L’Etat français condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour son non-respect du droit au logement

La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) n’est pas facile d’accès. On ne peut la solliciter que lorsque toutes les voies de recours en justice interne ont été épuisées.

Elisabeth Tchokontio Happi vit avec sa fille et son frère à Paris dans un logement jugé insalubre. En 2010, elle obtient un jugement du tribunal administratif pour que la préfecture de la région Ile-de-France les reloge au plus vite. La préfecture verse les astreintes de 700 euros par mois de retard sans trouver de solution pour la famille de cette quadragénaire, pourtant jugée prioritaire au nom du droit au logement opposable (Dalo). Cette condamnation européenne se base sur le motif du “droit à un procès équitable”. La Cour estime que la France ne présente aucune justification valable pour n’avoir pas relogé cette famille. Le manque de ressources de l’Etat en matière de logement n’est pas recevable pour les juges européens.

Si la législation française a tenté de contrer le manque de logements sociaux[1], ces lois peinent à être appliquées dans la réalité : de nombreuses stratégies d’évitement sont mises en place par les communes. De façon parallèle, les municipalités invoquent un manque d’argent pour subvenir aux coûts de construction de ces logements sociaux.

 

Cette décision est une première pour la CEDH qui condamne la France en matière de logement. En 2008, le Conseil de l’Europe avait considéré par deux fois que la France faisait défaut à la Charte des droits sociaux aux vues de “l’insuffisance manifeste” de l’offre de logements sociaux.  Selon l’association DAL (Droit au Logement), 51 000 familles sont considérées prioritaires DALO et seraient en attente d’un logement depuis plus de six mois ! Cette situation touche particulièrement l’Ile-de-France.

Le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, bras du gouvernement pour l’application du DALO, en compte 59 000. Son secrétaire général, René Dutrey, précisait à l’AFP qu’en 2014, “8519 personnes prioritaires DALO s’étaient rendues devant la justice. Entre 2008 et 2013, l’Etat a versé 65 millions d’euros pour non-relogement de bénéficiaires DALO.” Le délai d’attente d’un logement pour une période dite prioritaire se situe actuellement entre 6 et 7 ans. Parfois plus…

 

A Toulouse, à l’heure où la municipalité UMP a annoncé augmenter ses impôts locaux de 15% pour contrer le manque d’argent dans les caisses, Isabelle Bricaud, ancienne responsable des enfants de Don Quichotte, témoigne : « C’est tout un système qu’il faut remettre en cause. Il faudrait plafonner les loyers à 10% de ce que la personne gagne. Même les logements sociaux sont trop chers. A Toulouse, c’est aussi un problème de construction puisqu’il y a très peu de logements pour les personnes qui ont de petits revenus. Bien sûr il y a du logement social mais pas pour les bonnes classes. En fait, il y a un manque de mixité même dans le logement social. »

Depuis le 31 mars 2015, l’association Droit Au Logement occupe la place de la République à Paris[2] pour forcer les pouvoirs publics à trouver une solution pour les 250 familles prioritaires en attente d’un toit.   

Amanda Jacquel

 

[1] Voir les repères

[2] Voir les photos du campement place de la République. Légende : 250 dossiers seront mis en avant si les pouvoirs répondent à l’association DAL. « Nous partirons une fois que le ministère aura enfin proposé des solutions de relogement qui nous conviennent » a préveu Jean-Baptiste Eyrault dit « baba », tête de file de l’association. Certaines personnes qui avaient pu être relogées l’année dernière grâce à la même action sont encore présentes aujourd’hui, pour dire bonjour et apporter leur soutien à cette lutte sans fin.)

 

 

 

Patient ou client ? La controverse de la vente en ligne de médicaments

Gain de temps, absence de déplacement, prix plus bas, meilleure comparaison, ce sont les arguments avancés par les défenseurs de la vente de médicaments en ligne, permise et encadrée par la loi depuis juillet 2013.

Pourtant, si le prix est l’argument principal des pionniers du e-médicament, 80% des pharmaciens d’officine se disent défavorables à la vente de médicament sur Internet, selon une enquête réalisée en 2014 par Le Quotidien du pharmacien.

L’absence de consensus du milieu professionnel réside au cœur même d’une définition, celle de l’acheteur de médicaments. S’agit-il d’un patient ou d’un client, ou des deux en même temps ? Avec la révolution numérique, le sujet est placé au cœur d’un réseau de soin et de communication, il est désormais mieux informé et plus autonome. Cela lui confère ainsi un pouvoir comparable à celui qu’il occupe en tant que client dans les relations commerciales de la vie quotidienne. Alors que le terme patient fait pour certains référence à une relation de « paternalisme médical » où le sujet est passif, celui de « client » est souvent évité à cause de sa connotation marketing. Les spécialistes de l’e-santé coupent ici la poire en deux et parlent alors d’usager.

Mais le médicament n’est pas un produit de consommation comme les autres, du moins pas en France, où cette pratique reste marginale avec seulement 235 pharmacies qui pratiquent aujourd’hui la vente en ligne de médicaments, sur les quelques 23 000 que compte l’hexagone (voir la liste).

La  nouvelle législation française est plus stricte que celles existantes en l’Angleterre, de la Hollande ou des Etats-Unis par exemple. Elle autorise seulement la vente de médicaments sans prescription, sur des sites rattachés obligatoirement avec une pharmacie physique, et ce pour éviter la contrefaçon.


« Dans les grandes villes, il y a une pharmacie à chaque coin de rue, et puis quand on est malade on a besoin de son médicament tout de suite, on ne veut pas attendre quarante-huit heures, temps de la livraison, avant d’être soigné. Je pense que l’on n’est pas allé encore assez loin dans le domaine », explique Lionel Reichardt, consultant en e-santé et créateur du blog pharmageek.com qui enregistre plus de 70 000 vues par mois.

Outre les coûts de livraison et la difficulté de choix, la vente de médicaments en ligne conduit à une perte de service, même si l’internaute peut contacter un pharmacien via le site. Non seulement le pharmacien assure une mission d’accompagnement, il assure aussi une mission de vigilance liée aux risques des médicaments. Grâce à la carte Vitale, le professionnel a accès au dossier médical du patient et peut par exemple connaître les éventuelles interactions médicamenteuses. Il peut aussi prévenir d’un risque de surconsommation qui augmente avec le Web.  En effet, la banalisation de la pharmacie comme commerce, les opérations de remises et de prix cassés se multiplient et l’internaute est incité à faire des stocks, en prévision des jours prochains.

Leticia Farine

 

Le smartphone peut-il remplacer nos médecins?

Aujourd’hui, être connecté rime avec smartphone. Les sites internet de la santé l’ont compris et lancent , les uns après les autres, leurs versions mobiles.

Les applications mobiles permettent de contrôler de nombreux éléments sur sa santé : rythme cardiaque, taux de diabète, de cholestérol etc… Souvent liés à des objets connectés comme la montre de Google, ou Samsung, ou encore la balance de Withings, les applications contrôlent la santé 24/24h, 7/7j.

La balance Withings est un gadget, que certains médecins considèrent comme relevant du bien-être pour le plupart des utilisations. Ces balances connectées permettent de connaître son taux de masse graisseuse, de masse osseuse, la quantité d’eau dans le corps etc… Quasiment tout l’intérieur de votre corps vous est accessible. Jean-Michel Cohen, généraliste à Lille reste sceptique. « Les patients que ces balances pourraient aider comme les victimes d’anorexie ou de surpoids ne l’utilisent pas systématiquement. » Pour le spécialiste, la balance connectée pourrait même devenir dangereuse. « La plupart des malades d’anorexie comptent chaque calorie avalée. Or lorsqu’une balance indique non seulement le poids, mais aussi la masse graisseuse d’une personne, certains malades pourraient vouloir atteindre le taux 0 ! »

Pourtant, toutes les applications et leurs objets connectés ne sont pas à jeter « loin de là », sourie le médecin. Et pour Guillaume Marchand, ces innovations peuvent même « sauver des vies ! » s’exclame -t-il. Cet auto-entrepreneur de DMD santé, qui note le sérieux de ces applications, pense notamment aux applications pour les cancéreux en rémission. En cours de création par Fabrice Denis, cancérologue à la clinique Victor Hugo, l’application permettrait de prévenir les malades du cancer du poumon de rechutes éventuelles et de les traiter le plus rapidement possible.

Il existe déjà de nombreuses applications aidant les malades à vivre au jour le jour avec leur maladie, comme Diabphone, qui permet d’enregistrer le programme de chimio, les traitements ainsi que les effets secondaires ressentis. Si les applications ne soignent pas, elles se placent en véritable accompagnateur des patients dans leur maladies.

Marion Cieutat

 

Les adultes autistes aussi ont besoin d’accompagnement…et de travail

L’autisme évoquant immédiatement une maladie infantile, on oublie qu’à l’âge adulte, les hommes et femmes atteints de cette pathologie se retrouvent très souvent exclus du monde de l’emploi. Mais certaines structures leur proposent d’exercer une activité quotidienne et rémunérée.

Aux Colombages, il y a des autistes qui ne sont ni malades ni patients. Ce sont des travailleurs. Cet établissement du 14ème arrondissement de Paris, gérée par l’Association française de gestion des structures pour personnes autistes est divisé en trois unités : un centre d’accueil de jour (CAJ), un centre d’accueil de jours médicalisé (CAJM), et enfin un établissement et service d’aide par le travail (ESAT). C’est dans ce dernier pôle que quarante adultes à qui l’on a diagnostiqué des troubles autistiques se retrouvent chaque jour pour exercer une activité professionnelle. Les Colombages leur proposent quatre ateliers : une section jardinage et espaces verts, le travail du bois et la fabrication de meubles, la restauration et la gestion des services de cantine au sein de l’établissement, et enfin le conditionnement avec la mise en place d’une chaîne de fabrication de petits objets, pour des prestataires extérieurs. C’est dans ce dernier atelier que le plus de travailleurs se sentent à l’aise. Ce vendredi 10 avril, ils sont une vingtaine à fabriquer des bracelets pour un bijoutier du Marais, client régulier. Du découpage des fils à l’emballage, les travailleurs s’occupent de toutes les étapes de la production, sous les indications de Flora Join-Lambert, leur « monitrice ». La scène donne l’impression d’être plongé dans une salle de classe, mais si Flora sait et doit se montrer ferme, elle ne rentre jamais dans la peau d’une enseignante ni ne se place au-dessus de ses travailleurs. Elle les vouvoie toujours, même lorsqu’ils la tutoient. Elle préfère demander plutôt que d’ordonner, et laisse à ses ouvriers une autonomie totale une fois leur tâche assignée.

40 travailleurs, 40 pathologies différentes mais pas tout à fait 40 autistes

Mais le vrai défi pour la jeune femme de 34 ans n’est pas seulement de s’occuper d’une vingtaine d’adultes toute seule, mais plutôt de savoir s’adapter à chacun d’entre eux. Car l’ESAT des Colombages est la parfaite illustration des déclinaisons de l’autisme, il n’y a pas deux travailleurs qui présentent exactement les même besoins, ni les même symptômes. A bien y réfléchir, tous les autistes présent dans l’atelier n’ont qu’un seul point commun : une politesse presque surnaturelle. Lorsque l’un des travailleurs se présente à vous, il vous parle avec un respect qui semble répété. Comme si il ou elle avait appris une leçon qu’il vous récitait.  « En revanche on a un vrai problème, c’est que certains ne sont pas autistes, vous verrez », prévient la directrice du centre Charlotte Bonaldi. Du haut de sa quarantaine elle a déjà vécu plusieurs vies. Elle a pris soin d’enfants dans les rues au Brésil, a travaillé à la prison de Fleury-Mérogis, et s’est occupée d’un foyer pour jeune fugueurs dans le 15ème arrondissement de la capitale, entre autres. Mais dans chacune de ces aventures, la directrice a traîné une énergie et une présence impressionnante, renforcée par une vraie stature, ainsi qu’une allergie à la langue de bois. « C’est vraiment n’importe quoi  parfois, on a des erreurs d’aiguillage, et ça ne devrait pas se passer comme ça ! », renchérit-elle.

Shanga et Benjamin, les deux faces d’une même pièce

Shanga lui, est bien autiste. Il a beaucoup de mal à s’exprimer, et doit composer avec un léger retard mental. Mais il se présente toujours en serrant les mains, demande s’il peut vous adresser la parole, et une fois lancé ne s’arrête plus. Il se pose des questions sur une possible réélection de Nicolas Sarkozy en 2017 et se demande si les gens veulent encore voter pour lui. Il estime que François Hollande quittera l’Elysée dans deux ans pour ne pas y revenir. Si l’autiste a un monde bien à lui, il vit également pleinement dans le nôtre. En général les travailleurs présentent comme Shanga des formes d’autisme assez sévères. Benjamin, lui, fait partie de ceux que l’on appelle « autistes de haut niveau ». Nombreux sont les politiciens qui envieraient sa diction, et les orateurs qui envieraient son langage. Le seul indice de son autisme ? Il est capable de nommer les treize plus grandes fauconneries de France et de vous décrire toutes les pièces d’une animalerie qu’il a visitée étant enfant -avec l’ensemble des règles de sécurité prononcées par le guide- le tout en moins d’une minute.

Un manque d’effectifs criant

Mais parfois les choses dérapent. Contrairement aux idées préconçues, les autistes ne manquent pas d’émotion. Bien au contraire, ils les ressentent parfois avec une telle force qu’ils explosent. Comme lorsque Shanga coupe la parole à l’un de ses collègues, et que celui-ci réagit en hurlant à en faire trembler les murs. Sans jamais qu’elle le pousse à la violence physique, on sent chez l’homme une rage qu’il ne peut pas contrôler. Après quelques minutes de discussion avec lui, il ressort qu’il regrette pleinement et sincèrement sa furie, mais elle le dominera pendant encore une bonne vingtaine de minutes. Puis c’est l’effet domino. Un esclandre éclate, dans l’atelier menuiserie, puis encore un autre chez les bijoutiers du jour, amenant Shanga à frapper une table de sa jambe jusqu’à en saigner légèrement. A son tour, après quelques minutes de répit, le jeune homme vient s’excuser de lui-même pour son attitude. Son comportement, comme celui de son collègue, n’a rien d’infantile, et il serait dangereux de les y réduire. Pendant ce temps-là l’équipe d’encadrement, dont le manque effectif devient criant dans une situation comme celle-ci, arrive tant bien que mal à apaiser tout le monde sans se laisser déborder.

Le travail ne guérira jamais l’autisme, mais les Colombages fournissent un véritable cadre à leurs travailleurs, pour vivre une vie au-delà de leur handicap. Et son modèle mérite clairement d’être décliné. Mais comme toutes les formes d’accompagnement d’autisme en France, celle-ci manque de moyens humains. L’animatrice en est d’ailleurs consciente : « j’ai entre 20 et 25 travailleurs à chaque atelier. C’est trop. »

Pour aller plus loin : 

Le témoignage d’une mère de trois enfants autistes

Un cinéma qui accueille des enfants autistes

Enquête : enfin un vrai accompagnement pour les autistes ?

Maëva Poulet et Sami Acef