Dans un rapport publié ce 14 septembre, une autorité européenne préconise l’arrêt des élevages d’animaux domestiques en cage ou dans des espaces restreints et confinés. Des conclusions qui se heurtent pourtant à la réalité selon certaines spécialistes.
Dans le cadre de son étude scientifique, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) s’est penchée sur le bien-être des animaux domestiques dans les élevages, et plus particulièrement celui des chats et des chiens. Si elle a d’abord rappelé la dangerosité des opérations de chirurgie esthétique — comme les interventions visant à couper les oreilles pour certaines races de chiens, le dégriffage ou encore le retrait des cordes vocales pour empêcher les aboiements, trois pratiques interdites en France — l’Efsa a également donné ses recommandations concernant l’hébergement.
🆕📣 Our latest scientific report highlights the importance of improving living conditions for cats🐈 & dogs🐕 in commercial breeding establishments
🚫 Our experts recommend avoiding the permanent use of boxes, cages & crates
Elle a ainsi expliqué que « le confinement des chiens ou des chats dans des box à plusieurs niveaux ou des caisses peut avoir des conséquences sur leur bien-être et conduire à des comportements anormaux ou à de l’anxiété ». Pourtant, les réglementations en vigueur peuvent donner du fil à retordre aux professionnels du secteur. « Les éleveurs professionnels n’ont pas forcément le choix et ne peuvent pas vraiment faire autrement », regrette Sylvia Masson, vétérinaire et spécialiste européenne en médecine du comportement des animaux de compagnie.
La spécialiste ajoute: « Il y a des contrôles de la part des autorités qui ne s’appliquent pas aux particuliers qui font de l’élevage une activité secondaire. Mais les élevages de plus de dix chiens [âgés de plus de quatre mois, NDLR] doivent être déclarés et sont obligés d’avoir des cages pour des raisons sanitaires ». Actuellement en France, l’espace minimum requis pour un chien dans les élevages est de 5m². Quant aux chatteries professionnelles, dans lesquelles les chats de race sont élevés, elles « n’ont pas de cages » précise Anne-Claire Gagnon, vétérinaire et comportementaliste pour chats à domicile. Les normes préconisent 2m² pour chaque chat.
De lourdes conséquences une fois adultes
Pour Anne-Claire Gagnon, cela ne fait aucun doute: les espaces restreints et confinés ont des conséquences indéniables sur les jeunes félins. « Les chatons de deux mois ont besoin d’observer, d’explorer. Il leur faut un endroit avec des points d’observation et des arbres à chat. Ce sont des animaux qui ont besoin d’avoir l’impression de contrôler la situation, c’est dans leur comportement ». Autant d’éléments qui lui seront nécessaires dans sa vie d’adulte.
Même conclusion du côté des chiots âgés de zéro à trois mois. « A cet âge, ils ont une grande capacité d’adaptation, détaille Sylvia Masson, c’est la période de socialisation et c’est à ce moment-là qu’il faut les habituer à leur futur environnement. Par exemple, certains chiots qui sont isolés dans des cages deviendront des chiens craintifs parce qu’ils n’auront jamais entendu des bruits de machine à café ou d’aspirateur [avant leur adoption, NDLR]« .
L’environnement est donc crucial pour le bon développement de l’animal mais, selon la spécialiste, il ne fait pas tout. « Certains élevages professionnels avec des cages sont mieux que certains élevages de particuliers sans cages. Tout dépend de l’implication de l’éleveur, s’il sort ses chiots, s’il les connait bien… Le meilleur conseil à suivre avant d’acheter un chien est de visiter l’élevage ».
De l’accompagnement plutôt que des réglementations?
Difficile donc pour elle d’établir de nouvelles réglementations tant les cas différent entre eux. Mais l’accompagnement peut être une solution selon l’experte. « Je ne suis pas vraiment pour de nouvelles contraintes ou réglementations parce qu’il est toujours possible de les contourner, confie-t-elle, mais certains vétérinaires et éducateurs accompagnent les gens dans les élevages pour les conseiller et les aider à choisir leur chiot. C’est une bonne démarche mais qui reste encore trop marginale ».
Renseigner les futurs propriétaires de chats et de chiens en amont peut également être une piste d’amélioration, avance Sylvia Masson. « Il y a une méconnaissance autour du bien-être animal en général, donc le plus souvent les propriétaires viennent nous demander des conseils une fois qu’ils ont acheté le chiot et rencontrent les premiers problèmes ». Une démarche qu’il faudrait faire bien avant l’adoption afin d’éviter les mauvaises surprises.
Pour le moment, les conclusions de ce rapport ne sont que des recommandations, mais la Commission européenne devrait réviser sa législation concernant le bien-être des animaux domestiques d’ici la fin de l’année 2023.
Le 3 avril dernier, le Conseil d’Etat a validé une ordonnance du 25 mars sur une nouvelle adaptation des procédures judiciaires en raison de l’épidémie de coronavirus et du confinement. L’article 16, qui prolonge automatiquement le délai de détention provisoire des détenus, a fait l’objet de nombreux recours qui ont été rejetés. Des syndicats et associations d’avocats s’inquiètent des répercussions de cette décision. Interview de Vincent Brengarth, avocat au Barreau de Paris.
Deux à trois mois de plus pour les délits, jusqu’à six mois supplémentaires en ce qui concerne les crimes. Ce sont les délais de détention provisoire accordés par l’article 16 de l’ordonnance relative à l’adaptation des procédures pénale en période de pandémie de Covid-19, validé par Nicole Belloubet, ministre de la Justice, dans une circulaire du 26 mars, puis par le Conseil d’État le 3 avril.
Adoptée en raison d’un grand retard dans les audiences dû aux exigences sanitaires, cette prolongation pourra s’effectuer sans avoir recours à un juge, alors qu’en temps normal, la question de la remise en liberté fait l’objet d’un débat. Cette disposition, considérée comme un raccourci par un grand nombre d’avocats, est loin de faire l’unanimité et a mené à plusieurs recours que le Conseil d’État a rejetés. Vincent Brengarth, avocat au Barreau de Paris, explique d’où viennent les divergences de point de vue sur cet article.
Quels sont les enjeux que présente l’article 16 et qui font l’objet de débats ?
Vincent Brengarth : La France traverse une situation exceptionnelle et fait face à des difficultés logistiques et matérielles pour que les débats puissent continuer à se tenir. Ce serait donc une erreur de considérer que le droit ne peut pas s’adapter. Il le fait, mais en plusieurs temps. Déjà, les prérogatives sont déléguées au pouvoir exécutif : l’état d’urgence sanitaire lui donne donc la possibilité d’empiéter sur le domaine de la loi, à travers la pratique de l’ordonnance.
En ce qui concerne l’article 16, les débats qu’il suscite se concentrent sur le sens à lui donner. L’interprétation qui en a été faite par le Conseil d’État, dans la circulaire du 26 mars, c’est que la détention provisoire peut être prolongée automatiquement, sans passer par un juge. En tant qu’avocat, par exemple, on peut concevoir cette prolongation, mais pas de façon automatique et sans débats. Là, un juge a la possibilité de maintenir en détention des personnes de plein droit et sans aucun débat. C’est le principe même de cette disposition et son interprétation qui font tout l’enjeu du débat.
Il y a eu de nombreux recours contre cette ordonnance par des syndicats et des associations qui ont été rejetés par le Conseil d’État. Qu’est-ce qui explique que ces demandes n’aient pas été entendues ?
Vincent Brengarth : On a un Conseil d’État gardien de la volonté du pouvoir exécutif. On a tordu le droit et un certain nombre de principes : le droit à la liberté, à la protection contre l’arbitraire, à l’accès à un juge… Tout le droit pénal est structuré autour de l’idée selon laquelle la liberté est la règle, et la détention est l’exception. Ici, on fait fi de ce principe fondamental et on ne prend en compte que des considérations administratives. Avec cette ordonnance, on fait des droits des détenus la principale variable d’ajustement.
En revanche, on voit émerger une résistance de la part de certaines juridictions, comme le tribunal d’Epinal, qui s’y est opposé. Mais le Conseil d’État a rejeté l’essentiel des recours, mais il y a tout un ensemble de détenus qui peuvent être fragilisés par la crise sanitaire. Pour eux, le débat sur la remise en liberté est nécessaire compte tenu de la situation.
On a vu qu’il y avait un certain effort au niveau de la surcharge des prisons, avec plus de 6 000 détenus libérés de manière anticipée entre le 16 mars et le 1er avril. Est-ce que ce n’est pas un peu contradictoire de permettre ces remises en liberté et d’un autre côté de prolonger la détention provisoire ? Qu’est-ce qui justifie cela ?
Vincent Brengarth : Je n’y vois pas une complète contradiction. Parmi les personnes libérées, certaines avaient écopé de peines assez faibles. Si on les a remises en liberté, c’est qu’on a considéré qu’elles étaient quittes de leur « dette sociale ». Il y a deux types de détenus dans notre cas de figure : d’une part, ceux pour lesquels une information judiciaire est en cours. Pour ceux-là, le confinement fait que les investigations et les interrogatoires sont à l’arrêt et ont fait l’objet d’un report. D’autre part, il y a les personnes dans l’attente de leur jugement. Là encore, face à l’impossibilité de réunir la juridiction pour les juger, le Conseil d’État a pris le parti du maintien de la détention provisoire, même pour ceux qui arriveraient au bout du délai maximal habituel. En soi, cela montre que la justice n’est pas en mesure de s’adapter à la situation sanitaire autrement qu’en modifiant la lettre du droit.
Qu’est-ce que cette ordonnance et cet article 16 en particulier changent au niveau de la présomption d’innocence ?
Vincent Brengarth : On piétine un peu plus la présomption d’innocence, de manière encore plus grave pour les personnes qui arrivent au bout des délais légaux de détention provisoire.
Dans l’article 16 est inscrite la possibilité d’obtenir une “mainlevée de la mesure” sur demande du ministère public ou de la personne concernée.
Vincent Brengarth : Effectivement, une demande de mise en liberté reste possible à tout moment, même avec ce prolongement. Mais c’est aux avocats de prendre cette initiative alors même que la question se pose d’elle-même habituellement, à intervalles réguliers, à travers des débats durant lesquels le juge décide de prolonger la détention provisoire ou de l’interrompre. Ici, la prolongation se fait automatiquement.
À partir du 1er novembre prochain, la loi antiterroriste prend le relais de l’état d’urgence. Adoptée ce mercredi par l’Assemblée nationale, on peut retenir cinq nouveaux points.
C’est la fin de l’état d’urgence. Cet état d’exception, instauré au lendemain des attentats du 13 novembre, est remplacé par une loi antiterroriste, portée par Gérard Collomb et soutenue par Emmanuel Macron au cours de sa campagne présidentielle. Le texte a été approuvé par 415 voix contre 127 pour 19 abstentions. La majorité, hormis 4 abstentions chez LREM, les « Constructifs » ainsi qu’une bonne partie de la droite ont voté pour, comme une large majorité de la Nouvelle Gauche (PS). Les Insoumis et communistes ont voté contre, comme la grande majorité des LR (84 contre, 9 abstentions et 5 pour) et le Front National.
Du côté des associations, Dominique Nogueres, vice-présidente de La Ligue des Droits de l’Homme, s’inquiète » d’un texte qui met la société sous surveillancecar cela pérennise les pratiques de l’état d’urgence, qui n’est pas le chemin pour lutter contre le terrorisme. Même si cela ne semble pas alarmer nos citoyens.«
Une loi qui « n’est pas plus sévère que celle sur l’état d’urgence, tempère Emmanuel Daoud, avocat du barreau de Paris, puisqu’elle en reprend d’ailleurs les principales dispositions, comme les assignations à résidence ou la perquisition administrative. Par contre, elle fait entrer dans le droit commun la possibilité pour une autorité administrative, en dehors de tout contrôle préalable et a fortiori exercé par une autorité judiciaire, de décider d’une mesure restrictive de liberté » complète-t-il. Emmanuel Daoud reste toutefois sceptique car » la sortie d’un régime d’exception pour en faire un régime de droit commun semble particulièrement problématique et annonce, à terme, un durcissement de ce dispositif par l’adoption de nouvelles dispositions. »
Celsalab fait le point sur les principales mesures qui change dans cette loi
Les assignations à résidence et les perquisitions, mesures phares de l’état d’urgence, ont été conservées dans la nouvelle loi, d’autres mesures sont également inscrites. Parmi celles-ci, on peut citer :
L’instauration de périmètres de sécurité et de protection
Lors d’événements (intérieurs ou extérieurs) sur des lieux exposés au risque terroriste, le préfet peut ordonner la mise en place de ces périmètres pour effectuer des fouilles et des contrôles d’identité avec le renfort de sécurité privée ou de policiers municipaux.
Un nouveau périmètre de l’assignation à résidence
Le périmètre des assignations s’étendra au minimum au territoire de la commune, au lieu du seul domicile sous état d’urgence. L’assigné doit pouvoir continuer à travailler et voir sa famille. La personne visée devra se présenter à la police une fois par jour, au lieu de trois fois auparavant. Les personnes ciblées devront « fournir tous leurs numéros de téléphone et identifiants de communication électronique ». La durée totale d’assignation est d’un an sauf en cas de présentation d’éléments nouveaux justifiant une prolongation de cette assignation.
La fermeture des lieux de cultes
Si ces derniers appellent à commettre de actes terroristes ou en font l’apologie. La loi retient « les propos tenus et les écrits » ainsi que les « idées et théories » qui seraient diffusées en soutien au terrorisme.
La durée des contrôles des zones transfrontalières
Dans une zone de 20 km autour des frontières, ainsi que dans les ports, aéroports et gares ouvertes au trafic international. Le texte élargit le temps de contrôles d’identité dans ces zones, passant de six à douze heures.
Radicalisation des fonctionnaires
Les fonctionnaires exerçant un métier en lien avec la sécurité pourront être mutés ou radiés en cas de radicalisation.
La révolution numérique transforme depuis quelques années le domaine de la santé. Comment a t-elle bouleversé la relation patient / professionnels du secteur ? Et quelles conséquences pour notre santé ?
Vous ne vous rappelez plus le nom d’un médicament, vous découvrez un bouton sur une partie de votre corps ou vous souffrez de douleurs abdominales et c’est la première fois que cela vous arrive ? Dans 59% des cas, le premier réflexe des Français est de se connecter à Internet pour obtenir des informations et des conseils au lieu de contacter un professionnel (voire infographie). Notre rapport à la santé a été bouleversé par l’avènement du numérique au tournant des années 2000.
Appelée santé connectée, santé électronique ou encore e-santé (ehealth en anglais), cette nouvelle notion désigne tous les aspects numériques touchant de près ou de loin la santé. Elle concerne des domaines comme la télémédecine, la prévention, le partage de l’information santé, le maintien à domicile, le suivi d’une maladie chronique à distance, les dossiers médicaux électroniques ainsi que celui des applications mobiles (m-santé), ou de la création d’objets intelligents et connectés.
Fabrice Vezin décrypte le charabia de l’e santé
Ces nouvelles technologies ont non seulement révolutionné le rapport du patient avec la maladie mais elles ont également métamorphosé la relation entre le patient et les professionnels de santé. Traditionnellement paternaliste, cette relation a changé. Avec le numérique et le développement de l’e-santé, le patient abandonne peu à peu sa position de passivité et devient un acteur actif de sa propre santé. Là aussi, un nouveau terme a été inventé. On parle aujourd’hui de e-patient voire de patient 2.0. On passe alors à une relation collaborative, basée cette fois-ci, sur un modèle intellectuel, celui de la co-construction.
Le patient s’émancipe
« La prise de décision partagée, permet à la personne malade, au moment de l’entrée en maladie et à tout moment difficile d’avoir une stratégie thérapeutique qui soit cohérente avec l’avancement de la science, ses valeurs, ses représentations, ses besoins et ses attentes », affirme avec passion Giovanna Marsico, avocate engagée dans les questions d’accès aux droits des sujets fragilisés et experte sur la question du e-patient. Après avoir pratiqué pendant une vingtaine d’années le droit de la famille ainsi que celui de la propriété intellectuelle en Italie, Giovanna Marsico s’est installée à Paris et a crééwww.cancercontribution.fr.
Fondé il y a trois ans d’une volonté de formaliser l’expertise sur la maladie grâce à une intelligence collective, il s’agit d’une plateforme collaborative dédiée au cancer et à ses impacts sur les citoyens. Elle propose aux 5000 inscrits et aux nombreux internautes contactés à travers les réseaux sociaux de répondre à des évaluations sur les différentes étapes de la maladie. Faire valoir la voix du patient, c’est le combat qui anime Giovanna Marsico: «Quand le malade est impliqué dans les décisions qui le concernent, il est alors plus observant, les traitements sont beaucoup plus efficaces et il sera plus satisfait. Cela baisse les risques de malentendu, de conflit ou encore de décrochage ». De sa plateforme est née l’Association Cancer Contribution, qui fournit sur commande, l’analyse des résultats de ces enquêtes à de nombreuses instances privées et publiques comme l’Agence Régionale de Santé d’Ile-de-France.
Entretien avec Giovanna Marsico
L’arrivée d’Internet change la donne car elle permet aux nouveaux internautes de créer eux-mêmes les réponses aux problématiques santé. Trois grandes étapes voient ainsi le jour. Ces étapes, Fabrice Vezin les a étudiées avec soin. Cet ancien cadre de l’industrie pharmaceutique âgé de 46 ans, a décidé il y a quatre ans de se lancer dans une thèse sur la e-santé, il commence à alimenter un blog mettant en ligne le fruit de ses recherches. Aujourd’hui Fabrice est un des consultants les plus reconnus de la e-santé en France et son blog, lemondedelaesante.wordpress.com est devenu une référence dans le domaine.
La première étape a été celle de la démocratisation de l’information avec les grands sites d’information santé. L’exemple le plus saisissant est sans aucun doute celui de Doctissimo. Depuis sa création en mai 2000, le site s’est imposé comme le leader des sites francophones d’information sur la santé et le bien-être. En avril 2014, le panel Médiamétrie/NetRatings a enregistré une audience record de 8,2 millions de visiteurs uniques sur Doctissimo. Le succès du site est dû à la force des communautés qu’elle héberge sur ses forums et ses chats, permettant au patient de découvrir l’expérience de ses pairs.
C’est le début du « patient empowerment », capacité du patient à renforcer à agir sur les facteurs déterminants de sa santé et du « patient empowering », organisation où les membres partagent l’information et le pouvoir en utilisant des processus coopératifs pour prendre des décisions et atteindre des buts communs. Une dimension qui s’est ensuite développée avec les réseaux sociaux. Plus récemment, la seconde étape a été celle de la « m-santé », celle de la mobilité permise avec les smartphones et les applications pour mobiles et tablettes. La troisième étape vient quant à elle d’être amorcée avec la création d’objets connectés.
En 2012, 94% des médecins avaient un usage professionnel de leur smartphones (Baromètre Vidal 2012). En 2013 56% des médecins généralistes utilisaient Internet comme première source d’information médicale (Enquête Cessim, baromètre 2013). Si nombreux sont les professionnels de santé qui demeurent sceptiques voire réticents à l’apport des nouvelles technologies dans leur vie professionnelle, d’autres semblent bien prêts à amorcer cette transition numérique.
Pour le Docteur Jean-Michel Cohen, l’essentiel se trouve dans le dialogue. Surtout, il serait temps, pour lui, que les médecins se mettent à utiliser systématiquement Internet. « Il faut que les médecins, savent par quoi leurs patients peuvent être passés, pour garder ce lien patient/médecin, qui doit être choyé ! C’est en connaissant bien son patient qu’on peut lui offrir des soins de qualité », explique-t-il. Ce généraliste de 62 ans, installé à Lille, a constaté des changements de comportement chez ses patients durant ces quinze dernières années. Les cheveux grisonnant, des lunettes rondes, cet homme imposant et au regard bienveillant se dit humaniste.
L’auto diagnostique du patient était exact
Ce qu’il remarque chez ses patients c’est avant tout une volonté de comprendre vraiment ce qui leur arrive. « L’autre jour, un patient d’une trentaine d’années, que je connais bien, est venu me voir avec un dossier de pages Internet imprimées, Wikipédia, Doctissimo, me disant qu’il avait une angine herpétique et qu’il lui fallait tel médicament. » Loin d’être vexé, le généraliste préfère le dialogue au jugement et prend au sérieux son patient, qui pouvait à peine parler. Fiévreux et à jeun depuis plusieurs jours, le jeune homme avait pourtant vu juste. « C’est assez ironique, mais il avait raison, je n’ai pu que le féliciter de son travail, tout en lui conseillant de toujours me consulter avant d’agir pour sa santé. Cela ne serait jamais arrivé il y a une quinzaine d’année, sans internet et les forum de santé.» Pour Jean-Michel Cohen, l’important est de garder une relation de confiance. Or, si certains patients se réfèrent à Internet, c’est parfois par manque de confiance en leur médecins.
C’est le cas de certains patients de Marion Cabot, pédiatre à Rouen. Les conseils en puériculture fourmillent sur Internet, « bébé qui dort mal fait partie des recherches les plus tapées sur google et lorsque les parents s’improvisent médecin, cela peut être dangereux », précise la jeune médecin. « Des parents viennent me voir en m’affirmant que leur bébé est intolérant aux protéines de lait de vache, alors que pas du tout ! » s’énerve Marion Cabot. La pédiatre est excédée par ses patients qui diagnostiquent leurs enfants en se renseignant sur des sites comme Doctissimo.fr.
Certains patients font plus confiance a des sites Internet qu’à leur médecins
« Qu’un adulte se renseigne sur ses symptômes pour avoir une idée de ce qu’il lui arrive avant d’aller chez son médecin, je n’y vois aucun problème. Mais lorsqu’il s’agit d’enfants ou de bébés qui ne peuvent pas parler, ça peut être très dangereux ! » Certains parents de ses jeunes patients remplacent le lait des biberons par du lait végétal, or, selon la pédiatre, les nutriments contenus dans ce type de lait sont insuffisants : « C’est comme si on leur donnait de l’eau ! » s’exclame-t-elle.
Si Internet permet aux patients de se renseigner sur leur maladie, il peut parfois faire concurrence à la légitimité du médecin, lorsque les avis sur Internet et les conseils du médecin divergent, la confiance s’en trouve ébranlée.
Murielle Londres est atteinte d’une maladie auto-immune de la tyroïde depuis 2011. Lorsqu’elle a appris qu’elle était malade, la jeune femme a tapé sur Google le nom de sa maladie dès qu’elle est rentrée chez elle. « Des questions surviennent après la consultation, et les médecins ne sont pas joignables 24 h sur 24, 7 jours sur 7 ». Sur un site spécialisée « vivre sans tyroïde », elle trouve toutes les réponses à ses questions sur la Foire aux questions (FAQ), et plus encore. « Je faisais confiance en mon médecin, mais il n’est pas malade et ne peut pas comprendre comment, moi, patiente, je dois vivre avec cette maladie, or sur le forum du site Internet, j’ai pu échanger avec d’autres malades. »
Murielle Londres devient incollable sur sa maladie et sa relation à son médecin change: elle arrivait à ses consultations, plus exigente envers son médecin, avec des questions plus scientifiques et précises.
« Certains médecins ne supportent pas les patients qui en savent trop »
Murielle Londres l’admet, elle n’est pas médecin, et ne se considère pas comme un expert mais se sent plus légitime à parler de sa maladie qu’eux. « Je veux que les médecins m’entendent sur la façon dont j’ai envie d’être soignée, or certains ne supportent pas les patients qui en savent trop, et me regardent mal. Je suis force de proposition dans la façon de gérer ma guérison, et cela ne plaît pas à tout le monde. » confie-t-elle. Si elle n’a pas perdu confiance en ses practiciens, elle est plus enclin à se référer à l’e-santé.
Comme elle, les malades sont nombreux à pratiquer l’e-santé (cf infographie). Mais à quel prix ?
Nos données personnelles, appelées DATA, se retrouvent sur le web et alors, est-ce que le patient est autant protégé que lorsqu’il confie ses données à son médecin? Pierre Desmarais, avocat spécialiste du droit médical et de l’industrie de la santé, reconnaît une défaillance de l’état dans ce domaine.
Pierre Desmarais explique la régulation de l’e-santé
« Le téléconseil médical,(conseils personnalisés par téléphone ou par internet, ndlr), les services relatifs au carnet de santé en ligne et les sites de coaching ne sont pas régulés.Il n’y a pas d’obligation sur des sites d’informations en santé. » En d’autres termes, la loi ne prévoit aucun cadre légal juridique clairement défini, si personne ne porte plainte contre un site. C’est dans ce cas seulement que les services de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCRF) pourront mener une enquête pour déterminer si oui ou non le site de santé porte atteinte au bien-être des usagers.
Donc en tant que patient, lorsqu’on préfère faire confiance à un site Internet ou à une application mobile pour sa santé, il vaut mieux connaître les recours que l’on peut avoir en cas de litige. L’avocat explique : « Les plaintes les plus courantes sont relatives à l’utilisation de données personnels à des fins commerciales . Par exemple, précise-t-il , un site qui se dit de « bien-être » peut vendre les informations qu’il aura recueilli sur votre qualité de sommeil à un laboratoire pharmaceutique et, des publicités pour des médicaments relaxant peuvent apparaître sur vos écrans. »
Les dérives de l’e-santé
Cependant, l’e santé est quelque chose de nouveau et les vides juridiques devraient être comblés. Des vides, qui ne devraient pas le rester longtemps, étant donné le rayonnement rapide que connaît l’e-santé. Guillaume Marchand est co-fondateur de DMD santé, une start-up qui évalue les applications mobiles de santé en partenariat avec les usagers et des médecins. Psychothérapeute de formation, il entrevoit un bel avenir à la santé mobile, sans que cela n’altère les relations patients/professionnels de santé. « Il y a de très bonnes applications et de très bons sites, mais pour les gens, rien ne remplacera le médecin de famille !« . Pour ce jeune auto-entrepreneur, l’e santé est l’avenir de la santé « c’est une évolution de notre système qui doit se faire en partenariat avec les professionnels du secteur » explique-t-il. « Dans 20 ans, médecins et patients construiront ensemble. »
L’avenir de l’e-santé
Lionel Reichardt, créateur du site « pharmageek », spécialiste de l’e-santé, compare l’évolution de l’e santé à celle des appareils photos. « Aujourd’hui personne ne précise qu’il a un appareil photo numérique car ils le sont tous, on précise lorsqu’on a un argentique. Ce sera la même chose pour l’e santé à l’avenir. »