Groupe Nestlé : quelle issue pour ces scandales qui ont terni son image ?

Des bactéries dans les pizzas Buitoni jusqu’au traitement illégal des eaux minérales, le groupe Nestlé s’est trouvé impliqué dans plusieurs scandales sanitaires ces dernières années. Mais comment ces affaires ont-elles abouti ?

Le fin mot de l’histoire est tombé hier soir : Nestlé Waters évite bel et bien le procès dans la double affaire ciblant sa production d’eau minérale. La multinationale agroalimentaire doit toutefois verser, dans un délai de trois mois, une amende de 2 millions d’euros pour indemniser, entre autres, des associations de défense de l’environnement.

Le groupe détenteur des marques Vittel, Perrier, Contrex, Hépar et San Pellegrino était effectivement visé par deux enquêtes préliminaires à son encontre, l’une pour exploitation de forages illégaux dans les Vosges et l’autre pour tromperie. En janvier dernier, c’est la cellule investigation de Radio France et le journal Le Monde qui avaient révélé que plusieurs industriels, parmi lesquels Nestlé, utilisaient des procédés non conformes à la réglementation pour traiter leurs eaux minérales dans certains de leurs sites d’exploitation sujets aux contaminations.

Quid du délit de tromperie ?

Si aucune poursuite pénale n’a été enclenchée à l’encontre de Nestlé Waters, c’est parce que la société a signé avec le parquet d’Epinal une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), un procédé introduit en 2016 par la loi Sapin 2, qui permet d’obliger une personne morale à verser une amende d’intérêt public, de mettre en place un programme de conformité et de réparer le préjudice causé à d’éventuelles victimes.

« C’est une alternative innovante aux poursuites [pénales] qui permet de désengorger les tribunaux. Ça évite un long procès, et ça permet d’obtenir une réparation rapide et des engagements pour l’avenir de la part de l’auteur de l’infraction», estime Julia Bombardier, avocate spécialisée en droit de la consommation et alimentaire, qui assiste régulièrement les entreprises dans le cadre des enquêtes effectuées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Destinée aux infractions liées à la corruption, la CJIC peut s’appliquer également depuis 2020 aux atteintes à l’environnement, raison pour laquelle une telle procédure a été utilisée dans le cas de Nestlé Waters. Elle ne concerne cependant pas les délits de tromperie, un point de flou soulevé par l’association Foodwatch, qui déplore dans un communiqué que le groupe puisse ainsi « mettre l’affaire sous le tapis », et « s’en sortir sans autre explication ni conséquence que le versement d’une somme d’argent ».

Pour Maître Julia Bombardier, le montant de l’amende fixée est pourtant un record en droit de la consommation : « 2 millions d’euros c’est très élevé, non pas au regard des sanctions théoriques encourues, mais au regard des amendes que les tribunaux prononcent habituellement […] Et puis contrairement à ce que je lis partout, il ne s’agit pas de mettre l’affaire sous le tapis, ce qui n’aurait aucun sens compte tenu de l’ampleur médiatique de ce dossier dont tout le monde a déjà entendu parler. Ca fait des mois que les consommateurs arrêtent d’acheter les bouteilles d’eau concernées. »

Buitoni, autre scandale retentissant

Si aucune victime n’a été dénombrée dans ces deux affaires, ce n’est pas le cas pour le scandale des pizzas Buitoni qui a ébranlé la filiale Nestlé France en février 2022. Tout commence lorsque des signalements de contamination à la bactérie Escherichia coli forcent la marque à retirer du commerce ses pizzas de la gamme Fraîch’Up. Victimes d’intoxication alimentaire, deux enfants perdent la vie et plusieurs dizaines d’autres tombent malades.

Un an plus tard, le groupe industriel avait décidé de la fermeture définitive de son usine de Caudry (Hauts-de-France) – depuis rachetée par l’industriel italien Italpizza -, et s’était engagé à indemniser les 63 familles des victimes.

Et c’est en juillet dernier que Nestlé France a annoncé avoir été mis en examen pour « homicide involontaire, blessures involontaires et tromperie ». Pour Julia Bombardier, il est à ce stade encore « très difficile » d’estimer la tournure que pourrait prendre le procès. « S’il y avait des sanctions pénales pour les dirigeants, il pourrait y avoir de la peine de prison derrière », explique l’avocate, qui rappelle la distinction à effectuer entre une sanction pénale prononcée à l’égard des dirigeants d’un groupe ou des personnes responsables de la négligence, et une sanction concernant une personne morale.

L’huile minérale dans le lait pour bébés

Trois ans avant l’affaire Buitoni, en octobre 2019, c’est le lait pour bébé des marques Nestlé et Danone qui a suscité la controverse. Des analyses menées par l’association Foodwatch mettaient en lumière la présence d’hydrocarbures aromatiques d’huile minérale, une substance considérée comme « génotoxique et cancérigène » par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Parce que les scandales alimentaires semblent s’accumuler – ce matin encore avec les soupçons de botulisme dans des conserves de pesto de la marque « Ô petits oignons » -, la question de l’efficacité des mesures de prévention et des moyens utilisés pour sanctionner les grands groupes industriels refait surface.

« Depuis janvier 2024, tous les contrôles en matière de sécurité sanitaire et alimentaire ont été transférés à la Direction générale de l’alimentation (DGAL), l’idée étant d’être beaucoup plus efficaces et de renforcer les contrôles », indique Julia Bombardier. Mais au-delà des sanctions, l’avocate préconise que la DGCCRF adopte une approche plus « pédagogique » avec les entreprises, en leur permettant par exemple de poser des questions sur l’interprétation de certaines réglementations.

Sarah-Yasmine Ziani

 

INFOGRAPHIES. Le coronavirus, une aubaine pour le blé français ?

Depuis le début de l’épidémie, entre la hausse des exportations et la razzia sur la farine dans les supermarchés, tous les voyants semblent au vert pour la filière du blé en France.  

Au total, 13,2 millions de tonnes de grains de blé français devraient être vendus hors de l’Union européenne au mois d’avril 2020. Crédit: Gilles François

Le prix du blé a brutalement chuté, lundi 27 avril, en raison de la dégradation des prévisions météorologiques en Europe. Ces dernières semaines, il n’avait cessé de grimper avec l’accroissement de la demande mondiale due à l’épidémie et à d’autres facteurs, comme la sécheresse en Afrique du Nord.

Une aubaine pour la France, l’un des principaux producteurs européens, dont les exportations se sont envolées au mois d’avril, laissant présager « un record historique » des exportations d’après Marc Zribi, le chef de l’unité « grains et sucre » de l’organisme FranceAgriMer.

Un boum des exportations

Ainsi, à la mi-avril, 1,14 million de tonnes ont été envoyées en Chine et 1,6 million de tonnes vers le Maroc, selon FranceAgriMer.

L’organisme prévoit une hausse des exportations de 500 000 tonnes par rapport au mois de mars 2020. Au total, 13,2 millions de tonnes de grains de blé français devraient être vendus hors de l’Union européenne, notamment en l’Algérie et en Afrique de l’Ouest.

Cependant, l’épidémie a des répercussions négatives sur d’autres débouchés de la filière française de blé. Tout d’abord, les Français et leurs voisins européens se déplacent moins, ce qui diminue la demande en biocarburant. Une baisse évaluée à 150 000 tonnes, selon l’AFP.

Des rayons de farine dévalisés

Avec les mesures de confinement, les Français sont aussi moins nombreux à fréquenter les boulangeries artisanales qui déplorent une baisse de 30% de leurs ventes.

 

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En parallèle, les Français se sont mis à fabriquer leur pain à la maison et ont profité du confinement pour cuisiner plus. Dans les supermarchés, les rayons de farine ont été pris d’assaut avec des ventes en hausse de 229% la première semaine et n’ont pas pu être réapprovisionnés à hauteur de la demande.

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Alors, va t-on pour autant vers une pénurie de farine en France ? Non, rassurent les professionnels du secteur. Le réapprovisionnement des grandes surfaces a pris du retard, notamment à cause de problèmes d’acheminement, mais les rayons feront bientôt le plein. 

Juliette Guérit

Une brique pour construire l’avenir des producteurs laitiers

Alors que la firme laitière est au plus mal dans l’Hexagone, une idée innovante donne depuis décembre 2016 de l’espoir à quelques agriculteurs français. Il s’agit de la marque « C’est qui le patron ?! La marque du consommateur« , qui propose dans les rayons de la plupart des grandes surfaces un lait équitable, dont le cahier des charges a été élaboré par le consommateur sur internet.

Photo libre de droit.
Photo libre de droit.

Ce n’est pas la moins chère, mais elle donne tout le pouvoir au consommateur. C’est en tout cas ce que promet la brique de lait de la marque « C’est qui le patron ?! La marque du consommateur« . Le principe est simple : sur le web, les internautes répondent à un questionnaire. Celui-ci qui permet d’établir de A à Z le cahier des charges de ce produit emblématique de l’alimentation française. Depuis le prix du litre jusqu’à l’alimentation des bêtes et le mode d’emballage, toutes les décisions sont prises par le consommateur.

Derrière le concept marketing et la communication bien rodée, s’affirme surtout un mode de consommation alternatif  qui permettrait aux producteurs de vivre dignement. Car, à travers le questionnaire, les internautes sont sensibilisés aux contraintes économiques difficiles auxquelles doivent faire face les acteurs de la branche laitière. Laurent Pasquier, le co-fondateur de « C’est qui le patron ?! », pointe notamment du doigt le système de la guerre des prix, qui régit le marché depuis 2008 et la loi de la modernisation de l’économie. « Les premiers à trinquer sont les agriculteurs et les PME de l’agroalimentaire, qui ne sont pas en mesure de négocier. On peut facilement faire pression sur eux » déplore-t-il, rappelant que la profession connaît 600 suicides par an et qu’une PME agroalimentaire met la clé sous la porte chaque jour. « En grande surface, on prend trois secondes pour choisir quelque chose. Les chaînes de distribution sont déconnectées du monde rural et du produit en lui-même, parce que les gens ne s’imaginent même plus qu’il y a des gens qui le produisent. Pour beaucoup, dans leur tête, ça sort de l’usine. »

Un cahier des charges exigeant

Le prix de cette brique solidaire a été fixé à 99 centimes. C’est un coût plutôt élevé dans la fourchette de l’offre, qui va de 65 centimes à 1,15 euros. Mais les quelques centimes supplémentaire font toute la différence pour les producteurs qui dépassent de 0,4 centimes le coût de revient du lait. Un soulagement financier indispensable pour encourager les bonnes initiatives de production : « Que vous ayez une autonomie dans votre exploitation ou pas, que vous nourrissiez vos bêtes avec ou sans OGM, le prix du lait est le même, et ça, c’est terrible. Les vendeurs n’arrivaient pas à valoriser ces bonnes pratiques« , constate Laurent Pasquier.

« C’est qui le patron ?! » favorise au contraire une production de qualité, puisque les agriculteurs qui veulent en faire partie doivent se plier à un cahier des charges exigeant. Certains n’étaient pas aptes à répondre à tous les critères. Ils ont dû faire une conversion plus ou moins rapide. Par exemple s’ils donnaient du fourrage OGM à leur bête, la transition prenait six mois« , détaille Laurent Pasquier. Si le mouvement reste encore minoritaire, il prend de l’ampleur, porté par les nouveaux espoirs qu’il suscite. Les cinquante premiers producteurs à remplir les briques de la marque étaient sur le point de fermer leur exploitation. A peine un an plus tard, ils ont été rejoints par 200 nouveaux agriculteurs.

La production française au coeur des priorités

Si le lait est de bonne qualité, il n’est pas bio, bien que ce critère ait été proposé aux internautes. « En général, on est à 30% de consommateurs qui le demandent. Il y a la question du prix, mais le plus important pour les votants c’est que ce soit français », argumente Laurent Pasquier. Le constat a pu se vérifier récemment, alors que la marque étend désormais son activité à d’autres produits, comme la pizza ou la compote de pomme. « Faire de la compote bio en France, c’est très difficile, les fruits bio produits en France sont mangés tels quels. Quand on a expliqué dans le questionnaire qu’il fallait passer en Italie pour faire des compotes de pommes bio, seuls 10 % des votants étaient pour. Pour les gens, le bio doit aussi être local. »

Aujourd’hui, 22 millions de litres ont été distribués en grande surface. Une réussite étonnante au regard des moins de 20 000 internautes répondant aux questionnaires. D’après Laurent Pasquier, la recette du succès se trouve dans la transparence de la démarche. « Un consommateur logique achète le lait le moins cher parce qu’il ne comprend pas la différence de prix », expose-t-il. « Nous cherchons à expliquer la différence entre notre lait et les autres marques. On est fiers d’avoir prouvé que les gens, quand ils comprennent pourquoi le prix est plus élevé, répondent favorablement dans les rayons, et pas que sur le questionnaire ». Aujourd’hui, 9023 magasins distribuent la brique des consommateurs, et l’idée est en bonne voie pour s’exporter dans d’autres pays.

 

Emilie Salabelle