Le documentaire « Russians at war » : liberté d’expression ou défenses des agresseurs ?

Le festival international du film de Toronto (TIFF) a suspendu le 12 septembre la projection du documentaire « Russians at War » suite à de préoccupations croissantes concernant la sécurité publique et les réactions négatives de la communauté ukrainienne. Alors que le film est perçu par certains comme une opportunité d’explorer la perspective russe, d’autres le considèrent comme une tentative de minimiser les souffrances du peuple ukrainien. Cette situation soulève des questions cruciales sur la liberté d’expression, la responsabilité artistique et la représentation des récits de guerre dans le cinéma contemporain.

Le documentaire controversé « Russians at War« , réalisé par Anastasia Trofimova, a suscité un vif débat depuis sa première au Festival de Venise. Alors que la réalisatrice russo-canadienne décrit son œuvre comme une tentative de comprendre son pays d’origine et les soldats russes, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme de la propagande du Kremlin.

Le Festival international du film de Toronto (TIFF) a annoncé le 12 septembre, la suspension des projections de « Russians at War » qui devait être présenté lors de l’événement. Cette décision fait suite à des préoccupations significatives concernant la sécurité publique et les menaces pesant sur les opérations du festival. Alors que le TIFF a initialement défendu le film, il a jugé nécessaire de protéger ses invités et son personnel face aux risques potentiels associés à cette projection. « Cela a été une décision incroyablement difficile », a-t-il déclaré dans le communiqué, en précisant, que lors de la sélection des films, le TIFF se laissent guider par sa mission, ses valeurs et principes. « Nous croyons que ce film mérite une place dans la programmation de notre festival, et nous sommes déterminés à le projeter lorsqu’on pourra assurer un environnement plus sûr« , a-t-il indiqué.

 

Réactions de la communauté ukrainienne

 

Le consulat général d’Ukraine à Toronto a exprimé son indignation et a demandé l’annulation de la projection du film, affirmant que « Russians at War » blanchit les soldats russes responsables de crimes de guerre. Le consul général, Oleh Nikolenko, a critiqué le soutien du gouvernement canadien au documentaire, y compris une subvention de 340 000 dollars du Fonds canadien des médias. Il a insisté sur le fait qu’Anastasia Trofimova, en collaborant avec une unité d’invasion russe pour réaliser son film, « viole gravement la législation ukrainienne« .

Le documentaire a suscité également des réactions négatives de la part du Congrès ukraino-canadien (UCC), qui soutient qu’il porte atteinte à la souveraineté ukrainienne et minimise la gravité de la guerre.« À partir de la description du film proposée sur le site du TIFF, il est clair que le film établit une équivalence entre le coupable et la victime, présentant la guerre d’agression génocidaire de la Russie contre l’Ukraine comme un jeu néfaste », a déclaré l’UCC. 

Le chef de l’Office du président de l’Ukraine, Andriï Ermak, a déclaré sur son canal Telegram qu’il est honteux qu’un film propagandiste ait été présenté au Festival de Venise, tout comme le fait que la réalisatrice Anastasia Trofimova et d’autres acteurs de la culture russe puissent travailler dans un monde civilisé, alors que leur pays tue des Ukrainiens tous les jours.

Le ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine a été l’un des premiers à condamner la projection de ce documentaire, le qualifiant de « déformation de la réalité de l’agression russe » et le considérant comme un outil de propagande. Dans une lettre envoyée au président de la Biennale de Venise, Pierpaolo Buttarello, le 7 septembre 2024, l’ambassade d’Ukraine en Italie a souligné l’inadmissibilité de la projection d’un film prorusse alors que la Russie continue de mener une guerre violente contre l’Ukraine.

 

Les voix du cinéma s’élèvent

 

Darya Bassel, productrice de « Songs of Slow Burning Earth« , a également exprimé son indignation sur Facebook. Elle a noté que la réalisatrice commence par exprimer sa surprise face à l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, tout en ignorant les nombreuses guerres et conflits dans lesquels la Russie a été impliquée au cours des dernières décennies. « La réalisatrice (Anastasia Trofimova) déclare que son pays n’a pas participé à des guerres depuis de nombreuses années et qu’elle n’a lu sur les guerres que dans des livres« , a-t-elle écrit. Finalement, Darya Bassel conclut que le film présente les soldats russes comme des victimes manipulées par des jeux politiques, tout en négligeant la souffrance des Ukrainiens.

 

Dans une déclaration sur les réseaux sociaux, Anastasia Trofimova a tenté de justifier sa démarche, expliquant qu’elle avait passé sept mois avec un bataillon russe en Ukraine pour réaliser son film. « Mon espoir est que leurs histoires contribuent à une compréhension plus profonde de cette guerre insensée et traumatisante« , a-t-elle déclaré. En même temps, ses propos n’ont pas apaisé les critiques. Les ambassadeurs d’Ukraine ont exprimé leur profond mécontentement face à la présentation du film, qualifiant cette initiative de « manipulation orwellienne de la vérité« .

 

La réalisatrice Anastasia Trofimova (à droite) et sa mère assistent au photocall du film « Russians at War » présenté hors compétition lors de la 81e édition du Festival international du film de Venise au Lido de Venise, le 5 septembre 2024. @Alberto PIZZOLI / AFP

Liberté d’expression et la responsabilité artistique

 

La suspension de la projection de « Russians at War » au TIFF soulève des sujets plus globaux sur la liberté d’expression et le rôle des festivals de cinéma dans la promotion de films controversés. La controverse qu’il suscite aborde des questions cruciales sur la représentation de la réalité, la responsabilité des artistes et la manière dont les récits de guerre sont construits. La question qui se pose est de savoir si la compréhension et l’empathie peuvent émerger d’un récit qui fait preuve de complaisance envers l’agresseur en négligeant les souffrances des victimes. Dans un monde où les histoires de guerre sont souvent racontées à travers des prismes divergents, il est important de se rappeler que la vérité doit être défendue, même dans l’art.





 



 

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Esther Michon