« Travailler 35h par semaine, c’est voué à l’échec… »

cuisine
Image d’une cuisine

Atypik est une association grenobloise qui milite pour l’inclusion des personnes autistes dans la société. En 2014, ses membres créent le restaurant Atypik qui travaille avec les bénévoles autistes. Tous les jours, la jeune équipe gère une trentaine de couverts. Rencontre avec Colette Agnoux, présidente de l’association, elle même diagnostiquée autiste en 2007.

Peut-on faire fonctionner un restaurant avec une équipe composée uniquement de personnes autistes ?

Non, notre restaurant est géré en partie par des salariés et en partie par des bénévoles autistes. C’est un tremplin social, un outil pour notre association et un lieu de travail. L’objectif principal c’est de donner aux personnes autistes confiance en elles. Notre but n’est pas de les professionnaliser à tout prix. Une personne autiste ne peut pas être productive et disponible pour travailler comme les autres.

En quoi le travail dans le restaurant est bénéfique pour les bénévoles ?

Le restaurant et l’association sont des lieux de rencontre, il y a beaucoup de personnes autistes qui n’en ont jamais croisé d’autres et qui pensent être seules au monde. Nous accueillons surtout des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans. Les rencontres nous permettent de se positionner par rapport à la maladie, de nous donner des repères. Grâce au restaurant nous pouvons expérimenter les comportements et les schémas sociaux sans qu’on nous engueule tout de suite. On donne aux bénévoles le choix et on ne leur impose pas de comportement social. Bien sur, il y a un minimum, mais à part les normes de sécurité, on ne leur dit pas « il faut être comme ça ».

Avez-vous dû adapter vos méthodes de travail ?

Oui et non. Les personnes qui arrivent chez nous n’ont souvent aucune formation professionnelle, encore moins dans la restauration. C’est donc surtout le bon sens qui nous guide. Il y a chez nous aussi beaucoup de bienveillance. Les jeunes qui arrivent ici veulent s’affranchir des normes sociales auxquelles ils ont du mal à s’adapter… Il faut gagner leur confiance avant qu’ils puissent commencer à travailler en tant que bénévoles. Ils viennent quand ils veulent, ils participent à la mise en place du service ou pas, selon leurs envies. Pour travailler avec les personnes autistes, il faut sortir des grilles normatives. Il faut se dire qu’on peut travailler autrement et même qu’on doit travailler autrement.

Est-ce que les autistes ont leur place sur le marché du travail ordinaire ?

Dans le système actuel, notre société ne nous permet pas de travailler. Moi même je me pose la question s’il n’est pas mieux pour moi de rester à AAH (l’allocation aux adultes handicapés) et d’agir bénévolement pour des causes qui me tiennent à cœur au lieu d’aller faire un 35h. Le but ce n’est pas de faire un burn out au bout de quelques mois. J’estime que je suis plus productive en tant que bénévole. Faire 35h par semaine, peu importe si le domaine m’intéresse ou pas, c’est voué à l’échec.

Propos recueillis par Malgo Nieziolek


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Les adultes autistes aussi ont besoin d’accompagnement…et de travail

L’autisme évoquant immédiatement une maladie infantile, on oublie qu’à l’âge adulte, les hommes et femmes atteints de cette pathologie se retrouvent très souvent exclus du monde de l’emploi. Mais certaines structures leur proposent d’exercer une activité quotidienne et rémunérée.

Aux Colombages, il y a des autistes qui ne sont ni malades ni patients. Ce sont des travailleurs. Cet établissement du 14ème arrondissement de Paris, gérée par l’Association française de gestion des structures pour personnes autistes est divisé en trois unités : un centre d’accueil de jour (CAJ), un centre d’accueil de jours médicalisé (CAJM), et enfin un établissement et service d’aide par le travail (ESAT). C’est dans ce dernier pôle que quarante adultes à qui l’on a diagnostiqué des troubles autistiques se retrouvent chaque jour pour exercer une activité professionnelle. Les Colombages leur proposent quatre ateliers : une section jardinage et espaces verts, le travail du bois et la fabrication de meubles, la restauration et la gestion des services de cantine au sein de l’établissement, et enfin le conditionnement avec la mise en place d’une chaîne de fabrication de petits objets, pour des prestataires extérieurs. C’est dans ce dernier atelier que le plus de travailleurs se sentent à l’aise. Ce vendredi 10 avril, ils sont une vingtaine à fabriquer des bracelets pour un bijoutier du Marais, client régulier. Du découpage des fils à l’emballage, les travailleurs s’occupent de toutes les étapes de la production, sous les indications de Flora Join-Lambert, leur « monitrice ». La scène donne l’impression d’être plongé dans une salle de classe, mais si Flora sait et doit se montrer ferme, elle ne rentre jamais dans la peau d’une enseignante ni ne se place au-dessus de ses travailleurs. Elle les vouvoie toujours, même lorsqu’ils la tutoient. Elle préfère demander plutôt que d’ordonner, et laisse à ses ouvriers une autonomie totale une fois leur tâche assignée.

40 travailleurs, 40 pathologies différentes mais pas tout à fait 40 autistes

Mais le vrai défi pour la jeune femme de 34 ans n’est pas seulement de s’occuper d’une vingtaine d’adultes toute seule, mais plutôt de savoir s’adapter à chacun d’entre eux. Car l’ESAT des Colombages est la parfaite illustration des déclinaisons de l’autisme, il n’y a pas deux travailleurs qui présentent exactement les même besoins, ni les même symptômes. A bien y réfléchir, tous les autistes présent dans l’atelier n’ont qu’un seul point commun : une politesse presque surnaturelle. Lorsque l’un des travailleurs se présente à vous, il vous parle avec un respect qui semble répété. Comme si il ou elle avait appris une leçon qu’il vous récitait.  « En revanche on a un vrai problème, c’est que certains ne sont pas autistes, vous verrez », prévient la directrice du centre Charlotte Bonaldi. Du haut de sa quarantaine elle a déjà vécu plusieurs vies. Elle a pris soin d’enfants dans les rues au Brésil, a travaillé à la prison de Fleury-Mérogis, et s’est occupée d’un foyer pour jeune fugueurs dans le 15ème arrondissement de la capitale, entre autres. Mais dans chacune de ces aventures, la directrice a traîné une énergie et une présence impressionnante, renforcée par une vraie stature, ainsi qu’une allergie à la langue de bois. « C’est vraiment n’importe quoi  parfois, on a des erreurs d’aiguillage, et ça ne devrait pas se passer comme ça ! », renchérit-elle.

Shanga et Benjamin, les deux faces d’une même pièce

Shanga lui, est bien autiste. Il a beaucoup de mal à s’exprimer, et doit composer avec un léger retard mental. Mais il se présente toujours en serrant les mains, demande s’il peut vous adresser la parole, et une fois lancé ne s’arrête plus. Il se pose des questions sur une possible réélection de Nicolas Sarkozy en 2017 et se demande si les gens veulent encore voter pour lui. Il estime que François Hollande quittera l’Elysée dans deux ans pour ne pas y revenir. Si l’autiste a un monde bien à lui, il vit également pleinement dans le nôtre. En général les travailleurs présentent comme Shanga des formes d’autisme assez sévères. Benjamin, lui, fait partie de ceux que l’on appelle « autistes de haut niveau ». Nombreux sont les politiciens qui envieraient sa diction, et les orateurs qui envieraient son langage. Le seul indice de son autisme ? Il est capable de nommer les treize plus grandes fauconneries de France et de vous décrire toutes les pièces d’une animalerie qu’il a visitée étant enfant -avec l’ensemble des règles de sécurité prononcées par le guide- le tout en moins d’une minute.

Un manque d’effectifs criant

Mais parfois les choses dérapent. Contrairement aux idées préconçues, les autistes ne manquent pas d’émotion. Bien au contraire, ils les ressentent parfois avec une telle force qu’ils explosent. Comme lorsque Shanga coupe la parole à l’un de ses collègues, et que celui-ci réagit en hurlant à en faire trembler les murs. Sans jamais qu’elle le pousse à la violence physique, on sent chez l’homme une rage qu’il ne peut pas contrôler. Après quelques minutes de discussion avec lui, il ressort qu’il regrette pleinement et sincèrement sa furie, mais elle le dominera pendant encore une bonne vingtaine de minutes. Puis c’est l’effet domino. Un esclandre éclate, dans l’atelier menuiserie, puis encore un autre chez les bijoutiers du jour, amenant Shanga à frapper une table de sa jambe jusqu’à en saigner légèrement. A son tour, après quelques minutes de répit, le jeune homme vient s’excuser de lui-même pour son attitude. Son comportement, comme celui de son collègue, n’a rien d’infantile, et il serait dangereux de les y réduire. Pendant ce temps-là l’équipe d’encadrement, dont le manque effectif devient criant dans une situation comme celle-ci, arrive tant bien que mal à apaiser tout le monde sans se laisser déborder.

Le travail ne guérira jamais l’autisme, mais les Colombages fournissent un véritable cadre à leurs travailleurs, pour vivre une vie au-delà de leur handicap. Et son modèle mérite clairement d’être décliné. Mais comme toutes les formes d’accompagnement d’autisme en France, celle-ci manque de moyens humains. L’animatrice en est d’ailleurs consciente : « j’ai entre 20 et 25 travailleurs à chaque atelier. C’est trop. »

Pour aller plus loin : 

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Trois enfants autistes, le combat d’une famille

« Quand on entend le mot autisme, au début, on y croit pas ». Ce moment, Sylvie Philippon l’a vécu, trois fois. Ces enfants, Mathéo 9 ans, Lenzo 7 ans et Louna, 5 ans, sont tous atteints par la maladie. L’attente, les aller-retours à l’hôpital, l’incompréhension des médecins, l’impatience et la nécessité d’aller s’informer soit même, la maman âgée de 43 ans connaît ça par coeur.

Sylvie Philippon a quitté son emploi à la Chambre de Commerce pour se consacrer entièrement à ses trois enfants autistes. Crédit Photo : Juliette Busch
Sylvie Philippon a quitté son emploi à la Chambre de Commerce pour se consacrer entièrement à ses trois enfants autistes. Crédit Photo : Juliette Busch

 

Le poids de la culpabilité

Dès leur plus jeune âge, Mathéo et Lenzo ont été des enfants difficiles. Ils avaient du mal à se nourrir, dormaient très mal et pleuraient beaucoup. De psychologues en psychologues, Sylvie Philippon et son mari n’entendait qu’un seul discours : et si c’était eux, parents, qui avaient mal fait les choses, et si leur relation avec leurs enfants ne fonctionnait pas bien ? Sylvie en garde un souvenir blessant : « On nous en a fait porter la responsabilité, on nous a culpabilisés « .

Une vie professionnelle sacrifiée
Alors qu’ils étaient déjà débordés par deux garçons, la petite Louna pointe son nez. Bébé, elle aussi pleure beaucoup et fait de nombreuses crises. Alors que Louna a 18 mois, Sylvie et son mari s’alarment, elle ne parle pas, ne dit ni papa, ni maman. « Même lorsqu’elle se réveillait, elle ne nous appelait pas ». Louna se fait diagnostiquer autiste très vite, en septembre 2011. Au travers de livres, de rencontres, de groupe de soutien entre parents sur facebook et de formation parentale à l’hôpital, Sylvie acquière des connaissances sur l’autisme. Le comportement de ses deux fils l’inquiète, elle se met en tête de leur faire eux aussi diagnostiquer. En juillet 2013, le mot « autisme » revient pour Lenzo. Un an après, Mathéo est lui diagnostiqué autiste asperger. Très vite, concilier vies professionnelle et familiale devient impossible. Dès 2011, lorsque Louna a été diagnostiquée, Sylvie a pris un congé de présence parentale pour enfant handicapé. En 2014, elle décide de quitter définitivement son poste à la Chambre de commerce pour se consacrer à ses enfants. De son côté, le mari de Sylvie continue de travailler dans son entreprise de matériel médical. Entre eux, les dissensions se font parfois entendre. « Mon mari pense qu’il ne faut pas trop en parler, pour ne pas leur coller une étiquette. Moi je suis pour la transparence. Je le fais aussi pour eux : ils ont le droit de savoir ce qu’ils ont ».

Un manque de solution
Mathéo, Enzo et Louna sont scolarisés trois jours par semaine dans une école privée Montessori, spécialisée dans l’éducation sensorielle. Cela laisse le temps à Sylvie de mettre à profit son énergieet son dynamisme en s’investissant dans le milieu associatif. «J’essaie comme je peux de défendre la cause de l’autisme, j’apporte ma petite pierre à l’édifice». Mais financièrement, l’école privée et l’accompagnement de ses enfants par de nombreux spécialistes coûte cher. «Bien sur, on aurait pu scolariser nos enfants dans des écoles publiques. Ils auraient été suivis par des AVS ( auxiliaire de vie scolaire ). Mais ils ne connaissent pas tous très bien l’autisme et peuvent changer d’une année sur l’autre. Nous avons trouvé le suivi en école Montessori plus adapté». Ce qui inquiète le plus Sylvie, c’est l’après. Où iront ces enfants au collège ? Pour Mathéo, le problème va bientôt se poser. Autiste asperger, il rencontre des difficultés de sociabilisation mais n’a ni problème moteur, ni de problème linguistique. Il se trouve dans un entre deux, les IME ( institut médico-social) accueillent souvent des cas beaucoup plus sévères d’autismes. Cependant, la maman estime qu’un collège traditionnel risque d’être une expérience trop difficile pour lui.  » Pour le moment, je n’ai pas de solution« .

La photographe Juliette Busch, étudiante à l’école des Gobelins, a rencontré la famille de Sylvie Philippon. Elle témoigne de son expérience au travers de ses photos. 

 

Pour aller plus loin : 

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Une séance de cinéma pas comme les autres…

Proposer des séances de cinéma adaptée aux enfants autistes, c’est l’objet des « Ciné-ma-différence ». Le projet, présent dans plusieurs villes de France, s’est implanté Montigny-les-Cormeilles, dans le Val d’Oise, en 2011, à l’initiative de Jacqueline Sibieude. 

Vêtus de gilet jaune, les bénévoles du “Ciné-ma-différence” ont proposé une séance pas comme les autres, dimanche 12 avril, au Centre Culturel Picasso de Montigny-les-Cormeilles. Avant le début du film, Jacqueline Sibieude, à l’initiative de la création de ce cinéma dans le Val d’Oise, commence par un petit discours. “ Ici, vous êtes dans une séance ouverte à tous. Dans la salle, certains sont différents. On leur laisse la possibilité de s’exprimer librement, s’ils ont besoin de rigoler, de parler, de sortir, de bouger ou de chanter, ce n’est pas grave”, prévient-elle calmement. Elle invite ensuite la vingtaine d’enfants et de parents présents à repérer les cinq bénévoles en gilet jaune : “ Si vous avez un problème, nous avons des lampes de poche, nous venons vous voir et si vous avez besoin de sortir, on peut vous accompagner”. Une fois les explications terminées, les lumières de la salle s’éteignent progressivement pour laisser place au film du mois, la comédie musicale “ Annie”.

Permettre aux familles d’aller au cinéma

Tout est fait pour que les enfants autistes se sentent à l’aise et puissent vivre confortablement une séance de cinéma. “ Certains enfants autistes ont peur du passage au noir trop brutal, c’est pour cela que nous baissons progressivement la lumière. D’autres peuvent souffrir d’hyperacoustie, le volume sonore est donc moins élevé que dans les salles traditionnelles”, explique Jacqueline Sibieude. Depuis 2011, l’association HAARP ( Handicap autisme association réunie du Parisis ) propose ces séances de “ciné-ma-différence” une fois par mois à Montigny-les-Cormeilles. Le concept existe en France depuis 2005. Il a d’abord été développé à Paris, par deux familles confrontées à l’impossibilité de se rendre au cinéma avec leurs enfants handicapés. “ C’est notamment très difficile d’aller au cinéma avec un enfant autiste. Il peut rapidement être submergé par ses émotions, rire fort, avoir envie de bouger ou être angoissé. Ces comportements ne sont pas toujours acceptés dans les salles de cinéma…”, explique Jacqueline Sibieude.

C’est elle qui a entendu parler du concept et a décidé de le mettre en place dans le département. “ J’ai eu un enfant autiste, ça m’est arrivé de devoir sortir de la salle au bout de 5 minutes parce qu’il était trop bruyant pour les autres spectateurs. Beaucoup de familles n’osent plus sortir avec leur enfant. Ces séances aménagées ont pour but de laisser les enfants s’exprimer et par la même occasion,  de permettre aux familles d’aller au cinéma tous ensemble”. Ce dimanche, la séance a été calme. Pendant les deux heures de film, on pouvait seulement entendre quelques éclats de rire.

Pour aller plus loin :

Le témoignage d’une mère de trois enfants autistes

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Reportage à l’ESAT des Colombages

 

Maëva Poulet et Sami Acef