« Aujourd’hui est la première journée d’un grand mouvement » : devant la gare du Nord, les partisans de la mobilisation « bloquons tout » parlent d’une même voix

À Paris, la gare du Nord a été l’un des principaux foyers de mobilisation ce mardi 10 septembre, dans le cadre de la journée d’action du collectif « Bloquons tout ». Plusieurs milliers de partisans du mouvement ont convergé vers le bâtiment et tenté d’y entrer.

 

Difficile de rentrer dans la gare du Nord, à Paris, ce matin : faute de pouvoir y accéder, la foule compacte converge devant l’édifice, tandis que des CRS sont postés à chaque entrée. En entendant les exclamations qui s’en dégagent, on comprend rapidement que le lieu est devenu un point de ralliement anti -macroniste pour dénoncer les mesures budgétaires adoptées sous l’égide du président. La jeunesse, représentée en nombre, scande des slogans devenus fameux par leur caractère politique : « siamo tutti antifascisti » (nous sommes tous anti-fascistes), et «  Même si Macron ne le veut pas nous on est là ». Dans l’air, des devises telles que « le peuple se soulève », flottent comme des étendards. À contre-courant, les voyageurs souhaitant rejoindre leurs trains sont compressés, l’accès se faisant au compte-gouttes.

La jeunesse en première ligne

L’appel à manifester émanait de la SNCF, mais vers 11h, ce sont en majorité des étudiants ou jeunes travailleurs qui confluent vers la gare, après des tentatives de blocages infructueuses un peu partout dans Paris. « Ce matin, je suis passé à porte de Montreuil, puis à porte de Vincennes, mais ces mouvements ont été bloqués par les CRS », témoigne Stan, jeune intermittent du spectacle s’étant alors tourné vers ce nouveau lieu de rendez-vous. L’édifice devient un point de ralliement pour tous les partisans du mouvement « bloquons tout » lancé cet été sur les réseaux sociaux, tandis que les cheminots tiennent une assemblée générale au Technicentre SNCF de Châtillon avant de le rejoindre. L’incertitude règne quant aux principaux intéressés, comme on peut l’entendre ici ou là : « ils sont où? », « Elle est finie, leur AG? »

En les attendant, une étudiante vêtue de jean face à la foule en noir lance des appels à la « solidarité avec tous les travailleurs » pour « bloquer l’économie » face aux réformes budgétaires : les mesures annoncées par l’ex-Premier Ministre François Bayrou, dont le gouvernement a chuté lundi, est dans tous les esprits. Robin, arborant fièrement sa pancarte « taxez les riches », approuve : «  le gouvernement nous somme sans arrêt de faire plus d’efforts, que l’on fait déjà, alors que les inégalités deviennent de plus en plus flagrantes et qu’on manque d’argents dans les hôpitaux, dans les écoles ». «  Le passé nous a montré que le peuple peut gagner lorsqu’il se mobilise dans la rue », veut croire l’étudiant en histoire.

Devant la gare du Nord, point de rendez-vous du mouvement « bloquons tout », la jeunesse prend les devants avant l’arrivée des cheminots

« On a l’impression que nos votes ne servent à rien » : de la manifestation à la colère sociale

«  Il est de plus en plus difficile de s’organiser, d’avoir un vrai lieu de discussion, en raison de tous ces policiers postés partout » tempère Camille, intermittent du spectacle. Sa casquette de cuir vissée sur le crâne, le cinquantenaire se dit néanmoins « fier et optimiste » à la vue de cette jeunesse mobilisée, et se remémore avec nostalgie des manifestations de 2003 contre l’accord sur l’assurance chômage des intermittents du spectacle : « à l’époque, il était encore possible d’obtenir des victoires dans la rue. Aujourd’hui, les décisions se font de plus en plus contre le peuple, venant d’en haut ».

Une conviction regroupe tous ces manifestants : la nomination de Sebastien Lecornu au poste de Premier Ministre ne « changera rien » à la situation. « C’est un fidèle de Macron, qui suivra la même politique. On a l’impression que nos votes ne servent à rien », s’agace Lancelot, brandissant sa pancarte « Stop Pub » aux cotés de son ami Robin.

Lancelot et Robin sont venue depuis l’Aveyron pour prendre part au mouvement « bloquons tout », ce matin devant la gare du Nord.

Les cheminots rejoignent la foule

Les voix se font de plus en plus fortes et des fumigènes de couleur flottent dans l’air lorsqu’arrivent les cheminots, vers 11h40. Microphone à la main, Anasse Kayib, membre de leur syndicat et du parti Révolution Permanente, martèle au cours d’un débrief express : « Nous espérons qu’aujourd’hui est la première journée d’un grand mouvement ». «  S’il n’y a pas un train qui part de gare du Nord, pas un avion qui sort de Roissy, on sera obligé de nous entendre », scande à son tour Marcel, conducteur de tramway. Selon Émile, technicien de maintenance, l’AG de Châtillon a été « une réussite » : « nous étions 150 et avons cherché à mobiliser tous nos collègues. Depuis 2014, nous n’essuyons que des défaites mais nous pensons que ce mouvement peut changer les choses : le taux de grévistes a été estimé à 40%, et nous avons massivement voté pour la reconduire le 18 septembre ». Émile se dit aller dans le sens des revendications portées par la CGT cheminots, portant sur « une augmentation générale des salaires, l’abrogation de la contre-réforme des retraites de 2023, l’arrêt de toutes les réorganisations et suppressions d’emplois », face à une politique « d’austérité », comme l’indique un communiqué posté hier.

Marcel et Emile, conducteur de tram et technicien de maintenance pour la SNCF, se sont rendus à la mobilisation de la gare du Nord suite à l’Assemblée générale des cheminots.

Annasse Kayib appelle la foule à s’asseoir, et à qui le souhaite de venir prendre la parole. Le parvis de la gare du Nord se transforme alors en Assemblée Générale géante, où les revendications des cheminots se mêlent à celles de lycéens ou professeurs, déplorant l’insalubrité des établissements scolaires et le manque de personnel.

Vers midi, une réunion entre partisans du mouvement « bloquons tout » s’est improvisée sur le parvis de la gare du Nord

«  On a compris les revendications, il faut maintenant s’organiser pour faire bouger les choses! », s’irrite un homme, la réunion devenant manifestement un peu trop longue à son goût. Comme pour lui répondre, la foule se lève comme un seul homme vers 13h30 pour rejoindre l’ultime rendez-vous du mouvement : Châtelet-les-Halles.

Margot Mac Elhone

Corée du Sud : une grève historique des salariés de Samsung Electronics

Pour la première fois de son histoire, le plus grand groupe d’électronique du monde, Samsung Electronics, a subi une grève de ses employés à Séoul, ce vendredi 7 juin. Un moment historique pour le conglomérat sud-coréen, qui a vu plusieurs milliers de ses employés se mobiliser pour faire entendre leur colère. Explications.  

Des milliers d’employés se sont réunis devant le siège de Samsung Electronics à Séoul ce vendredi 7 juin. Leur revendication : une augmentation des salaires d’au moins 6%. Cela fait suite à plusieurs mois de négociation entre les syndicats et la direction qui peinent à dialoguer entre eux. D’un côté, les représentants des employés dénoncent la responsabilité de l’entreprise dans ce dialogue de sourds. D’un autre côté Samsung répond en instaurant un sixième jour de travail pour les managers afin de rassembler les cadres de l’entreprise le weekend pour discuter des stratégies de gouvernance. Face à cette situation, des milliers d’employés ont posé une journée de congé ce vendredi pour faire entendre leur revendication.

Si pour la France, la grève est un droit fondamental régulièrement utilisé pour faire pression sur la direction d’une entreprise, en Corée du Sud cela est loin d’être habituel. En témoigne cette toute première grève au sein de ce groupe mondialement connu qui rassemble plus de 125.000 employés. Au-delà du fait que la Corée du Sud ne soit pas proche de cette culture de la grève, ce moment est aussi historique car Samsung a longtemps été engagé dans une lutte antisyndicale. C’est seulement en 2010, 41 ans après la création de l’entreprise, que le premier syndicat a été créé.

« Il n’y a aucun impact sur la production et les activités commerciales »

Cette première journée de grève historique n’aura sûrement pas une conséquence forte sur la production de Samsung. Dans un communiqué, l’entreprise explique « qu’il n’y a aucun impact sur la production et les activités commerciales. Le taux d’utilisation des congés payés le 7 juin est inférieur à celui du 5 juin de l’année dernière ». En effet, ce jour de perturbations tombe un vendredi après un jour férié et avant le week-end, une journée où les employés des grands conglomérats sud-coréens font généralement le pont.

 

Noa Perret

Fridays for future France, un mouvement pour le climat qui irrite

Vendredi 23 septembre 2022, le mouvement Fridays for future France a organisé une nouvelle grève pour le climat à Paris. Accusé trop proche des partis politiques ou pas assez démocratique, le mouvement divise au sein des militants écologistes.

La grève historique pour le climat du 15 mars 2019 qui avait regroupé 35 000 jeunes semble loin. Ce vendredi 23 septembre 2022, une centaine de personnes se sont rassemblées place Baudoyer à Paris à l’appel du collectif Fridays for future France. La petite foule est essentiellement constituée de journalistes, de représentants de syndicats étudiants ou de groupes de jeunes affiliés à un parti politique. Les jeunes moins politisés, venus sécher les cours pour la cause climatique, sont très minoritaires.

La faute à un problème de communication? « On est allés devant le Panthéon avant de voir que c’était ici », explique une étudiante. Sur Facebook, un autre événement annonçait la tenue du rassemblement devant le Panthéon. Arrivée là-bas, l’étudiante n’a trouvé personne. « C’est à cause d’une sorte de scission, ils ont essayé de saboter le rendez-vous », glisse une élue à son voisin qui ne trouvait pas l’adresse. “Ils” ne sont pas nommés, mais désignent le mouvement local de Youth for climate France. Car les deux groupes, qui se réclament tous deux du mouvement international Fridays for future se disputent son héritage. Ces grèves mondiales des vendredis pour le climat ont été initiées par la jeune militante Greta Thunberg le 20 août 2018 devant le parlement Suédois. L’objectif : interpeller les politiques sur le réchauffement climatique. 

La grève de vendredi était organisée par le groupe Fridays for future France. L’antenne française du mouvement international Fridays for future? Oui et non. D’ailleurs c’est plutôt flou dans l’esprit de Grégoire, étudiant en première année d’économie. « Ils ont tous un peu repris le mouvement de Greta Thunberg, de faire des grèves pour le climat, non? » A l’origine les mouvements francophones (France et Belgique) issus des Fridays for future international se nomment Youth for climate. Actif depuis 2019, le mouvement réunit une soixantaine de groupes locaux dans toute la France.

des membres dissidents de youth for climate France

Alors qu’est ce que le mouvement Fridays for future France (FFF France) ? Le groupe a été créé à la veille de la manifestation internationale pour le climat du 25 mars 2022, « par deux personnes du mouvement de Youth for climate qui n’étaient pas d’accord avec la stratégie », pointe Martin, militant à Youth for Climate (YfC) Ile de France. Des questions de stratégie qui concerneraient la répartition du pouvoir, « horizontale » chez YfC.

Pour Pablo, l’un des membres fondateurs de FFF France, l’objectif était « de se concentrer sur les grèves pour le climat du vendredi », face à une organisation qui engloberait d’autres luttes, en lien avec la question sociale et anticapitaliste. « Il y a d’autres pays où plusieurs groupes sont issus de Fridays for future, il n’y a pas de barrières et il faut encourager les jeunes à intégrer ce mouvement ». Une vision qui ne passe pas auprès de Youth for Climate qui se réclame seul héritier du mouvement international : « le groupe joue sur l’ambiguïté du nom, et veut récupérer quatre ans de lutte ».

 « Il faut se concentrer sur les grèves pour le climat »

– Pablo, cofondateur de Fridays for future France

L’organisation verticale du nouveau collectif est aussi vivement critiquée. « Il y a seulement deux porte-paroles alors que la jeunesse est plurielle et diverse », reproche Martin. Fridays for future France regrouperait « plus d’un millier de personnes en France », garantit Pablo. Un chiffre, qui prend sa source sur le nombre de personnes assistant aux événements français inscrits sur le site international du mouvement. Or, ces personnes, qui ont pu réaliser des actions ne sont pas adhérents à Fridays for future France. Le collectif regroupe en réalité, 9 membres fondateurs et une vingtaine de personnes qui coordonnent les actions. « Enfin, après le 23, on se structurera localement », s’empresse d’ajouter Pablo.

Ces évènements locaux, sans militants sur place pour les organiser, sont l’un des points de crispation pour Youth for Climate envers le jeune mouvement. « Localement, aucun militant de Fridays for future France n’est présent, ils jouent sur le fait que nous, nous sommes là pour gérer », fustige Martin.

Une organisation apartisane ?

« On est un mouvement apartisan et eux sont reliés aux jeunes écologistes. FFF France, c’est un cheval de Troie pour permettre à des organisations politiques de nous récupérer », ajoute le porte-parole de YfC., « Un comité inter-organisationnel réunit FFF France, l’UNEF, le syndicat Alternative et les Jeunes écologistes », précise pendant l’événement Annah, membre des jeunes écologistes. « FFF France est résolument apartisan », assure Pablo en indiquant la présence, aussi, de jeunes insoumis à la tribune, « mais les organisations de jeunesse politiques sont les bienvenues » ajoute-t-il.

Preuve du malaise, des membres de Youth for Climate sont présents, en anonyme. « Ils ne voulaient pas forcément prendre la parole », glisse Annah. Les Jeunes écologistes auraient proposé aux deux organisations de collaborer, sans « vouloir prendre parti dans leurs histoires internes ».

« Il y a seulement deux porte-paroles alors que la jeunesse est plurielle et diverse »

– Martin, porte-parole de Youth for Climate

C’est aussi l’avis de Mathis, membre des FFF France. « YfC ne faisait plus régulièrement de grève pour le climat en séchant les cours en semaine, donc il y a eu l’idée de faire un autre mouvement, mais on n’a rien contre eux », explique celui qui a rejoint FFF France à ses débuts. A 12 ans, c’est sa quatrième grève pour le climat.

Le groupe international Fridays for future ne s’est pas encore prononcé sur la reconnaissance du groupe national du même nom. De leur côté, le groupe Youth for Climate préfèrent organiser une manifestation dans les rues de Paris le dimanche 25 septembre, contre la publicité en particulier, « moteur de la consommation ». Le but : empêcher la municipalité de Paris de renouveler un contrat avec Clearchannel, une entreprise de panneaux d’affichages publicitaires numériques. Délaisser les grèves du vendredi, pour privilégier des luttes locales, un changement de cap dans la stratégie d’action du mouvement, assumé par son porte-parole : « il faut agir concrètement maintenant, on veut de réelles victoires », martèle Martin.

Johanne Mâlin