Un transfert des capacités spatiales de la Nasa vers le privé soutenu par l’administration américaine.

« La sortie a pu se dérouler comme prévu »

Mais pour l’ancien médecin des astronautes européens jusqu’en 2013, la réussite du jour ne doit pas se résumer à une simple validation technique. « La capsule de SpaceX n’a pas de sas. Donc en ouvrant la trappe, c’est tout le véhicule et ses occupants qui sont plongés dans le vide spatial. » Dans la station spatiale internationale par exemple, les astronautes passent dans un sas de décompression pour faire la transition entre l’intérieur du vaisseau et l’espace. Mais ici, rien de cela. Une seule porte sépare les astronautes dans la cabine du vide spatial. En ouvrant la trappe, Jared Isaacman met aussi bien l’équipage des quatre astronautes que le matériel à rudes épreuves. Froid atteignant – 272°C, dépressurisation, … les risques étaient multiples.

« En une seule sortie extravéhiculaire de 15 minutes, les astronautes ne prennent pas de risques inconsidérés. Ils sortent puis rentrent dans la capsule. Le principal point de vigilance concerne les membres de l’équipage restés à l’intérieur et le matériel. » Bernard Comet a particulièrement surveillé la résistance des outils techniques embarqués par les astronautes privés. « La sortie a pu se dérouler comme prévu, c’est bon signe. Mais il faut attendre le retour sur Terre pour exploiter les données », souligne-t-il.

« Les scaphandres SpaceX sont plus maniables que ceux de la Nasa »

L’un des autres intérêts de cette mission était de tester les combinaisons de SpaceX. Blanches, avec leur look futuriste, elles ont beaucoup fait parler avant même le décollage. Mais les spécialistes attendaient avec impatience de les voir dans l’espace. « Le scaphandre de la Nasa est rigide, SpaceX vient apporter un peu plus de maniabilité », observe le médecin. Cependant, la courte sortie ne va pas permettre de récolter assez de données sur le comportement du corps des deux astronautes sortis. « En 15 minutes, ils auront à peine le temps de transpirer », fait constater Bernard Comet avec amusement.

« SpaceX veut faire avancer la technologie pour que l’humanité progresse. Avec les scaphandres, ils y sont parvenus », se réjouit Olivier Sanguy, spécialiste de l’astronautique à la Cité de l’espace à Toulouse. Le principal défi, en plus de protéger l’astronaute, est de lui donner une mobilité suffisante pour réaliser des manipulations. Elle est composée de quatorze couches pour protéger des variations de températures et des rayonnements techniques. « Serrer son poing, c’est comme essayer d’écraser une balle de tennis », nous illustre l’expert. « Sur les images vidéos, on a pu voir Jared Isaacman agiter son bras. C’est un moyen de dire que les scaphandres SpaceX sont plus maniables que ceux de la Nasa », ajoute-t-il. Mais les deux experts contactés attendent le retour de l’équipage pour récupérer de plus larges données d’analyses.

La mission Polaris Dawn inaugure le programme Polaris de SpaceX, qui doit comporter trois missions mais sans calendrier annoncé. Après une deuxième similaire à celle qui s’est déroulée le 12 septembre, la troisième mission doit être le premier vol habité de la méga-fusée Starship, destinée à amener des astronautes jusqu’à Mars.

François-Xavier Roux

L’urbex, cette pratique en vogue mais pas sans danger

L’urbex, ou exploration urbaine de lieux abandonnés, est en plein essor, mais elle n’est pas sans risques. La pratique interdite est plus populaire que jamais, mais son danger interpelle à la veille d’une marche blanche pour Stébane Bail, 14 ans, mort en mai lors d’un urbex à Cambrai.

 

« Cette famille entière a disparu et aujourd’hui me voici dans leur maison abandonnée depuis 10 ans ! ». L’urbexeuse connue sur les réseaux sociaux sous le pseudo « Juju_urbex » publie régulièrement des vidéos de ce genre sur Tik Tok et Instagram, avec près de 270 000 abonnés. L’urbex, l’exploration urbaine de lieux laissés à l’abandon, est en plein essor, malgré son interdiction en France. Beaucoup d’influenceurs comme Juju_urbex ou la youtubeuse Silent Jill rencontrent un franc succès. Mais depuis quelques années les risques de cette pratique interrogent. Ces dernières semaines, en France, trois adolescents sont décédés en faisant de l’urbex, dont Stébane Bail qui a chuté d’un toit le 15 mai dernier.

 

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« Ça a toujours été une pratique risquée. L’urbex s’est développé dans les années 1990, où il n’y avait ni internet, ni réseaux sociaux, donc c’était plus confidentiel », explique Aude Le Gallou, docteure en géographie urbaine, spécialisée dans l’urbex. « Ce qui change ce n’est pas le danger mais le public qui a découvert cette pratique avec les réseaux sociaux, qui est de plus en plus jeune et moins sensible aux risques », détaille la chercheuse.

Il y a de quoi prendre le goût du péril dans ces endroits suspendus dans le temps, où la nature reprend parfois ses droits. Avec « juju_urbex » et son exploration déconcertante de Tchernobyl, ou encore la youtubeuse Enjoy Phoenix et ses enquêtes paranormales dans des lieux abandonnés, l’urbex prend une tournure sensationnelle et aguicheuse. C’est ce qui a poussé de plus en plus de jeunes à partir explorer, se mettre en scène, parfois seuls. « Près de chez moi, il y a un orphelinat abandonné. Quand j’étais encore au lycée, j’y suis allé tout seul, j’avais envie de voir à quoi ça ressemblait », relate Axel, 19 ans, vivant près de Tours, adepte de l’Urbex.

La préparation est indispensable

 

« Mon premier urbex, c’était à Montrouge dans un ancien asile psychiatrique, j’avais 16 ans à l’époque, à cet âge on n’a pas conscience des risques qu’on prend », raconte Lucille, 28 ans, qui a quelques explorations à son actif. « Il n’y avait aucune préparation, donc c’était un peu dangereux, dans le sens où on n’avait pas de lampe frontale, pas de compresses en cas de blessure, ni même de code en cas de danger », reconnait la jeune femme.

Car tous les adeptes de l’exploration urbaine s’accordent dessus : la préparation est très importante pour la sécurité. « Il y a toute une série de petites choses auxquelles il faut faire attention. Il faut prendre à manger, une trousse de premier secours , des chaussures solides en cas de bris de verre… », rappelle Aude Le Gallou, experte de l’urbex, avant de concéder que ces précautions « limitent les risques, mais ne les font pas disparaître ».

Les dangers de cette pratique peuvent parfois être funestes, comme avec la mort de Stébane Bail, 14 ans, décédé après une chute depuis le toit d’une usine désaffectée à Cambrai, dans le Nord. Un mois plus tôt, une jeune fille de 15 ans s’est aussi tuée en exploration, dans des circonstances similaires, à Unieux (Loire). « L’urbex se fait dans des endroits abandonnés, pas entretenus, avec une structure délabrée. Les toits comme dans les usines désaffectées sont faits en matériaux qui ne supportent pas le poids d’une personne », reconnaît Aude Le Gallou, déplorant ces accidents tragiques.

« Les toits comme dans les usines désaffectées sont faits en matériaux qui ne supportent pas le poids d’une personne », Aude Le Gallou, docteure en géographie urbaine.

« Il faut regarder l’état du bâtiment en amont, savoir si c’est délabré, s’il y a un risque d’écroulement. Le plancher des étages peut être endommagé, il faut privilégier le rez-de-chaussée. Sinon, il ne faut pas y aller » , préconise Axel, qui a déjà fait plusieurs explorations, avançant l’idée qu’il « faudrait plus de régulation de l’urbex en France ».

Faut-il réglementer ?

 

Faire de l’urbex est bien illégal en France. C’est la seule règlementation qui encadre la pratique, et qui lui donne aussi toute sa raison d’être. Le frisson de l’interdit rend l’expérience inédite. « Réguler, ça n’aurait pas de sens. C’est de l’essence de l’urbex d’être informel et pas encadré. On peut imaginer des variations légales mais ça deviendrait du tourisme, un loisir qui devient inspiré de l’urbex », observe la docteure Aude Le Gallou.

En attendant, les vidéos d’urbex continuent de pulluler sur les réseaux sociaux, et la tendance n’est pas près de s’essouffler. Dans les années à venir, « il faut s’attendre à ce que ça attire plus de gens », soulève la chercheuse. « Tant qu’il y aura des lieux abandonnés, ça va continuer à se développer. Même si ça inquiète les pouvoirs publics, il y a tellement de friches que les propriétaires laissent à l’abandon, et des mesures sont rarement prises », précise Aude Le Gallou.

Emma Launé-Téreygeol

 

3 questions à… Thomas Bys, infirmier-urgentiste et “nurbexeur”

 

© Thomas Bys
Pouvez-vous définir ce qu’est le “nurbex” ?

Le nurbex est l’alliance entre l’urbex et la photographie de nu artistique. Lorsque j’ai créé le groupe Facebook “Nurbex – Nude in Urban Exploration Urbex” il y a deux ans, aucun autre ne portait ce terme sur la plateforme. Cependant, le terme existait déjà sur le web, mais n’était pas très répandu. C’est le monde francophone qui utilise le plus cette appellation.

Quelle relation entretenez-vous avec les autres explorateurs ?

Nous croisons de plus en plus d’urbexeurs car la discipline se popularise fortement. Mais cela se passe généralement toujours bien sur le terrain, parce que les gens que nous croisons sont souvent les plus gênés face au modèle contrairement à ce que l’on pourrait croire. En revanche, nous sommes complètement décriés sur la toile car beaucoup ne nous considèrent pas comme des urbexeurs “puristes”. Une minorité estime que l’on manque de respect vis-à-vis des lieux. Pourtant, nous avons les mêmes règles morales qu’eux : on ne casse rien, on ne vole rien, on ne bouge rien.

Comme l’urbex, le nurbex connaît-il des dérives ?

Je le vois sur le groupe Facebook que j’administre, le nu artistique fait toujours face au problème de la vulgarité. Il y a en effet des photographes qui utilisent le prétexte du lieu abandonné pour réaliser ce type de photo. Les soucis les plus récurrents sont soit un modèle qui ne domine pas la photo, soit il n’y a pas l’esthétisme nécessaire pour faire de l’érotisme. On se retrouve finalement avec de la photo brute, et parfois limite porno, ce qui est à des milliards de kilomètres de notre démarche.

Cliquez ici pour voir le travail de Thomas Bys !

Sébastien Rouet