Le sans gluten: effet de mode ou sain-Graal des régimes ?

Le gluten est devenu l’ennemi alimentaire numéro 1 des Français. Adopter le régime “gluten-free” permettrait non seulement de perdre des kilos superflus mais aussi de garder une forme olympique. Les produits se substituant à cette protéine du blé se trouvent maintenant partout : dans les supermarchés, au restaurant. Les bons conseils se multiplient sur Internet. Mais face à ce phénomène de mode, les professionnels de santé restent sceptiques. Car les vertus du sans gluten restent à prouver, hormis pour les véritables allergiques, pour qui ce régime n’est pas un choix.

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Après Novak Djokovic, c’est au tour d’ Oprah Winfrey, Lady Gaga et Miley Cyrus de s’essayer au régime sans gluten. L’objectif ? Se soigner pour l’un, maigrir pour les autres. Cette protéine contenue dans certains céréales comme le blé, l’orge, le seigle et l’avoine permet de donner de l’élasticité aux aliments. Par extension, elle sert de liant dans de nombreux produits et se retrouve ainsi dans des plats préparés, dans la charcuterie ou même dans la bière. Déclaré intolérant au gluten en 2011, le numéro 1 mondial du tennis a adopté ce régime très restrictif et supprimé pain, pâtes, et tout ce qui contient du gluten de son alimentation. Devenu l’icône de la gamme sans gluten de Gerblé, il ne manque pas de vanter les mérites d’un régime gluten-free. D’autant plus que ses résultats sportifs sont au rendez-vous. “Effet Djokovic » immédiat. Adopter le régime sans gluten : remède miracle pour digérer plus facilement et se sentir bien dans ses baskets.

Le réseau gluten-free

Et si le sans gluten a envahi le monde du showbiz, il s’est également propagé sur la toile. Les blogs et sites consacrés au monde “gluten-free” se multiplient. Les internautes partagent des recettes, mais aussi des bons plans à l’image du site www.sortirsansgluten.com qui répertorie les endroits où manger sans gluten à Paris. Parmi eux, My Free Kitchen tenu par Philippe et Carole Kanaan. En 2012, Carole est diagnostiquée allergique au gluten et au lactose. Le frère et la soeur décident alors de créer un restaurant “100% bio, 100% sans gluten, 100% sans lactose”. Dans la capitale, les adresses commencent à fleurir tandis qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni on ne les compte plus.

My Free Kitchen : 100% bio, 100% sans gluten, 100% sans lactose (vidéo Camille Roudet)

Le sans gluten fournit aussi son lot d’idées insolites comme une galerie de tableaux revisitée où un ingrédient manque à l’appel.

http://glutenimage.tumblr.com/post/112145053001/daprès-giuseppe-arcimboldo

Et pourquoi pas en profiter pour trouver l’âme-soeur ? Ca semble possible avec « Glut’aime, l’amour sans gluten », le nouveau site insolite de rencontre français.

“Je digère mieux depuis que j’ai arrêté”

Une propagation dans les médias, des bienfaits supposés et de plus en plus d’adeptes. Parmi eux, Olivia Simard. A 19 ans, l’ étudiante en licence d’anglais a choisi d’arrêter le gluten depuis neuf mois et ne regrette pas. « Je faisais des crises d’asthme, et mon médecin m’a suggéré d’arrêter le gluten. Je n’ai pas fait de test pour confirmer une allergie. Toutefois, je me sens réellement mieux, je suis plus dynamique et reposée. Je m’autorise tout de même quelques entorses, même si je l’ai supprimé en grande partie de mon alimentation ». Noémie (prénom modifié), mère de deux enfants intolérants, a aussi décidé d’adopter le régime de ses garçons. “En ce qui me concerne, je ne suis pas allergique ou intolérante, mais j’observe une nette amélioration. Je digère par exemple mieux mon plat de pâtes sans gluten qu’avec” explique la directrice artistique de 45 ans.

Une économie florissante

Arrêter le gluten semble d’autant plus facile que les industries agro-alimentaires n’ont pas m’y longtemps à surfer sur cette nouvelle vague. La vente du sans gluten paraît atteindre son paroxysme avec une croissance supérieure à 40% pour l’année 2014. D’abord réservé aux magasins bio spécialisés tels La Vie Claire ou Naturalia, les produits sans gluten envahissent aujourd’hui les grandes surfaces. A l’image de Gerblé, pionnier, c’est maintenant au tour de marques discount de proposer une gamme sans gluten. Sur chaque produit, se dessine un épi de blé barré. Mis en place par l’AFDIAG (association française des intolérants au gluten), ce logo assure que l’aliment contient moins de 20 mg/kg de gluten. Aujourd’hui, près de 110 sociétés l’affichent, tant des entreprises pionnières telles que Fleury Michon, qui propose des plats préparés sans gluten, que des nouveaux entrants sur le marché.
Malgré cette offre grandissante, les prix pratiqués restent très élevés. Un paquet de pâtes pouvant être jusqu’à cinq fois plus cher sans gluten.

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(Source : La vie claire et Leclerc)

Cela ne semble pas arrêter les gluten free, convaincus que le jeu en vaut la chandelle. “Depuis que j’ai arrêté le gluten, je me sens moins ballonnée après les repas. Cela vaut le coup d’acheter quelques produits un peu plus chers”, ajoute Olivia Samard. Cette démocratisation profite aussi aux malades coeliaques car l’offre s’agrandit. “Heureusement, les produits sans gluten se démocratisent, on en trouve plus facilement. Toutefois, cela reste un budget très important, j’espère que les prix vont baisser. » déplore Noémie (prénom modifié). A l’étranger, les prix du sans gluten ont déjà chuté car la démocratisation est arrivée plus tôt. L’Angleterre ressemble à un paradis pour gluten-free autant l’offre est importante et les prix cassés. “ Quand je vivais en Angleterre, je trouvais beaucoup plus de produits et à des prix plus raisonnables. En France, c’est maintenant beaucoup mieux car l’offre s’étend mais cela reste beaucoup plus cher” explique Carole Kanaan, gérante du Restaurant My Free Kitchen. Même chose en Espagne. Dans un Mercadona, une enseigne de grande surface très présente dans le Sud, un paquet de pâtes de 500g sans gluten coûte environ 2 euros pour le double en France.

Dans les supermarchés, l'épi de blé barré apparaît dans les rayons
Dans les supermarchés, l’épi de blé barré apparaît dans les rayons

Mais qu’en pensent les médecins ?

Les patients en quête de réponses sur le mystérieux gluten se succèdent dans les cabinets des diététiciens. Julien Rebeyrol, diététicien et nutrionniste du sport à Lyon admet voir de plus en plus de personnes se questionnant sur cette protéine même si quatre sur cinq ne se révèlent finalement pas intolérants. Pour certains, cela releverait d’une tendance à l’orthorexie, l’obsession de manger sain à tout prix. “Avant le grand méchant, c’était le lactose. Maintenant c’est le gluten. Après ce sera autre chose” explique t-il. Selon lui, les coupables : les industries agro-alimentaires qui favorisent les psychoses alimentaires et entretiennent cette mode. “Ces régimes sont juste un business ! Il s’agit de donner l’impression de manger sain, alors que ce n’est pas le cas.” reprend Camille Petit, diététiciene à Paris. Et le régime sans gluten comme amincissant ? Une ineptie pour les deux spécialistes. “Le gluten est contenu majoritairement dans des féculents et on a tendance à croire qu’ils font grossir, à tort. Au contraire, ils sont nécessaires à notre alimentation et il faut en manger à tous les repas” poursuit le lyonnais. “Evidemment, celui qui arrête cette protéine fera beaucoup plus attention à ce qu’il mange et va certainement mincir. Mais ce sera exactement la même chose s’il arrête de manger du lait ou de la viande “ ajoute Camille Petit.

Y’a t-il des risques ?

L’avis des deux médecins est ainsi sans appel: un patient ne doit pas arrêter le gluten s’il n’est pas intolérant. “ L’arrêt de la protéine pourrait rendre allergique. A force de ne plus ingérer de gluten, le corps pourrait répondre par la production d’anticorps en le rejetant. Il ne faut donc pas prendre cela à la légère. Cela peut réellement se révéler dangereux.” explique Julien Rebeyrol. Cependant, il faut ajouter que la recherche sur le gluten se poursuit et qu’aujourd’hui, cette crainte n’est pas prouvée scientifiquement. De plus, Jean Brice Cazals, gastroentérologue à la Clinique Esquirol d’Agen note que dans la majorité des cas, les “gluten free” diminuent leur consommation de gluten sans pour autant l’arrêter complètement tant ce régime est restrictif. “ Je ne vois pas d’inconvénients à diminuer le gluten si le patient se sent mieux dans le sens où il ne l’arrêtera jamais complètement.”

Une tendance à l’auto diagnostic

Autre sujet d’angoisse : l’auto diagnostic trop systématique. “A force d’entendre des choses sur les soi-disants effet du gluten, les gens ont de plus en plus tendance à le supprimer d’eux-même, sans consulter. C’est là où est le problème”, reprend le nutritionniste du sport. Un test sanguin pour rechercher une intolérance au gluten coûtant 90 euros, cela peut être un frein à une consultation médicale. “ Il y a encore peu de temps, les médecins généralistes n’avaient pas le réflexe de s’interroger sur une intolérance au gluten, car c’était moins médiatisé qu’aujourd’hui. Vu le prix du test sanguin, je peux comprendre que les gens diminuent d’eux-mêmes le gluten sans pour autant faire un test ” nuance Jean Brice Cazals. Marina Cavata, à l’inverse, a découvert l’intolérance au gluten grâce à la médiatisation du phénomène et a fait le choix de se rendre chez un spécialiste. “Dès que je mange des pâtes, des pizzas ou des gâteaux, j’ai certains symptômes qui correspondent à une allergie au gluten, comme des diarrhées ou des maux de ventre. Actuellement j’attends les résultats de ma prise de sang pour savoir si je suis allergique ou simplement sensible à cette protéine” raconte la jeune femme.

Allergique ou intolérant ?

En effet, selon Jean-Clément Farine, gastroentérologue à la clinique Sainte Marguerite à Toulon, il faut bien distinguer intolérance et allergie au gluten. Seul 1% de la population, soit environ 500 000 personnes seraient concernés par la maladie coeliaque. En revanche, 6% à 8% de la population serait sensible. “Concrètement, il y a plus de patients diagnostiqués cœliaques tout simplement parce qu’on connaît mieux la maladie et qu’on effectue plus de tests”, poursuit le docteur Jean Clément Farine. « On peut la diagnostiquer en faisant une prise de sang. On recherche alors des anticorps qui révèlent l’allergie au gluten. On confirme ensuite le diagnostic avec une biopsie de l’intestin grêle.” En cas d’allergie au gluten, on observe une atrophie des villosités de l’intestin grêle. Le corps n’est plus capable d’absorber correctement les nutriments, ce qui peut provoquer des carences. Les symptômes sont souvent des diarrhées, une grande fatigue. Le vrai problème concerne l’intolérance au gluten. “Il existe une cinquantaine de tests pour détecter l’intolérance : or aucun d’entre eux n’est valable, ni scientifiquement prouvé. C’est là tout le travail de la recherche” analyse t-il. En réalité, l’intolérance semble être une catégorie fourre-tout puisqu’il s’agit d’un mal sans preuve biologique.

Le sans gluten comme régime miracle reste donc encore à prouver. Les spécialistes s’interrogent toujours autant sur les bienfaits que les méfaits d’un tel mode de vie. Mais, à ce jour, bannir le gluten de son alimentation ne semble pas légitime tant cela est contraignant lorsque l’on est pas intolérant. D’autant plus que derrière la lubie existe une véritable maladie, parfois décrédibilisée par ce phénomène de mode. Le régime sans gluten répond à une tendance plus large, presque obsessionnelle, de manger toujours mieux, sans édulcorants, sans conservateurs, sans matière grasse et maintenant sans gluten. Et les industries agro-alimentaires amplifient le phénomène dans la course aux produits les plus sains. A se demander ce qui, après le gluten, sera le nouvel ennemi à combattre pour atteindre le saint régime.

Cyrielle Cabot

 

 

la vague e-sportive est partie de Corée du Sud

Ce pays de l’est-asiatique fournit aujourd’hui les meilleurs joueurs du monde. L’engouement face à l’e-sport est devenu si important que le gouvernement coréen a dû intervenir.

Au pays du Matin Calme, le Baseball est une religion. Mais depuis une vingtaine d’années, la Corée du Sud s’est découvert une nouvelle passion, le jeu-vidéo. En 1997, l’industrie coréenne subit de plein fouet la crise asiatique. Dans le même temps, presque par accident, le pays va voir naître un phénomène qui deviendra mondial : le sport électronique.

Pour faire face à la crise, les gamers coréens qui n’ont plus les moyens de s’équiper pour s’adonner à leur passion se retrouvent dans des salles qui louent leur matériel et une connexion internet. Ces « Pc-bangs » deviennent tellement fréquentés qu’il s’en crée près de 20 000 en deux ans. Malgré l’embargo du gouvernement sur les consoles japonaises, la vente de jeux-vidéo explose. Grâce en partie à un titre qui arrive à accéder au marché sud-coréen, Starcraft. Une communauté de passionnés se forme autour de ce jeu et en 2000, le gouvernement se voit presque contraint de fonder la KeSPA (Korean e-Sport Association). Un an plus tard, le développeur Blizzard vend deux millions d’exemplaires de son titre “phare”.

Quinze années se sont écoulées, et la Corée du Sud reste le pays qui fournit les meilleurs joueurs professionnels de sport électronique. En 2013, 17 des 20 meilleurs joueurs mondiaux du jeu Starcraft II étaient coréens. Les équipes sont sponsorisées par de grandes marques, et les parties sont regardées en direct par des centaines de milliers de spectateurs. Le gouvernement a même débloqué près de 200 millions d’euros pour soutenir l’industrie du e-Sport, en attendant la construction d’un stade à Séoul pour accueillir les grandes compétitions. La finale mondiale du célèbre jeu League of Legends a déjà attiré l’an dernier près de 40 000 spectateurs dans une enceinte construite pour la Coupe du monde de football en 2002. « En Corée du  Sud, ils vivent avec des claviers. Nous, avec des ballons au pied », confirme Christopher Labbé, jeune gamer professionnel.

Si les plus jeunes vouent un culte sans faille à ce type de pratiques, le gouvernement émet tout de mêmes quelques réserves, et tente de lutter contre l’addiction des plus jeunes. Depuis 2011, la loi « Shutdown » (surnommée « loi Cendrillon » par ses détracteurs) interdit les Coréens de moins de 16 ans de jouer en ligne entre minuit et 6h du matin, avec la mise en place d’un enregistrement par carte d’identité. Mais le système est facilement contournable, et les entreprises ne voient pas d’un bon œil cette limitation. En 2013, un nouveau projet de loi « anti-addiction » a dû être suspendu.

Malgré l’inquiétude des anciennes générations, le sport électronique est toujours plus populaire en Corée du Sud, et s’est développé dans le monde entier en réunissant des dizaines de millions de joueurs. Depuis 2015, il est même reconnu comme un sport de second niveau par le Comité National Olympique Coréen. Si la présence de cette discipline aux Jeux Olympiques reste pour l’instant utopique, c’est une avancée non-négligeable dans la quête de légitimité de l’e-sport.

Tristan Baudenaille-Pessotto et Damien Canivez

 

“Yogg”, l’un des meilleurs gamers de France

Après une licence en psychologie, Damien L’Hostis a décidé de devenir joueur professionnel.

Mercredi dernier, le Meltdown affichait presque complet. Le lieu de rendez-vous des gamers parisiens organisait comme chaque semaine son tournoi Hearthstone. Par ordinateurs interposés, les compétiteurs se sont affrontés à travers le jeu de cartes (en anglais DCG, Digital Card Game) dérivé de World of Warcraft, le jeu de rôle aux 10 millions d’abonnés. Damien L’Hostis, venu prendre un verre avec ses amis, a fait ses gammes sur “WoW”, avant de passer le plus clair de son temps sur Hearthstone. « En fait je suis un grand fan des jeux développés par Blizzard » assure-t-il. « J’ai débuté il y a quelques années sur World of Warcraft et Diablo, et j’ai décidé de tester mon niveau sur les DCG ». Bien lui en a pris, car il fait désormais partie du top 10 des joueurs européens sur ce titre. S’il ne joue pas ce soir, c’est aussi parce que le niveau amateur ne l’intéresse plus.

“Yogg”, comme il se fait appeler, est un pro-gamer.  À 25 ans et après avoir obtenu une licence de psychologie à Brest, il a décidé de se consacrer totalement au sport électronique. Recruté par GamersOrigin grâce à ses résultats, il fait maintenant partie de la deuxième meilleure équipe française derrière Millenium, et peut se permettre de vivre de sa passion. Il n’a pas de sponsor, mais grâce au salaire que sa « Team » lui verse et aux résultats qu’il obtient, Damien gagne environ 900 euros par mois. « Pour l’instant, je ne fais que du coaching et des tournois,  précise-t-il, dès le mois prochain, je me lance dans le streaming ». Autrement dit, à diffuser ses entraînements en ligne sur Twitch, une plateforme de flux vidéos en direct grâce à laquelle il encaissera entre 600 et 1800 euros supplémentaires suivant le nombre de viewers (téléspectateurs) de ses parties. Son équipe s’est associée avec la chaîne Twitch « Hearthstone Strategy FR » pour produire du contenu. Des parties sont disputées en ligne par les joueurs professionnels de GamersOrigin, et sont commentées en direct par les animateurs de HSFR.

Lors de la dernière édition de la Gamers Assembly qui s’est tenue à Poitiers il y a quelques jours, “Yogg” a fini 3ème sur Hearthstone. Sa dextérité et son intelligence de jeu lui ont permis d’empocher 600 euros, une manne financière non négligeable. En France, le sport électronique reste cependant très mal réglementé. Pas de fédération, pas de statut professionnel. Les joueurs restent livrés à eux-mêmes, et il est très rare qu’ils réussissent à vivre de leur passion pendant plusieurs années. En attendant une retraite précoce, Yogg continue de cliquer sur sa souris, en espérant bientôt se rapprocher des émoluments des meilleurs mondiaux.

Tristan Baudenaille-Pessotto et Damien Canivez

 

Bande-dessinée : les revers d’un succès

Au premier coup d’œil, la bande-dessinée semble ne s’être jamais aussi bien portée. De plus en plus médiatisé, le 9ème Art s’offre une visibilité inédite. Mais le constat est moins rose qu’il n’y paraît.

Elle a beau ne pas manquer de lecteurs, la BD a connu des jours meilleurs
Elle a beau ne pas manquer de lecteurs, la BD a connu des jours meilleurs / photo F.Z.

Ces dernières années, l’explosion du nombre de publications de BD peut laisser penser, en trompe l’oeil, que le secteur est en bonne santé. Néanmoins, ce dernier n’a pas échappé à la crise de l’édition. En 2014, son chiffre d’affaire a reculé de 2% par rapport à 2013 pour finalement tomber à 409 millions d’euros, selon l’institut d’études de marchés GFK. Explications.

Depuis la fin des années 1990, le nombre de titres publiés connaît une croissance exponentielle. « On sortait environ 700 albums en 1994, on en a produit plus de 5000 en 2014 », explique Benoît Peeters dans une interview accordée au Figaro. Le scénariste et écrivain préside les Etats généraux de la bande-dessinée, lancés lors de la dernière édition du festival d’Angoulême. Cette initiative vise à dresser un bilan de la situation de la bande-dessinée en France. Y participent aussi bien des intellectuels que des professionnels du métier.

Le lectorat, s’il s’est élargi à la fin des années 1950 avec la révolution Pilote et l’émergence de la BD pour adultes, « n’a pas augmenté dans les mêmes proportions » que le nombre d’albums publiés. En résulte une offre de loin supérieure à la demande. Un constat confirmé par Jean-Christophe Ogier, journaliste à France Info et spécialiste du 9ème Art : « Il y a vingt ans, un tirage moyen pouvait tourner autour de 10 000 exemplaires quand on mettait une BD sur le marché; aujourd’hui, quand on tire 3 000 exemplaires, cela paraît normal ».

Toutefois, les têtes d’affiche bénéficient toujours de tirages importants : 430 000 exemplaires du dernier opus de Blake et Mortimer, 350 000 exemplaires de Joe Bar Team, à égalité avec le dernier Largo Winch et le dernier tome du Chat de Geluck, selon le rapport annuel de Gilles Ratier pour l’Association des critiques de bandes-dessinées (ACBD), un bilan économique de référence dans le domaine.

Autre facteur participant au ralentissement de la croissance économique : la multiplication du nombre de maisons d’édition. En 2014, 349 éditeurs sont présents sur le marché de la BD, mais toujours selon le rapport Ratier, « trois groupes, Delcourt, Dargaud et Glénat, toujours aussi puissants, dominent l’activité du secteur et totalisent 36,52% de la production ».


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Des planches d'Agrippine dans l'attente d'une mise en couleurs


Le monopole des têtes d’affiches

La précarisation des auteurs de bandes-dessinées est la conséquence directe de cette explosion de l’offre et de la forte diminution des tirages. Un auteur met en moyenne un an pour réaliser un album. Les droits varient entre 8% pour les moins connus et 13% pour les têtes d’affiche. Pour 3000 exemplaires vendus 10 euros l’unité – prix moyen d’une BD, un auteur peu connu touchera environ 2600 euros.

Il y a plusieurs années, certains d’entre eux avaient déjà fait le choix d’éditer eux mêmes leurs planches. « Quand on voit comment une maison d’édition fonctionne, on se dit que l’on peut le faire soi-même et ne pas payer 70% à un éditeur, alors je me suis auto-éditée », confie Claire Bretécher. Par confort, la créatrice de la célèbre Agrippine est finalement retournée dans le giron de Dargaud.

Une précarisation aggravée par la réforme du Régime des artistes auteurs professionnels (RAAP), qui a provoqué l’ire du monde de la bande-dessinée. A partir de janvier 2016, les auteurs devront cotiser à hauteur de 8% pour leur régime de retraite complémentaire, alors que jusqu’à présent, ils choisissaient eux-même le montant qu’ils souhaitaient lui consacrer. Une taxation insupportable pour ces 1300 artistes français qui peinent déjà à vivre de leur métier.

En plus d’être saturé, le marché de la bande-dessinée est largement monopolisé par les « auteurs stars », comme Joann Sfar, Manu Larcenet, Riad Sattouf, ou par les grands classiques. « Lors de la sortie du dernier volet d’Asterix, j’en ai vendu 150 exemplaires en trois jours seulement, à des clients que je ne reverrai que lors de la sortie du prochain album », confie Vincent Wagner, vendeur à la librairie de quartier Bulle en tête.

Ces têtes d’affiche laissent peu de place aux plus petits auteurs, qui ne parviennent plus à vivre exclusivement de leur activité de prédilection. Il faut donc se diversifier. « De plus en plus d’auteurs ont d’autres métiers à coté comme dans l’animation ou le journalisme, car il est de plus en plus dur de vivre de la bande-dessinée mais aussi parce qu’on est dans un monde de plus en plus multimédia », explique François Le Bescond, éditeur chez Dargaud. « Par exemple, Charlie Poppins, alias Romain Segaud, est à la fois illustrateur pour les revues MK2 et Télérama, mais aussi animateur – il a notamment travaillé sur le générique du dernier film Asterix et il a réalisé deux épisodes de la série Bref – en plus d’être édité chez nous ». Il est donc aujourd’hui très fréquent de passer d’un univers à l’autre.

L’appel du grand écran

La diversification concerne également les auteurs stars. Ils répondent de plus en plus souvent à l’appel du cinéma ou de la télévision. Selon le rapport Ratier, « au moins 22 bandes-dessinées francophones ont donné lieu à des films, téléfilms et dessins animés en 2014». Depuis une dizaine d’années, les frontières entre l’univers de la BD et le monde du cinéma sont de plus en plus ténues. Joann Sfar par exemple, a non seulement adapté en dessin animé son best-seller Le Chat du Rabbin en 2011, mais il a aussi réalisé le biopic sur Serge Gainsbourg, sorti en 2010. Riad Sattouf s’est lui aussi essayé au cinéma en réalisant en 2009 le film à succès Les beaux gosses, qui a remporté le césar du meilleur premier film. La bande-dessinée Blast de Manu Larcenet, acclamée par la critique, sera à son tour bientôt adaptée sur grand écran.

En 2011, Joann Sfar a porté au grand écran sa BD Le Chat du Rabbin
En 2011, Joann Sfar a porté au grand écran sa BD Le Chat du Rabbin

Ce passage au cinéma des auteurs les plus célèbres permet une mise en lumière du 9ème Art qui demeure, dans la sphère médiatique, « le parent pauvre du roman », soutient Jean-Christophe Ogier. La bande-dessinée est née en même temps que le cinéma, il y a un peu plus de cent ans. Elle s’est d’abord adressée aux enfants, jusqu’à l’apparition de la BD pour adultes, avec la création en 1959 du périodique Pilote; tandis que le cinéma s’est immédiatement adressé à un public adulte.

Par ailleurs, « le poids économique du cinéma a tout de suite été plus important, car un film coûte très cher et les retours sur investissements sont considérables : le cinéma a donc tout de suite été pris au sérieux. A l’inverse, la fabrication d’une BD ne coûtant pas cher, ses enjeux sont moins évidents », analyse Jean-Christophe Ogier. Cela explique, selon lui, l’absence de visibilité dont souffre la bande-dessinée et de manière encore plus flagrante, le « désert médiatique que traversent les jeunes auteurs ».

La BD en quelques chiffres

La blogosphère comme tremplin

« C’est compliqué de trouver sa place parmi les grands. Avant de se lancer, il faut avoir un projet solide », confie Mohamad Kraytem, un jeune dessinateur libanais qui tente de percer en France. Les grandes maisons d’édition ont tendance à ne pas accorder beaucoup d’espace aux nouveaux venus. En se défendant de contribuer à la suproduction, Dargaud applique une politique de sélection très stricte. Elle ne publie qu’une centaine d’albums par an et travaille généralement avec des auteurs qu’elle suit depuis longtemps.

Elle cède parfois à des coups de cœur pour des auteurs inconnus, à l’image du récent Sartre de Mathilde Ramadier et Anaïs Depommier. Mais c’est rare, à hauteur d’une dizaine d’ouvrages par an. Néanmoins, avec la multiplication des petits éditeurs indépendants, il est désormais plus facile pour un jeune auteur de publier un premier album. C’est s’installer dans la durée, pour les raisons économiques évoquées plus haut, qui est devenu compliqué.


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Mohamad Kraytem au travail


Dès lors, tenir un blog est une façon d’exister. Il permet parfois de se faire remarquer. En octobre dernier, la maison Dargaud a publié Le Strict Minimum, premier recueil de dessins humoristiques du bloggeur Charlie Poppins. Ses traits d’esprit décapants, dans la droite lignée de Voutch et Sempé, ont tapé dans l’œil de l’éditeur François Le Bescond. Ils sont ainsi plusieurs dessinateurs à s’être faits repérer sur la blogosphère : Boulet, Pénélope Bagieu, Margaux Motin. Le blog est un lieu d’expérimentation et d’innovation. Sur le sien, le français Balak a inventé le « turbomédia » : de courtes histoires qui s’animent quand on clique, à mi-chemin entre la BD, le dessin animé et le jeux vidéo. Mais il est illusoire de considérer un blog comme une fin en soi. En premier lieu parce que son créateur n’en vit pas. Ces plateformes sont généralement envisagées comme des tremplins vers le papier.

De façon générale, la diffusion du 9ème Art sous forme numérique reste encore assez marginale. « Pour l’instant, il n’existe pas de modèle économique viable », note Jean-Christophe Ogier. « Les expériences sont nombreuses mais ne génèrent pas suffisamment d’argent pour durer. Je pense en particulier aux magazines en ligne de bandes-dessinées. Le Professeur Cyclope, par exemple, était une belle initiative mais il n’a pas réussi à tenir son équilibre financier. Malgré son partenariat avec Arte, le mensuel a dû s’arrêter en décembre dernier ».

Autre échec : la version digitale de la Revue dessinée. « L’équipe avait misé sur plusieurs milliers d’abonnés, elle n’en a récolté que 500 », souligne François Le Bescond. Néanmoins, le lancement de sa version papier a sauvé le projet. Le trimestriel de BD-reportage s’avère être un succès.

La Revue Dessinée a publié en mars son sixième numéro
La Revue Dessinée a publié en mars son sixième numéro

Pourtant, Dargaud est tentée par l’expérience digitale : un magazine numérique est en cours de développement. Une première version de l’héritier 2.0 de la célèbre revue Pilote a été testée sans être mise en ligne. « On prend notre temps pour trouver le bon modèle économique. L’idée n’est pas de faire de l’argent, mais de ne pas trop en perdre non plus », confie François Le Bescond.

En terme de distribution, les ventes digitales ne représentent qu’une infime part de marché. Avec près de 10.000 titres en ligne, Izneo est la première plateforme française de vente et de location de bandes-dessinées numérisées. « Mais la France reste à la traîne face à aux offres numériques japonaises et américaines » tempère Emilie Védis, chargée des droits étrangers chez Dargaud. Aux Etats-Unis, la filiale américaine d’Amazon, ComiXology, a révolutionné l’industrie des comics. Son catalogue en ligne rassemble cinq fois plus de titres que le leader français. L’arrivée de la plateforme sur le marché hexagonal il y a deux ans a confirmé l’engouement du public pour les super-héros américains.

Le marché du manga se stabilise

Le manga japonais a lui aussi rapidement saisi les enjeux du numérique. Le modèle digital correspond bien à la périodicité du genre. A la différence de la bande-dessinée franco-belge, dont l’élaboration s’étend davantage dans la durée, 13 volumes d’une même série nippone peuvent paraître la même année. C’est d’ailleurs l’une des raisons du « boum » des mangas en France. Au milieu des années 1990, lors de l’apparition du genre sur le marché français, le facteur nouveauté a fortement contribué à ce succès éditorial. Entre 2000 et 2008, le manga a connu une croissance exponentielle.

« Mais comme tout phénomène nouveau, c’est parti très fort, puis les ventes ont chuté de 20 points à partir de 2009 pour finalement se stabiliser », analyse Laetitia de Germon, une spécialiste du genre. Néanmoins sa part de marché reste conséquente : « En 2014, sur 35 millions de bandes-dessinées vendues en France, 11,5 millions étaient des mangas, soit un tiers des ventes ». Il faut noter que le manga n’est plus une création exclusivement japonaise, il est aussi coréen ou chinois. Une jeune génération d’auteurs français a également émergé, la preuve que la bande-dessinée n’a pas de frontières.

Last Man, un manga à la française de Vivès, Balak et Sanlaville
Last Man, un manga à la française de Balak, Vivès et Sanlaville

Si l’économie de la BD francophone a connu des jours meilleurs, la création artistique, elle, ne semble pas s’essouffler. Avec le temps, ce genre populaire a finalement gagné ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, des auteurs comme Manu Larcenet sont plébiscités tant sur le plan du dessin que de la construction littéraire. La bande-dessinée est devenue un art à part entière. Preuve en est, une exposition inédite dédiée à l’œuvre de la pionnière Claire Bretécher est prévue à l’automne prochain au centre George Pompidou.

Fanny Lauzier et Fanny Zarifi