Plusieurs centaines de clients Free à Paris victimes d’une fuite de données

Les données sont en vente sur un forum clandestin a indiqué jeudi Free à l’AFP. L’identité du pirate ou sa nationalité restent inconnues.

Les données de plusieurs centaines de clients Free sont en vente sur un forum clandestin, a indiqué jeudi l’opérateur français de télécommunications à l’AFP, confirmant partiellement une information du blog Zataz, qui évoquait un bien plus grand nombre de personnes concernées.

« Ce qui a été publié correspond à des infos liées à un incident identifié au mois d’août par nos systèmes de surveillance », a indiqué une porte-parole de Free à l’AFP.

Mais selon l’entreprise, il ne s’agit pas de 14 millions de clients, comme affirmé par le pirate qui cherche à vendre ces informations personnelles (nom, prénom, adresse postale, email, numéro de téléphone), mais de « quelques fiches d’abonnés » toutes situées dans les 18e et 19e arrondissements parisiens.

Free évoque un « accès salarié », « compromis par un hacker », et affirme avoir déposé plainte, déclaré l’incident à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et prévenu ses abonnés.

Une base de données à « plusieurs centaines d’euros »

Selon le journaliste et expert de la cybersécurité Damien Bancal, auteur du blog spécialisé Zataz, la base de données est proposée pour « plusieurs centaines d’euros ».

M. Bancal a pu vérifier la véracité d’une partie des informations à partir de deux échantillons diffusés par le pirate, de respectivement 1.000 et 3.000 individus. « Tous m’ont confirmé avoir été ou être clients Free », a confirmé le journaliste auprès de l’AFP.

En revanche, l’identité du pirate ou sa nationalité restent inconnues.

Les fuites de données personnelles sont très fréquentes et conduisent généralement à une mise en vente des informations sur des forums du darknet, une partie d’internet non accessible aux moteurs de recherche.

Ces données sont ensuite utilisées par d’autres pirates pour des arnaques reposant sur l’usurpation d’identité, ou pour gagner la confiance de leurs cibles en leur envoyant des emails de phishing (hameçonnage) personnalisés.

avec AFP

Russie-Ukraine : la guerre des perceptions

« False flags », cyberattaques, ou actions de propagande, l’Ukraine a fait face à une intense campagne de désinformation destinée à briser le moral de sa population et de son armée en amont de l’invasion russe du 24 février. Une campagne à laquelle Kyiv répond désormais par une vigoureuse manoeuvre de contre-propagande de guerre. Au risque d’y perdre une juste information sur l’évolution du conflit. Décryptage.

A une époque où près d’une personne sur deux dans le monde s’informe en priorité sur les réseaux sociaux, la connaissance et l’exploitation approfondies des informations issues du net permet autant d’informer que de diffuser des fausses rumeurs. Qualifiée de « laboratoire » de la désinformation après la première crise russo-ukrainienne en 2014, l’Ukraine est habituée aux tentatives d’ingérence étrangères, et à la guerre hybride. Début 2021, trois médias diffusant les positions du Kremlin avaient été ainsi interdits sur décision du président ukrainien en raison de leurs plaidoyers pro-russe. Pourtant, dans les semaines précédant l’offensive, les acteurs de la désinformation russe dans le pays intensifient leur action tandis que les cyberattaques touchent à plusieurs reprises des institutions ukrainiennes (Etat, banques). Une action d’une ampleur inédite destinée à fragiliser les institutions du pays.

 Les préparatifs de l’invasion 

Faussement attribués à la doctrine publiée par le général Guérassimov, inamovible chef d’Etat-major des armées, les modes de désinformation russes s’intègrent pour Julien Nocetti, spécialiste du numérique et chercheur associé à l’Institut français des relations internationales dans une culture stratégique ancienne : « Il y a un héritage du trucage et de la production de faux de la part de la Russie, depuis la fin de l’URSS, qui fait que tout le manuel en la matière est bien étayé et s’est très bien adapté au contexte très numérisé dans lequel on vit. »

En Ukraine, cette nouvelle maskirovka entre en action dès la fin 2021. Sur Twitter l’activité des comptes suspects véhiculant des messages de désinformation à l’attention de la population ukrainienne a augmenté de 3300 %, entre le 1er décembre et le 05 janvier 2022 (en comparaison aux niveaux de septembre 2021) d’après des résultats publiés par Mythos Lab. « Gouvernement faible » ou « incapable de protéger les frontières du pays », alarmes d’écoles sonnant sans raison, les messages démoralisant circulent rythmés par des cyberattaques régulières ciblant les infrastructures de l’Etat ou les banques du pays. Après trois jours de négociations infructueuses entre les États-Unis, la Russie et l’OTAN sur fond de renforcement des troupes russes à la frontière ukrainienne, 70 sites Web institutionnels ukrainiens sont « défacés », afin d’afficher des messages alarmants pour la population locale : « Ukrainiens! Toutes vos données personnelles ont été téléchargées sur le réseau public. Toutes les données de l’ordinateur sont détruites, il est impossible de les restaurer ».

Il y a un héritage du trucage et de la production de faux de la part de la Russie, depuis la fin de l’URSS, qui fait que tout le manuel en la matière est bien étayé et s’est très bien adapté au contexte très numérisé dans lequel on vit.

Fabriquer un prétexte à l’agression

Quelques jours avant l’invasion, des vidéos d’accrochages russo-ukrainiens fabriquées de toute pièce inondent le net. L’une d’entre elles postée sur Telegram expose un homme tenant une kalachnikov tirant dans un décor qui ressemble à s’y m’éprendre à une forêt d’Europe de l’Est.

Cette séquence de combat entre séparatistes et des forces gouvernementales pourrait avoir été tournée près de Gorlovka dans les environs de Donetsk. Elle s’avèrera pourtant être un « false flag ». Objectif : créer le prétexte d’une agression russe ou conduire le gouvernement ukrainien à déclarer une guerre qu’il n’a jamais souhaitée et ainsi porter la responsabilité du conflit. D’après l’agence TASS proche du pouvoir russe, le commando de saboteurs aurait attaqué une station d’épuration avec un baril de chlore. Le 18 février, une vidéo montrant l’accrochage avec des miliciens séparatistes est publiée sur la chaine Telegram de « Народная милиция ДНР » (Milice patriote de la république démocratique de Donetsk). Pourtant, certains détails ne collent pas. Les métadonnées, rapidement analysées par Bellingcat, un collectif d’enquêteurs spécialisé dans l’investigation en ligne, montrent que la vidéo a été filmée le 8 février, soit plusieurs jours avant la date officielle de l’incident. Par ailleurs, les sons ne correspondent pas, la bande prélevée sur la vidéo appartenant à une autre vidéo YouTube.

Premier bénéficiaire d’un dérapage menant à une escalade le pouvoir russe a-t-il directement commandité la mise en scène ? S’il est impossible d’établir des liens directs, l’hypothèse est plausible pour la chercheuse Béatrice Heuser, spécialiste des questions de stratégie militaire, qui rappelle que faire porter la responsabilité de l’invasion est un classique des affaires militaires : « Poutine a lu (ou confirmé par inadvertance) le point de vue de Clausewitz sur qui est responsable du déclenchement d’une guerre : « L’agresseur est toujours épris de paix… il préférerait prendre le contrôle de notre pays sans opposition. ».

Si le conflit est temporairement évité, une série d’incidents similaires interviennent dans les jours suivants confirmant l’envie du Kremlin d’en découdre. Bellingcat en recense pas moins de quatre dans la semaine précédant le déclenchement des hostilités.

© Bellingcat

La guerre à tout prix

Parmi les « récits » employés à des fins géopolitiques, il en est un autre que le Kremlin manie, peu après le discours de Vladimir Poutine le 21 février, celui du révisionnisme historique. A défaut de répondre à une agression ukrainienne, l’intervention, désormais qualifiée d' »opération spéciale » par le pouvoir, visera à reprendre des cadeaux indus faits par les dirigeants soviétique à l’Ukraine et à « dé-nazifier » sa société. A seulement quelques jours du début des opérations militaires, carte à l’appui, la TV publique russe diffuse massivement la version du président russe :

La télévision d’État russe suit notamment le discours de Poutine avec une frise chronologique Après le retrait des cadeaux territoriaux faits par Staline, Lénine et Khrouchtchev seul le morceau jaune au milieu de la carte est étiqueté « Ukraine ».

La contre-propagande ukrainienne

Conjurant les projections pessimistes émises par la plupart des experts, au cours de la première semaine d’opérations, l’invasion russe achoppe tant sur les faiblesses de la préparation de son armée que sur une vigoureuse résistance des forces et de la société ukrainiennes, menée notamment sur le web. Tandis que le déploiement des forces russes donne lieu à la diffusion de quantités de vidéos sur Tik Tok, Twitter, Instagram, révélant leur progression, la stratégie ukrainienne relayée sur les réseaux sociaux est de camoufler ses mouvements et de diffuser les images des soldats russes faits prisonniers.

Curieusement, c’est sur Telegram, messagerie d’origine russe, établie à Dubaï, que sont issues de nombreuses vidéos documentant fidèlement la guerre. Des chaines comme Vorpost, Basa ou InsiderUKR relaient en continu des vidéos prises par des citoyens sur les principaux points chauds du pays avant d’être authentifiées, analysées et publiés par des cellules de fact checking des médias ou par de simples internautes maitrisant les techniques d’investigation en source ouverte.

Les attaques répétées sur Kharkiv, deuxième ville du pays, ont été ainsi largement documentée à partir de sources Telegram souvent rediffusées sur Twitter. Qualifié de véritable « internet parallèle » par Paul, ancien militaire ayant longtemps travaillé dans un service de renseignement, le réseau sert aussi à véhiculer à des fausses informations diffusées par des sympatisants de la cause ukrainienne. Le 25 février, les internautes peuvent ainsi admirer un combat tournoyant entre trois avions de chasse évoluant à basse altitude au dessus de Kyiv. Si le descriptif du poste laisse croire à une victoire du pilote ukrainien, le contenu s’avère être un montage réalisé à partir du simulateur de vol DCS, connu pour son réalisme et renforcé par les exclamations en off d’une ukrainienne.

Culte du sacrifice et construction du héros, l’introduction d’une dimension épique 

Toute guerre a besoin de ses héros, figures épiques auxquels les combattants peuvent s’identifier. Au 8ème jour de la guerre, de telles icones commençaient à être fabriquées de toute pièce par la propagande ukrainienne. Certains comptes officiels du pays, ont ainsi poussé des faits d’armes, parfois enrichis d’anecdotes ou d’informations non vérifiées qui se sont avérées fausses par la suite.

Le 25 février, l’annonce de la mort des 13 garde-côtes défendant l’Ile des Serpents,  nourrit une mise en récit romanesque exaltant le sacrifice ultime. La diffusion d’un enregistrement véhiculant les dernières paroles de l’unité : « Allez vous faire foutre ! » lancé à l’équipage russe venu prendre l’Ile enflamme les communautés sur Twitter. Le même jour les membres de l’unité, morts pour la nation lors de la première journée d’offensive russe, sont érigés en héros par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Pourtant, un communiqué arrive quelques jours après, informant de leur capture par l’armée russe, selon une  communication de l’AFP.

Le Service de sécurité de l’Ukraine, la principale agence de sécurité du pays, a de son côté relayé l’histoire du « Fantôme de Kyiv » sur sa chaîne officielle Telegram, qui compte plus de 700 000 abonnés. Présenté comme l' »as des as » de l’aviation ukrainienne, le « héros » rencontre également un franc succès sur YouTube où les vidéos faisant sa promotion ont recueilli 6,5 millions de vues, tandis que les contenus TikTok avec le hashtag #ghostofkyiv ont atteint 200 millions de vues, d’après le New York Times.

Le «fantôme de Kyiv» pilote de chasse à la cocarde bleu et jaune qui aurait abattu six avions ennemis. Un mythe, en dépit de la résistance réelle de l’aviation ukrainienne.

En dépit des démentis apportés à certains faits d’armes, une riche production iconographique se construit autour de systèmes d’armes réputés efficaces ou des légendes construites par la propagande de guerre ukrainienne. Pour Alexis Rapin, chercheur à l’université Raoul Dandurand (UQAM) on assiste ainsi à « l’émergence d’une micro-mythologie voire d’une ‘pop culture’ entourant le conflit. »

https://twitter.com/alexis_rapin/status/1498681313251020801?s=20&t=jYxjYuWWKKh-i0A_W9aEIA

Epave fumante d’un hélicoptère russe dans un champs de blé sous un ciel bleu aux couleurs de l’Ukraine. L’homme porte sur l’épaule un système antiaérien très courte portée 9K38 Igla. ©Totalförsvar

Des débordements à venir en Europe ?

Alors que la désinformation russe avait pour objectif principal d’affaiblir psychologiquement la population ukrainienne, sa gestion des « aspects moraux » de la guerre lui attire désormais une vive contestation internationale et le soutien de nombreux pays européens à l’Ukraine. Après 9 jours de guerre, diviser les populations des pays susceptibles d’aider Kyiv semble être la prochaine étape logique de la stratégie de conquête russe.

Face aux craintes d’un débordement de la « guerre de l’information » en Europe les responsables européens ont décidé du bannir des principaux organes de presse russes, Russia Today et Spoutnik du continent. Après l’annonce intervenue le 27 février, Ursula Von der Leyen est revenue sur les raisons de cette décision dans un communiqué : « en temps de guerre, les mots comptent. Nous assistons à une propagande et à une désinformation massives sur cette attaque scandaleuse contre un pays libre et indépendant. Nous ne laisserons pas les promoteurs du Kremlin déverser leurs mensonges toxiques justifiant la guerre de Poutine ou semer les graines de la division dans notre Union. »

L’Europe aurait elle pu envisager la sauvegarde des médias « russes » – Spoutnik et RT -, en laissant par exemple, à la seule charge de l’Etat et des médias la responsabilité de la vérification des faits ? Un maintien difficile selon les spécialistes qui soulignent la difficulté à circonscrire totalement les effets de la désinformation par le fact checking. Pour le professeur Pascal Froissart, enseignant-chercheur au CELSA, « le problème à exposer ainsi de telles histoires : « c’est que c’est le meilleur moyen de les disséminer. »

La Russie apparait également moins exposée que ses potentiels adversaires à des manoeuvres de cyber-influence.  En effet, le pays qui travaille depuis le début des années 2000 à l’édification d’un « internet souverain » peut théoriquement se prémunir de telles influences étrangères tout en ayant les moyens d’influencer les autres. Le verrouillage hermétique du pays reste néanmoins une hypothèse à confirmer d’après Julien Nocetti qui s’interroge sur les capacités réelles du Kremlin : « le verrouillage numérique russe va-t-il fonctionner? C’est la question à 1M de dollars… Il faut bien comprendre qu’on change d’échelle par rapport à ce qui a pu être entrepris dans un passé récent (kill switch en Ingouchie en 2018). Il ne s’agirait plus d’agir à un niveau local… »

Cette immunité sans doute partielle de l’internet russe contraste, en revanche, avec l’ouverture large de son homologue occidental. Pour combler cet axe de vulnérabilité connu, les Etats occidentaux se sont employés ces dernières années à muscler leur dispositif de lutte contre la désinformation. Alors qu’au niveau européen, le projet EUvsDisinfo, diffuse sur sa base de données les cas de désinformation provenant des médias pro-Kremlin, en France, l’adoption en novembre 2018 d’une loi contre la manipulation de l’information s’est doublée de la création d’une structure dédiée permanente, Viginum,  (« Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères »), créée le 13 juillet 2021 pour prendre en compte ces questions. A seulement deux mois des élections présidentielles françaises, les tensions avec Moscou interviennent pourtant, à un moment particulièrement mal choisi pour Paris. D’autant plus qu’elles s’ajoutent à un passif lourd notamment en Afrique de l’Ouest. La région est le théâtre depuis 2015 en Centrafrique et depuis 2021 au Mali, de luttes d’influence entre la France et la Russie. S’il s’agit davantage de diplomatie d’influence que de fakenews ou de désinformation, l’ingérence russe s’y manifeste aussi à travers le parrainage de médias acquis à la cause russe et tenant un discours dénigrant l’action de Paris dans la région.

Quelle suite envisager ? Bien que retardée par l’expulsion des médias pro-Kremlin en Europe l’extension de la guerre de l’information n’apparait en aucun cas empêchée à moyen terme. Face aux actuels obstacles en Europe, certains experts envisagent déjà un déportement de l’effort de désinformation et de propagande russe dans d’autres régions du monde. Pour Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire « plusieurs indices suggèrent que l’Afrique pourrait devenir un nouveau « débouché » informationnel pour les médias russes internationaux après leur suspension au sein de l’UE ». Affaire à suivre.

Morgan Paglia

Des soirées aux examens, quand drogue rime avec études

La population étudiante est plus encline à consommer des substances psychotropes que les jeunes du même âge. Que ce soit en soirée, ou face à la pression des concours, les tentations sont grandes. Quels sont les risques auxquels ils font face ? Enquête.

« Je suis addict à la coke ». Alex, étudiant en neurosciences, ose parler de son addiction. Mais il n’est pas le seul. Au moins 41 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir pris au cours de leur vie au moins un médicament psychotrope en 2011, selon une expertise collective de l’Inserm parue en 2014. Pour la docteure Edith Gouyon, l’abus de psychotropes peut conduire à la dépendance psychique et physique.

Au-delà du tabac, de l’alcool et du cannabis, les étudiants ont parfois recours à des psychostimulants, des bêtabloquants et des antidépresseurs, notamment pour faire face au stress des études. Les étudiants consomment plus de médicaments que les personnes du même âge non-étudiants. Plusieurs phénomènes expliquent le recours à des substances et des drogues sur ordonnance.

Du plaisir à la gestion du stress

Les drogues prises pendant les soirées sont associées au plaisir. Il s’agit du tabac, de l’alcool, du cannabis et de drogues plus puissantes comme la cocaïne ou la MDMA. Le tabac et l’alcool, ainsi que les boissons énergisantes mélangées à de l’alcool, sont également très présentes chez les populations lycéennes et les jeunes étudiants. À 17 ans, 8,7 % ont déjà une consommation régulière d’alcool.

Par ailleurs, certaines molécules peuvent également être un moyen de faire face au stress : fumer du cannabis pour se détendre, faire des pauses cigarette pendant les sessions de révision ou entre les cours. Les drogues sont même parfois un moyen de se doper pendant les examens.

Drogues et études, psychotropes, stimulants, substances récréativesPour Anne Batisse, docteure en pharmacie au Centre d’Evaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance (CEID), la prise de substances pour faire face au stress est une conduite dopante.

Selon une enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante, environ 4 % des personnes inscrites à l’université consommeraient des psychostimulants afin d’améliorer leurs performances ou réussir un examen, soit environ 100 000 étudiants. Dans l’étude COSYS du CEID, 20 % des étudiants utilisant des psychotropes confient le faire pour gérer leur stress. Ils ont alors recours à plus de substance illicites (cannabis) que licites (anxiolytiques).

Dopage aux amphétamines

Plaisir et productivité peuvent même s’entremêler. Certaines drogues ou substances légales sont en effet associées à une volonté de productivité accrue : café, boissons énergisantes (Red Bull), médicaments sans ordonnance comme des vitamines ou des antiasthéniques (Guronsan). Pour améliorer leurs performances aux examens, certains étudiants ont de plus recours à des dérivés d’amphétamines, comme la Ritaline.

Ce médicament, équivalent français de l’Adderall américain, est normalement prescrit dans les cas de troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Consommé pour améliorer les performances, l’Adderall ou la Ritaline permettent de mieux se concentrer. Aux États-Unis, des associations alertent sur les sur-diagnostics d’hyperactivité, conduisant à un véritable dopage généralisé dans le milieu étudiant.

Même la cocaïne peut être prise dans cet objectif de productivité, lors des révisions ou des examens, bien que ses effets soient moins positifs que ceux de la Ritaline. Elle peut en effet entraîner une baisse de la concentration et des conséquences négatives comme une « redescente » douloureuse. D’autres substances illégales retrouvées dans les soirées étudiantes au même titre que la cocaïne, comme la MDMA et l’ecstasy, sont quant à elles plutôt prisées dans ce seul cadre récréatif.

Pour affronter leur stress, les étudiants ont parfois recours à des anxiolytiques (15 % des médicaments les plus expérimentés), normalement prescrits sur ordonnance, voire à des somnifères (11 %) ou des antidépresseurs (6 %). La pression des études est très marquée dans des filières sélectives, comme la première année commune aux études de santé (PACES).

Les carabins, fortement exposés à un impératif de productivité, sont parmi les étudiants prenant le plus de drogues, légales ou non, pour booster leurs performances et gérer leur stress. Dans une thèse sur les prises de stimulants chez les étudiants en médecine, Julie Delay observe en effet que les psychotropes sont principalement pris pour dormir (66,8 %) et contre le stress (56,3 %).

Psychostimulants stress réussite dopage compétitionLa prise de drogues peut débuter dès le lycée ou lors du commencement des études. C’est notamment le cas d’Antoine*, étudiant en classe préparatoire. « J’ai commencé à prendre de la drogue dès la première année où je suis arrivé en étude supérieure. Au lycée j’étais plutôt réservé, j’allais pas trop en soirée. J’ai d’abord commencé par fumer des joints en soirée avec mes potes, puis j’ai rencontré une meuf qui était dans un groupe qui tapait de la coke pour aller en boîte. Après c’est devenu une habitude quand je sortais ou que je faisais des soirées chez moi ». La cocaïne, prise par Antoine comme une substance récréative, est cependant devenue une addiction.

Dépendance ou addiction ?

Plusieurs critères sont à prendre en compte pour qualifier un usage d’addiction. Selon Stéphanie Caillé-Garnier, neurobiologiste de l’addiction à l’Université de Bordeaux, « la chronicité ne va pas suffire à parler de problèmes d’addiction ».

Il s’agit d’un « désordre psychiatrique » caractérisé par « la perte de contrôle, le fait de se mettre en danger, le fait d’avoir des problèmes récurrents dans sa vie sociale à cause de sa consommation, et le « craving », le fait d’avoir toujours envie de consommer en dépit de la connaissance des conséquences négatives ». Répondre au moins à deux de ces critères permet de parler d’une addiction légère. Au-delà de cinq critères, l’addiction est qualifiée de sévère.

La pandémie de Covid-19 a mis un coup d’arrêt brutal aux soirées et à la vie sociale des étudiants. Se retrouvant souvent à suivre des cours depuis chez eux, sur leur ordinateur, la moitié d’entre eux souffrent d’anxiété ou de dépression.

Pour Anne Batisse, « on est dans une période à risque donc pas mal d’étudiants peuvent tomber dans des abus et des usages nocifs ». Elle souligne néanmoins que la reprise d’une vie normale implique bien souvent un abandon de certaines pratiques addictives.

Étudiants, cannabis, drogues, révisions
Drogues et révisions : mélange parfois contre-productif. Illustration. © Pierre Berge-Cia

Antoine sait qu’il est tombé dans l’addiction. « Avec le Covid je ne sors plus, mais je consomme toujours autant. Genre, je vois mon dealer plus que mes potes j’ai l’impression ». L’étudiant garde sa consommation secrète, sauf auprès de ses amis proches.

La docteure Florence Tual, coordinatrice régionale addiction au sein de l’ARS Bretagne, s’inquiète : « Ce qui est clair dans les premiers résultats de nos nouvelles études, c’est que la pandémie de coronavirus a joué un rôle dans l’évolution de la consommation. La première raison, c’est l’isolement. Certaines pratiques ont diminué, comme l’alcool, certaines ont augmenté comme la cocaïne et les psychotropes. Nous observons notamment beaucoup de nouveaux consommateurs. C’est très préoccupant ».

Une situation étudiante globale

Pour Chrystelle Artus, infirmière et intervenante scolaire dans la région d’Annecy, le profil d’Antoine n’est pas unique. Elle relève que les addictions se retrouvent chez tous les étudiants, quelle que soit leur origine sociale. « Là où je suis, il y a des gens qui travaillent en Suisse et gagnent super bien leur vie. Mais les enfants de frontaliers ont les mêmes problèmes que les enfants de salariés d’usine ».

L’infirmière souligne l’importance de la « courbe de déplaisir », pour faire comprendre aux jeunes, dès le lycée, qu’ils sont peut-être tombés dans l’addiction : « pour avoir l’effet que je connaissais sur le mode plaisir, il faut que j’aille prendre plus d’alcool, plus de tabac, plus de trucs ». Ce désir de prendre toujours plus d’une substance, pour obtenir une satisfaction, se retrouve chez de nombreux étudiants, parfois en parallèle de la question de la réussite aux examens.

Les médicaments dérivés d’amphétamines peuvent être associés à un désir récréatif ou à une volonté de gérer la pression. Ils stimulent le système nerveux sympathique et accélèrent son activité, tout en boostant l’humeur. Ils ont par ailleurs un effet coupe-faim, permettant de travailler plusieurs heures sans s’interrompre.

Ces effets ont tous été constatés par Alex, étudiant en neurosciences, lorsqu’il prend de l’Adderall pour la première fois. « Quand je faisais mon premier master, mon meilleur pote est venu pour le 1er de l’an et on a fait une soirée de 24h. Pour le 3 janvier il fallait que je rende un énorme projet de recherche et j’avais encore pas mal de taff. J’étais dans la merde donc j’ai une pote qui m’a dit “si tu veux j’ai de l’Adderall“. C’est un dérivé d’amphétamines donc tu le sens bien. Je me souviens plus où elle l’avait chopé celui-là mais t’as les mâchoires qui se contractent à fond, ça te coupe la faim et tu deviens super concentré ».

Addiction et sevrage

Alex reprendra deux fois de l’Adderall par la suite, mais il décide de ne pas en consommer de façon régulière. Ayant expérimenté de très nombreuses substances psychoactives, cet étudiant réalise rapidement que les dérivés d’amphétamines ne sont pas pour lui.

« L’Adderall, c’est une habitude à prendre, à doser etc. Après moi de base et encore plus en étant en neuro, vu que je prenais déjà beaucoup de drogues d’un point de vue récréatif, j’avais pas envie d’associer ça à mes études car ça aurait été une pente très dangereuse ». – Alex

Préférant réserver sa consommation aux soirées étudiantes, Alex ne cherche pas le secours de molécules chimiques pour améliorer ses performances, sauf dans ce cas exceptionnel d’un projet de recherche à rendre en urgence. Pour ses révisions, il se contente de prendre du café, des médicaments antiasthéniques et des boissons énergisantes.

Cette façon de se « doper » à la caféine rejoint les témoignages d’étudiants en médecine, notamment ceux en PACES, qui confient pour la plupart ne pas avoir recours à des drogues mais qui boivent énormément de café, pour se concentrer pendant des heures.

Pour Aurélie, la prise de Guronsan était de plus associée à une prise de somnifères durant ses deux années de PACES. Bien que le Guronsan cesse rapidement de lui procurer un sentiment d’énergie supplémentaire, elle n’arrive pas à arrêter.

« Je ne pouvais pas ne plus en prendre après. Je sentais que ça ne m’aidait plus à avoir des pics d’énergie mais si j’en prenais pas, j’étais vraiment à plat ». Cette accoutumance s’est traduite par un fort sentiment de manque pendant ses vacances d’été.

« J’avais une grosse envie de caféine pendant deux-trois semaines. Je sentais que j’étais en manque de caféine, j’avais cette envie irrépressible d’en consommer mais je ne me suis pas écoutée et je n’en ai pas pris ». – Aurélie

La dépendance à la caféine d’Aurélie était liée au stress des études. Elle ne s’est pas transformée en addiction. Stéphanie Caillé-Garnier rappelle que pour estimer le potentiel addictif d’une drogue, il faut examiner la proportion de population exposée à cette drogue et qui développe un trouble addictif. La moyenne est de 15 à 20 % pour toutes les drogues confondues. Et puis les données d’épidémiologie donnent également la quantité de personnes exposées au moins une fois dans leur vie (les expérimentateurs), parmi lesquelles les usagers réguliers voire quotidiens.

Deux accros à la cocaïne

Aujourd’hui, Aurélie ne voit pas cette prise de substances caféinées comme un dopage mais comme un supplément à son régime. « Tu prends tout ça comme tu prends des vitamines quand t’as un rhume ».

Elle remarque cependant qu’autour d’elle, ses camarades buvaient également énormément de café (cinq ou six tasses par jour), mais ne consommaient a priori pas de Guronsan.

Pour elle, cette prise de médicaments sans ordonnance était également une façon de pallier une mauvaise hygiène de vie, à dormir mal, sans faire de sport et en ayant « littéralement les fesses posées sur une chaise à ne pas bouger », pendant plus de dix heures par jour.

Drogues et jeunesse étudiante
En l’absence de soirées, l’addiction est plus visible. Illustration. © Pierre Berge-Cia

Même chose pour Alex, qui cherche à améliorer son mode de vie. Suite à un accident de basejump, il s’est fracturé le dos. Immobilisé, il a profité de sa rééducation pour arrêter de fumer, et il fait depuis du sport chaque matin pour lutter contre des douleurs chroniques apparues suite à son opération.

« Au final je me rends compte qu’avoir une alimentation plus saine, ça joue beaucoup sur ma capacité de concentration d’organisation etc. J’aurais bien aimé avoir le courage de faire ça avant dans mes études mais je suis arrivé où je voulais donc je suis content et on va dire que ça va ».

Bien qu’il regarde sans trop de regrets ses nombreuses prises de drogues, Alex prend beaucoup moins de substances illégales aujourd’hui. « Je me suis calmé mais je sais par exemple que tout ça m’a amené à être dépendant, je suis addict à la coke. Je vais pas activement chercher mais si y en a autour de moi je vais en vouloir. Si je suis en soirée et qu’il y en a, il m’en faut… C’est le seul point négatif ». Antoine partage le même constat, mais fait preuve de plus de pessimisme.

« Ça me rend triste quand j’y pense. Je me demande dans quel merdier je me suis mis. Mais vas-y, j’y pense pas trop parce que j’ai des concours quoi, ça sert à rien de me prendre la tête ». – Antoine

Selon la docteure Florence Tual de l’ARS Bretagne, l’un des principaux problèmes de l’addiction chez les jeunes est identifié : l’âge auquel est faite la première expérimentation. « Plus l’on commence tôt, plus l’on risque d’être dépendant. Et c’est valable pour tous les types de produits ».

Futurs médecins et psychotropes

Les étudiants ayant déjà consommé au moins un produit dopant dans leur vie afin d’améliorer leurs performances scolaires sont principalement des étudiants dans le domaine de la santé, selon l’Observatoire de la vie étudiante. Aurélie, ancienne étudiante en PACES, constate qu’autour d’elle, un certain silence est fait autour de la prise de substances. Cette tendance à l’auto-médication s’explique notamment par la forte pression, la compétition et la charge de travail que subissent bien souvent les étudiants de cette filière.

« Les étudiants en santé ont une grosse consommation de médicaments. Ils consomment beaucoup plus de médicaments que les autres étudiants car ils sont plus soumis au stress », précise en effet Anne Batisse, du CEID. Dans sa thèse sur le dopage intellectuel chez les étudiants en santé de Rouen, le pharmacien Yoann Tromeur souligne cet essor de l’usage détourné de médicaments. Parmi les étudiants de filières de santé déclarant prendre des substances illicites, 70 % avouent par ailleurs consommer du cannabis. Les quelques étudiants ayant recours à des amphétamines ou de l’ecstasy sont également tous des fumeurs de cannabis.

Le dark web, marché 2.0 des stupéfiants

Il existe une partie dissimulée d’Internet accessible seulement aux initiés : le deep web. Les moins de 25 ans sont deux fois plus nombreux que les plus âgés à recourir au deep web, sans doute le signe d’une pratique générationnelle. Objet de fantasme chez les jeunes, le dark web est une partie du deep web qui permet aux utilisateurs de naviguer anonymement.

Sur les marchés noirs du dark web, un internaute peut acheter et vendre presque tout, et cela en restant totalement anonyme. Toutes sortes de drogues y sont disponibles : héroïne, DMT, ecstasy, marijuana, etc. Pour obtenir ces substances, l’utilisateur peut payer au moyen de crypto-monnaies, comme le bitcoin. C’est ce qu’a fait Alex, étudiant en neurosciences, pour se procurer de l’Adderall. Selon un rapport publié par Europol et l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) de 2017, le trafic de stupéfiants sur le dark web représente environ deux tiers des échanges de drogues effectués dans le monde.

Pierre Berge-Cia et Jean Cittone

*Le prénom a été modifié.