La menace terroriste a rarement été aussi forte. Dans le prisme du 11 septembre et des attentats de Bruxelles, les aéroports concentrent inquiétudes et angoisses. En première ligne, les agents de sûreté travaillent dans des conditions parfois très difficiles. Ces petites mains qui fouillent nos bagages et nos poches sont donc d’autant plus inquiets qu’ils ne sont pas aussi vigilants qu’ils aimeraient l’être.
L’autisme évoquant immédiatement une maladie infantile, on oublie qu’à l’âge adulte, les hommes et femmes atteints de cette pathologie se retrouvent très souvent exclus du monde de l’emploi. Mais certaines structures leur proposent d’exercer une activité quotidienne et rémunérée.
Aux Colombages, il y a des autistes qui ne sont ni malades ni patients. Ce sont des travailleurs. Cet établissement du 14ème arrondissement de Paris, gérée par l’Association française de gestion des structures pour personnes autistes est divisé en trois unités : un centre d’accueil de jour (CAJ), un centre d’accueil de jours médicalisé (CAJM), et enfin un établissement et service d’aide par le travail (ESAT). C’est dans ce dernier pôle que quarante adultes à qui l’on a diagnostiqué des troubles autistiques se retrouvent chaque jour pour exercer une activité professionnelle. Les Colombages leur proposent quatre ateliers : une section jardinage et espaces verts, le travail du bois et la fabrication de meubles, la restauration et la gestion des services de cantine au sein de l’établissement, et enfin le conditionnement avec la mise en place d’une chaîne de fabrication de petits objets, pour des prestataires extérieurs. C’est dans ce dernier atelier que le plus de travailleurs se sentent à l’aise. Ce vendredi 10 avril, ils sont une vingtaine à fabriquer des bracelets pour un bijoutier du Marais, client régulier. Du découpage des fils à l’emballage, les travailleurs s’occupent de toutes les étapes de la production, sous les indications de Flora Join-Lambert, leur « monitrice ». La scène donne l’impression d’être plongé dans une salle de classe, mais si Flora sait et doit se montrer ferme, elle ne rentre jamais dans la peau d’une enseignante ni ne se place au-dessus de ses travailleurs. Elle les vouvoie toujours, même lorsqu’ils la tutoient. Elle préfère demander plutôt que d’ordonner, et laisse à ses ouvriers une autonomie totale une fois leur tâche assignée.
40 travailleurs, 40 pathologies différentes mais pas tout à fait 40 autistes
Mais le vrai défi pour la jeune femme de 34 ans n’est pas seulement de s’occuper d’une vingtaine d’adultes toute seule, mais plutôt de savoir s’adapter à chacun d’entre eux. Car l’ESAT des Colombages est la parfaite illustration des déclinaisons de l’autisme, il n’y a pas deux travailleurs qui présentent exactement les même besoins, ni les même symptômes. A bien y réfléchir, tous les autistes présent dans l’atelier n’ont qu’un seul point commun : une politesse presque surnaturelle. Lorsque l’un des travailleurs se présente à vous, il vous parle avec un respect qui semble répété. Comme si il ou elle avait appris une leçon qu’il vous récitait. « En revanche on a un vrai problème, c’est que certains ne sont pas autistes, vous verrez », prévient la directrice du centre Charlotte Bonaldi. Du haut de sa quarantaine elle a déjà vécu plusieurs vies. Elle a pris soin d’enfants dans les rues au Brésil, a travaillé à la prison de Fleury-Mérogis, et s’est occupée d’un foyer pour jeune fugueurs dans le 15ème arrondissement de la capitale, entre autres. Mais dans chacune de ces aventures, la directrice a traîné une énergie et une présence impressionnante, renforcée par une vraie stature, ainsi qu’une allergie à la langue de bois. « C’est vraiment n’importe quoi parfois, on a des erreurs d’aiguillage, et ça ne devrait pas se passer comme ça ! », renchérit-elle.
Shanga et Benjamin, les deux faces d’une même pièce
Shanga lui, est bien autiste. Il a beaucoup de mal à s’exprimer, et doit composer avec un léger retard mental. Mais il se présente toujours en serrant les mains, demande s’il peut vous adresser la parole, et une fois lancé ne s’arrête plus. Il se pose des questions sur une possible réélection de Nicolas Sarkozy en 2017 et se demande si les gens veulent encore voter pour lui. Il estime que François Hollande quittera l’Elysée dans deux ans pour ne pas y revenir. Si l’autiste a un monde bien à lui, il vit également pleinement dans le nôtre. En général les travailleurs présentent comme Shanga des formes d’autisme assez sévères. Benjamin, lui, fait partie de ceux que l’on appelle « autistes de haut niveau ». Nombreux sont les politiciens qui envieraient sa diction, et les orateurs qui envieraient son langage. Le seul indice de son autisme ? Il est capable de nommer les treize plus grandes fauconneries de France et de vous décrire toutes les pièces d’une animalerie qu’il a visitée étant enfant -avec l’ensemble des règles de sécurité prononcées par le guide- le tout en moins d’une minute.
Un manque d’effectifs criant
Mais parfois les choses dérapent. Contrairement aux idées préconçues, les autistes ne manquent pas d’émotion. Bien au contraire, ils les ressentent parfois avec une telle force qu’ils explosent. Comme lorsque Shanga coupe la parole à l’un de ses collègues, et que celui-ci réagit en hurlant à en faire trembler les murs. Sans jamais qu’elle le pousse à la violence physique, on sent chez l’homme une rage qu’il ne peut pas contrôler. Après quelques minutes de discussion avec lui, il ressort qu’il regrette pleinement et sincèrement sa furie, mais elle le dominera pendant encore une bonne vingtaine de minutes. Puis c’est l’effet domino. Un esclandre éclate, dans l’atelier menuiserie, puis encore un autre chez les bijoutiers du jour, amenant Shanga à frapper une table de sa jambe jusqu’à en saigner légèrement. A son tour, après quelques minutes de répit, le jeune homme vient s’excuser de lui-même pour son attitude. Son comportement, comme celui de son collègue, n’a rien d’infantile, et il serait dangereux de les y réduire. Pendant ce temps-là l’équipe d’encadrement, dont le manque effectif devient criant dans une situation comme celle-ci, arrive tant bien que mal à apaiser tout le monde sans se laisser déborder.
Le travail ne guérira jamais l’autisme, mais les Colombages fournissent un véritable cadre à leurs travailleurs, pour vivre une vie au-delà de leur handicap. Et son modèle mérite clairement d’être décliné. Mais comme toutes les formes d’accompagnement d’autisme en France, celle-ci manque de moyens humains. L’animatrice en est d’ailleurs consciente : « j’ai entre 20 et 25 travailleurs à chaque atelier. C’est trop. »
Proposer des séances de cinéma adaptée aux enfants autistes, c’est l’objet des « Ciné-ma-différence ». Le projet, présent dans plusieurs villes de France, s’est implanté Montigny-les-Cormeilles, dans le Val d’Oise, en 2011, à l’initiative de Jacqueline Sibieude.
Vêtus de gilet jaune, les bénévoles du “Ciné-ma-différence” ont proposé une séance pas comme les autres, dimanche 12 avril, au Centre Culturel Picasso de Montigny-les-Cormeilles. Avant le début du film, Jacqueline Sibieude, à l’initiative de la création de ce cinéma dans le Val d’Oise, commence par un petit discours. “ Ici, vous êtes dans une séance ouverte à tous. Dans la salle, certains sont différents. On leur laisse la possibilité de s’exprimer librement, s’ils ont besoin de rigoler, de parler, de sortir, de bouger ou de chanter, ce n’est pas grave”, prévient-elle calmement. Elle invite ensuite la vingtaine d’enfants et de parents présents à repérer les cinq bénévoles en gilet jaune : “ Si vous avez un problème, nous avons des lampes de poche, nous venons vous voir et si vous avez besoin de sortir, on peut vous accompagner”. Une fois les explications terminées, les lumières de la salle s’éteignent progressivement pour laisser place au film du mois, la comédie musicale “ Annie”.
Permettre aux familles d’aller au cinéma
Tout est fait pour que les enfants autistes se sentent à l’aise et puissent vivre confortablement une séance de cinéma. “ Certains enfants autistes ont peur du passage au noir trop brutal, c’est pour cela que nous baissons progressivement la lumière. D’autres peuvent souffrir d’hyperacoustie, le volume sonore est donc moins élevé que dans les salles traditionnelles”, explique Jacqueline Sibieude. Depuis 2011, l’association HAARP ( Handicap autisme association réunie du Parisis ) propose ces séances de “ciné-ma-différence” une fois par mois à Montigny-les-Cormeilles. Le concept existe en France depuis 2005. Il a d’abord été développé à Paris, par deux familles confrontées à l’impossibilité de se rendre au cinéma avec leurs enfants handicapés. “ C’est notamment très difficile d’aller au cinéma avec un enfant autiste. Il peut rapidement être submergé par ses émotions, rire fort, avoir envie de bouger ou être angoissé. Ces comportements ne sont pas toujours acceptés dans les salles de cinéma…”, explique Jacqueline Sibieude.
C’est elle qui a entendu parler du concept et a décidé de le mettre en place dans le département. “ J’ai eu un enfant autiste, ça m’est arrivé de devoir sortir de la salle au bout de 5 minutes parce qu’il était trop bruyant pour les autres spectateurs. Beaucoup de familles n’osent plus sortir avec leur enfant. Ces séances aménagées ont pour but de laisser les enfants s’exprimer et par la même occasion, de permettre aux familles d’aller au cinéma tous ensemble”. Ce dimanche, la séance a été calme. Pendant les deux heures de film, on pouvait seulement entendre quelques éclats de rire.
« L’autisme c’est génétique ? Ce n’est pas plutôt psychologique ? Les autistes ont toujours des retards mentaux, non ? Mais dans Rain Man, ce n’était pas un génie au contraire? » Entre préjugés et influence du septième art, il est difficile de trouver une pathologie aussi incomprise que l’autisme. Peut-être devrait-on d’ailleurs parler d’autismes au pluriel, car il existe autant de variations de cette affection, que de personnes vivant avec. Est-ce la raison pour laquelle cette question nous paraît si difficile à cerner ? Comment expliquer le retard que la France a pris dans l’accompagnement de ce handicap? Cinq fois rappelée à l’ordre par le Conseil de l’Europe, l’Hexagone semble enfin tendre une main, timide, vers ses autistes.
Autant d’autismes que d’autistes
En 30 ans, c’est une véritable révolution. Avec la mise en place du Troisième Plan Autisme depuis 2013, la France avance enfin dans la compréhension de cette maladie mystérieuse.
On estime qu’une personne sur cent naît chaque année avec un trouble autistique. En France ce sont environ 600 000 personnes qui subissent ce handicap, soit deux fois la population d’une ville comme Nantes. Mais pour les aider à vivre avec, encore faut-il d’abord le comprendre. Pour Thomas Bourgeron, Professeur de génétique à l’université Paris Diderot et chercheur à l’Institut Pasteur l’autisme est « une maladie basée sur le comportement de la personne, qui entraîne des problèmes d’interactions sociales, de stéréotypie (la reproduction involontaire et continue des mêmes mots, gestes ou tics) et d’intérêts restreints et limités ».
Chez l’enfant cela peut se manifester par le fait de ne jamais regarder quelqu’un dans les yeux, de ne pas exprimer ses émotions, de se passionner de manière obsessionnelle pour un seul sujet, ou encore de répéter indéfiniment des mouvements de balancements.
Le dépistage de l’autisme est quasiment impossible aujourd’hui avant l’âge de dix-huit mois. Passée cette date, on peut dégager deux principales vagues de diagnostic. La première intervient vers l’âge de deux ou trois ans, si un enfant présente un retard dans l’apprentissage du langage, il peut alors être diagnostiqué comme étant autiste. On parle d’autisme de type Kanner, du nom du pédiatre, qui a identifié cette forme particulière de la pathologie en 1943. C’est parmi ces autistes de type Kanner que l’on trouve des cas de déficiences mentales plus ou moins sévères selon les malades. Il n’y a cependant pas de règle. On estime que seule la moitié de ces autistes présente un retard mental venant alourdir leurs autres symptômes.
Là où les choses se compliquent, c’est que certains autistes présentent des symptômes exactement opposés à ceux recensés chez Kanner. Au lieu d’un retard de langage, ils s’expriment dans un registre extrêmement soutenu avec une fluidité parfois confondante, et sont souvent très doués pour les langues étrangères. En général, ces autistes sont diagnostiqués vers l’âge de douze ans, quand ils entrent au collège et que leurs parents commencent à réellement s’inquiéter de leurs difficultés à interagir avec les autres élèves. Car même chez ces autistes, les difficultés d’interaction sociale, les fixations obsessionnelles ou les comportements répétitifs perdurent. Certains d’entre eux présentent également des capacités intellectuelles exceptionnelles, notamment en termes de mémoire. « Ça c’est l’autisme que l’on montre sur TF1 », ironise Thomas Bourgeron. « C’est un peu l’autisme hollywoodien ». La formule est efficace mais dans le monde scientifiques on les appelle parfois « autistes de haut niveau » ou encore autistes « Asperger ».
Et les ramifications de l’autisme ne s’arrêtent pas à ces deux grandes familles. Les syndromes autistiques peuvent s’accompagner d’autres troubles, comme l’hyperactivité ou des syndromes bipolaires. Pour le professeur Bourgeron, « ce qui fait la complexité de la maladie, c’est qu’il n’y a pas deux troubles autistiques similaires ».
La faute de la mère ?
Cette méconnaissance de l’autisme a entraîné une succession de thèses, certaines infondées et pourtant encore très ancrées dans les esprits, pour élucider les causes de la maladie. Pour de nombreux psychanalystes, a commencé par Léo Kanner, l’autisme constituait une réaction défensive d’un très jeune enfant submergé par l’angoisse et donc, incapable de faire face à la réalité. La difficulté des autistes à établir un contact affectif résultait d’un manque d’affection portée par la mère. C’était ce qu’on appelait une « mère frigidaire », distante, qui poussait l’enfant à se réfugier dans son univers mental.
Au contraire, il était reproché à certaines de montrer trop d’affection envers leur enfant. La thèse psychanalytique était qu’elles considéraient l’enfant comme un substitut du père. Le père devait les séparer de leur relation trop fusionnelle, en imposant sa « Loi Symbolique », sans quoi l’enfant allait se montrer incapable d’aller vers l’autre et d’accéder au langage. Il restait dans sa bulle, comme enfermé dans « l’utérus maternel ».
Pendant des années, les parents ont été ainsi tenus pour responsable de l’autisme de leur enfant. A tel point que dans les années 60-70, Bruno Bettelheim, éducateur et membre de la Société pyschanalytique de Chicago s’efforçait de soigner les enfants autistes quitte à écarter les parents pendant des années, refusant même qu’ils prennent contact avec les équipes médicales. Si l’idée que les parents sont responsables n’est plus admise par la communauté scientifique, on en retrouve encore aujourd’hui les échos.
« Plus on a de gènes en commun avec une personne autiste, plus on a de chance d’être soi-même autiste »
Sylvie Philippon, 43 ans et mère de trois enfants autistes, se souvient encore des psychologues qui lui ont affirmé que c’était à elle de faire son introspection et de soigner les plaies de son enfance, pour améliorer sa relation avec son enfant. « Je travaille aujourd’hui au sein d’association pour aider les parents d’enfants autistes et beaucoup me racontent encore cette histoire. En 2015, c’est scandaleux », confie la maman très impliquée dans l’aide aux parents d’autistes.
Pour Thomas Bourgeron, une des causes serait à chercher du côté de la génétique : “ Il y a eu des études de jumeaux qui montraient que chez les vrais jumeaux – qui ont 100% du génome en commun- si l’un est autiste, le deuxième à 90% de chance de l’être aussi. Les faux jumeaux ont 50% du génome en commun. Pour eux, le risque tombe à 10%. Ce qui prouve bien que plus on a de gènes en commun avec une personne autiste, plus on a de chance d’être soi-même autiste”.
Rendre les autistes invisibles
L’influence de la psychanalyse en France a longtemps bloqué la mise en place de dispositifs d’accompagnement adaptés. En 1963, l’Association au service des personnes inadaptées ayant des troubles de la personnalité ( ASITIP ), qui deviendra Sésame Autisme, milite pour l’ouverture d’hôpitaux de jour. En 1989, l’association Autisme France est créée par des parents qui réfutent l’approche psychanalytique et s’opposent à l’ASITIP.
« Pendant longtemps, la France a eu 30 ans de retard sur la question de l’autisme »
Danièle Langloys, qui préside aujourd’hui Autisme France, ne mâche pas ses mots quand il s’agit de pointer du doigt le retard que la France a pris en plaçant ses jeunes autistes en hôpital de jour. Jeudi 9 avril 2015, lors d’une rencontre sur le sujet, elle s’est exprimée avec fermeté : “ La France s’est confortée dans une vision archaïque du handicap, elle a parqué les autistes dans des ghettos. Ils n’allaient pas à l’école, ils étaient invisibles. Et, il faut le dire, ça arrangeait tout le monde”.
“Pendant longtemps, la France a eu 30 ans de retard sur la question de l’autisme ”, regrette Vincent Gerhards, président d’Autistes Sans Frontières. En 2003, le Comité européen des droits sociaux contrôlant l’application de la Charte sociale européenne condamne la France pour non-respect de l’obligation de l’éducation pour les enfants autistes. Dans le même temps, les méthodes comportementales arrivent en France, avec beaucoup de retard.
2012, année zéro pour l’autisme
Une loi adoptée le 11 février 2005 prévoit la scolarisation de tout enfant en milieu ordinaire. C’est un premier pas vers un meilleur accompagnement des personnes autistes.
La même année, le premier “ Plan Autisme” voit le jour. En 2007, le Comité Consultatif National d’Ethique en remet une couche et fustige la France pour sa scolarisation “fictive” des enfants autistes, “exclus parmi les exclus”.
Après un deuxième plan autisme en 2008, dont la plupart des mesures n’ont jamais été appliquées, les associations de parents accentuent leur rôle. En 2012, elles font pression pour que l’autisme obtiennent le label de “ Grande Cause Nationale”. En mars 2012, un rapport de la Haute Autorité de Santé ( HAS ), recommande l’usage des méthodes comportementales et prend ses distances avec la psychanalyse. Selon Vincent Gerhards, “ 2012 a été l’année zéro de l’autisme en France”.
Les promesses du Troisième Plan Autisme
A partir de la base de connaissances et de méthodes recommandées par le rapport de la HAS , le “ 3ème Plan Autisme” voit le jour, en 2013. Ce Troisième Plan entend prendre la mesure du problème et proposer des solutions concrètes.
« Je n’ai pas de solution pour scolariser mon enfant autiste ! »
“Le troisième plan autisme va dans le bon sens, mais il s’étale sur trois ans. C’est difficile de dire que l’on va tout résoudre en trois ans. Il faudra très certainement dix à quinze ans pour tout mettre en place ”, explique Vincent Gerhards. Cette synthèse du 3ème Plan Autisme est à l’image de ses promesses et de ses limites.
Le 9 avril 2015, lors de la Deuxième Rencontre parlementaire sur ce plan à l’ Assemblée Nationale, l’ambiance est tendue. De nombreuses familles se sont rendues à la rencontre, pour prendre connaissance des avancées, mais aussi pour rappeler leur mécontentement. “Je n’ai pas de solution pour scolariser mon enfant autiste!”, s’exclame une mère dans la salle. “ Beaucoup de belles paroles mais sur le terrain qu’est ce qui a changé ?” demande une autre quelques rangées plus loin. La colère et l’impatience se fait ressentir.
Pour calmer les angoisses des personnes présentes, Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat déléguée aux personnes handicapés et à la lutte contre l’exclusion sociale, a elle-même rappelé les limites du 3 ème Plan Autisme : “Jamais un plan suffira à résoudre tous les manques en matière d’autisme. Mais cela n’empêche pas qu’il faut continuer à agir et se battre”.
Avec un budget de 205,5 millions d’euros, le Plan Autisme a néanmoins donné un coup d’accélérateur en matière d’accompagnement de la maladie et a permis de mettre en pratique les recommandations de la HAS.
Mieux former les professionnels de la santé sur la question de l’autisme
Mesure phare du plan, l’ouverture pour la première fois en France de 30 “unités d’enseignement maternelle autisme” tend à rattraper le retard pris en matière de scolarisation . Ce dispositif permet l’accueil des enfants de 3 à 6 ans souffrant de troubles trop sévères pour être scolarisés en classe ordinaire. 700 places dans ces unités ont été ouvertes depuis la rentrée 2014. Si ces classes semblent faire l’unanimité, elle ne suffisent pas à combler toutes les demandes. “ Il y a 700 places, c’est bien, mais chaque année 8000 enfants naissent avec autisme. Il y a un écart entre les places et la demande” souligne Vincent Gerhards.
Le 3ème plan autisme entend également renforcer la formation des professionnels de la santé. Pour Guillaume Blanco, directeur du projet : “ la plupart des formations : médecins, éducateurs, infirmiers ne sont pas au point sur le plan de l’autisme, en prenant la maladie sous des angles dépassés et en n’appliquant pas toujours ce qui est recommandé ”.
Lors de la rencontre parlementaire du 9 avril, Ségolène Neuville a souligné la nécessité de mettre en place de nouveaux cursus sur l’autisme au niveau master. Elle devrait l’annoncer officiellement lors du comité national sur l’autisme du jeudi 16 avril.
Dans les entreprises : un handicap mieux compris ?
Pour David Forien, autiste asperger de 47 ans, il ne faut pas pour autant nier en bloc les avancées que ce plan a permis. « L’année de l’autisme de 2012, puis le Troisième Plan Autisme, ont permis d’attirer l’attention sur ce handicap. Depuis deux ans, les entreprises font part de leur intérêt pour les autistes. On peut l’expliquer de plusieurs manières : d’abord, c’est un handicap qui n’est pas difficile à gérer en terme d’accessibilité et leur permet d’atteindre le quota des 6% de personnes en situation de handicap. De plus, on commence à comprendre que les autistes asperger et de haut niveau ont des compétences intéressantes, notamment parcequ’ils excellent chacun dans des domaines spécifiques ».
David Forien a fait une école d’ingénieur, pendant vingt ans, il a participé à la création de nombreuses entreprises.Depuis 2012, il milite au sein du collectif Talent d’As pour l’insertion des adultes autistes asperger et de « haut niveau » en milieu ordinaire, c’est-à-dire dans les entreprises. « De leur côté, les autistes prennent conscience qu’il est possible de s’épanouir dans le milieu professionnel : pour beaucoup, le travail était associé à la nouveauté. Cela leur faisait peur et les poussait à poursuivre indéfiniment leurs études ». Au sein de son collectif, il suit aujourd’hui une vingtaine d’autistes désireux d’entrer dans le monde du travail. « Face à la demande des entreprises, nous mettons en place des formations pour permettre aux autistes de mieux connaître les besoins des entreprises et leurs propres compétences pour bien s’orienter ».
Pour continuer à sensibiliser le public à ce handicap et permettre des avancées, le Troisième Plan Autisme souhaite poursuivre la recherche sur la maladie et améliorer les connaissances.
La recherche…mais pas trop chère
Cinq cent mille euros sur trois ans. Voilà ce que le plan autisme prévoit d’allouer à ses chercheurs. « Il faudrait au moins cinq millions d’euros, voire plus », déplore Thomas Bergeron. « En terme de recherche scientifique, le plan autisme n’est pas assez sérieux. C’est même un peu insultant ».
Il faut dire que si ces dernières décennies ont permis d’en apprendre énormément sur les syndromes autistiques, les chercheurs sont très loin de comprendre parfaitement le fonctionnement de la maladie. En 2003, les premiers gènes pour lesquels une mutation pouvait entraîner cette pathologie étaient découverts. Une dizaine d’années plus tard, on en a identifié plus de 200. Et encore, ils ne permettent pour l’instant que d’expliquer 20 % des cas d’autisme. Et si les chercheurs estiment qu’environ 60% des autismes pourront être expliqués de manière génétique, aucun ne pense aujourd’hui que la double hélice d’ADN renferme tous leurs secrets.
Pour avancer les scientifiques ont mis au point des techniques révolutionnaires. L’exemple le plus frappant est peut-être celui de cellules sanguine transformées en cellules cérébrales. Depuis trois ans les chercheurs sont capables de prélever une cellule du sang pour la transformer en neurone et étudier son comportement. Cela permet d’avoir « accès » au cerveau d’un autiste de son vivant.
« Des interfaces entre facteurs génétiques, environnementaux, voire même nutritionnels »
L’une des questions les plus passionnantes sur laquelle personne ne semble avoir de réponse pour l’instant, c’est celle du « sexisme » de l’autisme. En effet la maladie touche environ quatre fois plus d’hommes que de femmes, et ce déséquilibre reste inexpliqué.
L’avenir n’est plus à l’approche unilatérale des causes de l’autisme. Pour Frédérique Bonnet-Brilhaut, pédopsychiatre au CHRU de Tours: “on voit bien que s’ouvre tout un champ pour la recherche […] dans les interfaces entre les facteurs génétiques, environnementaux, voire même nutritionnels. Quand on aura avancé dans cette compréhension on pourra trouver de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments. Et pour ça, le futur n’est peut-être pas si loin”.