La petite entreprise du rap français

Faire de la musique ne leur suffisait pas, les rappeurs français bâtissent leur propre empire. Entre vente de prêt-à-porter, labels musicaux ou encore sponsoring, les artistes se comportent comme de vrais chefs d’entreprise.

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Même en concert le rappeur Booba ne sort jamais sans sa panoplie Ünkut.

« Ma question préférée : Qu’est-ce que je vais faire de tout cet oseille ? » se demande Booba dans sa chanson Kalash. Beaucoup de choses sûrement avec un chiffre d’affaire de dix millions d’euros juste pour sa marque de vêtements Ünkut en 2013. Le rappeur français est le pionnier d’une nouvelle tendance qui a émergé dans le rap français ces dernières années: celle du rappeur-businessman. Pour ces artistes, il est devenu nécessaire, voire indispensable d’élargir leur champ d’activité en investissant dans d’autres domaines que la musique. Comment expliquer cette nouvelle tendance en France ? Pourquoi ces artistes éprouvent-ils le besoin de se transformer en entrepreneur ? Le sociologue Karim Hammou, chargé de recherches au CNRS, spécialisé dans les cultures et sociétés urbaines, et auteur du livre Une histoire du rap en France répond : « C’est lié à la logique de l’auto-production, qui se développe dans les années 1990 dans le rap français et impose une diversification des artistes pour investir la production, la promotion, voire la distribution. Des contraintes qui les oblige à diversifier aussi leurs sources de revenu ». Ainsi, ils s’inspirent du modèle américain où rappeurs et hommes d’affaires sont une seule et même personne. « Les carrières dans l’industrie musicale sont en général courtes, et la question de la diversification des activités se pose très vite pour les artistes » explique Karim Hammou.

Le plus souvent la première étape est le prêt-à-porter. « La vente de t-shirt est très rentable, à la fois parce qu’ils sont peu coûteux à produire, faciles à distribuer et c’est également une source de promotion efficace » affirme Karim Hammou.Dès le début des années 2000, le rap français envahit le « streetwear ». Cette mode importée des Etats-Unis qui allie à la fois des vêtements larges propres au hip-hop américain à un style européen plus classique et sobre. Ainsi, on assiste à l’émergence de nombreuses marques de vêtements associées à des rappeurs français : Ünkut et Booba, Distinct et Rohff, Swagg et La Fouine ou encore la marque éponyme du label Wati-B, producteur notamment de Maître Gims et Black M. Une activité qui se révèle être très lucrative pour certains d’entre eux. Les ventes génèrent plusieurs millions d’euros de revenus, la marque de Rohff a réalisé un chiffre d’affaire de deux millions et demi d’euros en 2012.

Wati-B est allé encore plus loin. Le label a décidé de devenir l’un des sponsors officiels de deux clubs de Ligue 1, Montpellier et Caen. En s’affichant sur les maillots de ces deux clubs, le label s’assure une visibilité chaque week-end sur les terrains de Ligue 1.

Loin de ces poids lourds, même les rappeurs moins médiatisés se sont lancés dans le business. C’est le cas de la Scred Connexion, groupe majeur fondé en 1995, qui a ouvert sa boutique en 2015.

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Dans la « Scred Boutique », DJ Diemone accueille les clients.

« Nous on veut promouvoir les artistes indépendants »

18e arrondissement de Paris, tout au bout de la rue Marcadet, où les Kebabs et les Cafés ont laissé la place aux immeubles. Enfin, pas seulement aux immeubles. Une boutique à la vitrine soignée et bien travaillée interpelle. Le grillage est légèrement baissé et laisse apparaître un joli graffiti. Derrière la vitrine, un vélo clinquant, des bombes de graffitis, des illustrations de murs tagués et des casquettes. Ecrit en grandes lettres rouges : Scred Connexion. Dj Diemone, membre du collectif nous accueille : « C’est moi qui m’occupe de la boutique et du site internet www.scredconnexion.fr. » C’est donc le groupe lui-même qui s’occupe de la distribution contrairement aux boutiques Wati-B ou Unküt où les artistes délèguent, logiquement, l’activité. Mais c’est également l’ambition qui est différente : « Nous on veut promouvoir les artistes indépendants, les aider en vendant leur CD, en parlant d’eux sur notre site internet. » Il faut dire que la Scred Connexion est experte en indépendance. Depuis leurs débuts, ils n’ont jamais signé dans une des grosses maisons de disques (Universal, Warner, Sony). « Cette boutique ce n’est que la suite logique de ce qu’on fait depuis le début. Pour rester indépendant, il faut diversifier ses activités et ses sources de revenus. Voilà pourquoi ce projet est né. » Mais pourquoi cette obsession pour l’indépendance ? « D’abord, parce que financièrement on gagne plus dans le cas où ça marche. Un artiste signé dans un label ne prend que quelques pourcents sur chaque disque vendu. En indé c’est 100%. Ensuite parce qu’on fait absolument ce qu’on veut. » Il n’y a qu’à descendre au premier étage pour le comprendre : vinyles de rappeurs indépendants, CD d’artistes underground (qui ne sont pas connus mais appréciés des connaisseurs), une caverne pour passionnés de Hip-Hop.

L’indépendance comme motivation donc. Mais la boutique reste confidentielle, bien caché dans le 18e arrondissement de Paris, lieu d’origine de la Scred Connexion. Les revenus existent-ils vraiment ? « Le site marche très bien ! On vend beaucoup sur le site depuis longtemps. » La boutique n’a ouvert qu’en 2015. Pourquoi ouvrir un magasin si le site se suffisait à lui-même ? « Pour cet esprit familial. C’est plus spontané, et comme c’est le groupe qui s’occupe de la boutique, les gens viennent aussi pour ça. On a beaucoup de provinciaux qui sont en visite à Paris et qui veulent absolument passer par la Scred Boutique. C’est comme la Tour Eiffel ! » Et le collectif n’a pas fini de se diversifier. Après le site internet, la boutique, c’est la Scred Radio qui va être lancé. Sans en dire plus, le Dj de 40 ans avoue tout de même : « on veut donner aux jeunes rappeurs indépendants ce que nous n’avons pas eu à notre époque. Une vraie vitrine, une radio qui les passe, un lieu d’exposition quoi. » Cela fait maintenant 8 ans que le groupe de rap n’a rien sorti. Et qu’il continue de vivre grâce à ses activités. Leur devise ? « Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction. »

Créer son propre média, nouvelle tendance des rappeurs français

Les rappeurs français savent aussi innover. La création d’un média semble être la prochaine étape pour ces rappeurs-entrepreneurs. Encore une fois, c’est Booba qui a une longueur d’avance sur la concurrence. Le rappeur a décidé d’étendre son empire à l’univers médiatique en créant tout d’abord une plate-forme de diffusion Oklm.com qui s’est déclinée, à partir de 2015, en une radio en ligne nommée OKLM Radio. « Pour nous, par nous » est le slogan de ce média qui veut se placer en concurrence directe avec des radios traditionnelles comme Skyrock. Lui qui a souvent critiqué le traitement du rap français fait par certains médias veut sortir de ce cadre en proposant un contenu nouveau.

C’est dans la communication que l’entrepreneur Booba se démarque. Lorsqu’il lance sa radio, il a déjà tout anticipé en prenant soin de populariser l’expression « Oklm » à travers un single éponyme qu’il dévoile sur le plateau du Grand Journal de Canal +. L’influence musicale de Booba est donc devenue un moyen de promouvoir directement ses autres activités sans attendre d’être contacté par d’autres journalistes. Après le site et la radio, il enchaîne avec la création de la chaîne de télévision OKLM TV fin 2015. Un challenge de plus pour le rappeur qui s’écarte de la liberté de ton de la radio pour se tourner vers les contraintes imposées par la télévision. Des clips, des interviews, des reportages, une programmation presque identique à une chaîne de musique traditionnelle. Mais la chaîne OKLM devient un outil promotionnel unique pour certains jeunes rappeurs adoubés par le « DUC » et qui auront l’honneur d’être diffusé sur sa chaîne.

En plus de Booba, d’autres rappeurs français se sont lancés dans la création d’un média. Le très engagé Kery James vient de lancer, en avril dernier, son propre média alternatif appelé LeBanlieusard.fr. Il présente ce site comme une « plate-forme d’information indépendante et alternative ». Comme Booba, Kery James a créé ce média pour s’opposer aux médias traditionnels. Mais de son côté, il souhaite apporter un nouveau regard sur l’actualité, et en particulier celle des banlieues. Au programme, la diffusion de plusieurs émissions politiques, des débats sur les violences policières dans les banlieues, etc… Pour ce rappeur considéré comme le leader du « rap conscient », il était devenu nécessaire de créer un média avec une ambition plus sociétale que musicale. « C’est dans la lignée de ce que je défend depuis vingt dans ma musique » affirme-t-il. Lui qui déclarait dans son titre Vent d’Etat en 2012 : « J’accuse les médias d’être au service du pouvoir, de propager l’ignorance et de maquiller le savoir », veut apporter sa propre vérité à travers son site d’information. Pour le moment, Kery James finance entièrement son média.

Après les vêtements, les labels, les médias, quoi d’autre ? Pourquoi pas de l’alcool ? Ah ! Booba vient d’annoncer le lancement de sa nouvelle marque de whisky humblement nommée D.U.C.

Ryad Maouche & Clément Dubrul

Trois questions à Anne-Cécile Daniel, chercheuse à l’AgroParisTech

Anne-Cécile Daniel est ingénieur de recherche en agriculture urbaine à l’AgroParisTech et membre de l’AFAUP (l’Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle).

 

Quand l’agriculture urbaine a-t-elle commencé à se développer ?

A l’échelle mondiale l’agriculture urbaine a commencé dans les pays du sud dans les années 1950. Il y a eu des migrations suite aux guerres civiles et les populations rurales ont fui en ville. Ils produisaient en ville pour se nourrir, c’était de l’autoproduction. Christine Aubry [ndlr: chercheuse à l’INRA spécialiste de l’agriculture urbaine] a étudié l’agriculture urbaine à Madagascar et elle a mis en évidence que plus de 90% du cresson consommé à Antananarivo était produit dans la ville. En France cela a commencé avec les circuits courts dans les années 1990-2000 puis les jardins collectifs. Ces derniers se sont redéveloppés après la crise des Trente Glorieuses. En 2012, à l’époque où la mairie de Paris a commencé à faire des conférences sur le sujet, le terme n’était pas encore très connu. Ce sont des projets phares qui ont fait parler d’eux comme la tour maraîchère à Romainville.

 

Quels sont les différents types d’agriculture urbaine ?

Il y a différentes formes d’agriculture urbaine : les jardins associatifs, les micro-fermes urbaines… Il y a une diversité des formes mais l’une ne doit pas dominer l’autre. Le risque réside dans la commande publique. Les jardins portent une autre fonction, celle de services et de sensibilisation. A l’AFAUP nous soutenons différents types d’agriculture urbaine comme Veni Verdi qui font plein de super projets et d’un autre côté d’autres projets à grande échelle. Il faut assumer le côté sensibilisation de l’agriculture urbaine en montrant qu’elle peut être source d’innovations pour mieux manger.

 

Est-ce que l’agriculture urbaine est rentable ?

On peut prendre le problème à l’envers : Pourquoi les villes veulent-elles un projet viable ? Elles veulent végétaliser la ville sans avoir à l’entretenir. L’agriculture urbaine anime un quartier, sensibilise les gens, c’est un outil sensationnel ! Mais cela peut vite s’éteindre si la mairie ne soutient pas les projets. Le modèle économique reste à trouver. L’agriculture urbaine se définit par sa multiactivité. Aujourd’hui certaines structures en vivent mais c’est un marché émergent donc c’est quasiment impossible de dire si cela va perdurer. Il faut attendre 5 ans pour savoir qui restera et surtout comment les collectivités soutiendront les projets. Le modèle économique pourrait être celui de la boîte à champignons. C’est un modèle hybride qui inclut de la formation et de l’expertise. C’est un projet émergent qui va évoluer.

Lou Portelli et Chloé Tixier

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Aquaponie, hydroponie, culture sur couche chaude… késako ?

Concernant les techniques, l’agriculture urbaine est aujourd’hui un laboratoire à ciel ouvert. Et elle a son propre jargon. Explications. 

  • L’aquaponie et l’hydroponie sont deux méthodes de production hors sol. Les techniques se ressemblent mais se distinguent sur certains points. Par exemple, en hydroponie, les plantes poussent grâce à un engrais riche en nutriments alors qu’en aquaponie ce sont les déjections des poissons qui servent d’engrais pour le végétal cultivé.
  • La permaculture est une méthode qui vise à concevoir notamment des jardins en fonction de ce que les habitants ont besoin et de ce que la nature peut offrir. Le but de la permaculture est d’apprendre aux jardiniers en herbe comment entretenir leur potager. C’est ce que met en avant l’association Pépins productions.
  • La culture sur couche chaude ne vous dit peut-être rien mais elle est plus connue sous le nom de fumier. C’est une méthode qui utilise l’énergie produite par la décomposition du fumier de vache ou de cheval pour réchauffer le sol. Le but: accélérer la levée des semis ou encore permettre de planter des légumes qui ont besoin de chaleur pour se développer. La Prairie du Canal à Bobigny compte utiliser cette technique, en plus de la paille, pour cultiver le melon et les tomates notamment.
  • Le maraichage est la culture de légumes, de quelques fruits et de fines herbes en plein air ou sous abri, qui seront consommés ensuite. Ce qui différencie le maraichage du jardinage, c’est que le but ici est d’en dégager un profit.

 

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L’agriculture urbaine a-t-elle un avenir ?

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Micro-fermes urbaines sur des fiches industrielles, potagers sur les toits, cultures verticales… Les initiatives se développent à Paris et en petite couronne. Le retour de l’agriculture en ville est-il un simple effet de mode ou un véritable nouveau mode de vie ?

« A la vue des chemins de fer qui s’établissent de toute part, il est facile de prévoir que la culture maraîchère de Paris est à la veille de recevoir des modifications » écrivaient alors deux maraichers en 1845 dans le Manuel pratique de la culture maraichère de Paris. Ils ont vu juste, mais ne s’attendaient sûrement pas à ces cultures nouvelle génération. Des fraises récoltées dans des containers, des fruits et légumes poussant dans un parking ou dans des bottes de paille, des salades sur un toit… Compte tenu du manque de foncier disponible à Paris, tous les espaces sont convoités. Et le potentiel est énorme. Selon une étude de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, 80 hectares de toits seraient exploitables pour l’agriculture. Or, seulement 1,7 hectare de toitures est cultivé.

Au coeur du XIe arrondissement, difficile d’imaginer un jardin sur le toit d’une ancienne manufacture de chaussures. Il est aujourd’hui occupé par le collectif La Générale. Sur quatre étages et 8000 m2, le lieu, dédié à la création, accueille des artistes, des compagnies de théâtre, des cuisiniers et… des jardiniers amateurs. Depuis 2016, un verger est installé au sommet du bâtiment. « Notre but en installant ce jardin, c’est le rayonnement du quartier », explique Gaël Thomas, en service civique à La Générale. « Chaque bénévole a sa parcelle et on les fournit en graines. Les gens viennent quand ils peuvent, ou quand ils veulent profiter du jardin. La plupart se déplacent environ une fois par semaine. On aimerait aussi alimenter la cuisine avec le potager ». Les légumes, les arbustes et les fleurs se répartissent dans ce jardin aménagé aux côtés des 16 pieds de houblon. « On aimerait à terme brasser notre propre bière », confie Gaël Thomas. La récolte sera peut-être plus difficile pour les radis, carottes et salades: « On est coincés entre deux immeubles, le vent sèche à mort donc il faut couvrir le sol », souffle-t-il en glissant ses mains dans la terre. Les jardiniers doivent donc s’adapter: « On met de la paille pour préserver l’humidité dans le sol », révèle-t-il.

Quid de la pollution? La ville est souvent associée à la pollution automobile. Pour Gaël Thomas, « penser que les particules fines restent au niveau de la route est une légende urbaine ». Mais l’équipe de la Générale n’a pas pu faire de tests sur la terre. En effet, même s’ils sont soutenus par la Région Ile de France, leur installation est devenue illégale. « On a gagné un appel à projets de la région mais la mairie de Paris est propriétaire du bâtiment et n’autorise plus notre activité, confie le jeune homme. On a quand même ouvert le jardin malgré l’opposition de la mairie. Elle nous a prévenu que c’était illégal pour se dédouaner mais elle ferme les yeux sur notre activité ».

La mairie de Paris soutient toutefois certains projets à vocation associative. C’est le cas de la nouvelle pépinière de l’association Pépins Production qui vient d’ouvrir rue de Charrière dans le 11e arrondissement de Paris. Elle a remporté l’appel à projets « Parisculteurs » lancée par la municipalité l’année dernière. Installée sur un ancien transformateur ERDF prêté par l’entreprise, la pépinière est composée d’un jardin ombragé à l’entrée et d’une serre en pleine terre encore en construction à l’étage. « On a accès à l’eau non potable. Mais on ne doit pas être plus de 10 personnes sur le site et on doit prévenir quand on part car c’est un site sensible », explique Amélie Anache, présidente de Pépins Production. Ce lieu insolite intrigue les riverains, nombreux ce dimanche, jour de brocante. Certains s’arrêtent sur le stand où s’étalent des semis en godet: plantes aromatiques, ornementales et un peu de comestibles comme des tomates et du maïs. Prix des plants ? 3 euros les plantes annuelles et 4 euros les vivaces après avoir payé une adhésion obligatoire à l’association de 2 euros. Mais la pépinière n’a pas vocation à devenir seulement un lieu de vente: « On ne veut pas que ce soit juste une usine à plantes, on veut créer une dynamique et que les citadins se réapproprient leur environnement », précise Amélie Anache.

Des « terrains délaissés » aménagés

A Bobigny, en Seine-Saint-Denis, la ferme éphémère La Prairie du Canal va tenter de renouer avec les grandes traditions maraichères des années 1950. En 1951, la ville comptait 180 familles exploitantes avec pour tête d’affiche le melon jaune. Ce dernier va renaître dans les 800 bottes de paille installées le long de la RN3. Une initiative de l’association La Sauge, Société d’agriculture urbaine généreuse et engagée, qui a notamment lancé les « 48h de l’agriculture urbaine ». A la veille de l’ouverture au public, les membres de l’association s’activent. « Dans 2-3 semaines, nous serons prêts », assure Swen Déral, co-président de l’association, balai en main. Sous la pluie, les  bénévoles doivent nettoyer cette dalle bétonnée de 2000m². Terrain de l’ancienne usine MBK et d’un camp de rom démantelé, il est difficile d’imaginer qu’au début du XXe siècle, un berger faisait paître ses moutons à cet endroit précis. Pourtant, les animaux et la verdure sont de retour à proximité du canal de l’Ourcq. Mais pas indéfiniment. « C’est une ferme écologique éphémère : l’objectif est de se déplacer de friche en friche », explique Swen Déral. Subventionnée à hauteur de 20 000 euros par la communauté d’agglomération Est Ensemble, la ferme fermera ainsi ses portes le 6 octobre prochain. Le prochain terrain n’est pas encore trouvé mais cela n’inquiète pas les équipes de La Sauge. Selon elles, « la ville regorge de terrains délaissés et en friche ».

Ces terrains à l’abandon sont dorénavant réaménagés: dans la ferme cohabiteront forêt, potager, poulailler, serre, plantes médicinales… Mais rien ne sera vendu ni donné aux bénévoles, « officiellement »: Si « les gens peuvent repartir avec quelque chose, la consommation n’est pas l’objectif », révèle Swen Déval. L’association préfère axer sur l’aspect ludique de l’agriculture urbaine. Pour cela, des ateliers vont être notamment mis en place autour des cosmétiques et du brassage de la bière. « Les ateliers sont un prétexte. Il y a un aspect ludique à faire jardiner. L’herboriste doit toujours avoir un pied dans le jardin donc les gens iront chercher ce dont ils ont besoin dans le jardin avant de passer à l’atelier pour leur montrer que nous avons les recettes au quotidien », ajoute le co-président de La Sauge. Côté cuisine justement, la ferme s’est dotée d’un restaurant alimenté « à hauteur de 50% » par les produits du container où pousseront légumes et environ 15 kilogrammes de champignons par semaine. L’occasion de goûter au kebab de pleurotes ou à la bière brassée dans les locaux de la brasserie parisienne Demory située à quelques mètres de La Prairie du Canal. En contrepartie, l’entreprise finance les 250 plants de houblon. « On a la plus grande houblonnière d’Ile-de-France », se félicite Swen Déral. Pour l’instant. Car un autre projet de plus grande ampleur voit le jour dans la vallée de la Chevreuse à Bonnelles (Yvelines). Johann Laskowski, paysagiste, va monter la plus grande houblonnière de la région parisienne. Sur deux hectares, plus de 6700 pieds de houblon vont être plantés cet automne. L’objectif est de promouvoir la culture du houblon, longtemps délaissée en Ile-de-France au profit de l’Alsace et du Nord. Actuellement 50 brasseries sont installées dans la région, des dizaines en cours de construction, alors qu’il n’y en avait plus en 1990. Problème: les bières ne sont pas 100% parisiennes, le houblon n’étant pas produit localement.

Cultiver dans des parkings et des containers: l’agriculture 2.0

D’autres se sont lancés le défi de produire des fruits dans des containers. Fils d’agriculteurs, Guillaume Fourdinier et Gonzague Gru ont créé la start-up Agricool en 2016. Ils s’apprêtent à vendre leurs premières barquettes de fraises cultivées dans un container de 33 m2 à Bercy. 3600 plants ont été installés avec pour objectif de produire sept tonnes de fraises. La barquette de 250 grammes coûtera 3 euros. Les techniques les plus pointues sont utilisées pour faire pousser ces fruits: culture verticale, sous LED et irrigation en circuit fermé dans un environnement clos. Même modèle de production dans la micro-ferme souterraine La Caverne développée par la start-up Cycloponics. Située porte de la Chapelle dans le XVIIIe arrondissement, tomates, champignons et brocolis vont pousser sous des ampoules LED dans un parking de 3000 m2 situé en dessous de 300 HLM. Une première à Paris. Théophile Champagnat et Jean-Noël Gertz, les fondateurs de Cycloponics, espèrent produire 30 tonnes de fruits et légumes par an et 24 tonnes de champignons. Mais une question se pose: quel est l’impact écologique de ces fruits cultivés toute l’année sous lumière artificielle ? « L’agriculture dans des containers comme celle que fait Agricool est consommatrice en termes d’électricité. Ces entreprises essayent aujourd’hui de trouver des solutions alternatives pour améliorer leur empreinte carbone mais il ne faut pas s’engager dans un tout high-tech », souligne Antoine Lagneau, chargé de mission agriculture urbaine à Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité d’Ile-de-France. Agricool affirme de son côté que leur consommation d’eau serait 90% plus faible que sous serre traditionnelle et l’air pollué de l’extérieur est filtré.

L’arrivée de ces nouvelles start-ups aux techniques de culture poussées secoue en tout cas le monde de l’agriculture urbaine historiquement porté par des associations à l’identité sociale forte. Les dirigeants de Cycloponics assurent qu’ils mettront en place un stand de vente sur place pour les habitants des résidences qui pourront acheter des fruits et légumes moins chers. Car l’unique recherche de rentabilité ne semble pas être un modèle viable. « Certaines personnes sont là pour en faire un système rentable mais il y aura toujours des associations pour promouvoir le lien social, explique Antoine Lagneau. C’est peut être là qu’il y a un équilibre à trouver. aujourd’hui on est à la croisée des chemins ».

 

Lou Portelli et Chloé Tixier

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