E-santé: quand les patients prennent le pouvoir

La révolution numérique transforme depuis quelques années le domaine de la santé. Comment a t-elle bouleversé la relation patient / professionnels du secteur ? Et quelles conséquences pour notre santé ?

Vous ne vous rappelez plus le nom d’un médicament, vous découvrez un bouton sur une partie de votre corps ou vous souffrez de douleurs abdominales et c’est la première fois que cela vous arrive ? Dans 59% des cas, le premier réflexe des Français est de se connecter à Internet pour obtenir des informations et des conseils au lieu de contacter un professionnel (voire infographie). Notre rapport à la santé a été bouleversé par l’avènement du numérique au tournant des années 2000.  

Appelée santé connectée, santé électronique ou encore e-santé (ehealth en anglais), cette nouvelle notion désigne tous les aspects numériques touchant de près ou de loin la santé. Elle concerne des domaines comme la télémédecine, la prévention, le partage de l’information santé, le maintien à domicile, le suivi d’une maladie chronique à distance, les dossiers médicaux électroniques ainsi que celui des applications mobiles (m-santé), ou de la création d’objets intelligents et connectés.

  • Fabrice Vezin décrypte le charabia de l’e santé

 

Ces nouvelles technologies ont non seulement révolutionné le rapport du patient avec la maladie mais elles ont également métamorphosé la relation entre le patient et les professionnels de santé. Traditionnellement paternaliste, cette relation a changé. Avec le numérique et le développement de l’e-santé, le patient abandonne peu à peu sa position de passivité et devient un acteur actif de sa propre santé. Là aussi, un nouveau terme a été inventé. On parle aujourd’hui de e-patient voire de patient 2.0. On passe alors à une relation collaborative, basée cette fois-ci, sur un modèle intellectuel, celui de la co-construction.

Le patient s’émancipe

« La prise de décision partagée, permet à la personne malade, au moment de l’entrée en maladie et à tout moment difficile d’avoir une stratégie thérapeutique qui soit cohérente avec l’avancement de la science, ses valeurs, ses représentations, ses besoins et ses attentes »affirme avec passion Giovanna Marsico, avocate engagée dans les questions d’accès aux droits des sujets fragilisés et experte sur la question du e-patient. Après avoir pratiqué pendant une vingtaine d’années le droit de la famille ainsi que celui de la propriété intellectuelle en Italie, Giovanna Marsico s’est installée à Paris et a créé www.cancercontribution.fr.

Fondé il y a trois ans d’une volonté de formaliser l’expertise sur la maladie grâce à une intelligence collective, il s’agit d’une plateforme collaborative dédiée au cancer et à ses impacts sur les citoyens. Elle propose aux 5000 inscrits et aux nombreux internautes contactés à travers les réseaux sociaux de répondre à des évaluations sur les différentes étapes de la maladie. Faire valoir la voix du patient, c’est le combat qui anime Giovanna Marsico:  «Quand le malade est impliqué dans les décisions qui le concernent, il est alors plus observant, les traitements sont beaucoup plus efficaces et il sera plus satisfait. Cela baisse les risques de malentendu, de conflit ou encore de décrochage ». De sa plateforme est née l’Association Cancer Contribution, qui fournit sur commande, l’analyse des résultats de ces enquêtes à de nombreuses instances privées et publiques comme l’Agence Régionale de Santé d’Ile-de-France.

  • Entretien avec Giovanna Marsico


L’arrivée d’Internet change la donne car elle permet aux nouveaux internautes de créer eux-mêmes les réponses aux problématiques santé. Trois grandes étapes voient ainsi le jour. Ces étapes, Fabrice Vezin les a étudiées avec soin. Cet ancien cadre de l’industrie pharmaceutique âgé de 46 ans, a décidé il y a quatre ans de se lancer dans une thèse sur la e-santé, il commence à alimenter un blog mettant en ligne le fruit de ses recherches. Aujourd’hui Fabrice est un des consultants les plus reconnus de la e-santé en France et son blog, lemondedelaesante.wordpress.com est devenu une référence dans le domaine.

La première étape a été celle de la démocratisation de l’information avec les grands sites d’information santé. L’exemple le plus saisissant est sans aucun doute celui de Doctissimo. Depuis sa création en mai 2000, le site s’est imposé comme le leader des sites francophones d’information sur la santé et le bien-être. En avril 2014, le panel Médiamétrie/NetRatings a enregistré une audience record de 8,2 millions de visiteurs uniques sur Doctissimo. Le succès du site est dû à la force des communautés qu’elle héberge sur ses forums et ses chats, permettant au patient de découvrir l’expérience de ses pairs.

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C’est le début du « patient empowerment », capacité du patient à renforcer à agir sur les facteurs déterminants de sa santé et du « patient empowering », organisation où les membres partagent l’information et le pouvoir en utilisant des processus coopératifs pour prendre des décisions et atteindre des buts communs. Une dimension qui s’est ensuite développée avec les réseaux sociaux. Plus récemment, la seconde étape a été celle de la « m-santé », celle de la mobilité permise avec les smartphones et les applications pour mobiles et tablettes. La troisième étape vient quant à elle d’être amorcée avec la création d’objets connectés.

En 2012, 94% des médecins avaient un usage professionnel de leur smartphones (Baromètre Vidal 2012). En 2013 56% des médecins généralistes utilisaient Internet comme première source d’information médicale (Enquête Cessim, baromètre 2013). Si nombreux sont les professionnels de santé qui demeurent sceptiques voire réticents à l’apport des nouvelles technologies dans leur vie professionnelle, d’autres semblent bien prêts à amorcer cette transition numérique.

Pour le Docteur Jean-Michel Cohen, l’essentiel se trouve dans le dialogue. Surtout, il serait temps, pour lui, que les médecins se mettent à utiliser systématiquement Internet. « Il faut que les médecins, savent par quoi leurs patients peuvent être passés, pour garder ce lien patient/médecin, qui doit être choyé ! C’est en connaissant bien son patient qu’on peut lui offrir des soins de qualité », explique-t-il. Ce généraliste de 62 ans, installé à Lille, a constaté des changements de comportement chez ses patients durant ces quinze dernières années. Les cheveux grisonnant, des lunettes rondes, cet homme imposant et au regard bienveillant se dit humaniste.

L’auto diagnostique du patient était exact

Ce qu’il remarque chez ses patients c’est avant tout une volonté de comprendre vraiment ce qui leur arrive. « L’autre jour, un patient d’une trentaine d’années, que je connais bien, est venu me voir avec un dossier de pages Internet imprimées, Wikipédia, Doctissimo, me disant qu’il avait une angine herpétique et qu’il lui fallait tel médicament. » Loin d’être vexé, le généraliste préfère le dialogue au jugement et prend au sérieux son patient, qui pouvait à peine parler. Fiévreux et à jeun depuis plusieurs jours, le jeune homme avait pourtant vu juste. « C’est assez ironique, mais il avait raison, je n’ai pu que le féliciter de son travail, tout en lui conseillant de toujours me consulter avant d’agir pour sa santé. Cela ne serait jamais arrivé il y a une quinzaine d’année, sans internet et les forum de santé.» Pour Jean-Michel Cohen, l’important est de garder une relation de confiance. Or, si certains patients se réfèrent à Internet, c’est parfois par manque de confiance en leur médecins.

C’est le cas de certains patients de Marion Cabot, pédiatre à Rouen. Les conseils en puériculture fourmillent sur Internet, « bébé qui dort mal fait partie des recherches les plus tapées sur google et lorsque les parents s’improvisent médecin, cela peut être dangereux », précise la jeune médecin. « Des parents viennent me voir en m’affirmant que leur bébé est intolérant aux protéines de lait de vache, alors que pas du tout ! » s’énerve Marion Cabot. La pédiatre est excédée par ses patients qui diagnostiquent leurs enfants en se renseignant sur des sites comme Doctissimo.fr.

Certains patients font plus confiance a des sites Internet qu’à leur médecins

« Qu’un adulte se renseigne sur ses symptômes pour avoir une idée de ce qu’il lui arrive avant d’aller chez son médecin, je n’y vois aucun problème. Mais lorsqu’il s’agit d’enfants ou de bébés qui ne peuvent pas parler, ça peut être très dangereux ! » Certains parents de ses jeunes patients remplacent le lait des biberons par du lait végétal, or, selon la pédiatre, les nutriments contenus dans ce type de lait sont insuffisants :  « C’est comme si on leur donnait de l’eau ! » s’exclame-t-elle.

Si Internet permet aux patients de se renseigner sur leur maladie, il peut parfois faire concurrence à la légitimité du médecin, lorsque les avis sur Internet et les conseils du médecin divergent, la confiance s’en trouve ébranlée.

Murielle Londres est atteinte d’une maladie auto-immune de la tyroïde depuis 2011. Lorsqu’elle a appris qu’elle était malade, la jeune femme a tapé sur Google le nom de sa maladie dès qu’elle est rentrée chez elle. « Des questions surviennent après la consultation, et les médecins ne sont pas joignables 24 h sur 24, 7 jours sur 7 ». Sur un site spécialisée « vivre sans tyroïde », elle trouve toutes les réponses à ses questions sur la Foire aux questions (FAQ), et plus encore. « Je faisais confiance en mon médecin, mais il n’est pas malade et ne peut pas comprendre comment, moi, patiente, je dois vivre avec cette maladie, or sur le forum du site Internet, j’ai pu échanger avec d’autres malades. »

Muriel Londres a décidé de s'impliquer autant que ses médecins dans le traitement de sa maladie.
Muriel Londres a décidé de s’impliquer autant que ses médecins dans le traitement de sa maladie.

Murielle Londres devient incollable sur sa maladie et sa relation à son médecin change: elle arrivait à ses consultations, plus exigente envers son médecin, avec des questions plus scientifiques et précises.

« Certains médecins ne supportent pas les patients qui en savent trop »

Murielle Londres l’admet, elle n’est pas médecin, et ne se considère pas comme un expert mais se sent plus légitime à parler de sa maladie qu’eux. « Je veux que les médecins m’entendent sur la façon dont j’ai envie d’être soignée, or certains ne supportent pas les patients qui en savent trop, et me regardent mal. Je suis force de proposition dans la façon de gérer ma guérison, et cela ne plaît pas à tout le monde. » confie-t-elle. Si elle n’a pas perdu confiance en ses practiciens, elle est plus enclin à se référer à l’e-santé.

Comme elle, les malades sont nombreux à pratiquer l’e-santé (cf infographie). Mais à quel prix ?

Nos données personnelles, appelées DATA, se retrouvent sur le web et alors, est-ce que le patient est autant protégé que lorsqu’il confie ses données à son médecin? Pierre Desmarais, avocat spécialiste du droit médical et de l’industrie de la santé, reconnaît une défaillance de l’état dans ce domaine.

  • Pierre Desmarais explique la régulation de l’e-santé

« Le téléconseil médical,(conseils personnalisés par téléphone ou par internet, ndlr), les services relatifs au carnet de santé en ligne et les sites de coaching ne sont pas régulés. Il n’y a pas d’obligation sur des sites d’informations en santé. » En d’autres termes, la loi ne prévoit aucun cadre légal juridique clairement défini, si personne ne porte plainte contre un site. C’est dans ce cas seulement que les services de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCRF) pourront mener une enquête pour déterminer si oui ou non le site de santé porte atteinte au bien-être des usagers.

Donc en tant que patient, lorsqu’on préfère faire confiance à un site Internet ou à une application mobile pour sa santé, il vaut mieux connaître les recours que l’on peut avoir en cas de litige. L’avocat explique : « Les plaintes les plus courantes sont relatives à l’utilisation de données personnels à des fins commerciales . Par exemple, précise-t-il , un site qui se dit de « bien-être » peut vendre les informations qu’il aura recueilli sur votre qualité de sommeil à un laboratoire pharmaceutique et, des publicités pour des médicaments relaxant peuvent apparaître sur vos écrans. »

  • Les dérives de l’e-santé


Cependant, l’e santé est quelque chose de nouveau et les vides juridiques devraient être comblés. Des vides, qui ne devraient pas le rester longtemps, étant donné le rayonnement rapide que connaît l’e-santé. Guillaume Marchand est co-fondateur de DMD santé, une start-up qui évalue les applications mobiles de santé en partenariat avec les usagers et des médecins. Psychothérapeute de formation, il entrevoit un bel avenir à la santé mobile, sans que cela n’altère les relations patients/professionnels de santé. « Il y a de très bonnes applications et de très bons sites, mais pour les gens, rien ne remplacera le médecin de famille !« . Pour ce jeune auto-entrepreneur, l’e santé est l’avenir de la santé « c’est une évolution de notre système qui doit se faire en partenariat avec les professionnels du secteur » explique-t-il. « Dans 20 ans, médecins et patients construiront ensemble. »

  • L’avenir de l’e-santé


Lionel Reichardt, créateur du site « pharmageek », spécialiste de l’e-santé, compare l’évolution de l’e santé à celle des appareils photos. « Aujourd’hui personne ne précise qu’il a un appareil photo numérique car ils le sont tous, on précise lorsqu’on a un argentique. Ce sera la même chose pour l’e santé à l’avenir. » 

Cieutat Marion et Farine Leticia

 

La France, miroir de la violence policière aux Etats-Unis ?

La violence entre jeunes et forces de l’ordre n’est pas une problématique franco-française. Coup de projecteur aux Etats-Unis où ces violences défraient la chronique et où, comme en France, les policiers sont dans la majeure partie des cas relaxés par des jurys populaires.

Michael Brown ou encore Eric Garner. Tels sont les noms qui ont émaillé l’actualité américaine ces derniers mois. Tous deux étaient noirs et ont été tués par des policiers blancs. Suite à ces décès, des vagues d’émeutes se sont déroulées dans tous le pays.

Tout commence en août dernier lorsqu’un jeune noir non armé est tué par un policier blanc à Ferguson dans le Missouri. C’est suite à l’acquittement du policier que l’indignation se répand : des manifestations sont alors organisées dans tout le pays par la communauté noire et des militants des droits civiques. Face à l’émoi, le département de justice publie un rapport accablant sur les pratiques racistes de la police et des responsables de la municipalité. Barack Obama, le président américain s’est même exprimé publiquement sur l’affaire et a affirmé que ce qui s’était passé à Ferguson «  n’était pas un incident isolé ». Un bureau du ministère de la justice dédié à améliorer les relations entre les policiers et la communauté noire a notamment été créé.

Pourtant malgré de telles mesures la violence à l’encontre des jeunes noirs persiste. Début mars à Madison dans le Wisconsin, Tony Robinson un jeune noir est tué par un policier blanc ce qui entraine plusieurs jours d’émeutes dans la ville. Le 2 avril dernier, un autre jeune noir succombe au tir mortel d’un officier judiciaire de réserve américain provoquant encore une fois des vagues de manifestations. Ce qui provoque l’indignation, c’est dans la plupart des cas, les policiers blancs sont acquittés par des jurys populaires : « le problème est avant tout racial », lâche Danielle Follett, enseignant chercheur en histoire américaine à l’Université de Franche-Comté. «  Croire qu’il n’ya plus de racisme envers la communauté noire est une abbération ! Comparer ces violences avec ce qui se passe en France n’est pas entièrement pertinent même si l’on peut relever que les jeunes dont il est question dans les banlieues françaises sont pour la plupart issus de l’immigration africaine… Néanmoins, et j’insiste, les sociétés françaises et américaines sont aux antipodes et ne peuvent être comparées ».

Copwatching : un oeil sur la police

Pour pallier au manque de données concernant le nombre de personnes tuées par la police plusieurs initiatives ont été lancées. C’est le cas du site Copwatch, lancé en France en 2011, qui se veut être un outil de surveillance des policiers. Depuis, il a été interdit par la justice, à la demande du ministère de l’Intérieur.

Directement inspiré du « copwatching », pratique en vogue aux Etats unis, la version française du site a été lancée le 20 septembre 2011 et permet à n’importe quelle personne de publier photos et vidéos de policiers procédant à un contrôle d’identité musclé. Objectif : faire la lumière sur les agissements de la police et répertorier précisément ses dérives autoritaires, violentes ou racistes.

Pourtant, d’entrée de jeu, le site a été vivement décrié par les policiers qui ont demandé sa fermeture. Mettant à disposition une base de données sur plus de quatre cent cinquante policiers, parfois identifiés nommément : « N’aime pas les “minorités ethniques” » ; « Porte la marque néo-nazi “thor steinar” pendant l’exercice de ses fonctions » ; « N’hésite pas à taper dans les cellules ». 

Phénomène nouveau en France, le copwatching est largement répandu aux Etats-Unis. Il est apparu en Californie à Berkeley en 1990, sous l’impulsion de quelques « patrouilles-vidéo » décidées à mettre en lumière les brutalités dont la police du comté se rendait régulièrement coupable. Jugé très radical dans ses positions, Copwatch Nord-Paris IDF est l’œuvre d’internautes anonymes.

Interdit par la justice, à la demande du ministère de l’Intérieur, qui estimait que révéler l’identité des policiers constituait un risque pour leur sécurité, un blog a été créé pour lui succéder. Intitulé l’Oeil sur la police, cette fois il ne révèle pas l’identité des policiers mais est tout autant critiqué par les forces de l’ordre qui estiment que ce genre d’initiatives ajoutent de la tension à la tension.

Le sans gluten: effet de mode ou sain-Graal des régimes ?

Le gluten est devenu l’ennemi alimentaire numéro 1 des Français. Adopter le régime “gluten-free” permettrait non seulement de perdre des kilos superflus mais aussi de garder une forme olympique. Les produits se substituant à cette protéine du blé se trouvent maintenant partout : dans les supermarchés, au restaurant. Les bons conseils se multiplient sur Internet. Mais face à ce phénomène de mode, les professionnels de santé restent sceptiques. Car les vertus du sans gluten restent à prouver, hormis pour les véritables allergiques, pour qui ce régime n’est pas un choix.

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Après Novak Djokovic, c’est au tour d’ Oprah Winfrey, Lady Gaga et Miley Cyrus de s’essayer au régime sans gluten. L’objectif ? Se soigner pour l’un, maigrir pour les autres. Cette protéine contenue dans certains céréales comme le blé, l’orge, le seigle et l’avoine permet de donner de l’élasticité aux aliments. Par extension, elle sert de liant dans de nombreux produits et se retrouve ainsi dans des plats préparés, dans la charcuterie ou même dans la bière. Déclaré intolérant au gluten en 2011, le numéro 1 mondial du tennis a adopté ce régime très restrictif et supprimé pain, pâtes, et tout ce qui contient du gluten de son alimentation. Devenu l’icône de la gamme sans gluten de Gerblé, il ne manque pas de vanter les mérites d’un régime gluten-free. D’autant plus que ses résultats sportifs sont au rendez-vous. “Effet Djokovic » immédiat. Adopter le régime sans gluten : remède miracle pour digérer plus facilement et se sentir bien dans ses baskets.

Le réseau gluten-free

Et si le sans gluten a envahi le monde du showbiz, il s’est également propagé sur la toile. Les blogs et sites consacrés au monde “gluten-free” se multiplient. Les internautes partagent des recettes, mais aussi des bons plans à l’image du site www.sortirsansgluten.com qui répertorie les endroits où manger sans gluten à Paris. Parmi eux, My Free Kitchen tenu par Philippe et Carole Kanaan. En 2012, Carole est diagnostiquée allergique au gluten et au lactose. Le frère et la soeur décident alors de créer un restaurant “100% bio, 100% sans gluten, 100% sans lactose”. Dans la capitale, les adresses commencent à fleurir tandis qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni on ne les compte plus.

My Free Kitchen : 100% bio, 100% sans gluten, 100% sans lactose (vidéo Camille Roudet)

Le sans gluten fournit aussi son lot d’idées insolites comme une galerie de tableaux revisitée où un ingrédient manque à l’appel.

http://glutenimage.tumblr.com/post/112145053001/daprès-giuseppe-arcimboldo

Et pourquoi pas en profiter pour trouver l’âme-soeur ? Ca semble possible avec « Glut’aime, l’amour sans gluten », le nouveau site insolite de rencontre français.

“Je digère mieux depuis que j’ai arrêté”

Une propagation dans les médias, des bienfaits supposés et de plus en plus d’adeptes. Parmi eux, Olivia Simard. A 19 ans, l’ étudiante en licence d’anglais a choisi d’arrêter le gluten depuis neuf mois et ne regrette pas. « Je faisais des crises d’asthme, et mon médecin m’a suggéré d’arrêter le gluten. Je n’ai pas fait de test pour confirmer une allergie. Toutefois, je me sens réellement mieux, je suis plus dynamique et reposée. Je m’autorise tout de même quelques entorses, même si je l’ai supprimé en grande partie de mon alimentation ». Noémie (prénom modifié), mère de deux enfants intolérants, a aussi décidé d’adopter le régime de ses garçons. “En ce qui me concerne, je ne suis pas allergique ou intolérante, mais j’observe une nette amélioration. Je digère par exemple mieux mon plat de pâtes sans gluten qu’avec” explique la directrice artistique de 45 ans.

Une économie florissante

Arrêter le gluten semble d’autant plus facile que les industries agro-alimentaires n’ont pas m’y longtemps à surfer sur cette nouvelle vague. La vente du sans gluten paraît atteindre son paroxysme avec une croissance supérieure à 40% pour l’année 2014. D’abord réservé aux magasins bio spécialisés tels La Vie Claire ou Naturalia, les produits sans gluten envahissent aujourd’hui les grandes surfaces. A l’image de Gerblé, pionnier, c’est maintenant au tour de marques discount de proposer une gamme sans gluten. Sur chaque produit, se dessine un épi de blé barré. Mis en place par l’AFDIAG (association française des intolérants au gluten), ce logo assure que l’aliment contient moins de 20 mg/kg de gluten. Aujourd’hui, près de 110 sociétés l’affichent, tant des entreprises pionnières telles que Fleury Michon, qui propose des plats préparés sans gluten, que des nouveaux entrants sur le marché.
Malgré cette offre grandissante, les prix pratiqués restent très élevés. Un paquet de pâtes pouvant être jusqu’à cinq fois plus cher sans gluten.

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(Source : La vie claire et Leclerc)

Cela ne semble pas arrêter les gluten free, convaincus que le jeu en vaut la chandelle. “Depuis que j’ai arrêté le gluten, je me sens moins ballonnée après les repas. Cela vaut le coup d’acheter quelques produits un peu plus chers”, ajoute Olivia Samard. Cette démocratisation profite aussi aux malades coeliaques car l’offre s’agrandit. “Heureusement, les produits sans gluten se démocratisent, on en trouve plus facilement. Toutefois, cela reste un budget très important, j’espère que les prix vont baisser. » déplore Noémie (prénom modifié). A l’étranger, les prix du sans gluten ont déjà chuté car la démocratisation est arrivée plus tôt. L’Angleterre ressemble à un paradis pour gluten-free autant l’offre est importante et les prix cassés. “ Quand je vivais en Angleterre, je trouvais beaucoup plus de produits et à des prix plus raisonnables. En France, c’est maintenant beaucoup mieux car l’offre s’étend mais cela reste beaucoup plus cher” explique Carole Kanaan, gérante du Restaurant My Free Kitchen. Même chose en Espagne. Dans un Mercadona, une enseigne de grande surface très présente dans le Sud, un paquet de pâtes de 500g sans gluten coûte environ 2 euros pour le double en France.

Dans les supermarchés, l'épi de blé barré apparaît dans les rayons
Dans les supermarchés, l’épi de blé barré apparaît dans les rayons

Mais qu’en pensent les médecins ?

Les patients en quête de réponses sur le mystérieux gluten se succèdent dans les cabinets des diététiciens. Julien Rebeyrol, diététicien et nutrionniste du sport à Lyon admet voir de plus en plus de personnes se questionnant sur cette protéine même si quatre sur cinq ne se révèlent finalement pas intolérants. Pour certains, cela releverait d’une tendance à l’orthorexie, l’obsession de manger sain à tout prix. “Avant le grand méchant, c’était le lactose. Maintenant c’est le gluten. Après ce sera autre chose” explique t-il. Selon lui, les coupables : les industries agro-alimentaires qui favorisent les psychoses alimentaires et entretiennent cette mode. “Ces régimes sont juste un business ! Il s’agit de donner l’impression de manger sain, alors que ce n’est pas le cas.” reprend Camille Petit, diététiciene à Paris. Et le régime sans gluten comme amincissant ? Une ineptie pour les deux spécialistes. “Le gluten est contenu majoritairement dans des féculents et on a tendance à croire qu’ils font grossir, à tort. Au contraire, ils sont nécessaires à notre alimentation et il faut en manger à tous les repas” poursuit le lyonnais. “Evidemment, celui qui arrête cette protéine fera beaucoup plus attention à ce qu’il mange et va certainement mincir. Mais ce sera exactement la même chose s’il arrête de manger du lait ou de la viande “ ajoute Camille Petit.

Y’a t-il des risques ?

L’avis des deux médecins est ainsi sans appel: un patient ne doit pas arrêter le gluten s’il n’est pas intolérant. “ L’arrêt de la protéine pourrait rendre allergique. A force de ne plus ingérer de gluten, le corps pourrait répondre par la production d’anticorps en le rejetant. Il ne faut donc pas prendre cela à la légère. Cela peut réellement se révéler dangereux.” explique Julien Rebeyrol. Cependant, il faut ajouter que la recherche sur le gluten se poursuit et qu’aujourd’hui, cette crainte n’est pas prouvée scientifiquement. De plus, Jean Brice Cazals, gastroentérologue à la Clinique Esquirol d’Agen note que dans la majorité des cas, les “gluten free” diminuent leur consommation de gluten sans pour autant l’arrêter complètement tant ce régime est restrictif. “ Je ne vois pas d’inconvénients à diminuer le gluten si le patient se sent mieux dans le sens où il ne l’arrêtera jamais complètement.”

Une tendance à l’auto diagnostic

Autre sujet d’angoisse : l’auto diagnostic trop systématique. “A force d’entendre des choses sur les soi-disants effet du gluten, les gens ont de plus en plus tendance à le supprimer d’eux-même, sans consulter. C’est là où est le problème”, reprend le nutritionniste du sport. Un test sanguin pour rechercher une intolérance au gluten coûtant 90 euros, cela peut être un frein à une consultation médicale. “ Il y a encore peu de temps, les médecins généralistes n’avaient pas le réflexe de s’interroger sur une intolérance au gluten, car c’était moins médiatisé qu’aujourd’hui. Vu le prix du test sanguin, je peux comprendre que les gens diminuent d’eux-mêmes le gluten sans pour autant faire un test ” nuance Jean Brice Cazals. Marina Cavata, à l’inverse, a découvert l’intolérance au gluten grâce à la médiatisation du phénomène et a fait le choix de se rendre chez un spécialiste. “Dès que je mange des pâtes, des pizzas ou des gâteaux, j’ai certains symptômes qui correspondent à une allergie au gluten, comme des diarrhées ou des maux de ventre. Actuellement j’attends les résultats de ma prise de sang pour savoir si je suis allergique ou simplement sensible à cette protéine” raconte la jeune femme.

Allergique ou intolérant ?

En effet, selon Jean-Clément Farine, gastroentérologue à la clinique Sainte Marguerite à Toulon, il faut bien distinguer intolérance et allergie au gluten. Seul 1% de la population, soit environ 500 000 personnes seraient concernés par la maladie coeliaque. En revanche, 6% à 8% de la population serait sensible. “Concrètement, il y a plus de patients diagnostiqués cœliaques tout simplement parce qu’on connaît mieux la maladie et qu’on effectue plus de tests”, poursuit le docteur Jean Clément Farine. « On peut la diagnostiquer en faisant une prise de sang. On recherche alors des anticorps qui révèlent l’allergie au gluten. On confirme ensuite le diagnostic avec une biopsie de l’intestin grêle.” En cas d’allergie au gluten, on observe une atrophie des villosités de l’intestin grêle. Le corps n’est plus capable d’absorber correctement les nutriments, ce qui peut provoquer des carences. Les symptômes sont souvent des diarrhées, une grande fatigue. Le vrai problème concerne l’intolérance au gluten. “Il existe une cinquantaine de tests pour détecter l’intolérance : or aucun d’entre eux n’est valable, ni scientifiquement prouvé. C’est là tout le travail de la recherche” analyse t-il. En réalité, l’intolérance semble être une catégorie fourre-tout puisqu’il s’agit d’un mal sans preuve biologique.

Le sans gluten comme régime miracle reste donc encore à prouver. Les spécialistes s’interrogent toujours autant sur les bienfaits que les méfaits d’un tel mode de vie. Mais, à ce jour, bannir le gluten de son alimentation ne semble pas légitime tant cela est contraignant lorsque l’on est pas intolérant. D’autant plus que derrière la lubie existe une véritable maladie, parfois décrédibilisée par ce phénomène de mode. Le régime sans gluten répond à une tendance plus large, presque obsessionnelle, de manger toujours mieux, sans édulcorants, sans conservateurs, sans matière grasse et maintenant sans gluten. Et les industries agro-alimentaires amplifient le phénomène dans la course aux produits les plus sains. A se demander ce qui, après le gluten, sera le nouvel ennemi à combattre pour atteindre le saint régime.

Cyrielle Cabot