Salon du livre africain : une vitrine pour une culture qui manque de représentativité

Ce vendredi 24 septembre marque le lancement du premier Salon du livre africain de Paris. Dans les locaux de la mairie du 6e arrondissement, auteurs et éditeurs africains, entre autres, vont promouvoir une culture qui manque parfois de visibilité. Au programme: échanges, dédicaces et tables rondes. 

Crédits : Inès Mangiardi

Déambuler dans une salle, puis dans une autre, et finalement s’arrêter pour jeter un oeil à une quatrième de couverture. Cette scène va se répéter pendant trois jours, à la mairie du 6e arrondissement de Paris. Elle sera jouée par les visiteurs du Salon du livre africain, qui se tient pour la première fois en France. 

« Donner une visibilité »

Sur les stands recouverts de nappes souvent colorées et en wax, ce célèbre tissu africain, trônent des livres en tous genres. Ils ont pourtant un point commun: ils promeuvent la culture du Continent Noir. Le but était clair pour le directeur de l’évènement. Eric Monjour souhaitait « donner une visibilité à la littérature africaine à Paris ». 

C’est chose faite en ce premier jour du salon, auquel vont participer quelque 200 auteurs ainsi qu’une trentaine d’éditeurs et de libraires. Exposants comme visiteurs se mettent d’accord pour saluer « une très bonne initiative ». Avec déjà trois nouveaux livres à la main, Cissé, d’origine sénégalaise et malienne, fait en effet part d’un « manque »: « J’ai l’impression que sans ce genre d’évènement, il est peu probable de trouver des livres avec des personnages qui ressemblent à des afros. Mes enfants sont en demande. »

Constat partagé par Fatbintou, bénévole, qui espère pouvoir exposer son livre, tout juste sorti du four, lors de la prochaine édition du salon. « C’est intéressant car la littérature africaine n’est pas encore assez mise en avant, notamment dans les écoles. Ce serait bien qu’il y ait un peu plus de représentativité », déplore-t-elle juste avant de contrôler les QR code des nouveaux arrivants. Son masque coloré assorti à son turban rappelle que la pandémie n’est pas derrière nous. Mais le brouhaha ambiant, créé par les échanges entre exposants et visiteurs, rappelle le temps d’avant Covid et se mêle au doux bruit des pages qui se tournent. 

Des auteurs « très présents » dans les maisons d’édition 

La maison d’édition Nofi propose justement tout un éventail d’ouvrages jeunesse. Certains livres parlent du continent africain, d’autres pas du tout, comme la collection de Neïba Je-sais-tout. Mais sur la couverture, l’illustration d’une petite fille noire rappelle cette volonté de pallier un manque de représentation. 

La littérature africaine est pourtant « très présente » selon Marie Kattie, chargée de communication des éditions Présence africaine. « Aujourd’hui, on trouve des auteurs africains dans un grand nombre d’éditions, contrairement à avant », avance-t-elle derrière les piles de livres qui constituent son stand. Pour elle, cet évènement est justement l’occasion de « concentrer dans un même lieu ce qui est produit par la diaspora africaine ». 

Contrairement à d’autres salons littéraires, Eric Monjour a d’ailleurs pris le parti de faire venir des auteurs auto-édités. C’est notamment le cas d’Elvis Ntambua, qui dédicacera samedi son premier roman Makila. Si lui aussi conçoit une certaine visibilité des auteurs africains en France grâce aux maisons d’édition, l’écrivain congolais reconnait que « ce salon est une façon de valoriser cette littérature, qui a souvent été oubliée ». 

Intéresser un nouveau public

Cet évènement est aussi l’occasion de séduire de nouveaux lecteurs. Darcelle, de passage à Paris, avoue ne pas s’intéresser à ce type de littérature à l’ordinaire. Mais dans le grand salon François O. Collet de la mairie, orné de moulures et de dorures, elle se laisse pourtant surprendre à feuilleter des ouvrages. Elle est venue « par curiosité », et n’exclut pas l’idée de repartir avec un ou deux livres dans sa valise pour New York. Martine, qui accompagne un ami, se laissera quant à elle volontiers tenter par les tables rondes qui ponctueront le salon

Auteurs, éditeurs, libraires ou associations présents, africains ou non, francophones ou non, espèrent en tous cas une même chose: se faire connaitre et faire connaitre la culture à laquelle ils sont attachés. Un objectif qui semble en bonne voie, puisqu’Eric Monjour compte bien réitérer l’expérience tous les deux ans, en essayant de regrouper des protagonistes représentant chaque pays d’Afrique. 

Inès Mangiardi 

Coup d’état déjoué au Soudan : le spectre de l’ancien régime pèse sur la transition démocratique

Le putsch manqué à Khartoum vient rappeler les vives dissensions qui existent entre les militaires et les civils au sein du gouvernement de transition. Mais face aux multiples dossiers internationaux, l’unité demeure primordiale pour les parties prenantes.

Abdalla Hamdok at World Hydropower Congress 2017 @Wikimedia Commons

 

Enième test pour la transition démocratique au Soudan. Les autorités soudanaises ont annoncé mardi avoir déjoué une tentative de coup d’Etat attribuée à des militaires fidèles au président déchu Omar El-Béchir. « Onze officiers et plusieurs soldats ayant participé au complot manqué » ont été arrêtés, a précisé Hamza Bahloul, le ministre de l’Information. « Ce coup d’état semble très mal préparé », affirme Roland Marchal, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Afrique sub-saharienne. « Il n y’avait pas de consensus réel au sein des officiers supérieurs ».

Le Chef de l’armée et président du Conseil de souveraineté Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane a d’ailleurs immédiatement pris ses distances avec cette initiative ratée. « Si elle avait abouti, cette tentative aurait eu des conséquences destructrices pour l’armée, les forces régulières et le pays », a-t-il déclaré face aux soldats du campement militaire d’Al-Shajara, au sud de la capitale, que beaucoup d’observateurs estiment être le point de départ de la fronde.

Tensions entre civils et militaires

« C’est une tradition au Soudan : l’armée a tenté maintes fois de prendre le pouvoir, et a échoué de nombreuses fois », affirme Roland Marchal. C’est d’ailleurs un énième coup d’Etat qui avait eu raison d’Omar El-Béchir, lui-même arrivé au pouvoir suite à un putsch en 1989. Après 30 ans de règne sans partage, il avait été destitué par l’armée sous la pression des manifestations entamées fin 2018. La « révolution de décembre » réclamait le départ du dictateur – accusé de « génocide » au Darfour – ainsi que la mise en place d’élections libres.

Depuis, le pays avance sur un chemin de crête : un gouvernement de transition – mêlant des militaires et des civils issus de diverses sensibilités politiques – a été mis en place en avril 2019. Mais les tensions restent fortes entre l’armée, institution politique fondamentale au Soudan, et les civils issus des partis politiques ainsi que de la société civile. Rechignant à perdre leur mainmise sur le pouvoir, les militaires retardent la passation du pouvoir, sur fond de situation économique délicate.

Pris en étau entre la volonté d’améliorer le quotidien des Soudanais et l’envie de rassurer les partenaires internationaux, le gouvernement d’Abdallah Hamdok a initié ces derniers mois une série de réformes économiques libérales pour obtenir un allègement de sa dette auprès du Fonds monétaire international (FMI). Celles-ci ont provoqué une série de manifestations à travers le pays, qui connaissait une inflation annuelle de plus de 400% en juin dernier. « Certains officiers ont probablement voulu surfer sur le mécontentement dû à la crise économique pour obtenir un ralliement au putsch, ce qui ne s’est pas produit au final ».

Enlisement de la transition

Malgré la crise économique, le soutien populaire à la promesse démocratique reste fort. Mais au sein du gouvernement de transition, les acteurs semblent jouer la montre. « La révolution a promu des personnes qui étaient dans le mouvement ayant renversé Omar El-Béchir », rappelle Roland Marchal. « Mais d’un point de vue électoral, ces personnalités progressistes restent peu connues en dehors des grandes villes. Pour gagner d’éventuelles élections, ils ont besoin de temps pour montrer qu’ils sont capables de mener des réformes », estime le chercheur.

Une donnée qui se conjugue avec l’importance traditionnellement accordée à l’armée. « Dans l’histoire soudanaise et le discours des hommes politiques du pays, l’armée est une expression de la nation », explique-t-il. D’autant plus les multiples périls internationaux – notamment avec l’Ethiopie autour du Grand barrage de la Renaissance – réaffirment encore plus la place des militaires.

« Il n’est pas exclu que l’on assiste à un retour du dossier éthiopien sur la table, avec une surévaluation des risques par l’armée soudanaise », explique Roland Marchal. « Pour avancer sur les questions sécuritaires internationales – Ethiopie, Libye, et Erythrée – le gouvernement doit jouer l’unité avec l’armée ».

 

Mehdi LAGHRARI

Pourquoi le Royaume-Uni conserve l’Afrique du Sud en liste rouge sanitaire

Le coronavirus ne cesse de fragiliser l’Afrique du Sud. Le pays fait du sur-place sur la « liste rouge » sanitaire britannique. Les voyageurs de retour au Royaume-Uni restent tenus de passer dix jours dans un hôtel imposé, pour un coût d’environ 2 000 euros. Une décision qui révolte scientifiques, politiques tout ainsi que les professionnels du tourisme.

Alors que les chiffres de contaminations sont au plus bas en Afrique du Sud avec seulement 34 cas recensés pour 100 000 personnes au cours des sept derniers jours, le pays est maintenue sur la « liste rouge » de la Grande-Bretagne, ce qui décourage les touristes britanniques en leur imposant au retour une quarantaine stricte.

L’incompréhension règne chez les scientifiques, les politiques comme chez les professionnels du tourisme. Accusations de discriminations et soupçons de racisme fusent dans des communiqués de presse comme sur les réseaux sociaux.

Symbole de cette colère, Tulio de Oliveira, le professeur et bioinformaticien qui a identifié en décembre 2020 le variant Beta, appellé aussi C.1.2 ou « sud africain », a dénoncé des décision « non-scientifiques » de la part du gouvernement britannique.

Une pétition appelant le gouvernement de Boris Johnson à retirer d’urgence l’Afrique du Sud de la liste rouge a accumulé 37 300 signataires au moment de la rédaction de cet article. Il en faut 100 000 pour que la question soit examinée au Parlement.

En réponse à cette mobilisation, le Royaume-Uni a déclaré maintenir sa position en vue des « dernières données scientifiques et avis de santé publique ». Une décision motivée par la crainte d’un « variant préoccupant ».

Mélina Huet est journaliste indépendante. Elle a rejoint l’équipe de Yann Arthus Bertrand pour le film HUMAN. Ancienne photo-reporter en Afrique du Sud, elle nous explique les raisons de ce conflit d’intérêt.


  • Quel est le contexte politique entre l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni ?

« Les liens entre les deux pays sont forts en raison d’une histoire commune, ce sont des partenaires économiques et culturels, notamment grâce à la communauté du Commonwealth. En 2021, on estime à plus de 200 000 le nombre d’expatriés venant du Royaume-Uni vivant encore en Afrique du Sud, et ce malgré la pandémie.

L’un et l’autre se « ménagent » dans leurs relations diplomatiques dites « traditionnelles » mais la pandémie a grandement affecté ces relations.


  • Cette liste rouge britannique qui concerne l’Afrique du Sud est-elle justifiée selon-vous ?

Plusieurs virologues expliquent de manière rationnelle (scientifique) qu’il n’y a pas davantage besoin de paniquer face au variant Beta que pour les mutations précédentes. Alors pourquoi l’Afrique du Sud ? Si l’on reste logique, il faudrait imposer une quarantaine aux voyageurs revenant de certains États américains, comme l’Alabama par exemple.

Évolution du nombre de nouveaux cas par jour en Afrique du Sud.

Le Royaume-Uni se permet d’inscrire l’Afrique du Sud dans cette liste pour deux raisons. Premièrement, de nombreux citoyens restent marqués inconsciemment par la dénomination de ce variant, « le variant sud-africain », tout comme on a pu avoir la « grippe espagnole » en 1918 (qui ne venait pas d’Espagne) ou encore « le virus chinois » en 2020. Cela participe de l’acceptation d’une telle mesure dans l’imaginaire collectif.

Par ailleurs, politiquement, le Royaume-Uni s’autorise d’inscrire l’Afrique du Sud sur cette liste car Boris Johnson ne craint pas un retour de bâton aussi fort que s’il y inscrivait un partenaire ultra puissant comme les Etats-Unis.

Cela raisonne chez beaucoup de Sud-africains comme une règle inéquitable entre les pays dits « occidentaux » et ceux encore considérés « en développement ». Ils vivent donc ces mesures comme une forme de racisme.


  • Quel est l’état du tourisme en Afrique du Sud ?

Il faut comprendre que c’est un pays qui a un portefeuille entier consacré au tourisme. C’est dire l’importance de la part de cette activité dans l’économie du pays. On estime à environ 10 % les métiers qui en dépendent directement.

En 2019, environs 16 millions de voyageurs avaient choisi l’Afrique du Sud pour leur vacances. En 2020, le pays a vu ce nombre chuter à moins de 5 millions, notamment en raison des restrictions de voyage imposés par différents pays très habitués à y voyager grâce aux liens historiques et de la langue.

Imposer deux semaines de quarantaine à tout voyageur revenant d’Afrique du Sud, c’est augmenter drastiquement la prise de congés de tout citoyen britannique désirant aller faire un safari. Donc c’est empêcher, de facto, le voyage là-bas ou le retour de ses propres citoyens pour raisons familiales notamment.

Exiger un pass sanitaire et des mesures de distanciation strictes (ce qui est le cas dans de nombreux pays) suffirait amplement. »


 

Pierre Berge-Cia