“La plus grande des force, c’est de fuir”: le parcours du combattant des anciens adeptes de sectes

Chaque année, en France, des centaines de personnes quittent un groupe sectaire. Si la fuite marque la fin de l’endoctrinement, elle n’ouvre que rarement la voie à un retour apaisé à la vie « normale ». Isolement, précarité, absence de soutien… Témoignages et éclairages sur un vide institutionnel que dénoncent associations, rescapés et juristes.

Lydia Hadjara a 25 ans lorsqu’elle est frappée par le déclic qui va changer sa vie. Un sentiment de honte, une prise de conscience, puis une soudaine envie de vomir. L’intuition qui la tourmentait depuis si longtemps se mue en une évidence brutale : « Il faut que je m’en aille. » Comme des milliers de personnes en France, Lydia était victime de dérives sectaires. 

Elle a vécu plus de vingt ans chez les Raëliens, un mouvement né dans les années 1970 en France sous l’impulsion de Claude Vorilhon, dit « Raël ». En tant que prophète et messager des « Élohims » (extraterrestres divins à l’origine de l’humanité), Raël rassemblera autour de lui plusieurs milliers de fidèles au fil des années. Il met en place parmi ces derniers un groupe de femmes appelées les « anges », entièrement dévouées à son bien-être – y compris sexuel. Lydia était l’une d’entre elles. Elle est conduite chez les Raëliens à l’âge de quatre ans par sa « génitrice » – qu’elle se refuse aujourd’hui à appeler mère.

 

 

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Lydia décrit une enfance en apparence normale, malgré un décalage profond ressenti vis-à-vis des autres enfants : « Je ne trouvais pas ma place, parce qu’on m’inculquait que ceux qui n’étaient pas dans le mouvement n’avaient pas la vérité », explique-t-elle. À treize ans, elle est agressée sexuellement par l’un des “guides” du mouvement. Une « initiation », ayant pour but d’apprendre à la jeune fille comment satisfaire Raël à l’avenir. Une preuve de dévotion envers le prophète. Si son mal-être est évident, elle le réprime, se raccrochant à l’idée d’être privilégiée, de faire partie d’un groupe d’élus : « Je me culpabilisais de me dire que ça pouvait potentiellement être faux. Mais quand j’avais des doutes, en un quart de seconde, je m’autoflagellais. Je me disais : “Tu redescends sur Terre, tu es quand même dans la dernière des religions.” »

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Le dîner de la rupture

Elle luttera contre ces doutes jusqu’à ce soir d’octobre 2007, lors d’un dîner au restaurant avec Raël et les autres anges. Placée en bout de table, elle est punie pour avoir manqué une réunion du mouvement plus tôt dans la journée. On lui fait comprendre qu’elle n’est pas digne de l’honneur qui lui est fait, qu’elle n’est personne pour se permettre ce genre de liberté. Une « humiliation », se rappelle-t-elle encore aujourd’hui. « J’ai déçu le prophète, j’ai déçu les anges, je n’ai pas rempli mon rôle correctement », se dit-elle à l’époque.

Mais cette honte laisse rapidement place à un sentiment de dégoût. Un instinct de survie jusque-là assoupi se réveille en Lydia. Comme si les fils de son cerveau se reconnectaient pour la première fois depuis longtemps. « J’ai vu les autres anges regarder Raël, et physiquement, ça a été compliqué », raconte-t-elle. « Je me suis rendu compte que je le regardais de la même manière. Et ce n’était pas un regard sain. » Sa décision est prise : elle partira le lendemain matin, sans jamais revenir.

Son départ mettra fin à un calvaire qui aura duré plus de deux décennies. C’est néanmoins le début d’une nouvelle épreuve pour Lydia : celui de la reconstruction. « [Chez les Raëliens] il n’y avait pas de barreaux aux fenêtres… Ils étaient dans ma tête. Et ceux-là sont encore plus durs à enlever. »

Comme beaucoup d’anciens adeptes, Lydia doit d’abord affronter une réalité difficile à admettre : reconnaître qu’elle a été victime du mouvement. Une prise de conscience aussi essentielle que douloureuse, explique Pascale Duval, directrice de l’Union nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (UNADFI). « [Les anciens adeptes] ont plutôt l’impression d’avoir été victimes d’une escroquerie, ou d’avoir été trop faibles face à un abus. Ils ne relient pas leurs mésaventures à un problème sectaire. » Même après avoir pris conscience de l’emprise, « beaucoup préfèrent se taire, par honte : honte d’avoir été manipulés, d’avoir perdu le contrôle », déplore-t-elle.

Pour Lydia, il a fallu affronter « le regard et le jugement des gens », y compris de ceux qui se demandent « comment on peut être assez débile pour croire et entrer dans un tel mouvement ». Il aura fallu près de dix ans et un rendez-vous chez une psychologue – pour un tout autre motif – pour qu’elle parvienne à mettre un mot sur ce qu’elle avait vécu : l’emprise. « Je ne connaissais pas ce terme, ni ce mécanisme. Et en moi, ça a fait comme un second déclic : je me suis dit “mais en fait, ce n’est pas toi le problème”. »

Un accompagnement institutionnel quasi inexistant

Elle contactera la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) afin d’obtenir leur aide. Sans succès. « J’aurais rêvé d’un accompagnement, mais je me suis retrouvée complètement seule. » C’est là que le bât blesse : bien que la Miviludes estime à 500 000 le nombre d’adeptes à des mouvements sectaires, les dispositifs publics sont loin d’être à la hauteur afin d’accompagner les victimes. Sollicitée pour préciser les dispositifs d’aide existants, la Miviludes n’a pas donné suite à nos demandes.

En l’absence de soutien institutionnel, des associations comme le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) et l’UNADFI se retrouvent en première ligne. Pascale Duval, directrice de cette dernière, souligne la difficulté à proposer un accompagnement individualisé. Les victimes de sectes présentent souvent des profils très isolés : elles ont vécu en marge de la société pendant des années. Une fois sorties, elles se retrouvent sans famille, sans emploi, ni logement. « Certains ont besoin d’un psychologue, d’autres d’un avocat pour entamer une procédure », explique-t-elle. Une mission difficile à accomplir, d’autant plus que ces dépenses sont entièrement prises en charge par l’association, « sans subvention supplémentaire de l’État », note la directrice de l’UNADFI. La réinsertion professionnelle est également un enjeu de taille pour les anciens adeptes. « La hiérarchie est vécue comme une menace : le chef [d’entreprise] est vu comme un gourou », observe Pascale Duval. Plus généralement, la confiance envers l’autre est difficile à construire pour ceux à qui on a inculqué que « tout ce qui est extérieur est dangereux », ajoute-t-elle.

Le CCMM – à travers la voix de sa vice-présidente Francine Caumel – plaide pour une prise en charge renforcée. « L’emprise mentale n’est prise au sérieux qu’en cas de catastrophe, comme l’affaire du Temple solaire. » La mort de 74 personnes lors de suicides collectifs avait contribué à durcir la législation française, notamment à travers la loi de 2001 chargée de définir l’emprise psychologique.

En l’absence de « structure dédiée » à l’accompagnement des victimes, la vice-présidente du CCMM explique que son association est « complètement démunie ». « On agit au cas par cas, avec les moyens du bord », déplore-t-elle. Elle souhaiterait qu’un dispositif similaire à celui mis en place pour les victimes de violences conjugales, avec hébergement d’urgence et accompagnement social, voie le jour en France. Mais le phénomène sectaire n’est, selon elle, pas encore reconnu comme une problématique sociétale d’envergure.

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Le témoignage comme outil de réparation

Livrée à elle-même, Lydia Hadjara décidera 18 ans après son départ des Raëliens de mettre des mots sur ses blessures avec J’étais son esclave (éditions City), son ouvrage coécrit avec la journaliste Elsa Levy paru en 2025 — un livre cathartique, écrit comme un acte de survie et de reconstruction. Il fallait qu’elle transforme son expérience en quelque chose de positif, une question « de survie », selon elle. Plus qu’un combat, l’engagement de Lydia fonctionne comme un « médicament ». « C’est ma réparation, ma thérapie. Ça va aider les gens, mais c’est surtout pour moi, pour me réparer. »

Quelques mois après la sortie de son livre, Lydia sera attaquée en justice par Claude Vorilhon, qui exerce aujourd’hui ses activités au Japon, pour diffamation – elle l’avait comparé à Adolf Hitler lors de son passage sur l’émission Clique de Mouloud Achour. « Je m’y attendais… parce que c’est quelqu’un de très procédurier. » En revanche, ce qu’elle a eu du mal à digérer, c’est le témoignage de sa « génitrice » en sa défaveur dans les dépositions. « Même si je savais qu’elle était complètement là-dedans, je ne pouvais pas imaginer qu’elle puisse dire des choses contre moi. »

Si elle a continué à entretenir une relation sporadique avec sa mère après avoir quitté les Raëliens, Lydia décide de définitivement exclure cette dernière de sa vie après la naissance de son premier enfant. « Je suis mère de famille, et je ne comprends pas. Parce que quand on devient maman, quand j’ai mis mon fils au monde, je lui ai donné un amour inconditionnel tout de suite. Il était impossible que je puisse comprendre le comportement qu’elle a eu vis-à-vis de moi, et qu’elle ne m’ait pas protégée. »

Le doute, même après la fuite

À 43 ans, le doute est toujours au cœur de la vie de Lydia. C’est même le premier mot qu’elle dirait si elle devait se définir. Le doute constant. Sur son rôle de mère, son départ des Raëliens, mais également sur les poursuites judiciaires qu’elle a entamées à l’encontre de son premier agresseur. Elle raconte un moment marquant : après avoir échangé avec quatre autres femmes, elles aussi victimes du même homme, elle éclate en sanglots dans le métro. « Le mec s’est enfui, il habite en Afrique maintenant, et pour le moment personne ne va aller le chercher. Il vit sa meilleure vie, alors que nous, on est là à se battre », résume Lydia. Dans ces moments de désespoir, elle se met à douter : « Si ça se trouve, ce sont eux qui sont dans le vrai, tellement ils sont protégés. »

Pour autant, Lydia s’efforce de voir le verre à moitié plein malgré la dureté de ce qu’on lui a fait subir : « J’aime à croire qu’il y a des gens gentils. Je pense qu’au fond l’être humain n’est pas mauvais. Ça me fait du bien. »

Quitter une secte, ce n’est pas refermer une parenthèse. C’est en ouvrir une autre, souvent marquée par la solitude, la précarité et le silence institutionnel. Alors que les mécanismes d’emprise sont mieux compris, l’après reste une zone grise, un désert mal balisé. « La plus grande des forces, c’est de fuir », répète Lydia Hadjara. Encore faut-il, une fois dehors, trouver un monde prêt à accueillir ceux qui ont eu le courage de partir.

Alexis Rey-Millet & Ismaël Anani

ENQUÊTE : Retour volontaire : le faux choix du départ

Faute de perspectives en France, certains étrangers en situation irrégulière décident d’accepter l’Aide au retour volontaire proposée par l’État. Ce dispositif prévoit un soutien financier et un billet d’avion en échange d’un départ du territoire. Officiellement présenté comme un choix, il est souvent accepté dans un contexte de précarité administrative et sociale.

“Ça ne sert à rien de rester et de me battre pour ma régularisation. Parce que le combat va durer, je le sais”. Découragé, Wissam*, 36 ans, a baissé les bras après que la préfecture des Vosges a refusé sa demande de régularisation par le travail. Venu d’Algérie avec un visa de travail, le technicien supérieur chauffagiste a décidé d’entamer une procédure d’aide au retour volontaire (AVR) auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Avec ce dispositif, il pourrait obtenir une somme d’argent et des billets d’avion pour quitter le territoire français : “Je ne peux rester ici sans rien faire, sans être régularisé”, ajoute celui qui a dû stopper toute activité professionnelle du jour au lendemain en raison du refus de sa demande. Installé en France depuis 2021, Wissam est marié et a deux jeunes enfants, nés sur le territoire français. 

Lors d’un rendez-vous avec l’Ofii le 20 mai 2025, il a décidé d’accepter l’aide financière de 600 € par personne, en échange d’un départ vers l’Algérie. “Ils nous ont dit qu’on pourrait partir avant le 30 juin, mais nous sommes le 7 et nous n’avons toujours pas de nouvelles…”, se désole le père de famille. N’ayant plus de salaire, la famille a dû quitter son domicile et loger chez des proches. Un hébergement temporaire qu’ils devront quitter dans quelques jours : “Nous n’avons pas encore de solution pour la suite”, s’inquiète Wissam, dans l’attente de bénéficier de l’aide au retour. Comme d’autres, le technicien a abandonné ses espoirs de construire une vie stable en France. Pour Christophe Pouly, avocat au barreau de Paris, “saisir l’aide au retour volontaire, c’est signe d’avoir lâché l’affaire.” En vingt ans d’exercice, l’avocat n’a été confronté qu’à un seul client qui a saisi cette ARV. “Je fais en sorte de faire rester mes clients. Notre rôle est de trouver une solution, pas de les encourager à partir.”

Les personnes en situation irrégulière sont automatiquement informées de l’Aide au retour volontaire.

Instaurée pour la première fois en France en 1977, l’Aide au retour volontaire a été modifiée à plusieurs reprises au fil des années. A ce jour, l’Etat français propose jusqu’à 1 850 €, ainsi qu’un billet d’avion à toute personne étrangère, majeure ou mineure, qui veut quitter la France après avoir passé plus de trois mois sur le territoire. Le demandeur doit être en situation irrégulière et faire l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est l’Ofii qui s’occupe d’attribuer cette aide, à travers ses 1 400 agents répartis en directions territoriales, dans les principales villes de France.

Part d’éloignements forcés et volontaires selon les années : 2019 – 2023

En 2024, environ 7000 personnes sont retournées définitivement dans leur pays d’origine avec une ARV. “L’objectif serait d’atteindre les 10 000 par an”, ambitionne Didier Leschi, directeur de l’Ofii. En complément, une aide à la réinsertion peut aussi être accordée pour les ressortissants de 23 pays, comme le Cameroun, l’Inde ou encore la Côte-d’Ivoire. Un chèque pouvant atteindre les 10 000 €, selon la Cour des comptes. 

Un dispositif avantageux pour l’Etat français

Quelle différence avec une expulsion forcée ? L’ARV permet de faire des économies : “Les retours contraints coûtent au moins le triple”, affirme Didier Leschi. La Cour des comptes ajoute même que “ce dispositif présente un rapport coût-bénéfice très favorable.” Le coût d’un éloignement forcé avoisine les 14 000 €, contre 3 000 € pour l’ARV. Pour Jean-Pierre Cassarino, politologue au Collège d’Europe, ce dispositif offre un autre avantage aux pouvoirs publics : un allègement au niveau judiciaire. En acceptant un retour volontaire, la personne renonce définitivement à accéder à l’asile. Autrement dit, si une demande d’asile était en cours, elle est automatiquement annulée.

Clara Lecadet, anthropologue au CNRS, souligne que l’ARV permet de donner une meilleure image de l’action de l’Etat. “Le gouvernement pourra dire : “regardez comme je suis efficace !” Les gens ont seulement besoin de réponses, pas de savoir si celle-ci est adéquate”, alerte Jean-Pierre Cassarino. 

Je suis déçue de la finalité des choses »

Hébergée au centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) d’Asnières-sur-Seine, Amina* est l’une des rares personnes à suivre le processus d’aide au retour volontaire. Accompagnée par cette structure, gérée par France Terre d’Asile, la jeune femme de 29 ans a décidé de regagner le Tchad après avoir été déboutée de sa demande d’asile il y a quatre mois. Arrivée en décembre 2023 sur le territoire français après avoir fui le pays avec son quatrième enfant, empoisonné par la coépouse de son mari alors qu’il n’avait que 11 mois. Depuis un an et demi, elle attend d’obtenir l’asile pour que ses trois autres enfants la rejoignent en France. 

Après avoir épuisé tous les recours pour obtenir l’asile, Amina a abandonné l’idée de rester en France. “J’ai quitté le pays en espérant avoir la protection française et faire venir mes enfants, mais ça n’a pas marché. Je suis obligée de repartir malgré les problèmes qui m’attendent là-bas”, explique-t-elle avec regret, dans le bureau où elle vient régulièrement échanger avec les employés du CADA. Désormais, “le plus important, c’est de rejoindre mes enfants”, assure la jeune femme d’une voix serrée. C’est avec certitude qu’elle explique avoir accepté les 1600 euros proposés par l’Ofii “Je leur ai dit que je pouvais partir dès le 28 juin, j’attends qu’ils m’envoient les billets d’avion.” Un vol vers ses enfants, mais aussi vers son passé et des traumatismes, à la mention desquels Amina ne peut retenir ses larmes. “J’ai peur de retrouver la même situation qu’à mon départ. Je dois revenir pour éviter que mes enfants restent en danger avec la femme qui leur a fait du mal”. Une fois sur place, la jeune mère pourra retirer l’argent promis par l’Ofii, grâce à un code Western Union ne permettant de récupérer l’argent que dans le pays de retour. Mais après son atterrissage à N’Djamena, rien ne lui est assuré : “Je ne sais pas si je vais pouvoir travailler”, s’inquiète Amina. Employée des douanes avant son départ de la capitale tchadienne, elle sait qu’elle ne sera pas réembauchée après un an et demi d’absence. C’est le retour dans la vie qu’elle avait souhaité quitter. “Je suis déçue de la finalité des choses, mais aujourd’hui je ne m’y retrouve plus ici”, regrette-t-elle, tout en reconnaissant l’aide apportée par France Terre d’Asile. Dans un mois, Amina aura normalement quitté la France et les couloirs du CADA, faute d’alternative viable pour elle et ses enfants dans l’Hexagone. 

Un exemple très minoritaire d’une bénéficiaire de l’Aide au retour volontaire parmi les deux tiers de demandeurs d’asile à l’OFPRA en 2024 déboutés de leur demande. Karine, bénévole au pôle “éloignement” de l’antenne de la Cimade des Batignolles, à Paris, témoigne en effet d’un très faible nombre de personnes intéressées par l’aide au retour. “Je les informe toujours de cette possibilité, mais jamais personne ne m’a dit être intéressé”, explique-t-elle. Selon la retraitée habituée des locaux de l’association située boulevard de Clichy, “cette aide reflète le durcissement de la politique migratoire de ces dernières années”. Un retour dans son pays d’origine peut-il alors vraiment être volontaire ? 

 

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« Leur parcours est dans une impasse »

Clara Lecadet considère que dans un “contexte politique marqué par une coercition extrême pour les étrangers sans papiers”, la terminologie de “retour volontaire” est à remettre en question. “Il est difficile d’invoquer la volonté individuelle et le libre-arbitre”, souligne la spécialiste des migrations. Le politologue Jean-Pierre Cassarino note également un durcissement du système d’asile en France qui joue sur sa confiance dans l’ARV. “On propose ce programme à des personnes dont les perspectives d’insertion dans la société sont de toute manière très réduites. Il n’y a rien de moins volontaire qu’un retour volontaire”. Un constat partagé jusque dans les bureaux de la direction de l’Ofii : “Si ces gens acceptent l’aide au retour volontaire, c’est parce que leur parcours est dans une impasse”, admet Didier Leschi. 

Jacqueline est interprète pour ISM interprétariat : une entreprise qui travaille régulièrement avec l’Ofii. Cette spécialiste de la langue serbo-croate assiste et traduit de nombreux entretiens par téléphone, entre des agents de l’Ofii et des ressortissants du Kosovo, de la Bosnie, ou encore de la Serbie. Après 10 ans à écouter des récits d’exil variés, Jacqueline l’assure, “je n’en ai connu aucun prêt à revenir en arrière après de telles galères”. 

Au sein du processus d’aide au retour, on distingue toutefois, selon François Héran, sociologue, démographe et professeur au Collège de France, un “effet d’aubaine” pour certains de ses bénéficiaires. “Ce sont les personnes qui bénéficient du dispositif de l’Etat pour recevoir de l’argent supplémentaire, alors qu’ils avaient déjà prévu de partir” En cause, les personnes décrites par Clara Lecadet, suite à ses observations de recherche, “de la classe moyenne qui sont un peu plus aisés matériellement, et qui font un séjour en immigration dans des conditions tout autres qu’un immigré malien sans papiers par exemple”. Ce dispositif serait ainsi détourné par certains “de manière un peu opportuniste, sans que ce soit forcément négatif, par exemple pour aider à démarrer un petit projet professionnel après des études à l’étranger après lesquelles on avait déjà décidé de revenir”. Tandis que pour d’autres, l’aide au retour ne serait qu’une expulsion masquée, selon Jean-Pierre Cassarino. 

Une proposition peu attractive

Contrairement à Oussama et Amina, pour la majorité des personnes éligibles à l’ARV, l’option d’un retour n’est pas envisageable. C’est le cas de Richard*, un cinquantenaire originaire de Côte d’Ivoire, qui s’est vu refuser l’asile il y a quelques semaines, après un recours devant le tribunal. Ce vendredi 6 juin, il a rendez-vous avec le chef de service du CADA de Vaux-le-Pénil, Freddy Matundu Lengo, où il est hébergé. Dans ces locaux implantés en Seine-et-Marne, une dizaine de jeunes bénévoles en effervescence s’empresse d’accueillir les rendez-vous de la journée. 

Installé dans le bureau de M. Matundu Lengo, Richard apprend la nouvelle : il dispose de trois semaines pour quitter son hébergement. Le choc est dur à encaisser : “Ça n’est pas facile”, souffle-t-il, le regard tourné vers ses baskets. Pour cet homme, déjà passé par la Tunisie et l’Italie, la France était porteuse d’espoir. “Moi je veux bien tout faire, sortir les poubelles, nettoyer le métro…”, assure-t-il.

Richard a reçu sa notification de sortie du CADA de Vaux-le-Pénil.

Face à lui, derrière son ordinateur, le gérant du CADA l’informe qu’il pourrait bénéficier de l’aide au retour volontaire pour retourner en Côte d’Ivoire. “Je suis désolé monsieur. Je sais que vous êtes quelqu’un de bien, vous nous avez aidé à plusieurs reprises.”, ajoute-t-ilLorsque ce dernier quitte la pièce, Richard confie ne pas avoir l’intention de saisir cette aide : “J’irai au rendez-vous proposé par l’Ofii, mais ce n’est pas possible pour moi de repartir. Là-bas les gens s’entretuent, j’ai déjà été menacé.”

Au-delà des conditions de vie difficiles dans de nombreux pays, le psychanalyste Davide Giannica affirme qu’un retour peut être vécu comme un échec. “Il y a une forme de contrat migratoire entre l’immigré et la famille qui a investi dans le départ”, explique-t-il. Dans certains pays, il observe que la figure du migrant est encore très valorisée. “Avoir un fils migrant, c’est comme avoir un fils médecin. Il apporte une image narcissisante. Alors, face au retour, certains préfèrent la mort physique à la mort sociale dans leur pays d’origine”. Le retour est d’autant plus déstabilisant “qu’on ne retrouve jamais ce qu’on a laissé derrière soi : c’est comme un deuxième exil”, ajoute le chercheur. Pour lui aussi, l’illusion du choix masque une contrainte réelle du dispositif : “Les conditions d’accès aux soins, d’obtention des papiers ou d’asile sont devenues de plus en plus difficiles à obtenir en France. Alors, quand on offre la possibilité de choisir, c’est en réalité un non-choix.”

Un « marketing » du retour volontaire

Pour François Héran, l’attractivité du dispositif de l’ARV dépend aussi du pays en question. “Il ne suffit pas de recevoir de l’argent, il faut que le pays de retour sécurise les projets financiers des personnes. Il y a beaucoup d’endroits où le droit de propriété n’est pas vraiment garanti.” L’efficacité des dispositifs et leur cohérence sont ainsi très variables selon les contextes nationaux. 

Au Cameroun, l’Association des rapatriés et de lutte contre l’émigration clandestine (ARECC) participe à l’accueil des migrants de retour, en partenariat avec l’OIM. Son directeur, Robert Alain Lipothy, explique les aider à “bâtir des business plans”, en accompagnement d’un soutien psychologique, mais reconnaît recevoir très peu de bénéficiaires de l’aide au retour volontaire depuis la France. L’association, majoritairement composée d’anciens migrants, déplore aussi un manque d’investissement de l’État camerounais dans la réinsertion de ses ressortissants. Selon Jean-Pierre Cassarino, peu de pays ont véritablement intégré ces retours dans leurs politiques publiques, illustration de l’échec de la procédure. “Comment se fait-il qu’il n’y ait aucune insertion dans le paysage institutionnel concernant le retour volontaire ?”, souligne-t-il. 

Même lorsqu’un retour est assorti d’une aide financière, celle-ci ne garantit pas la réussite d’un projet : entre formations inadaptées, absence d’insertion durable et reconversion subie, beaucoup peinent à transformer ce soutien en véritable nouveau départ. “Derrière l’image d’un retour préparé se cache souvent un marketing du retour volontaire”, considère Jean-Pierre Cassarino. Une stratégie qui ne parvient pas à masquer le sentiment d’abandon éprouvé par ceux qui, comme Amina ou Wissam, doivent repartir avec une modeste somme, mais sans perspective. “Ma famille n’est pas au courant de mon retour”, explique Amina. Incertaine quant à son avenir à N’Djaména, elle souhaite avant tout retourner auprès de ses enfants. “C’est le seul choix qui me reste.”

Elisa Dutertre et Zoé Vezyroglou

Université des Antilles : des formations encore limitées malgré une diversification

c/Alix Wilkie

Avec quelque 4 500 étudiants inscrits chaque année, l’Université des Antilles reste le principal acteur de l’enseignement supérieur en Martinique. Sur le campus, les filières généralistes — lettres, droit, sciences humaines, économie ou biologie — structurent une offre académique classique. À cette base s’ajoutent des formations plus professionnalisantes, proposées notamment à l’IUT avec des BUT en informatique, logistique ou gestion des entreprises.

Dans le champ de la santé, la filière médecine attire un nombre croissant d’étudiants, avec environ 200 places proposées. Mais comme pour d’autres disciplines, le parcours reste partiel : au-delà des premières années, les étudiants doivent poursuivre leur cursus en Guadeloupe ou en métropole. Même contrainte pour les études de pharmacie ou de kinésithérapie, inexistantes localement.

L’université dispose également d’un pôle de formation aux concours de l’enseignement, avec des préparations aux concours du professorat des écoles, du CAPES ou de l’agrégation. Elle développe par ailleurs des partenariats à l’international, notamment via le programme Erasmus+, offrant aux étudiants des possibilités de mobilité en Europe ou aux États-Unis.

Malgré ces évolutions, l’offre reste insuffisante pour répondre à la diversité des aspirations étudiantes. Faute de masters spécialisés, d’écoles intégrées ou de filières dans le domaine de l’ingénierie, des arts ou des sciences politiques, plusieurs centaines de bacheliers quittent chaque année le territoire pour poursuivre leurs études ailleurs. Un départ souvent présenté comme provisoire, mais qui s’inscrit dans un phénomène de mobilité durable, voire définitive, faute de conditions suffisantes de retour.

Christiane Taubira, l’Outre-mer au cœur de la République

Née à Cayenne en 1952, Christiane Taubira quitte la Guyane à 18 ans pour poursuivre ses études en métropole. Elle obtient un diplôme en économie à Paris II, en sociologie à la Sorbonne, et passe par Sciences Po. Issue d’un milieu modeste, elle construit un parcours universitaire solide, qui la mène jusqu’à l’Assemblée nationale. Élue députée de Guyane en 1993, elle s’impose par son indépendance et sa liberté de ton. En 2001, elle fait adopter la loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Militante indépendantiste dans sa jeunesse, cofondatrice du Parti walwari, elle a également été candidate à l’élection présidentielle de 2002. Nommée garde des Sceaux en 2012, elle défend avec force le mariage pour tous, devenant une figure centrale du quinquennat Hollande. Première femme noire à diriger un ministère régalien sous la Ve République, elle s’est hissée au sommet de l’État sans jamais renier ses origines.