« Le Cluster Paris-Saclay, un potentiel fantastique »

Le « cluster » Paris-Saclay, géré depuis la loi de juin 2010 par l’établissement Public Paris Saclay (EPPS), regroupe un pôle universitaire en mutation et en plein développement, ainsi que des entreprises de pointe dans des secteurs variés comme la pharmaceutique, l’automobile ou l’aérospatiale. Sans le Grand Paris, et le développement de nouvelles infrastructures de transport permettant de désenclaver le lieu, ce projet vieux de plusieurs décennies aurait pu rester un rêve inachevé.

Tout existe pour que le projet décolle. Il ne manque plus que l’intégration de ce territoire à Paris par un réseau de transport adéquat. Patrick Cheene, le directeur du développement économique de l’EPPS est enthousiaste mais réaliste. « Les entreprises ne viendront pas s’installer si le lieu est situé à 1h30 du centre de Paris en heure de pointe. Avec la ligne 18 du métro qui sera opérationnelle à l’horizon 2023, l’intégration sera réellement effective, et ce pôle de recherche aura les moyens de devenir un véritable MIT (Massachusetts Institute of Technology) à la française. ». Et pour Patrick Cheene, c’est bien là l’apport principal du projet du Grand Paris, dont le développement des transports est géré par la Société du Grand Paris.

Le projet du cluster Paris-Saclay est défini comme une opération d’intérêt national (OIN).
Avec la loi de juin 2010 créant l’établissement public Paris-Saclay, l’Etat souhaitait offrir à ce pole technologique d’Île-de-France un nouvel élan.
Situé à une dizaine de kilomètres du centre de la capitale, le plateau de Saclay, qui couvre un territoire à cheval entre les Yvelines et l’Essonne (voir infographie), bénéficie à partir de 2009 du plan campus qui vise à moderniser les structures universitaires afin de les rendre attractives à travers le monde. L’idée de faire de cette place forte du monde universitaire français, un véritable pôle d’attractivité pour les investissement français et internationaux a donc fait son chemin.

Infographie du Cluster « Paris-Saclay »

Patrick Cheene, a travaillé plus de 15 ans aux Etats-Unis sur les campus du MIT à Boston et de la Silicon Valley en Californie. « Ce qui fait la différence entre ces centres universitaires et les autres à travers le monde, c’est l’émulation permanente qui existe entre les étudiants et les startups les plus puissantes de leurs secteurs. C’est pour tenter de faire la même chose ici que je suis venu ! »
« Le potentiel du projet est fabuleux. » C’est avec un réel enthousiasme que Patrick Cheene évoque ce sujet. Le directeur du développement économique de l’EPPS a comme mission de développer l’assise économique du cluster. « Il existe déjà des communautés sectorielles sur l’ensemble du territoire. Ce qu’il faut, c’est renforcer celles qui existent et en attirer d’autres. »

« Sans le Starbuck local, Google n’aurait peut être jamais existé »

Comme dans la Silicon Valley, les entreprises présentes sur le territoire Paris-Saclay adoptent depuis deux ans le label « Paris-Saclay ». « Une preuve que tout le monde croit au développement du lieu. » selon Patrick Cheene. Des entreprises comme Sanofi, Air Liquide, ou Alcatel ont été les pionnières du lieu et toutes ont labellisé leurs centres locaux « Paris-Saclay ». La proximité avec le campus universitaire qui est en pleine mutation et comportera bientôt 19 écoles et universités de pointe offre un vivier exceptionnel d’ingénieurs, d’informaticiens ainsi que de chercheurs qualifiés et motivés.
Le symbole de cette émulation productive que cherche à créer Patrick Cheene est probablement le Proto 204 « Un lieu neutre ou les acteurs du cluster, étudiants, chercheurs ou professionnels, se rencontrent. Il ne faut pas sous estimer ces lieux de rencontre. En Californie par exemple, sans le Starbuck local, Google n’aurait peut être jamais existé.

Nicolas HORLAIT  et Gaspard WALLUT

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Le Grand Paris est parti pour changer la vie des Franciliens

Paris est la quatrième ville la plus chère au monde en terme d’immobilier. Beaucoup n’ont pas ou plus les moyens de s’y loger. Ils doivent partir en périphérie de la capitale en contrepartie de trajets allongés et difficiles pour le moindre déplacement. Aujourd’hui, les Franciliens ont besoin d’une heure et vingt minutes aller-retour en moyenne pour se rendre sur leurs lieux de travail contre dix minutes il y a soixante ans. Les chantiers du Grand Paris en matière de transport et d’immobilier ont pour but de changer leur quotidien.

Les dates clés de la création du Grand Paris

Né en janvier 2012, le projet Grand Paris Express a pour objectif de rendre aux habitants d’Île-de-France un temps de trajet lieu de vie – lieu de travail raisonnable.

De plus, l’adoption du projet Grand Paris en juin 2010 par le Parlement a entériné un objectif de construction de 70 000 nouveaux logements par an sur vingt-cinq années.

L’objectif combiné de ces deux mesures est de faire tomber les barrières séparant Paris de sa banlieue. Avec plus de 200 kilomètres de rails supplémentaires, la construction de soixante-douze gares et l’ouverture de quatre nouvelles lignes de métro, le Grand Paris va améliorer de façon significative le quotidien des Franciliens. A l’horizon 2030, 90% d’entre eux habiteront à moins de deux kilomètres d’une gare.

Un réseau repensé et modernisé

Dans un premier temps, la ligne 14 sera prolongée. Reliant aujourd’hui Saint-Lazare à Olympiades, elle permettra à l’horizon 2024 de relier le pôle d’affaires de Saint-Denis Pleyel au nord à l’aéroport d’Orly au sud, et ce en moins de vingt minutes. Aujourd’hui un tel trajet nécessite d’emprunter deux métros et un bus pour une durée totale d’une heure et vingt minutes.

La ligne violette, déjà 100% automatique, sera aussi modernisée : de nouvelles rames de huit voitures contre six aujourd’hui verront le jour. La capacité maximale progressera de 30 000 voyageurs par heure à 40 000, les temps d’attente entre chaque rame ont par ailleurs déjà diminué de dix secondes en moyenne.

La RATP souhaite faire de la ligne 14 l’épine dorsale de son nouveau réseau et ainsi désengorger le réseau existant, avec une mobilisation accrue pour la ligne 13. Cette dernière compte en moyenne 4,5 personnes par mètre carré soit une surcharge de 116% par rapport à la norme. De surcroît c’est l’une des lignes que les usagers aiment le moins. La cause de cette surcharge ? 10% du réseau RATP reçoit 40% du trafic ferroviaire francilien.

L’augmentation de 21% du trafic ferroviaire en dix ans n’a rien arrangé à ce déséquilibre. Il était devenu indispensable à la RATP de repenser son réseau. C’est pourquoi elle ouvrira quatre nouvelles lignes de métro d’ici à 2030 et sera au cœur du développement de nouveaux pôles. Ce projet est soutenu par la Cour des comptes qui a conclu le 8 avril 2015 à la nécessité de bâtir des villes aux portes de la métropole.

Ainsi, les quatre nouvelles lignes seront toutes reliées à la station Saint-Denis Pleyel qui a vocation à devenir un véritable pôle d’influence du Grand Paris. Il s’agit déjà d’un vivier d’entreprises intéressant. Selon l’INSEE, le taux d’emploi est de quatre points soit un habitant pour quatre emplois. D’autres centres et pôles économiques profiteront du prolongement du réseau RATP comme par exemple le cluster technologique Paris-Saclay (lire notre article « Le cluster Paris-Saclay, un potentiel fantastique »).

La ligne 15 sera la première nouvelle ligne en service. Elle desservira 34 stations autour de Paris en réalisant un tour complet de la capitale. Les habitants des départements franciliens n’auront plus obligatoirement à passer par Paris dans leurs trajets banlieue – banlieue. C’est un premier pas vers le développement de la périphérie.

INFOGRAPHIE TEMPS DE TRAJET

Les lignes 16, 17 et 18 ont pour rôle de désengorger le RER en reliant des villes de grande banlieue comme Le Mesnil-Amelot ou Orsay. Grâce à elles il sera possible de relier les aéroports d’Orly et de Roissy en une trentaine de minutes, contre plus d’une heure aujourd’hui.

Guillaume Fis, 25 ans, est impatient à l’idée de réduire son temps de trajet par trois : « je vis à Meudon et je travaille à la Plaine-Saint-Denis. Je mets 1H30 chaque jour pour aller au travail et 1H30 pour en revenir. Avec l’Arc Express je mettrai seulement 30 minutes ! » Quant à elle, Marion Cieutat est étudiante et accomplit chaque jour un périple similaire pour se rendre sur son lieu d’études : « Au mieux je mets 35 minutes de Mantes-la-Ville à Saint-Lazare en transilien puis 20 minutes en métro. Au pire c’est 1H10 de transilien plus 20 minutes de métro ».

« Nous allons vers un Paris 2XL avec le doublement des infrastructures ferroviaires, retient le secrétaire national PS au travail François Kalfon. Il sera bientôt possible d’aller de la Seine-et-Marne au fort d’Issy-les-Moulineaux en 20 minutes grâce au métro. C’est aujourd’hui infaisable en voiture, même à minuit. »

Le réseau RATP s’améliorera aussi en confort puisque les usagers pourront bénéficier d’internet dans les rames avec un réseau 5G, soit un débit jusqu’à trente fois supérieur à celui de la 4G.

Le grand pari du logement

On retrouve également de grands chantiers pour étendre l’offre immobilière en banlieue. La loi promulguant le Grand Paris prévoit la construction de soixante-dix mille nouveaux logements par an jusqu’en 2025. La construction en périphérie va dans le sens de l’agrandissement du réseau de la RATP : le but est de désenclaver la banlieue pour l’intégrer dans la métropole que doit constituer le Grand Paris. La chute des frontières entre la capitale et sa périphérie offre à l’agglomération douze millions d’habitants et un tiers du produit intérieur brut français.

Aujourd’hui la région ne parvient pas à respecter le cap fixé par la loi Grand Paris du 20 mai 2010, elle est à peine à quarante mille nouvelles constructions par an. La faute à certains élus qui refusent la construction de logements sociaux dans leurs communes. Le problème devrait cependant rapidement trouver une réponse : l’État réfléchi actuellement à utiliser le processus des opérations d’intérêt national (OIN) dans les zones qui “bloquent”, un cadre juridique qui permet de faire construire dans une commune sans avoir besoin de l’approbation du maire.

Le gouvernement est légitime à agir. Bien que le projet soit géographiquement local il aura un rayonnement sur tout le territoire national, voire même sur le territoire international. D’autant que selon le gouvernement chaque logement construit représente 1,87 emploi durable.

Les travaux du Grand Paris induisent la création d’un certain nombre d’emplois dès aujourd’hui. « Ce projet crée 18 000 emplois directs et 55 000 emplois induits : c’est une véritable opportunité, retient François Kalfon. Le Grand Paris peut devenir un bon démonstrateur de l’effet de levier de l’investissement public. Ca peut devenir un laboratoire de bonnes pratiques. »

En charge de rencontrer les maîtres d’ouvrages, il veut garantir un quart des emplois directs créés aux jeunes issus des zones urbaines sensibles. Un objectif rempli selon lui. Les entrepreneurs « s’insèrent dans le tissu local et recrutent sur place. Cela permet une meilleure insertion des jeunes éloignés de l’emploi, d’après François Kalfon. Les entrepreneurs les recrutent, les forment et les accompagnent vers l’emploi durable. »

Une fois dans l’emploi, ces jeunes verront différents pôles d’habitations et d’emplois se rapprocher d’eux. Un pas de plus dans le désenclavement des banlieues.

Il faut aussi construire les soixante-douze nouvelles gares, et tout ce qui va autour d’elle : commerces, restaurants, services à la personne… Le Grand Paris va bouleverser le quotidien des Franciliens en les rapprochant inévitablement d’un centre d’influence tout en créant des emplois quotidiennement au fil des chantiers.

C’est aussi un projet social qui vise à mettre fin aux inégalités d’accès à l’emploi entre habitants du centre et habitants de la périphérie. D’autant que les établissements publics fonciers (EPF), qui décident de la construction des logements sociaux, devraient fusionner en un EPF unique pour la région. La ministre du logement Sylvia Pinel a annoncé cette mesure pour la fin de l’année 2015. Pour cette dernière c’est « la première pierre du Grand Paris du logement ». C’est en tout cas un moyen de coordonner l’action de l’État en Île-de-France pour passer outre la guerre que se livrent les élus à ce sujet (lire notre article « Le logement au centre d’un clivage politique insoupçonné »).

L’agrandissement du parc immobilier accompagné par une meilleure desserte de la périphérie devrait par ailleurs uniformiser les prix sur le Grand Paris. Aujourd’hui le prix du mètre carré dans Paris même approche les 8 000€ de moyenne en raison de l’offre limitée.

La concurrence pour se loger dans le centre sera moindre avec les opportunités nouvelles offertes par la périphérie : la répartition équilibrée de l’offre de logement aura pour conséquence la diminution générale des coûts de l’immobilier. Un plus non négligeable pour les Franciliens qui doivent actuellement se loger de plus en plus loin de leurs lieux de travail.

On voit aujourd’hui apparaître sur les sites d’agence immobilière de grands projets de construction avec la mention : “desservie par le nouveau métro” explique François Kalfon. Un signe de l’efficacité de l’élargissement de l’offre de transport sur l’offre de logement. Les deux sont intimement liés et entraînent avec eux bien d’autres conséquences positives pour le rayonnement du Grand Paris.

Selon la directrice commercial de l’agence Century 21 Wilson à Saint-Denis Mme Rosard : « Nous développons pour les biens du quartier une argumentation prenant en compte les futures lignes de métro du Grand Paris. Il y a un impact direct sur les ventes. C’est un argument important pour les investisseurs à long terme. » Au contraire, l’agence Titom Transaction située rue Carnot à Saint-Denis constate que : « la préoccupation première est la sécurité. Les transports du Grand Paris ne rentrent pas encore dans l’argumentaire de vente. »

L’écologie au cœur du projet

Là aussi on touche un point qui concerne directement le quotidien des Franciliens. Avec les récents pics de pollution, on a pu observer que le problème ne se réglerait pas en activant la circulation alternée une fois de temps en temps. Il fallait bien un projet pensé sur le long terme.

Avec une grille de transports en commun agrandie ainsi qu’une offre immobilière mieux développée, les temps de trajet de l’extrême majorité des Franciliens diminueront à l’horizon 2030. Une nouvelle frange de la population d’Île-de-France, aujourd’hui habituée à prendre la voiture pour le moindre déplacement, pourrait alors choisir de changer son mode de déplacement pour le métro.

D’autant que les transports en commun pourront recevoir beaucoup plus d’usagers qu’aujourd’hui, laissant ainsi la route à une minorité. Les émissions de CO2 de la région devraient alors diminuer. Lorsque l’on voit l’effet d’une mesure ponctuelle, comme l’est la circulation alternée, sur la qualité de l’air (diminution de la présence dans l’air de particules fines de 6% en un jour d’après l’agence Airparif), on peut imaginer l’influence de mesures réfléchies et pérennes. La ministre de l’écologie Ségolène Royal a elle-même insisté fin mars sur la « nécessité de trouver des réponses globales sur la durée contre la pollution ».

La maire de Paris Anne Hidalgo a elle aussi insisté sur la nécessité de changer les choses car la Ville organise de grands événements sportifs comme par exemple le marathon ce dimanche 12 avril. La France organise aussi le championnat d’Europe de football en 2016 avec une part importante de rencontres jouées au Stade de France.

La métropole a également les yeux rivés sur les Jeux Olympiques 2024 alors il ferait tâche d’apparaître comme une ville polluée couverte par un nuage gris menaçant. L’organisation des JO est un projet intéressant en ce que les villages olympiques pourraient être recyclés en parcs immobiliers de grande taille. Par ailleurs la modernisation et la création de nouvelles infrastructures sportives serviront d’élan à la construction des pôles aux portes du centre “historique”.

Le projet de candidature à l’exposition universelle 2025 fait aussi partie de ces projets qui ont vocation à « fédérer les énergies du Grand Paris » selon les termes de Manuel Valls. Le premier ministre a par ailleurs déclaré fin 2014 qu’il voyait dans cette candidature « une magnifique opportunité pour l’image dans le monde du Grand Paris et de la France ».

Le Grand Paris est un ensemble de mesures destinées à rendre la métropole plus attractive. Avec plus de moyens de transport, plus de logements et la création de nouveaux pôles d’influence hors de la capitale, l’habitat des Franciliens sera mécaniquement rapproché de leur lieu de travail. Un impact positif sur leur quotidien qu’ils verront se matérialiser petit à petit d’aujourd’hui à l’horizon 2030. En attendant, les ateliers du Grand Paris de l’aménagement et du logement se tiendront mi-avril. Ils tiendront informer les élus franciliens des sites qui ont été retenus pour accueillir de grandes opérations immobilières, accompagnées par l’arrivée des gares nouvelles du Grand Paris.

 

Nicolas HORLAIT et Gaspard WALLUT

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Cyber-harcèlement : quelles solutions ? Quand le harcèlement ne s’arrête plus aux portes de l’école

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 Crédit : Mathilde Pujol

 

A l’heure des réseaux sociaux et des Smartphones, le harcèlement scolaire ne se limite plus à des brimades  dans une cour de récréation. Il poursuit désormais la victime partout, à toute heure du jour et de la nuit : messages de haine, incitation au suicide, insultes répétées, piratage de compte, lynchage 2.0, publication de photos compromettantes etc. Comment lutter contre ce phénomène exponentiel qui conduit parfois la victime jusqu’au suicide ?

« Sur mon blog, je recevais fréquemment des commentaires anonymes qui se moquaient de mon physique, qui me disaient de quitter mon collège et de me suicider ». Myriam, étudiante parisienne de 21 ans, a été victime de cyber-harcèlement lorsqu’elle était en sixième. « J’étais amie avec deux filles qui ont commencé à s’en prendre à moi sans raison particulière. Ça a commencé en cours avec des injures et des moqueries puis sur Internet » raconte-t-elle. Sur le site Internet de l’Education Nationale dédié au harcèlement à l’école« agircontreleharcelementalecole.gouv.fr », le cyber-harcèlement est défini comme « un acte agressif, intentionnel perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de formes de communication électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule ». Ce phénomène connaît une recrudescence certaine depuis l’avènement de l’ultra-connexion. Selon une étude de la sociologue Catherine Blaya, 40% des élèves déclarent avoir été victimes d’une agression en ligne.

Le 6 février 2015, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education Nationale, présentait son nouveau plan de lutte contre le harcèlement sur i-Télé. Estimant qu’ « un élève sur deux a été victime un jour de cyber-harcèlement », la ministre a insisté sur la mise en place de nouveaux outils pour mieux détecter les cas grâce à la formation des enseignants, la création du prix « Mobilisons-nous contre le harcèlement » et « une éducation au numérique des enfants ».

D’autres voix se sont élevées cette année contre le cyber-harcèlement comme celle de Nora Fraisse. Auteure de « Marion, 13 ans pour toujours », elle est la mère de Marion Fraisse, jeune collégienne harcelée à l’école et sur Internet qui s’est pendue le jour de son treizième anniversaire il y a deux ans. C’est ce tragique fait-divers qui a inspiré au journaliste Andréa Rawlins-Gaston l’idée du documentaire « Souffre-douleurs ils se manifestent » diffusé au mois de février sur France 2.

 

 

Eduquer pour endiguer 

La première solution pour lutter contre le cyber-harcèlement est la sensibilisation et l’éducation des parents à Internet afin qu’ils puissent à leur tour éduquer leurs enfants. Jeudi 9 mars avait lieu une réunion de prévention contre le cyber-harcèlement à l’école élémentaire Vincent Van Gogh de Courcouronnes dans l’Essonne. Le but, sensibiliser les CM2 et leurs parents au cyber-harcèlement qu’ils seront susceptibles de rencontrer à leur arrivée au collège. Face à une quinzaine de parents, le major Daguin, policier spécialisé dans la prévention, rappelle en préambule comment fonctionne le Web. Tous les parents ne maîtrisent pas bien les bases contrairement aux enfants qui « savent s’en servir mais sans connaître les conséquences de leurs gestes ». Selon lui, dans cette école, 80 à 90% des élèves de CE2, CM1 et CM2 seraient déjà détenteurs d’un téléphone portable.

Là est le nœud du premier problème : la plupart des parents, ayant une certaine méconnaissance du Web et des réseaux sociaux, n’éduquent pas leurs enfants aux risques auxquels ils peuvent être confrontés. C’est ce qui est arrivé à Myriam, qui a donné le mot de passe de son compte instantané de messagerie MSN et de son blog Skyrock à une des deux filles qui l’a harcelée, lorsqu’elles étaient encore amies. « J’étais un peu naïve et je leur ai donné par gage d’amitié. Une fois, je suis rentrée de l’école et je me suis rendue compte que quelqu’un avait piraté mon compte MSN, avait modifié mon statut en insultant tous mes amis, et avait renommé un groupe « Pour les grosses putes comme Myriam ». Lorsque Myriam en a parlé à sa mère, elle lui a conseillé de changer de mot de passe, mais les dégâts étaient déjà faits.

Résultat, Internet est perçu par les mineurs comme une « cour de récréation planétaire » dans laquelle ils peuvent faire comme bon leur semble et où les réseaux sociaux servent de défouloir. Sans repères et avec l’impression de ne pas être dans la réalité, harceler devient beaucoup plus simple.

Justine Atlan dirige e-Enfance, une association agréée par le ministère de l’Education nationale pour prévenir et intervenir dans les établissements scolaires : « Nous organisons le soir des  réunions pour les parents, pour leur dire ce que l’on a pu voir des usages de leurs enfants la journée et pour les rendre co-acteurs de la prévention. Nous faisons de la prévention directement auprès des enfants car nous sommes dans l’urgence mais c’est aux parents de transmettre les bonnes pratiques et d’inclure cela dans l’éducation. C’est eux qui transmettent les valeurs et les principes à leurs enfants, ils doivent seulement prolonger cela sur internet ».

 

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 Crédit : Mathilde Pujol

L’école, lanceuse d’alerte

Le cyber-harcèlement s’étend partout et tout le temps, mais c’est à l’école que le harcèlement commence. C’est le constat que dresse Justine Atlan: « C’est le lieu où se rencontrent les enfants, ou se crée le lien social pour les ados. De plus, le cyber-harcèlement est pris dans une dynamique de harcèlement plus générale. Ca se passe sur Internet le soir et ça revient à l’école le lendemain et vice-versa, et des conflits dégénèrent à cause de ça. » Myriam, dont le cyber-harcèlement a commencé en sixième, a rencontré les deux harceleuses à son collège. « Au début, nous étions amies et elles ont commencé à ne plus me parler au collège et à s’en prendre à moi sans raison particulière. Les insultes et les moqueries ont commencé à l’école puis ont continué sur Internet ».

Il ne s’agit pas seulement de prévenir et d’éduquer les parents, mais également de surveiller et d’alerter au quotidien en faisant de l’école un levier d’action. Le gouvernement a ainsi mis en place un certain nombre de mesures pour pousser à la vigilance dans l’environnement scolaire. Par exemple, dans chaque  académie et dans chaque département, il existe en tout 250 « référents harcèlement » qui sensibilisent, forment, et sont disponibles en cas de problème.

Pourtant, le corps enseignant est souvent dépassé par le phénomène, qui ne peut que le constater mais n’a pas de moyens d’actions réels. Les établissements scolaires, désemparés, finissent même par solliciter de l’aide : « Nous avons beaucoup de demandes de professionnels. Soit ce sont des professionnels de l’éducation purs et durs, soit péri-éducatifs (infirmières scolaires, CPE, éducateurs) » avoue Justine Atlan.

Isabelle Colas, directrice de l’école élémentaire Van Gogh à Courcouronnes, déclare : « On fait de la prévention car c’est notre seul moyen d’action. Mais on est vite dépassés par les évènements. Je connais des histoires terribles, lorsque j’ai fait un séjour au collège et que j’ai été confrontée à ce genre de phénomène. »

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                    Crédit : Thomas Carrère

Punir et effacer

Le cyberespace renforce la sensation d’impunité. Déconnectés physiquement de leurs victimes, les jeunes harceleurs sont dégagés de toute culpabilité, ne voyant pas l’effet de ce qu’ils disent produit sur l’autre. Myriam savait qui la harcelait, mais n’a jamais pu dénoncer personne car les commentaires et les piratages étaient anonymes. « Je ne pouvais pas les accuser sans preuves » dit-elle.

Le cyber-harcèlement fait participer des jeunes qui n’auraient pas harcelé de manière classique « tout simplement car ça ne coûte rien de taper trois insultes et de cliquer pour liker une image dégradante ». D’après Catherine Blaya, interviewée sur France Inter, ces actes de cyber-harcèlement sont le fruit de « l’effet cockpit ». Cette expression, utilisée lors de la Seconde Guerre Mondiale, désignait la facilité des soldats à larguer anonymement des bombes depuis des avions. « Ils n’avaient pas l’impression de lâcher des bombes sur des êtres humains » explique-t-elle. Sous couvert d’anonymat, et seuls derrière leurs écrans, les jeunes n’ont pas l’impression de s’attaquer réellement à des personnes ou bien ont plus de facilité à le faire.

« Quand il y a un problème de légalité, nous orientons les victimes vers la police ou la gendarmerie ». Depuis la loi du 4 août 2014 sur l’égalité homme-femme, le harcèlement est puni et le cyber-harcèlement en est une circonstance aggravante. Dès lors, les harceleurs risquent la privation de liberté et des amendes. « Quand les harceleurs ont moins de 13 ans, c’est compliqué car ce sont les parents qui sont responsables dans le cadre des dommages et intérêts ». Des mineurs sont actuellement poursuivis pour cyber-harcèlement dans le cadre d’affaires comme celle de Marion Fraisse ou de Matteo, « mais comme les affaires n’ont pas encore été jugées, nous ne savons pas ce qu’il adviendra ».

En attendant, les harceleurs risquent déjà des sanctions au niveau scolaire dans leurs établissements. Cela va des punitions aux exclusions temporaires voire définitives. « C’est une bonne chose, car pendant longtemps c’est aux enfants harcelés qu’on conseillait de quitter les établissements. Les harceleurs restaient et ils recommençaient sur d’autres victimes ».

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Crédit : Mathilde Pujol

Lorsqu’un cas de cyber-harcèlement est détecté et avéré, il faut en supprimer les traces tout en prenant en charge les harceleurs et la victime. C’est ici qu’interviennent des plateformes comme le numéro Net-écoute, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) ou e-Enfance :« Nous travaillons en partenariat avec Facebook, Instagram, Whatsapp, Google, Youtube, Twitter, Ask etc. Les gens peuvent nous appeler s’ils ont quelque chose à supprimer et que ça n’a pas été fait après l’avoir signalé sur la plateforme concernée. Nous transmettons au réseau social concerné qui supprime le contenu indésirable dans les heures qui suivent, nos demandes montent en haut de la pile. Nous pouvons également faire fermer les comptes des harceleurs » raconte Justine Atlan.

e-Enfance a recours à ce genre de procédure seulement pour des cas graves nécessitant une intervention urgente. « Nous avons surtout vocation à aider les gens à signaler eux-mêmes car souvent ils ne savent pas le faire, à leur expliquer ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Nous effectuons une mission de pédagogie qui est de transmettre aux gens les bonnes pratiques pour qu’ils deviennent autonomes dans leur usage d’internet ». Malgré tout Internet n’oublie jamais vraiment, et pour le service juridique de la CNIL : « Les cas de suppressions de données sont extrêmement rares, c’est en dernier recours ».

Myriam raconte : « Le harcèlement sur mon blog et sur MSN a duré quelques mois, puis quand je suis arrivée en cinquième j’ai changé d’adresse mail et de blog et je n’ai plus eu de problèmes. »

Supprimer les traces passe aussi par le volet psychologique, le harcèlement laisse des séquelles aussi bien à la victime qu’au harceleur : « Un suivi des deux parties doit être opéré. Nous devons responsabiliser les jeunes et leur faire comprendre les enjeux de leurs actes. Il y a l’urgence de traiter la victime mais après il faut aussi s’occuper du harceleur si on ne veut pas qu’il continue. » Aujourd’hui, Myriam est étudiante en géopolitique et a mis ce mauvais souvenir derrière elle. Pourtant, cette période a été traumatisante : « Cette expérience m’a vraiment affecté et m’a rendue très méfiante envers les autres, j’ai beaucoup perdu confiance en moi. »

Pour Justine Atlan, le fait que le cyber-harcèlement soit répréhensible par la loi est bénéfique : « Pour des enfants un peu caïds qui se croient tout permis sur Internet, se retrouver face à un policier ou un gendarme va leur rappeler ce qu’ils risquent. »

Le cyber-harcèlement n’étant pas localisé, il est difficile pour les différents acteurs que sont les jeunes, l’école et les parents de le régler. Se rejetant souvent la faute les uns sur les autres, comme dans le cas Marion Fraisse dans lequel Nora Fraisse accuse directement l’école de négligence. Les solutions proposées par la loi restent maigres et l’école, dépassée, fait ce qu’elle peut pour endiguer le phénomène. Le fond du problème est le manque cruel d’éducation à Internet de toute une génération de parents et de professeurs face à une génération d’élèves née avec mais qui n’en perçoit pas les dangers.

TEMOIGNAGE. 

 

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Crédit : Thomas Carrère

 

« Aller au lycée était devenu une torture »

Aujourd’hui âgée de 18 ans, Carla a vécu harcèlement et cyber-harcèlement au collège et au lycée. Son calvaire commence lorsqu’elle débute sa carrière de mannequin à l’âge de 13 ans. « Alors que j’ai eu droit à un article en première page dans le journal La Provence, toutes les filles du petit village dans lequel je vivais m’ont tourné le dos. » Sensible et vulnérable, Carla devient « la personne à abattre ».

« Aller au lycée était devenu une torture. Le matin j’avais la boule au ventre quand ma mère me déposait. Monter les escaliers jusqu’à l’entrée du lycée en traversant cette marée d’adolescents était devenu mon cauchemar. Je passais mes récréations enfermée dans les toilettes pour ne plus devoir faire face au regard des autres ».

Les moqueries ne s’arrêtent pas à la porte de l’école et se poursuivent sur les réseaux sociaux : « J’avais perdu toute confiance en moi. J’étais devenu leur cible préférée, chacune de mes publications récoltait son lot d’insulte, de « pute », « salope ». On m’insultait aussi par messages ».

Par honte et par peur du regard des autres, Carla n’ose plus sortir de chez elle. « Il m’est arrivée de me faire cracher dessus dans la rue ». Pour couper court à la spirale infernale, elle arrête l’école à l’âge de 15 ans, en classe de seconde, et part à Paris pour poursuivre sa carrière.

« A cause de cela j’ai pris les jeunes de mon âge en horreur : Je faisais des détours lorsque je passais devant une terrasse remplie d’adolescents par peur des moqueries par exemple . Cela m’a conduit à ne vouloir être entourée que de personnes plus âgées que moi ». Cette stratégie d’évitement l’a aussi poussée à ne plus se rendre sur les réseaux sociaux. « J’ai arrête d’aller sur Facebook. Et même si c’est terminé, je n’y suis toujours pas retournée. Je suis censée pour mon travail être très active sur Instagram mais j’ai perdu l’habitude de dévoiler ma vie sur Internet, sans doute pour me protéger ».

Aujourd’hui Carla est bien dans sa peau et poursuit sa carrière en France et à l’étranger : « J’ai compris qu’il fallait aller au delà des commentaires désobligeants ». Repenser à ses anciens bourreaux la fait même sourire : «  Toutes ces filles qui m’ont rendu la vie si dure sont revenues me parler pour me dire que je suis un exemple pour elles et qu’elles m’ont toujours admiré ».

Maëva, 17 ans et Damien, 18 ans, scolarisés au lycée Van Gogh de Levallois-Perret (92) ont été témoins de cas de cyber-harcèlement :

 

INTERVIEW.

« C’est à l’école de bâtir une éthique du numérique »

Jean-Pierre Bellon est professeur de philosophie et président de l’Association de prévention des phénomènes de harcèlement entre élèves (APHEE) depuis 2006. Sa mission est de former et d’aider les professionnels à répondre à ce type de violences.

Comment régler un cas de cyber-harcèlement ?

Harcèlement et cyber-harcèlement se tiennent par la main, l’élève harcelé sur les réseaux sociaux l’est aussi en classe la journée. C’est à l’école et au personnel éducatif de prendre en charge toutes les situations de harcèlement. C’est inscrit dans la loi depuis 2013. Mais dans les faits, les équipes encadrantes sont souvent désarmées et faute disposer des bonnes méthodes, elles commettent souvent des fautes. La sanction des harceleurs est parfois nécessaire, mais elle ne peut pas à elle seule faire cesser le harcèlement.Pour l’interrompre, il faut s’occuper de tous ceux qui ont pris part au harcèlement. D’ou l’intérêt de la méthode Anatol Pikas dite de la préoccupation partagée que nous utilisons actuellement. Elle consiste en une série d’entretiens individuels avec les harceleurs au cours desquels on recherche comment il peuvent trouver eux-même une issue au problème dont ils sont l’origine. Cela est long mais très efficace.

C’est donc uniquement au personnel enseignant d’éduquer et de lutter contre ce phénomène ?

Une fois encore, oui, c’est à l’école d’intervenir. Si l’école n’éduque plus il y a des questions à se poser. La prévention commence avec un travail de réflexion avec les élèves. En décortiquant certains cas qui se sont produits comme nous l’avons fait avec Bertrand Gardette dans notre dernier ouvrage, on se rend compte que tous auraient pu être arrêtés avant l’issue fatale si la parole des adultes s’était interposée. Pourquoi un ado qui reçoit une photo à caractère sexuel ne la détruit-il pas immédiatement ? Pourquoi la réexpédie-t-il ? Et pourquoi ces mêmes élèves se retournent-ils contre la victime dès que la photo est diffusée ? Il faut que toutes ces questions soient débattues en classe avec les jeunes. Quel éducateur peut prétendre que ce n’est pas son rôle ?

Anne-Charlotte Dancourt et Mathilde Pujol

Les salles d’art et essai ne sont pas prêtes de mourir !

On pourrait penser qu’elles sombrent face à l’avancée des multiplexes, et pourtant non. Les cinémas d’essai se portent plutôt bien. La preuve à travers cette enquête.

Des lustres historiques, des activités pour les enfants et bon nombre de festivals : un cocktail qui fait fonctionner le Studio 28, salle d’art et d’essai implantée à Montmartre depuis près de cent ans. A voir les touristes et autres curieux qui se pressent devant les portes, on peut voir que oui, le cinéma d’art et d’essai se porte bien, merci pour lui. En dix ans, la fréquentation a même augmenté de 0,2% lorsque le reste des salles généralistes a vu son public baisser de 0,1%. “Les cinémas d’art et d’essai se maintiennent bien face aux multiplexe” se félicite Dorothée Duval, chargée de mission pour le classement art et essai au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). “Le nombre de salles labellisées reste constant d’année en année. C’est une très bonne chose.”

Mais ne crions pas victoire trop vite. Pour lutter contre le rouleau compresseur des grands groupes d’exploitations tels que UGC et Gaumont-Pathé, les salles indépendantes doivent redoubler d’efforts pour se réinventer au quotidien.

L’esthétique avant tout

Face aux grandes salles impersonnelles des multiplexes, un espace agréable à l’oeil fait toute la différence. C’est justement au Studio 28 que l’on peut admirer les lustres dessinés par Cocteau. Il disait d’ailleurs que c’était “la salle des chefs d’oeuvre et le chef d’oeuvre des salles.” De Capra à Brel, les plus grands se sont succédés dans ses murs. Candélabres et ciel étoilé sont suspendus au-dessus des têtes des spectateurs, aussi impressionnés par la décoration de la salle que par les films eux-mêmes.

Autres exemples tout aussi sublimes : les murs du cinéma Pagode, un ancien salon d’aristocrates. Insolite, il cache derrière ses murs une salle japonaise et son jardin assorti. Des lieux classés monument historique depuis les années 80. Construite en 1896, la Pagode ne s’ouvre au public que dans les années 30. Le salon est alors transformé en salle de projection et devient lieu de rendez-vous pour les cinéphiles du 7e arrondissement.

Photo des Cinémas Etoile
Photo des Cinémas Etoile

Le Balzac, lui, naît en 1935. Dans sa rue du même nom, il devient vite le cinéma à se pas râter aux Champs-Elysées. Pour les spectateurs, le confort est là : une immense salle ronde inspirée directement de l’art déco.

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Photo de Frédéric Reglain

 

L’attrait esthétique est un aspect qu’espère développer Phillipe Coquillaud, directeur du cinéma le Méliès à Pau. “Nous voulons nous agrandir et repenser entièrement notre espace, pour l’instant austère. Le cinéma devrait être un lieu de rencontres où les gens viennent passer un moment agréable, pas simplement pour voir un film.

L’ouvreuse du Studio 28 nous révèle ses secrets. Reportage Estelle Walton.

Des activités variées et enrichissantes

Mais si le cinéma de quartier persiste et perdure, ce n’est pas uniquement grâce à son décorum. Les gérants de salles multiplient animations et débats divers autour des films projetés. Michel Ferry, secrétaire général de l’AFCAE (Association française du cinéma d’art et essai), expliquait dans une interview donnée à France musique en janvier dernier : ”Il faut renouveler en permanence le public. Une salle art et essai, c’est 5-6 débats par semaine. »

Au coeur du quartier latin, le Reflet Médicis, organise différents événements qui rythment la vie du cinéma, comme le festival du film russe ou encore celui du film finlandais. Experts, réalisateurs et musiciens rejoignent  les fauteuils rouges donner vie aux films.

Et pour plus de fun niveau animations, reportage ici au Studio Galande avec le Rocky Horror Picture Show.

L’animation est un critère que défend l’AFCAE depuis sa création en 1955. Elsa Piacentino, chargée de communication de l’association le confirme. “Pour recevoir le label art et essai, il faut que le lieu soit valorisé, il ne faut pas que ce soit uniquement un lieu de projection. L’idée : créer des animations, des débats, des activités jeune public.” C’est ce qu’a choisi de faire Nolwenn Turbin, animatrice du cinéma art et essai le Beaulieu à Nantes. “Diffuser un film en lien avec l’actualité, s’ouvrir aux faits de société et accompagner la séance d’un débat, ça dope la fréquentation.”

Attiser la curiosité des nouvelles générations

Et avec les jeunes ? C’est parfois un public difficile. Pour René Salsa, directeur du Saint-Denis à Lyon, le public ne va pas en-dessous des 35 ans. Alors qu’au Chaplin Denfert, le directeur Eric Gozzi s’est relié à l’université de Nanterre pour y accueillir les jeunes investis dans le festival de court-métrages. Ce cinéma a justement établi un partenariat avec Enfance de l’art, une association qui sélectionne des films mettant en valeur la création cinématographique au-delà des dessins animés grand public diffusés dans les multiplexes.

Un point important pour Frédéric Gimello-Mesplomb, enseignant à l’université d’Avignon et spécialiste du cinéma art et essai. “Il existe beaucoup de dispositifs pédagogiques pour éduquer les enfants et les jeunes sur l’art et essai. Par exemple, des intervenants ou réalisateurs se rendent dans les établissements. Débats et rencontres sont organisés pour leur faire découvrir ce type de cinéma méconnu.” A Nantes, les salles favorisent la rencontre entre bambins et cinéma. Au Beaulieu, des séances sont proposés aux plus petits. Dès deux ans, ils peuvent participer aux goûters et ateliers artistiques qui accompagnent les projections.

Renouveler le public, un défi relevé pour le cinéma l’Ecran à Saint-Denis en région parisienne. Boris Spire, directeur du cinéma depuis 10 ans, pratique ce qu’il appelle “le festival permanent”: de l’événementiel et des séances dans les écoles pour attiser la curiosité des jeunes publics.

A Paris 8, les étudiants aussi mettent la main à la pâte. Dans le cadre de leur formation, le master Politiques et gestion de la culture en Europe participe chaque année au festival Cinéma du réel. Sélection, contact avec le réalisateur, programmation, gestion de la communication,  ces jeunes s’occupent du processus de A à Z. Le résultat : un documentaire colombien, une salle bien remplie, et une discussion avec le réalisateur en prime. Pour Héloïse Proy, partie prenante du projet, cette expérience a été très formatrice: “Je n’aurais jamais pensé à m’intéresser au genre documentaire de cette manière. Être dans les coulisses, a complètement changé ma conception de la programmation. Quand on a vu la salle presque pleine, on était pas seulement heureux, on était fiers.” Pourtant, engouement d’un soir n’est pas toujours synonyme de public fidèle. “Peu d’étudiants viennent régulièrement” regrette le directeur de la salle. “Ils ne vivent pas sur le campus et ne restent pas sur place après les cours. Il est donc d’autant plus difficile de les fidéliser”.

Des films qu’on ne trouve pas (ou plus) ailleurs

Pour le cinéma le Mélies à Pau, c’est la clé du succès : des films éclectiques, de genres, programmés plus longtemps. “Un film reste facilement 5 à 6 semaines à l’affiche, nos habitués le savent. A terme, on peut faire plus d’entrées qu’un multiplexe”, explique Philippe Coquillaud, directeur de la salle.

A Paris, le Chaplin Denfert continue à diffuser les films qu’on ne peut plus trouver ailleurs. Eric Gozzi, directeur, explique : “Dans les grands cinémas, les films restent à l’affiche deux semaines maintenant ! Les spectateurs peuvent donc venir dans les salles de quartier pour voir les films qu’ils n’ont pas eu le temps de visionner.” Au CNC, la singularité de la programmation est un atout évident. « Dans les salles d’art et essai, c’est un autre style de films, bien différents des productions grand public diffusées en multiplexes. »

Revoir les films de patrimoine est aussi un point que les cinémas ont à coeur. A Nantes, les vieux films sont à l’honneur. Des bénévoles passionnés viennent avant la projection deux fois par mois pour présenter ces classiques à voir et à revoir.

Un contact humain essentiel

Le public est bien souvent constitué de fins connaisseurs. A la Filmothèque par exemple, cinéma d’art et d’essai du quartier latin, on s’adresse à un public ô combien savant, capable de pointer du doigt les erreurs de projection. “Quand on se trompe de format, ils gueulent. Ils voient tout de suite que le film n’est pas diffusé dans son format initial” explique Philippe Mazel, le chef de cabine.” Une stratégie développée pour un public précis :“Il faut pas se leurrer, la majorité de nos spectateurs sont des petits vieux soixante-huitards, nostalgiques de l’âge d’or des années soixante dix, et lecteurs de Télérama” rappelle le directeur de la salle de Saint Denis.

“Quand vous allez au Pathé ou au Gaumont, vous êtes totalement anonyme” note René Salsa, directeur du Saint-Denis à Lyon. “Ici, on discute avec les gens au guichet et quand il y a la queue, on attend que tout le monde ait payé sa place avant de lancer le film.”

“Techniquement, il n’y a pas de public propre aux salles d’art et essai.” explique Frédéric Gimello-Mesplomp. “Ce n’est pas parce que les gens vont dans les cinémas art et essai qu’ils ne se rendent pas dans les multiplexes. Par contre la salle va construire son public, elle va proposer une programmation plus pointue. C’est le public qui conditionne la salle et pas l’inverse.”

Faire face aux menaces

Malgré tous leurs efforts, les salles d’art et essai subissent les effets du XXIe siècle. Les multiplexes toujours plus grands et confortables, attirent un public de plus en plus large grâce à une programmation très diversifiée. Avec ses 37 films simultanés à l’affiche et sa VO quasi systématique, l’UGC ciné cité des Halles à Paris fait de l’ombre aux salles intimistes. “Entre des salles vieillottes et bruyantes et des écrans flambants neufs et des sièges tout confort, mon choix est vite fait.” Explique Hubert Prolongeau, journaliste et cinéphile depuis son plus jeune âge. “L’idée d’opposer le cinéma d’art et essai aux salles commerciales ne veut plus dire grand chose.”

Cette menace, l’Utopia Saint Siméon à Bordeaux la vit au premier plan. Installée dans une ancienne église, cette salle entièrement indépendante est ancrée dans les habitudes bordelaises. Mais pour Stephan Bolato, programmateur dans la salle d’art et d’essai depuis 10 ans, cet attachement ne suffit plus: “Notre fréquentation est en baisse constante. Nous avons perdu 14,5% d’entrées depuis le début de l’année.” Pourtant, le cinéma redouble d’efforts pour attirer le public: soirées débats, festivals, programmation éclectique, magazine à l’édition léchée, même un bar restaurant est installé dans le hall pour créer une ambiance chaleureuse à la sortie d’une projection. “l’UGC est à 5 minutes à pied et nous vole notre clientèle. Eux, ils ne dépendent pas des entrées, ils ont les pubs et le Pop Corn, sur lesquels ils font des marges colossales. ” Un nouveau complexe de 13 salles est prévu, un nouveau coup de bâton pour la salle indépendante. Malgré nos multiples relances, le groupe UGC-MK2 n’a pas donné suite aux appels téléphoniques.

Pour certains cinémas, le numérique a été synonyme de diversité et de flexibilité accrue. Pierre Magne, Assistant de Programmation pour le réseau du Parvis installé dans les Hautes Pyrénées ne peut plus s’en passer : “on a plus à se déplacer pour faire passer les bandes à nos cinémas en personne, ça nous a changé la vie. Notre programmation s’en trouve enrichie.” Mais pour son homologue bordelais, l’investissement est bien trop lourd. Cette remise à neuf, vécue comme imposée par les boites de distribution et le CNC a été faite sans consultations des salles indépendantes et n’est pas adaptée à leur usage: “ Une nouvelle cabine de projection coûte entre 50 000 et 70 000 euros, et est optimisée pour des écrans de 15 m. Nos écrans sont bien plus petits. C’est une dépense inutile, et c’est mettre le doigt dans l’engrenage de l’obsolescence programmée. Un projecteur argentique pouvait durer 30 ans, qui sait combien d’années dureront les nouveaux avant de devenir obsolètes à leur tour?

Interview de Pierre Magne disponible ici.

Et l’argent dans tout ça ?

Les multiples initiatives qui permettent aux salles d’art et essai de vivre ne seraient pas possible sans le soutien financier du CNC. « Nous attribuons une subvention qui va de 2000 à 99 000€ par an, selon les salles » explique Dorothée Duval. Les pouvoirs publics ont aussi leur rôle à jouer. A Saint-Denis, ils financent 60% du budget de l’Ecran. “Sans leur soutien, il serait plus difficile de faire le lien avec les écoles et l’Université.

Là-bas, comme dans de nombreuses communes, la municipalité met gratuitement à disposition les locaux aux cinémas. Mais sans aide de la ville, les choses peuvent rapidement se compliquer. A Bordeaux, le Stéphan Bolato regrette ce manque de soutien “Nous sommes un cinéma complètement indépendant qui tire la majorité de ses revenus par la vente de tickets. C’est un choix, mais la ville ne nous aide en aucun cas, il nous handicapent.” Le directeur de salle d’art et d’essai s’inquiète de la création prochaine du nouveau multiplexe dans l’agglomération. “La ville est déjà saturée en écrans, et l’on va devoir se battre d’autant plus  récupérer des copies de films. Notre seul recours, c’est de continuer à nous diversifier.

La charge salariale est un poids pour beaucoup de salles. Pour l’Utopia, c’est même la majorité du budget de fonctionnement. “On ne paye pas nos salariés au lance pierre, ça fait partie de nos valeurs. Du coup, c’est un poids considérable sur notre budget.” Mais à Lyon, le Saint-Denis a trouvé un modèle différent : géré par une équipe de bénévoles, le cinéma n’a pas à payer de salaires à la fin du mois et, grâce aux bénéfices engendrés, peut mettre à jour les équipements numériques pour une meilleure projection.

La clé sous la porte, une peur inévitable

Le tableau n’est donc pas si noir pour les salles d’art et d’essai. Et pourtant le Melville n’a pas résisté. Ce cinéma de Rouan a fermé le 23 septembre, après trois mois de discussion intense. Le cinéma vivait des jours difficiles depuis 2013. Une situation financière irrattrapable qui n’a cessé de se dégrader. Les loyers étaient impayés, les salaires non reversés. Placé en redressement judiciaire en juillet 2014, les salariés croyaient encore au plan de sauvegarde mais c’était peine perdue. Aujourd’hui l’’avenir du bâtiment semble s’orienter vers l’installation d’une nouvelle salle de spectacle.

Le cas du Melville reste emblématique et montre que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les salles d’art et essai. Malgré de nombreux exemples flamboyants, la survie des cinémas indépendants n’est pas évidente pour tous. A Saint-Denis, Boris Spire résume la situation en une phrase :  “De toute façon, être directeur d’une salle d’art et d’essai, nous oblige à être optimiste, autrement il faut changer de métier.”

Estelle WALTON et Margaux MALINGE