ENQUÊTE : Retour volontaire : le faux choix du départ

Faute de perspectives en France, certains étrangers en situation irrégulière décident d’accepter l’Aide au retour volontaire proposée par l’État. Ce dispositif prévoit un soutien financier et un billet d’avion en échange d’un départ du territoire. Officiellement présenté comme un choix, il est souvent accepté dans un contexte de précarité administrative et sociale.

“Ça ne sert à rien de rester et de me battre pour ma régularisation. Parce que le combat va durer, je le sais”. Découragé, Wissam*, 36 ans, a baissé les bras après que la préfecture des Vosges a refusé sa demande de régularisation par le travail. Venu d’Algérie avec un visa de travail, le technicien supérieur chauffagiste a décidé d’entamer une procédure d’aide au retour volontaire (AVR) auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Avec ce dispositif, il pourrait obtenir une somme d’argent et des billets d’avion pour quitter le territoire français : “Je ne peux rester ici sans rien faire, sans être régularisé”, ajoute celui qui a dû stopper toute activité professionnelle du jour au lendemain en raison du refus de sa demande. Installé en France depuis 2021, Wissam est marié et a deux jeunes enfants, nés sur le territoire français. 

Lors d’un rendez-vous avec l’Ofii le 20 mai 2025, il a décidé d’accepter l’aide financière de 600 € par personne, en échange d’un départ vers l’Algérie. “Ils nous ont dit qu’on pourrait partir avant le 30 juin, mais nous sommes le 7 et nous n’avons toujours pas de nouvelles…”, se désole le père de famille. N’ayant plus de salaire, la famille a dû quitter son domicile et loger chez des proches. Un hébergement temporaire qu’ils devront quitter dans quelques jours : “Nous n’avons pas encore de solution pour la suite”, s’inquiète Wissam, dans l’attente de bénéficier de l’aide au retour. Comme d’autres, le technicien a abandonné ses espoirs de construire une vie stable en France. Pour Christophe Pouly, avocat au barreau de Paris, “saisir l’aide au retour volontaire, c’est signe d’avoir lâché l’affaire.” En vingt ans d’exercice, l’avocat n’a été confronté qu’à un seul client qui a saisi cette ARV. “Je fais en sorte de faire rester mes clients. Notre rôle est de trouver une solution, pas de les encourager à partir.”

Les personnes en situation irrégulière sont automatiquement informées de l’Aide au retour volontaire.

Instaurée pour la première fois en France en 1977, l’Aide au retour volontaire a été modifiée à plusieurs reprises au fil des années. A ce jour, l’Etat français propose jusqu’à 1 850 €, ainsi qu’un billet d’avion à toute personne étrangère, majeure ou mineure, qui veut quitter la France après avoir passé plus de trois mois sur le territoire. Le demandeur doit être en situation irrégulière et faire l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est l’Ofii qui s’occupe d’attribuer cette aide, à travers ses 1 400 agents répartis en directions territoriales, dans les principales villes de France.

Part d’éloignements forcés et volontaires selon les années : 2019 – 2023

En 2024, environ 7000 personnes sont retournées définitivement dans leur pays d’origine avec une ARV. “L’objectif serait d’atteindre les 10 000 par an”, ambitionne Didier Leschi, directeur de l’Ofii. En complément, une aide à la réinsertion peut aussi être accordée pour les ressortissants de 23 pays, comme le Cameroun, l’Inde ou encore la Côte-d’Ivoire. Un chèque pouvant atteindre les 10 000 €, selon la Cour des comptes. 

Un dispositif avantageux pour l’Etat français

Quelle différence avec une expulsion forcée ? L’ARV permet de faire des économies : “Les retours contraints coûtent au moins le triple”, affirme Didier Leschi. La Cour des comptes ajoute même que “ce dispositif présente un rapport coût-bénéfice très favorable.” Le coût d’un éloignement forcé avoisine les 14 000 €, contre 3 000 € pour l’ARV. Pour Jean-Pierre Cassarino, politologue au Collège d’Europe, ce dispositif offre un autre avantage aux pouvoirs publics : un allègement au niveau judiciaire. En acceptant un retour volontaire, la personne renonce définitivement à accéder à l’asile. Autrement dit, si une demande d’asile était en cours, elle est automatiquement annulée.

Clara Lecadet, anthropologue au CNRS, souligne que l’ARV permet de donner une meilleure image de l’action de l’Etat. “Le gouvernement pourra dire : “regardez comme je suis efficace !” Les gens ont seulement besoin de réponses, pas de savoir si celle-ci est adéquate”, alerte Jean-Pierre Cassarino. 

Je suis déçue de la finalité des choses »

Hébergée au centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) d’Asnières-sur-Seine, Amina* est l’une des rares personnes à suivre le processus d’aide au retour volontaire. Accompagnée par cette structure, gérée par France Terre d’Asile, la jeune femme de 29 ans a décidé de regagner le Tchad après avoir été déboutée de sa demande d’asile il y a quatre mois. Arrivée en décembre 2023 sur le territoire français après avoir fui le pays avec son quatrième enfant, empoisonné par la coépouse de son mari alors qu’il n’avait que 11 mois. Depuis un an et demi, elle attend d’obtenir l’asile pour que ses trois autres enfants la rejoignent en France. 

Après avoir épuisé tous les recours pour obtenir l’asile, Amina a abandonné l’idée de rester en France. “J’ai quitté le pays en espérant avoir la protection française et faire venir mes enfants, mais ça n’a pas marché. Je suis obligée de repartir malgré les problèmes qui m’attendent là-bas”, explique-t-elle avec regret, dans le bureau où elle vient régulièrement échanger avec les employés du CADA. Désormais, “le plus important, c’est de rejoindre mes enfants”, assure la jeune femme d’une voix serrée. C’est avec certitude qu’elle explique avoir accepté les 1600 euros proposés par l’Ofii “Je leur ai dit que je pouvais partir dès le 28 juin, j’attends qu’ils m’envoient les billets d’avion.” Un vol vers ses enfants, mais aussi vers son passé et des traumatismes, à la mention desquels Amina ne peut retenir ses larmes. “J’ai peur de retrouver la même situation qu’à mon départ. Je dois revenir pour éviter que mes enfants restent en danger avec la femme qui leur a fait du mal”. Une fois sur place, la jeune mère pourra retirer l’argent promis par l’Ofii, grâce à un code Western Union ne permettant de récupérer l’argent que dans le pays de retour. Mais après son atterrissage à N’Djamena, rien ne lui est assuré : “Je ne sais pas si je vais pouvoir travailler”, s’inquiète Amina. Employée des douanes avant son départ de la capitale tchadienne, elle sait qu’elle ne sera pas réembauchée après un an et demi d’absence. C’est le retour dans la vie qu’elle avait souhaité quitter. “Je suis déçue de la finalité des choses, mais aujourd’hui je ne m’y retrouve plus ici”, regrette-t-elle, tout en reconnaissant l’aide apportée par France Terre d’Asile. Dans un mois, Amina aura normalement quitté la France et les couloirs du CADA, faute d’alternative viable pour elle et ses enfants dans l’Hexagone. 

Un exemple très minoritaire d’une bénéficiaire de l’Aide au retour volontaire parmi les deux tiers de demandeurs d’asile à l’OFPRA en 2024 déboutés de leur demande. Karine, bénévole au pôle “éloignement” de l’antenne de la Cimade des Batignolles, à Paris, témoigne en effet d’un très faible nombre de personnes intéressées par l’aide au retour. “Je les informe toujours de cette possibilité, mais jamais personne ne m’a dit être intéressé”, explique-t-elle. Selon la retraitée habituée des locaux de l’association située boulevard de Clichy, “cette aide reflète le durcissement de la politique migratoire de ces dernières années”. Un retour dans son pays d’origine peut-il alors vraiment être volontaire ? 

 

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« Leur parcours est dans une impasse »

Clara Lecadet considère que dans un “contexte politique marqué par une coercition extrême pour les étrangers sans papiers”, la terminologie de “retour volontaire” est à remettre en question. “Il est difficile d’invoquer la volonté individuelle et le libre-arbitre”, souligne la spécialiste des migrations. Le politologue Jean-Pierre Cassarino note également un durcissement du système d’asile en France qui joue sur sa confiance dans l’ARV. “On propose ce programme à des personnes dont les perspectives d’insertion dans la société sont de toute manière très réduites. Il n’y a rien de moins volontaire qu’un retour volontaire”. Un constat partagé jusque dans les bureaux de la direction de l’Ofii : “Si ces gens acceptent l’aide au retour volontaire, c’est parce que leur parcours est dans une impasse”, admet Didier Leschi. 

Jacqueline est interprète pour ISM interprétariat : une entreprise qui travaille régulièrement avec l’Ofii. Cette spécialiste de la langue serbo-croate assiste et traduit de nombreux entretiens par téléphone, entre des agents de l’Ofii et des ressortissants du Kosovo, de la Bosnie, ou encore de la Serbie. Après 10 ans à écouter des récits d’exil variés, Jacqueline l’assure, “je n’en ai connu aucun prêt à revenir en arrière après de telles galères”. 

Au sein du processus d’aide au retour, on distingue toutefois, selon François Héran, sociologue, démographe et professeur au Collège de France, un “effet d’aubaine” pour certains de ses bénéficiaires. “Ce sont les personnes qui bénéficient du dispositif de l’Etat pour recevoir de l’argent supplémentaire, alors qu’ils avaient déjà prévu de partir” En cause, les personnes décrites par Clara Lecadet, suite à ses observations de recherche, “de la classe moyenne qui sont un peu plus aisés matériellement, et qui font un séjour en immigration dans des conditions tout autres qu’un immigré malien sans papiers par exemple”. Ce dispositif serait ainsi détourné par certains “de manière un peu opportuniste, sans que ce soit forcément négatif, par exemple pour aider à démarrer un petit projet professionnel après des études à l’étranger après lesquelles on avait déjà décidé de revenir”. Tandis que pour d’autres, l’aide au retour ne serait qu’une expulsion masquée, selon Jean-Pierre Cassarino. 

Une proposition peu attractive

Contrairement à Oussama et Amina, pour la majorité des personnes éligibles à l’ARV, l’option d’un retour n’est pas envisageable. C’est le cas de Richard*, un cinquantenaire originaire de Côte d’Ivoire, qui s’est vu refuser l’asile il y a quelques semaines, après un recours devant le tribunal. Ce vendredi 6 juin, il a rendez-vous avec le chef de service du CADA de Vaux-le-Pénil, Freddy Matundu Lengo, où il est hébergé. Dans ces locaux implantés en Seine-et-Marne, une dizaine de jeunes bénévoles en effervescence s’empresse d’accueillir les rendez-vous de la journée. 

Installé dans le bureau de M. Matundu Lengo, Richard apprend la nouvelle : il dispose de trois semaines pour quitter son hébergement. Le choc est dur à encaisser : “Ça n’est pas facile”, souffle-t-il, le regard tourné vers ses baskets. Pour cet homme, déjà passé par la Tunisie et l’Italie, la France était porteuse d’espoir. “Moi je veux bien tout faire, sortir les poubelles, nettoyer le métro…”, assure-t-il.

Richard a reçu sa notification de sortie du CADA de Vaux-le-Pénil.

Face à lui, derrière son ordinateur, le gérant du CADA l’informe qu’il pourrait bénéficier de l’aide au retour volontaire pour retourner en Côte d’Ivoire. “Je suis désolé monsieur. Je sais que vous êtes quelqu’un de bien, vous nous avez aidé à plusieurs reprises.”, ajoute-t-ilLorsque ce dernier quitte la pièce, Richard confie ne pas avoir l’intention de saisir cette aide : “J’irai au rendez-vous proposé par l’Ofii, mais ce n’est pas possible pour moi de repartir. Là-bas les gens s’entretuent, j’ai déjà été menacé.”

Au-delà des conditions de vie difficiles dans de nombreux pays, le psychanalyste Davide Giannica affirme qu’un retour peut être vécu comme un échec. “Il y a une forme de contrat migratoire entre l’immigré et la famille qui a investi dans le départ”, explique-t-il. Dans certains pays, il observe que la figure du migrant est encore très valorisée. “Avoir un fils migrant, c’est comme avoir un fils médecin. Il apporte une image narcissisante. Alors, face au retour, certains préfèrent la mort physique à la mort sociale dans leur pays d’origine”. Le retour est d’autant plus déstabilisant “qu’on ne retrouve jamais ce qu’on a laissé derrière soi : c’est comme un deuxième exil”, ajoute le chercheur. Pour lui aussi, l’illusion du choix masque une contrainte réelle du dispositif : “Les conditions d’accès aux soins, d’obtention des papiers ou d’asile sont devenues de plus en plus difficiles à obtenir en France. Alors, quand on offre la possibilité de choisir, c’est en réalité un non-choix.”

Un « marketing » du retour volontaire

Pour François Héran, l’attractivité du dispositif de l’ARV dépend aussi du pays en question. “Il ne suffit pas de recevoir de l’argent, il faut que le pays de retour sécurise les projets financiers des personnes. Il y a beaucoup d’endroits où le droit de propriété n’est pas vraiment garanti.” L’efficacité des dispositifs et leur cohérence sont ainsi très variables selon les contextes nationaux. 

Au Cameroun, l’Association des rapatriés et de lutte contre l’émigration clandestine (ARECC) participe à l’accueil des migrants de retour, en partenariat avec l’OIM. Son directeur, Robert Alain Lipothy, explique les aider à “bâtir des business plans”, en accompagnement d’un soutien psychologique, mais reconnaît recevoir très peu de bénéficiaires de l’aide au retour volontaire depuis la France. L’association, majoritairement composée d’anciens migrants, déplore aussi un manque d’investissement de l’État camerounais dans la réinsertion de ses ressortissants. Selon Jean-Pierre Cassarino, peu de pays ont véritablement intégré ces retours dans leurs politiques publiques, illustration de l’échec de la procédure. “Comment se fait-il qu’il n’y ait aucune insertion dans le paysage institutionnel concernant le retour volontaire ?”, souligne-t-il. 

Même lorsqu’un retour est assorti d’une aide financière, celle-ci ne garantit pas la réussite d’un projet : entre formations inadaptées, absence d’insertion durable et reconversion subie, beaucoup peinent à transformer ce soutien en véritable nouveau départ. “Derrière l’image d’un retour préparé se cache souvent un marketing du retour volontaire”, considère Jean-Pierre Cassarino. Une stratégie qui ne parvient pas à masquer le sentiment d’abandon éprouvé par ceux qui, comme Amina ou Wissam, doivent repartir avec une modeste somme, mais sans perspective. “Ma famille n’est pas au courant de mon retour”, explique Amina. Incertaine quant à son avenir à N’Djaména, elle souhaite avant tout retourner auprès de ses enfants. “C’est le seul choix qui me reste.”

Elisa Dutertre et Zoé Vezyroglou

« Je ne sors plus de chez moi avec la peur d’être agressée » : à Angers, un dispositif accueille des réfugiés LGBTQ+

Depuis octobre 2019, la fondation Le Refuge accueille des personnes LGBTQ+ ayant fui leur pays en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Un dispositif spécifique situé à Angers, mettant à disposition des logements à une trentaine de personnes et assurant un accompagnement en vue de s’insérer dans la société. 

Plus de 9 000 kilomètres. C’est la distance qu’aura dû parcourir Arthur pour vivre librement son homosexualité. Originaire de l’Ouganda, il risquait la prison à vie. Cet état africain a l’une des législations les plus répressives au monde en termes de droits LGBTQ+. Depuis mai 2023, l’homosexualité est même devenue passible de la peine capitale. 

« L’enfer a commencé en secondaire lorsque j’ai eu ma première relation avec un garçon et que les gens autour de moi l’ont appris », raconte l’homme aujourd’hui âgé de 29 ans. Séquestration et maltraitance par sa famille, thérapie de conversion, expulsion de son école, agressions de groupe, pressions policières : Arthur a vécu des années de violences, qu’il raconte avec peine. C’est suite à un passage à tabac par un groupe d’hommes et une garde à vue, que le jeune homme a décidé de fuir en Europe. Après un bref passage à Madrid puis au Havre, il arrive au DENH d’Angers (Maine-et-Loire), en juillet 2020. 

La fondation Le Refuge, spécialisée depuis 2003 dans la prévention de l’isolement des jeunes LGBTQ+, a créé en 2019, ce dispositif spécifique destiné aux réfugiés de 18 à 30 ans, ayant fui leur pays en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. « C’est un public particulièrement vulnérable, encore plus que les autres réfugiés, car en plus d’avoir une histoire compliquée et souvent traumatique, ils ne bénéficient pas du soutien d’un groupe ethnique en France, duquel ils sont aussi exclus », souligne Johanne Jahier, chef de service du DENH. 

 Dans la salle d’accueil de la permanence de l’association, une carte du monde accrochée au mur montre les pays d’origine des 73 personnes accompagnées par le dispositif depuis sa création. Afghanistan, Russie, Colombie, Cuba, Pakistan, République démocratique du Congo et bien d’autres : les quatre coins du monde sont représentés. « La problématique des réfugiés et demandeurs d’asile LGBTQ+ a commencé à être prise en compte par l’État, notamment grâce aux associations qui se sont battues pour cela. Le Refuge s’est positionné sur cette question après s’être rendu compte que, sur sa ligne d’écoute, il y avait un certain nombre de personnes avec ce profil », explique Johanne Jahier. Le DENH fait partie du dispositif national d’accueil et reçoit donc des fonds publics qui lui permette de financer une partie de ses activités. Jusqu’à 2022, le dispositif accueillait aussi des demandeurs d’asile LGBTQ+, mais ils sont aujourd’hui pris en charge par une autre structure.

Un accompagnement global dans un espace sécurisant

Le service, composé que quatre travailleurs sociaux, accompagne une trentaine de jeunes dans leurs démarches d’insertion professionnelle, d’accès au logement autonome et aux soins médicaux. Un logement à titre quasi-gratuit leur est également mis à disposition durant toute la période de suivi, variant selon les besoins des bénéficiaires. « Nous dispensons un accompagnement global pour ces jeunes afin de les aider à s’intégrer dans un espace safe, dans lequel ils ne se sentent pas jugés. En partant de leur projet de vie, nous avons un rôle de médiateur pour leur apprendre à faire valoir leurs droits en France et à s’autonomiser », explique Emmanuel Smaïl, assistant social au sein du DENH d’Angers depuis juin 2020. 

Après plus d’un an d’accompagnement, Arthur vit aujourd’hui dans un logement autonome à Angers, il a trouvé un emploi dans un fast-food et poursuit une formation dans le domaine du commerce. « Je suis beaucoup plus épanoui depuis que je peux exprimer mon homosexualité sans crainte ». Son parcours, comme celui de nombreux autres, donne beaucoup d’espoir quant au futur des réfugiés bénéficiant actuellement du dispositif. Daniela, femme transgenre jamaïquaine, souligne aussi les bienfaits de l’aide qu’elle reçoit de l’association depuis début 2022. Ayant quitté son pays natal pour des raisons de sécurité, elle qualifie son arrivée en France de « libération ». 

La Jamaïque punit l’homosexualité d’une peine de prison et la transidentité n’est nullement reconnue. « Au-delà de la loi, l’homophobie et la transphobie sont ancrées dans la société jamaïquaine, les violences envers la communauté LGBTQ+ sont très fréquentes et banalisées. Depuis qu’elle est arrivée en France, elle se sent beaucoup plus à l’aise pour exprimer son identité. « Je ne sors plus de chez moi avec la peur d’être agressée », affirme-t-elle. Ce mardi 22 août, la jeune femme de 23 ans est stressée : elle commence un nouvel emploi en tant qu’agente d’entretien dans des bureaux de la banlieue d’Angers.

« Nous ne sommes pas comme une structure militante »

Malgré les retombées positives du dispositif, la fondation est tout de même confrontée à des obstacles. « Même si nous avons recours à l’interprétariat, la barrière de la langue complique les démarches. Le manque le personnel médical et la dégradation des conditions de travail de nos partenaires rendent aussi les choses plus difficiles », regrette Emmanuel Smaïl, soulignant la collaboration essentielle avec le tissu associatif local. Le travailleur social évoque également l’existence de discriminations envers les bénéficiaires de l’association lors de certaines démarches, pour leur identité de genre, leur orientation sexuelle, mais surtout leur statut de réfugié. 

Ces discriminations, Yanicelys, femme transgenre cubaine accompagnée par le DENH, en a fait les frais. Récemment, elle a été victime de racisme et de transphobie de la part d’une banque, alors qu’elle souhaitait ouvrir un compte. Dans ce type de cas, le DENH préfère le dialogue à la confrontation. « On nous attend parfois sur un volet activiste que nous n’assurons pas. Nous sommes un organisme d’accompagnement des jeunes LGBTQ+ réfugiés, mais nous ne nous revendiquons pas comme une structure militante », se justifie Johanne Jahier. Une vision des choses qui ne fait pas l’unanimité, y compris auprès de certains bénéficiaires. 

Marie Scagni

Reportage rédigé en août 2023, lors d’un stage à L’Humanité, mais qui n’a pas été publié.

En Allemagne, le cordon sanitaire plie mais ne rompt pas

Sahra Wagenknecht, fondatrice du BSW, donne une conférence de presse à Berlin le 2 septembre 2024, le lendemain des élections régionales de Thuringe et de Saxe. (Photo : John Macdougall / AFP)

L’extrême droite a gagné des élections régionales allemandes pour la première fois depuis la fin du IIIe Reich, mais reste privée de gouvernement. En face, la coalition dite de « la mûre » tente de marier des partis que presque tout oppose au nom du cordon sanitaire.

Le feu tricolore, le Kenya, et désormais la mûre. La baie pourrait donner son nom à la toute nouvelle coalition dont les contours s’imaginent en Allemagne, dans les Länder de Thuringe et de Saxe, après les élections du 1er septembre qui ont vu l’Alternative für Deutschland (AfD) atteindre un score historique. Cette coalition « mûre », car noire, violette et rouge, regrouperait l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de centre droit, l’inclassable nouvelle Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), et le Parti social-démocrate (SPD) de centre gauche, qui mettraient de côté leurs différends pour empêcher l’extrême droite de gouverner. Le même schéma pourrait se répéter dans le Brandebourg, autre Land d’ex-Allemagne de l’Est, le 22 septembre prochain. Une coalition contre nature qui met le cordon sanitaire à rude épreuve.

C’est le BSW qui attire tous les regards, ayant obtenu le deuxième total de sièges le plus important parmi les partis prétendants à la coalition. La nouvelle alliance, fondée par l’éponyme Sahra Wagenknecht, est issue d’une scission fin 2023 des marxistes de Die Linke, qui reprochent au parti une approche de la gauche trop citadine. « Son idéologie est difficilement classable », analyse Nathalie Le Bouëdec, professeure de civilisation allemande à l’Université de Bourgogne. Alors que le BSW a conservé la plupart du parti économique de Die Linke, il prend une ligne « conservatrice notamment sur l’immigration, sujet très central en Allemagne, mais aussi sur la famille et la transidentité ». Assez pour plaire à la CDU, plus droitière dans l’est du pays ?

Un mariage forcé qui fait débat

L’échelle de gouvernement, ici régionale, facilite les négociations. Car si le BSW prône principalement l’abandon de l’aide à l’Ukraine et un rapprochement avec Vladimir Poutine – ce qui est hors de question pour la CDU et le SPD –, cette revendication ne trouve que peu de résonance dans un parlement régional. Du reste, la CDU, partenaire se gratifiant du plus de sièges, navigue en eaux troubles. Le programme du BSW présente des non-dits importants qui rendent les accords difficiles. Paradoxalement, le flou idéologique, tout comme l’absence d’historique entre BSW et CDU, peut aussi rendre une alliance plus facile à justifier auprès des militants de cette dernière.

Mais à la CDU, « la coalition reste très contestée en interne », tempère Nathalie Le Bouëdec. La partie économique du programme de Die Linke, que l’on retrouve donc dans celui de BSW, fait partie des raisons pour lesquelles « la CDU n’a jamais voulu avoir quoi que ce soit à faire avec Die Linke ». La coalition « mûre » est donc encore loin d’être conclue. « On vante souvent la capacité des Allemands à faire des compromis, mais là, on atteint les limites de la cohérence politique », observe la professeure.

La CDU, le BSW et le SPD peuvent néanmoins converger sur quelques points. Les trois partis veulent tirer les leçons du Covid-19 pour revoir leur politique sanitaire. Tous veulent aussi mieux pourvoir les zones rurales en services publics. Puis, la CDU comme le BSW veulent mettre fin à l’immigration – et le SPD d’Olaf Scholz vient de durcir sa ligne à l’échelle nationale.

Un cordon qui s’effrite sur le fond ?

Ce revirement de la coalition gouvernementale de centre-gauche sur l’immigration illustre justement la pression grandissante qui pèse sur le cordon sanitaire. Les alliances contre nature « peuvent aussi faire débat chez les électeurs, ajoute Nathalie Le Bouëdec. Pour l’instant, il tient […] car il s’agissait des sections de l’AfD les plus radicales avec un néo-nazi à la tête de la liste en Thuringe, mais la pression s’accroît. »

C’est cette pression, accentuée par le récent attentat de Solingen, l’abyssale popularité d’Olaf Scholz et les résultats électoraux catastrophiques des partis gouvernementaux en ex-République démocratique d’Allemagne, qui a poussé les Verts et le SPD à adopter des politiques plus sévères sur l’immigration à un an des élections fédérales. Premier test le 22 septembre dans le Brandebourg. Si le SPD devrait pouvoir compter sur la banlieue de Berlin pour freiner l’hémorragie, l’AfD reste favorite des sondages.

Matthias Troude

Crédit photo : John Macdougall / AFP