Jeudi 4 mai, les Algériens doivent élire leurs députés. Alors que les citoyens n’attendent rien d’autre qu’une nouvelle victoire du parti du président Abdelaziz Bouteflika, le FLN (Front de Libération nationale), et de son allié, le parti du Rassemblement national démocratique (RND), qui règnent de manière absolue sur l’Algérie depuis l’indépendance du pays en 1962. Cependant, des YouTubeurs ont créé un nouveau front de résistance sur internet.
Certaines vidéos se moquant des élections législatives algériennes ont déjà enregistré près de trois millions de vues en quelques jours. Un chiffre important rapporté aux 23 millions d’électeurs appelés aux urnes jeudi et dont plus de la moitié devrait s’abstenir comme lors des scrutins précédents. Les parodies devenues les plus virales sont celles d’Anis Tina et DZ Joker, désormais érigés comme les YouTubeurs algériens à la tête d’un mouvement en ligne qui s’en prend de plus en plus ouvertement aux politiques sous couvert d’humour.
Dans sa parodie du film « Le Message », un biopic du prophète Mohammed, Anis Tina met en scène une lutte entre deux tribus représentant le peuple et les députés. Il dénonce la répression de l’abstentionnisme mais aussi le problème de la corruption à laquelle se livreraient nombre de politiques algériens. Dans sa vidéo, les députés vont en effet jusqu’à soudoyer les représentants de la tribu du peuple pour les pousser à voter.
Les vidéos sarcastiques à l’encontre des élections se multiplient sur les réseaux sociaux. Dans une parodie de film de zombies, un autre YouTubeur algérien célèbre, Kamel Labiad, a directement appelé les électeurs à « ne pas aller voter » pour ne « pas donner de légitimité à ceux qui ont trahi le pays ».
#jenevaispasvoter
La vidéo de DZ Joker est, elle, à l’origine du hashgtag Mansotich, un jeu de mots fabriqué à partir du verbe sowat, voter, que l’on peut traduire en français par : « je ne vais pas voter », et qui a inondé les fils Twitter des Algériens. Chemseddine Lamrani, le comédien de 26 ans à l’origine de cette vidéo prend pour prétexte la question des élections afin de mettre en lumière les difficultés économiques et sociales des Algériens. Dans son clip, le YouTubeur incarne tour à tour un naufragé, un homme mourant sur un lit d’hôpital ou encore un sans-abri.
Vue près de trois millions de fois, la vidéo de DZ Joker qui encourage au boycott des élections n’a pas manqué de faire réagir les politiques. « C’est un message nihiliste qui décourage la jeunesse, un message guidé, un message bien calculé », a dénoncé Seddik Chihab, porte-parole du parti RND sur un plateau télévisé. Sans s’attaquer directement au jeune homme, l’homme politique met en garde contre une manipulation extérieure dont il ne précise toutefois pas l’origine. » Vous n’avez qu’à voir la qualité de cette vidéo pour comprendre que beaucoup de moyens ont été mis pour une vidéo pareille. Je pense qu’il y a de la manipulation derrière« , a-t-il affirmé face au journaliste.
Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, s’est également érigé publiquement contre « une violente campagne sur les réseaux sociaux ». « On en a un qui ‘’mansotich’’ – qu’il saute ou pas – et un autre qui se moque de Rissala (Le Prophète) et des compagnons du prophète. Un autre qui jure dire la vérité alors qu’il ment », a-t-il déclaré.
Une guerre de communication
C’est une guerre sans violence à laquelle se livrent les internautes en vue des élections législatives mais qui n’est pas sans danger. En incitant les citoyens à l’abstention, les jeunes internautes et YouTubeurs risquent une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans et une amende de 50 à 510 euros selon le code pénal du pays. En avril, un homme qui s’était moqué de la campagne électorale sur les réseaux sociaux aurait déjà été présenté à la justice sans que l’on sache encore aujourd’hui quel fut le résultat de son procès.
Si la réponse des autorités à l’encontre des jeunes internautes et YouTubeurs ne s’est pas fait attendre, c’est que le mouvement lancé par ces derniers vient directement contrecarrer une vaste campagne de communication diligentée par le ministère de l’Intérieur. Pour inciter une jeunesse qui représente plus de la moitié de la population en Algérie, les autorités gouvernementales ont en effet sollicité des personnalités, des rappeurs mais aussi des imams, pour convaincre les abstentionnistes de se rendre aux urnes. Des affiches de sensibilisation au vote ont aussi recouvert les murs des villes. Ces dernières sont toutefois devenues l’objet de nouvelles moqueries sur les réseaux sociaux lorsque l’on a découvert que leurs modèles n’étaient pas algériens mais saoudiens, sud-africains ou latino-américains. Une agence de communication aurait eu pour tâche de retoucher ces photos à l’aide du logiciel Photoshop.
La participation aux élections législatives, traditionnellement faible en Algérie comme en attestent les taux de participation de 43,14% en 2012, et de 35,65% en 2007, est une obsession pour le gouvernement qui compte sur ces élections pour asseoir sa légitimité. Le président Abdelaziz Bouteflika, âgé de 80 ans et dont l’état de santé très fragile limite fortement son implication dans la vie politique du pays, a même été contraint d’adresser un « message à la Nation » relayé dans tous les consulats à l’étranger pour inciter les Algériens à aller voter.
Aglaé Watrin.