L’urbex, cette pratique en vogue mais pas sans danger

L’urbex, ou exploration urbaine de lieux abandonnés, est en plein essor, mais elle n’est pas sans risques. La pratique interdite est plus populaire que jamais, mais son danger interpelle à la veille d’une marche blanche pour Stébane Bail, 14 ans, mort en mai lors d’un urbex à Cambrai.

 

« Cette famille entière a disparu et aujourd’hui me voici dans leur maison abandonnée depuis 10 ans ! ». L’urbexeuse connue sur les réseaux sociaux sous le pseudo « Juju_urbex » publie régulièrement des vidéos de ce genre sur Tik Tok et Instagram, avec près de 270 000 abonnés. L’urbex, l’exploration urbaine de lieux laissés à l’abandon, est en plein essor, malgré son interdiction en France. Beaucoup d’influenceurs comme Juju_urbex ou la youtubeuse Silent Jill rencontrent un franc succès. Mais depuis quelques années les risques de cette pratique interrogent. Ces dernières semaines, en France, trois adolescents sont décédés en faisant de l’urbex, dont Stébane Bail qui a chuté d’un toit le 15 mai dernier.

 

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« Ça a toujours été une pratique risquée. L’urbex s’est développé dans les années 1990, où il n’y avait ni internet, ni réseaux sociaux, donc c’était plus confidentiel », explique Aude Le Gallou, docteure en géographie urbaine, spécialisée dans l’urbex. « Ce qui change ce n’est pas le danger mais le public qui a découvert cette pratique avec les réseaux sociaux, qui est de plus en plus jeune et moins sensible aux risques », détaille la chercheuse.

Il y a de quoi prendre le goût du péril dans ces endroits suspendus dans le temps, où la nature reprend parfois ses droits. Avec « juju_urbex » et son exploration déconcertante de Tchernobyl, ou encore la youtubeuse Enjoy Phoenix et ses enquêtes paranormales dans des lieux abandonnés, l’urbex prend une tournure sensationnelle et aguicheuse. C’est ce qui a poussé de plus en plus de jeunes à partir explorer, se mettre en scène, parfois seuls. « Près de chez moi, il y a un orphelinat abandonné. Quand j’étais encore au lycée, j’y suis allé tout seul, j’avais envie de voir à quoi ça ressemblait », relate Axel, 19 ans, vivant près de Tours, adepte de l’Urbex.

La préparation est indispensable

 

« Mon premier urbex, c’était à Montrouge dans un ancien asile psychiatrique, j’avais 16 ans à l’époque, à cet âge on n’a pas conscience des risques qu’on prend », raconte Lucille, 28 ans, qui a quelques explorations à son actif. « Il n’y avait aucune préparation, donc c’était un peu dangereux, dans le sens où on n’avait pas de lampe frontale, pas de compresses en cas de blessure, ni même de code en cas de danger », reconnait la jeune femme.

Car tous les adeptes de l’exploration urbaine s’accordent dessus : la préparation est très importante pour la sécurité. « Il y a toute une série de petites choses auxquelles il faut faire attention. Il faut prendre à manger, une trousse de premier secours , des chaussures solides en cas de bris de verre… », rappelle Aude Le Gallou, experte de l’urbex, avant de concéder que ces précautions « limitent les risques, mais ne les font pas disparaître ».

Les dangers de cette pratique peuvent parfois être funestes, comme avec la mort de Stébane Bail, 14 ans, décédé après une chute depuis le toit d’une usine désaffectée à Cambrai, dans le Nord. Un mois plus tôt, une jeune fille de 15 ans s’est aussi tuée en exploration, dans des circonstances similaires, à Unieux (Loire). « L’urbex se fait dans des endroits abandonnés, pas entretenus, avec une structure délabrée. Les toits comme dans les usines désaffectées sont faits en matériaux qui ne supportent pas le poids d’une personne », reconnaît Aude Le Gallou, déplorant ces accidents tragiques.

« Les toits comme dans les usines désaffectées sont faits en matériaux qui ne supportent pas le poids d’une personne », Aude Le Gallou, docteure en géographie urbaine.

« Il faut regarder l’état du bâtiment en amont, savoir si c’est délabré, s’il y a un risque d’écroulement. Le plancher des étages peut être endommagé, il faut privilégier le rez-de-chaussée. Sinon, il ne faut pas y aller » , préconise Axel, qui a déjà fait plusieurs explorations, avançant l’idée qu’il « faudrait plus de régulation de l’urbex en France ».

Faut-il réglementer ?

 

Faire de l’urbex est bien illégal en France. C’est la seule règlementation qui encadre la pratique, et qui lui donne aussi toute sa raison d’être. Le frisson de l’interdit rend l’expérience inédite. « Réguler, ça n’aurait pas de sens. C’est de l’essence de l’urbex d’être informel et pas encadré. On peut imaginer des variations légales mais ça deviendrait du tourisme, un loisir qui devient inspiré de l’urbex », observe la docteure Aude Le Gallou.

En attendant, les vidéos d’urbex continuent de pulluler sur les réseaux sociaux, et la tendance n’est pas près de s’essouffler. Dans les années à venir, « il faut s’attendre à ce que ça attire plus de gens », soulève la chercheuse. « Tant qu’il y aura des lieux abandonnés, ça va continuer à se développer. Même si ça inquiète les pouvoirs publics, il y a tellement de friches que les propriétaires laissent à l’abandon, et des mesures sont rarement prises », précise Aude Le Gallou.

Emma Launé-Téreygeol

 

La mode de l’exploration sur YouTube inquiète les puristes

McSkyz fait partie de ces « youtubeurs-urbexeurs » / Capture d’écran

Elles ne cessent de se multiplier sur la toile. Sur YouTube, nombreuses sont les vidéos et chaînes dédiées à l’exploration urbaine. Un phénomène qui fait le bonheur des internautes en quête de sensations fortes mais qui dénaturerait la pratique de l’Urbex selon les puristes.

McSkyz, Jack’s Universe, Daftintin… Sur la plateforme, presque tous les youtubeurs-explorateurs ont un pseudo. Une question d’image mais aussi et surtout d’anonymat comme l’explique zeib qui tient à protéger son identité : “On me voit très peu dans mes vidéos d’ailleurs, la magie du montage aide beaucoup”, confie-t-elle.

La plupart de ces youtubeurs justifient leur démarche par le fait de pouvoir partager leurs expériences à des personnes qui n’auraient pas forcément le courage ou les moyens d’aller dans ces lieux. Mais ce qui est critiqué, c’est l’abus de titres racoleurs qui ne reflète pas la mentalité des urbexeurs : “Le problème est que 90% de ces vidéos sont faites sous l’angle de la peur […] Ça ne m’intéresse pas car quand on visite un lieu de jour avec des potes, c’est juste hyper calme, il fait beau on est tranquille et ça ne fait pas peur du tout”, déplore Timothy Hannem, urbexeur depuis près de 30 ans.

Autre reproche fait à leur encontre : le non respect des règles de l’Urbex comme la confidentialité des lieux : “Il n’y a souvent aucun montage. Ils filment simplement leur visite d’un manoir par exemple. Ils arrivent dans une pièce où il y a pleins de trucs par terre et ils filment de près les enveloppes où on voit le nom de la ville et tout ce qui permet de localiser le lieu”. De ces comportements résulte la médiatisation de spots qui attirent de nombreux curieux ne venant pas forcément visiter, “Certains viennent seulement pour dégrader ou voler. Ça c’est juste catastrophique”, poursuit “Tim”.

“Il y a forcément des personnes qui critiquent et qui disent qu’à cause de moi le lieu va tourner, que des gens vont s’y rendre et y voler des choses alors que je ne donne aucune indication”, se défend Raphaël, urbexeur et youtubeur depuis deux ans. Le jeune homme déplore que certains de ses camarades vidéastes ne préviennent pas leurs abonnés des dangers de l’Urbex : “Il y a beaucoup d’enfants sur YouTube et en vulgarisant la discipline ils donnent l’impression d’une activité qui s’apparente à un jeu. Mais ça ne l’est pas, il y a des risques.”

A cela s’ajoute préparation, tournage et post-production des vidéos. Un travail conséquent pour ces youtubeurs, mais un fardeau plus qu’autre chose pour Anoushka : “Je ne vois pas trop l’intérêt d’avoir une chaîne YouTube, ça gâche un peu la visite car ils se sentent obligés de parler et de commenter tout ce qu’ils voient. Même la photo parfois je me dis que ça gâche le moment présent.”

Hugues Garnier

Timothy Hannem, l’urbexeur qui remue le passé

La Maison d'Enfants de l'Avenir Social (Orgemont, Essonne), aussi connue sous le nom de "L'Orphelinat Sans Avenir" / © glauqueland.com
La Maison d’Enfants de l’Avenir Social (Orgemont, Essonne), aussi connue sous le nom de « L’Orphelinat Sans Avenir » / © glauqueland.com

C’est con, mais tu te sens un peu utile”. C’est en ces mots que Timothy Hannem résume son plus beau fait d’armes. Tout commence en 2007. “Tim” est un passionné d’Urbex, et raconte toutes ses explorations en dessins, photos, vidéos et textes sur ses différents blogs. À cette époque, il reçoit un mail dévoilant l’existence d’un orphelinat abandonné : la Maison d’Enfants de l’Avenir Social, à Orgemont (Essonne). Aucune information n’existe sur cet endroit. Après plusieurs repérages, “Tim” adapte ses explorations sur place en une petite BD à l’été 2008. Mais cette fois-ci, l’homme prend soin de bien mentionner le nom du lieu. Il a une idée derrière la tête : “Comme ça, d’anciens pensionnaires pouvaient facilement retrouver le lieu sur Internet et commenter ma note”. Et ça marche. Deux semaines après, plusieurs anciens résidents réagissent aux petits dessins de “Tim”. Le blogueur assiste virtuellement à des retrouvailles vingt ans plus tard. “C’était assez émouvant”, confie-t-il. Printemps 2011, le dessinateur reçoit un mail d’un homme de 35 ans. “Il m’explique qu’il avait sept/huit ans lorsque l’orphelinat a fermé”, détaille “Tim”. « Il m’a proposé de le rencontrer sur place pour tout me raconter”. Avec trois autres anciens pensionnaires, l’homme fait revivre au blogueur cette nuit de janvier 88, où des membres de la CGT ont mis tout le monde à la porte. Une histoire de conflit du travail qui aboutit à cette tragédie et à l’abandon du domaine. En divulguant l’adresse, “Tim” a violé un règle fondamentale de l’Urbex. Sans regrets.

Sébastien Rouet

3 questions à… Thomas Bys, infirmier-urgentiste et “nurbexeur”

 

© Thomas Bys
Pouvez-vous définir ce qu’est le “nurbex” ?

Le nurbex est l’alliance entre l’urbex et la photographie de nu artistique. Lorsque j’ai créé le groupe Facebook “Nurbex – Nude in Urban Exploration Urbex” il y a deux ans, aucun autre ne portait ce terme sur la plateforme. Cependant, le terme existait déjà sur le web, mais n’était pas très répandu. C’est le monde francophone qui utilise le plus cette appellation.

Quelle relation entretenez-vous avec les autres explorateurs ?

Nous croisons de plus en plus d’urbexeurs car la discipline se popularise fortement. Mais cela se passe généralement toujours bien sur le terrain, parce que les gens que nous croisons sont souvent les plus gênés face au modèle contrairement à ce que l’on pourrait croire. En revanche, nous sommes complètement décriés sur la toile car beaucoup ne nous considèrent pas comme des urbexeurs “puristes”. Une minorité estime que l’on manque de respect vis-à-vis des lieux. Pourtant, nous avons les mêmes règles morales qu’eux : on ne casse rien, on ne vole rien, on ne bouge rien.

Comme l’urbex, le nurbex connaît-il des dérives ?

Je le vois sur le groupe Facebook que j’administre, le nu artistique fait toujours face au problème de la vulgarité. Il y a en effet des photographes qui utilisent le prétexte du lieu abandonné pour réaliser ce type de photo. Les soucis les plus récurrents sont soit un modèle qui ne domine pas la photo, soit il n’y a pas l’esthétisme nécessaire pour faire de l’érotisme. On se retrouve finalement avec de la photo brute, et parfois limite porno, ce qui est à des milliards de kilomètres de notre démarche.

Cliquez ici pour voir le travail de Thomas Bys !

Sébastien Rouet