Les professionnels de santé ouvrent le bal des manifestations de la rentrée sociale

Plus d’une centaine de personnes se sont réunies ce jeudi midi, devant le siège de l’APHP, dans le 4e arrondissement, à quelques pas de l’Hôtel de Ville, avant le mouvement interprofessionnel du jeudi 29 septembre. Après un été compliqué, les manifestants sont plus que critiques envers la gestion de l’hôpital public et comptent bien remettre leurs revendications à l’ordre du jour.

« Nous ne voulons plus d’un gouvernement qui ne fait qu’un constat d’une situation que nous connaissons. Nous voulons une politique offensive ». C’est sur l’estrade installée devant le siège de l’APHP, que Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT Santé et action sociale, prononce ces mots devant la centaine de personnes présentent au rassemblement. Il est environ 13 h 30.

Manifestants, représentants syndicaux et élus se mélangent dans la foule. L’après-midi, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, et des députés de la Nupes tel comme François Ruffin, Alexis Corbière, Manuel Bompard ou encore Raquel Garrido, font leur apparition. Comme Mathilde Panot, la députée de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis, est apostrophée par un soignant du centre hospitalier de Plaisir. Malgré la musique, on peut l’entendre glisser « S’il vous plaît, ayez un mot pour nous ».

François Ruffin était présent au rassemblement devant le siège de l’APHP. (Keisha MOUGANI)

L’oubli. C’est ce qui est ressenti par certains manifestants et représentants syndicaux. « Il y a des effets d’annonce et la réalité », confie Simon Chiaroni, secrétaire général de la CGT de l’hôpital Bichat. L’établissement doit fusionner avec l’hôpital Beaujon. Un projet qui selon lui mènera « à la baisse de l’offre de soins dans des territoires qui répondent à un besoin de proximité comme les services d’urgence ou de maternité », détaille-t-il.

Dans ce rassemblement, les revendications sont multiples : arrêt des projets de structurations de l’APHP, le maintien des services gériatriques, le financement des promotions professionnelles, entre autres.  Mais ce sont surtout les critiques sur la gestion de l’hôpital public qui se sont davantage fait entendre cet après-midi. Blaise Constant Tchamko et Mariama sont soignants et membres du syndicat CGT de l’hôpital Rothschild. Leur établissement a connu également une grande salve de départs, et une fermeture de lits, notamment en service gériatrie. Il accueille des personnes âgées, qui peuvent en général passer dix jours, voire plus, à l’hôpital. À présent, elles sont dispatchées dans les services neurologie, Ssr (soins de suite et de rééducation).

Blaise Constant Tchamko et Mariama (au mileu) entourés de leurs collègues de l’hôpital Rothschild (Keisha MOUGANI)

Ils pointent deux problèmes dans la gestion l’hôpital public : un management plus axé sur le profit et essentiellement un manque de reconnaissance. Ce qui est à l’origine des nombreux problèmes rencontrés dans les services : la fermeture de lits, la mutualisation des services qui résulte au surmenage de certains professionnels, qui préfèrent quitter la profession. « Si tout le monde est là aujourd’hui, c’est surtout parce qu’il y a un manque de reconnaissance, souligne Blaise. On a du mal à recruter, les jeunes préfèrent se tourner vers le semi-privé ou l’intérim. » « Ça leur permet de travailler quand ils veulent. »  constate Mariama.

Sur l’estrade, les représentants syndicaux continuent de s’adresser à la foule et de scander des slogans, en espérant se faire entendre de la direction.

Keisha Mougani 

 

 

Pendant le confinement, où sont passés les autres malades ?

Diabète, cancer, insuffisance cardiaque, ou petits bobos de la vie courante – ce sont tout autant de pathologies qu’il a fallu continuer de soigner pendant le confinement. De mars à mai, patients et spécialistes ont dû adapter les soins. Entre retard de prises en charge et isolement des patients, le monde médical a fait face à de graves complications et à la réapparition de pathologies disparues.

Au centre de radiothérapie de Levallois-Perret (Haut-de-Seine), les patients atteints de cancer ont été accueillis dans la plus grande des vigilances.

« Je n’avais pas vu ça dans mon cabinet depuis quinze ans », souligne le Dr Vermesch, stomatologue libéral à Saint-Raphaël (Var). À la fin du confinement, il a dû prendre en charge des patients qui présentaient des pathologies quasi disparues. Ils avaient préféré attendre, inquiets à l’idée d’attraper le Covid-19, jusqu’à se retrouver en grande difficulté.

Pendant le confinement, de nombreux patients ont évité le moindre contact, même avec le corps médical. « Le retard des soins a engendré des douleurs dentaires importantes qui auraient nécessité d’être soignées plus vite. C’est aussi le cas pour le cancer, les insuffisances cardiaques, le diabète, et bien d’autres
maladies »
, ajoute le Dr Vermesch.

Dans les hôpitaux français, les infarctus et accidents cardio-vasculaires (AVC) constatés ont été deux fois moins nombreux. Face à l’ampleur de la crise du coronavirus, certains patients ont sous-estimé leur propre pathologie, se mettant en danger en évitant de consulter malgré les signaux d’alerte. D’après le Dr Bigot, cardiologue en établissement de soins de suite et de réadaptation à La Rochelle (Charente-Maritime), « c’est simplement que les gens ne sont jamais arrivés aux urgences. Il va probablement avoir une surmortalité et plus de complications à cause des retards de prise en charge », alerte-t-elle.

Des patients frileux de contacter leur médecin pendant le confinement.

Certains patients atteints de maladies chroniques n’osent plus aller se faire soigner. Une réticence qui peut entraîner de graves complications. Le Dr Bigot s’inquiète particulièrement pour les victimes d’infarctus. « Des patients ont attendu le dernier moment pour se rendre aux urgences. Ils sont arrivés avec des tableaux beaucoup plus sévères que s’ils avaient été pris en charge dans les délais précoces habituels. Cela représente une perte de chance pour les malades cardiaques », alerte-t-elle.

Une baisse d’activité entre janvier et avril 2020.

« Il se peut que le Samu ait hésité »

C’est ce que Justin Breysse, président de l’InterSyndicale nationale des internes, appelle le phénomène de « morbidité collatérale » : « il y a ceux qui meurent du Covid, et ceux qui meurent à cause du Covid. Par exemple, un patient pourrait décéder d’un infarctus parce qu’il n’a pas appelé le Samu, minimisant ses symptômes et de peur d’encombrer des services saturés. Étant débordé, il se peut que le Samu ait hésité à orienter des malades vers les services d’urgence.»

Il n’y a donc pas moins d’AVC et d’infarctus pendant le confinement, mais les méthodes d’enregistrement sont biaisées. Et ce n’est pas tout. Le recensement des causes de décès en 2020 serait largement faussé par le Covid-19, estime Justin Breysse : « Si une personne âgée meurt soudainement, on soupçonnera davantage ce nouveau virus. Dans d’autres circonstances, on supposerait plus un AVC ou une crise cardiaque. »

Pendant la crise, c’est toute l’organisation des établissements médicaux qu’il a fallu repenser. Accueil, suivi et traitements ont été adaptés aux personnes fragiles, comme au centre hospitalier privé de Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine). Le service d’oncologie a mis en place un parcours de soin inédit. Pour éliminer tout risque de propagation, chaque patient doit passer un test – au résultat obligatoirement négatif pour pénétrer dans le service. Une première étape, avant d’être tout de même placé en quarantaine pendant une semaine avant de rejoindre le secteur sensible d’oncologie. Une précaution jugée indispensable, compte tenu de la très faible immunité des patients en chimiothérapie.

Une chute drastique des consultations physiques.

Les consultations physiques n’ont été maintenues que pour les visites annuelles de surveillance, et pour les changements de traitement. Dans l’hôpital de jour, les durées de séjours sont raccourcies, et les sièges en salle d’attente sont espacées d’un mètre, séparés par des bâches.

“C’est du jamais vu.

Enfin, des masques sont distribués à tous les patients. Des masques qui, à La Rochelle, ont fait l’objet de « troc » entre différents établissements. Pour le Dr Bigot,
« c’est du jamais vu ! »

La téléconsultation, un cache-misère ?

Sur le podium des aménagements cliniques, la première place revient à la téléconsultation. Une alternative qui permet non seulement de réduire le nombre de venues à l’hôpital, mais aussi de rassurer les patients qui ont peur de se déplacer. Mais cette méthode a ses limites. Pour le Dr Gobert, cancérologue à Saint-Grégoire (Ille-et-Vilaine), « cela induit une perte de l’aspect humain. Le cancer est une pathologie difficile, la téléconsultation permet juste de maintenir un contact. »

Un sentiment qui rejoint celui du Dr Bauduceau, cancérologue au centre de radiothérapie de Levallois-Perret (Haut-de-Seine), qui a déplacé plus de la moitié de ses consultations : « la téléconsultation fonctionne bien quand le patient n’a pas de problème urgent, mais c’est plus compliqué quand il ne va pas bien. On ne peut pas l’examiner, ni gérer son stress. Imaginez annoncer des mauvaises nouvelles via un écran. »

Le nombre de téléconsultations en hausse.

Du côté des patients, nombreux sont ceux qui y ont vu un acte de bienveillance. C’est le cas d’Ariane J., diabétique de type 1 et insulino-dépendante, immédiatement contactée par son équipe médicale dès l’annonce du confinement. Diabétologue, infirmière de pompe à insuline et médecin généraliste, tous l’ont appelée. « Ils n’avaient qu’un mot d’ordre : la vigilance. Malgré la distance, je me suis sentie traitée comme un vrai être humain. Ils étaient tout aussi attentifs à mon état psychologique », confie-t-telle.

Le Dr Bauduceau continue de privilégier les consultations physiques.

Mais le confinement a aussi sacrifié certains examens. Dans le Finistère, Denise Prat en a fait les frais. À 63 ans, elle souffre d’une fibrose pulmonaire et prend un traitement immunodépresseur. Le 18 mars dernier, elle devait passer la journée à l’hôpital de Brest en vue d’adapter son traitement. Non considérée comme un cas urgent, tous ses rendez-vous ont été annulés – avec des conséquences directes sur son quotidien. « Je suis de plus en plus essoufflée chaque jour, et je risque de choper tout ce qui passe », s’inquiète-t-elle.

Fahim Sultan*, quant à lui, souffre d’une tendinite à l’épaule. Toutes ses séances de kinésithérapie ont été suspendues. Il doit donc faire face à de nouvelles douleurs pendant le confinement.

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De nouveaux réflexes à conserver

D’autres patients ont vu leur opération annulée. Toutes les interventions chirurgicales non urgentes ont été reportées. Marie* souffre d’un doigt à ressaut. Sa douleur aurait dû être apaisée grâce à une opération prévue début mars. Suite à son annulation, Marie a subi des douleurs difficiles supporter. « Je ne peux pas du tout ouvrir mon doigt, je ressens une sensation de brûlure tout le long des phalanges », déplore-t-elle. Son médecin l’a rappelée suite à l’annonce du déconfinement pour reprogrammer une intervention, le 25 mai. Un soulagement pour cette retraitée, qui avait peur d’être à nouveau coincée en cas d’une deuxième vague.

Chaque accès au cabinet levalloisien, très limité, est encadré par des règles d’hygiène strictes – comme le port du masque en continu.

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Les opérations, examens et consultations reprennent progressivement leur rythme habituel depuis la fin du confinement. « On sent que la pression commence à
diminuer », constate le Dr Gobert – même si les règles d’hygiène et les parcours de soins sont maintenus. Et pour le Dr Bigot, bon nombre de ces nouveautés devraient être conservées à l’avenir : « il y a eu de bonnes idées. Comme le fait que les médecins appellent leurs patients d’eux-mêmes. On ne le faisait jamais, on devrait continuer de le faire. »

Texte et photos : Marine Saint-Germain et Sarah Ziaï

 

*Certains noms ont été modifiés

Un numéro d’écoute pour les professionnels de santé en détresse

Face au malaise et à la détresse d’une partie du personnel de santé, un numéro d’écoute a été mis en place. Huit infirmiers se sont suicidés l’année dernière. 

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Mal-être, épuisement professionnel, souffrance au travail… Face à la détresse d’une partie des professionnels de santé, un numéro d’écoute disponible 7 jours sur 7 et 24h/24. a été mis en place. Crédits : CC

Mal-être, épuisement professionnel, souffrance au travail… Les professionnels de santé sont particulièrement touchés. Face à la détresse de certains, un numéro d’écoute a été mis en place. Le 0.800.800.854 est disponible 7 jours sur 7 et 24h/24. Il doit venir en aide aux professionnels de santé, « sur tout le territoire », détaille l’Ordre national des infirmiers.

Grâce à ce numéro, les soignants seront en contact avec « des psychologues cliniciens formés » et pourront « bénéficier d’un soutien psychologique » immédiat. Ils pourront également se voir proposer un accompagnement de terrain, par une association ou une structure locale. En cas de violence, agression, litige ou pour des questions déontologiques, administratives ou juridiques, le personnel soignant sera orienté vers l’interlocuteur adéquat. Le président du conseil national de l’Ordre des médecins, M. Bouet, a indiqué que le service sera financé par les « cotisations des professionnels« .

« Ce malaise a un coût social »

Ce numéro d’écoute devra permettre de faire face au malaise du personnel soignant, les infirmiers en tête. Dans cette profession, « huit suicides avérés » ont été recensés l’année dernière. Horaires de travail à rallonge, agressivité des patients, charge de travail trop importante… Plus de huit infirmiers sur dix affirment se sentir « très souvent » ou « quelques fois » « émotionnellement vidés par leur travail », d’après une enquête réalisée par l’Ordre des infirmiers. Un quart des personnes interrogées déclare avoir déjà consulté un psychiatre ou un psychologue pour des questions liées à leur travail.

« On voit bien que ce malaise a un coût social, une répercussion sur la santé, sur les erreurs qui peuvent être faites auprès des usagers« , a déclaré Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers.

 

Camille Sarazin avec AFP