Entre révolte et incompréhension, le combat d’une mère pour son fils trisomique

Gaëlle Loiseau élève seule ses quatre enfants, dont Jérémie, 17 ans, atteint d’une trisomie 21 doublée d’un autisme. Les possibilités d’avenir professionnel pour son fils sont limitées, voire inexistantes. Plus les années passent et plus l’inquiétude gagne la mère de famille. Témoignage.

Attablée dans le salon, une grande tasse de thé à la main, Gaëlle Loiseau profite enfin d’un moment rien qu’à elle. A 43 ans, cette mère célibataire d’une famille de quatre enfants est secrétaire médicale à l’hôpital Hôtel Dieu, à Paris. Deux de ses enfants sont en situation de handicap : Jérémie, 17 ans, atteint d’une trisomie 21 doublée d’un autisme, et Mathis, 9 ans, souffrant d’une déficience intellectuelle. Elever un fils en situation de handicap lourd est un travail à temps plein pour cette mère de famille, mais la joie de vivre de Jérémie lui fait oublier tous les sacrifices qu’elle a réalisés jusqu’à présent.

20 ans : étape charnière dans la vie d’un jeune en situation de handicap

A 17 ans, Jérémie ne parle pas. « Mon fils a suivi un cursus dit « normal » jusqu’à ses cinq ans. Il est allé, comme tous les enfants de son âge, à la crèche, mais impossible pour lui de passer en CP. Il a alors été orienté vers une ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire), raconte la quadragénaire. Étant donné que Jérémie ne parlait pas, il n’y avait aucun intérêt pour lui à ce qu’il reste dans ce milieu, vu que tout lui était abstrait. C’est pourquoi à 9 ans, il a été orienté vers un Institut Médico-Educatif (IME) ». L’année dernière, Jérémie bascule sur l’IMPRO de Neuilly-sur-Seine, l’équivalent du lycée pour les jeunes en situation de handicap. Grâce à ce cursus, les adolescents apprennent un métier, préparent la cuisine, font du repassage, du ménage, de la couture et du pliage d’enveloppes pour les envois postaux. « Certains enfants peuvent y arriver, mais Jérémie ne sait ni lire ni écrire ». D’ici trois ans, il devra quitter l’IMPRO, qui n’accueille les jeunes que jusqu’à leurs 20 ans. Mais impossible pour l’adolescent d’accéder à un ESAT (Etablissement et Services d’Aide par le Travail), ce que permet et promet pourtant l’IMPRO dans laquelle il est accueilli. « Avoir 20 ans, c’est passer un cap pour les personnes en situation de handicap incapables de travailler en ESAT. Elles ne disposent plus d’aucune structure et les soins médicaux ne sont plus à charge », admet Gaëlle Loiseau. Après ce cursus, deux choix s’offrent alors à Jérémie. Passer le reste de sa vie dans un Centre d’Activité de Jour (CAJ), où les jeunes n’apprennent plus de métier mais apprennent à vivre en communauté, à préparer les repas et faire les courses.

Le foyer de résidence pour les jeunes en situation de handicap est une autre de ces possibilités. Mais pour Gaëlle Loiseau, pas question d’envoyer son fils en internat. « Les cas de maltraitance y sont trop nombreux et Jérémie ne sera pas capable de nous en faire part », justifie la mère de famille.

Catalogués dès l’enfance

La quadragénaire en est persuadée : si les personnes en situation de handicap peinent à trouver du travail, c’est à cause de la perception et de la méconnaissance de la société actuelle vis-à-vis du handicap lui-même. « Nous sommes dans un système qui cloisonne trop et qui n’est pas assez ouvert ni à l’écoute des sens des gens, déplore Gaëlle Loiseau. De même pour les personnes qui ont beaucoup de créativité, elles seront écrasées par le cursus scolaire qui fait que l’on ne prête pas attention à tout ce qui est de l’ordre de l’imaginaire ».

Selon la mère de famille, le potentiel qu’ont les jeunes en situation de handicap n’est ni assez reconnu, ni assez exploité.

En entreprise, la polyvalence est de rigueur. « Il est prouvé que les personnes atteintes d’un handicap mental peuvent se concentrer sur une seule tâche à la fois. En théorie, la vie en entreprise n’est pas adaptée pour eux, explique Gaëlle Loiseau. Par contre, lorsque l’entreprise s’adapte à son personnel autiste et lui consacre une seule et même tâche, elle réalise que ces personnes sont extrêmement intelligentes sur un domaine bien donné. Les entreprises ont beaucoup à gagner : pouvoir exploiter le potentiel des personnes en situation de handicap nous offre une vision différente de la vie ».

Toutefois, Gaëlle Loiseau reste pessimiste quant à l’avenir professionnel des jeunes en situation de handicap. « Depuis 2005, il y a énormément de choses qui ont bougé au niveau de la petite enfance, mais passée la sphère adulte, d’autres enjeux font que les entreprises n’ont pas forcément d’intérêt à intégrer, au sein de leurs équipes, des personnes en situation de handicap ».

Comme la mère de Jérémie, les parents d’enfants en situation de handicap se révoltent face aux cursus inadaptés et impersonnels, dans le milieu éducatif. Le chemin à parcourir reste encore long, pour voir, un jour, des jeunes en situation de handicap intégrer durablement les entreprises.

Marie Lecoq

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couture

Gérard Zribi est président de l’Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT (Etablissement ou service d’aide par le travail), l’Andicat, et auteur de plusieurs ouvrages sur le handicap dont “L’avenir du travail protégé, les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes handicapées”. Pour lui, ces structures sont essentielles car elles offrent un cadre de travail protégé à des personnes qui ne pourraient pas s’épanouir dans le monde de l’entreprise ordinaire.

Quelles solutions peuvent permettre aux jeunes en situation de handicap mental de s’intégrer sur le marché du travail ?

Il n’y a pas réellement de distinction entre les âges en ce qui concerne l’accès au travail des personnes atteints de déficiences mentales, la différence se fait plutôt au niveau des capacités. J’ai toujours défendu le droit au travail pour tous ceux qui sont en capacité de travailler et en ont la motivation. L’une des modalités d’intégration est l’ESAT ou établissement et service d’aide par le travail. C’est un organisme à l’articulation sociale et économique qui reçoit à peu près 93% de handicapés mentaux et psychiques et donc peu de handicapés moteurs ou sensoriels. Ces centres proposent des activités professionnelles très variées, couplées d’une formation professionnelle et d’un accompagnement. Les travailleurs sont rémunérés. Les ESAT adaptent les compétences professionnelles à la prise en charge de travailleurs aux pathologies de plus en plus complexes. Elles font un très gros travail d’adaptation.

Il existe également des « entreprises adaptées », financées pour répondre à un but social et destinées à des personnes qui ont eu un emploi dans le milieu ordinaire, des personnes plus autonomes et qui ont des compétences professionnelles. Et enfin, il y a quelques emplois en milieu ordinaire. La France a un beau dispositif social au niveau de l’emploi des handicapés. On entend un discours négatif au niveau national mais on a l’un des dispositifs les meilleurs d’Europe.

Quels domaines de travail sont à privilégier et pour quelles raisons ?

Il faut privilégier des activités qui sont de vrais métiers mais qui ne nécessitent pas de formation poussée : le conditionnement, la couture, le jardinage, la blanchisserie industrielle, l’hôtellerie, le tourisme etc. Et ce sont des domaines qui peuvent être découpés en tâches plus simples ou plus complexes.

Il faut tout de même faire un gros travail de formation à la base du métier et apporter un accompagnement aux travailleurs. Environ 20 à 30% de l’activité de ces ESAT est de la sous-traitance industrielle pour des entreprises qui s’en servent pour respecter les quotas d’embauche de travailleurs handicapés et le reste sont des contrats, notamment pour des collectivités locales

Quelles formations les jeunes peuvent-ils suivre pour accéder à ces ESAT ?

Avant d’intégrer un ESAT, les jeunes sont souvent dans des centres d’apprentissage pratique ou des externats médico-professionnels. Il existe plusieurs filières de formation qui sont en train de s’accentuer et c’est une bonne chose.

 

Propos recueillis par Clara Charles


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Jeunes handicapés: un chômage à 30%

pôle emploiEn France, seule une personne handicapée sur trois travaille et ce malgré la loi obligeant chaque entreprise de vingt salariés ou plus d’engager au moins 6% de personnes en situation de handicap. L’insertion professionnelle des handicapés se fait difficilement, en particulier pour les jeunes. Tour d’horizon.

Source: Insee, enquête Emploi 2015

Alors que la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées s’est achevée il y a quelques jours à Paris, leur situation sur le marché du travail reste préoccupante. Selon les données de l’Insee de 2015 concernant les handicapés bénéficiant d’une reconnaissance administrative*, en France, seulement 43% de ces personnes sont actives : en emploi ou au chômage. Ces chiffres sont en décalage avec les réalités de l’ensemble de la population, dont 72% est active et dont le taux de chômage s’élève à 10%. C’est presque deux fois moins que pour les personnes handicapées.


Source: Insee, enquête Emploi 2015

L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap se fait tard, 46% réussissent à rentrer dans le monde du travail ayant 50 ans ou plus, contre 23% pour l’ensemble de la population. La situation des jeunes handicapées est particulièrement difficile. Seulement 25% des personnes en situation de handicap âgées entre 15 et 24 ans sont actives, tout en faisant des études plus courtes que l’ensemble de la population française. Leur taux de chômage avoisine les 30% et seulement 17% ont un emploi. Parmi toutes les personnes handicapées qui travaillent, 3% à peine ont moins de 25 ans.


Source: Insee, enquête Emploi 2015

Pour aider les personnes handicapées à s’insérer dans l’emploi, la loi du 11 février 2005 oblige toutes les entreprises de plus de vingt salariés à employer au moins 6% de personnes handicapées. Les sociétés ne respectant pas cette obligation doivent verser une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). En 2014, l’action de l’association a permis d’insérer 74 795 personnes handicapées dans l’emploi. Un chiffre en légère hausse par rapport à l’année précédente, mais loin d’être suffisant.


* Reconnaissance administrative de l’handicap : elle ouvre potentiellement droit au bénéfice de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. C’est sur cette catégorie de la population que se font les études statistiques concernant le handicap. Elle englobe les personnes atteintes de handicaps physiques et mentaux.

Malgo Nieziolek

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cuisine
Image d’une cuisine

Atypik est une association grenobloise qui milite pour l’inclusion des personnes autistes dans la société. En 2014, ses membres créent le restaurant Atypik qui travaille avec les bénévoles autistes. Tous les jours, la jeune équipe gère une trentaine de couverts. Rencontre avec Colette Agnoux, présidente de l’association, elle même diagnostiquée autiste en 2007.

Peut-on faire fonctionner un restaurant avec une équipe composée uniquement de personnes autistes ?

Non, notre restaurant est géré en partie par des salariés et en partie par des bénévoles autistes. C’est un tremplin social, un outil pour notre association et un lieu de travail. L’objectif principal c’est de donner aux personnes autistes confiance en elles. Notre but n’est pas de les professionnaliser à tout prix. Une personne autiste ne peut pas être productive et disponible pour travailler comme les autres.

En quoi le travail dans le restaurant est bénéfique pour les bénévoles ?

Le restaurant et l’association sont des lieux de rencontre, il y a beaucoup de personnes autistes qui n’en ont jamais croisé d’autres et qui pensent être seules au monde. Nous accueillons surtout des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans. Les rencontres nous permettent de se positionner par rapport à la maladie, de nous donner des repères. Grâce au restaurant nous pouvons expérimenter les comportements et les schémas sociaux sans qu’on nous engueule tout de suite. On donne aux bénévoles le choix et on ne leur impose pas de comportement social. Bien sur, il y a un minimum, mais à part les normes de sécurité, on ne leur dit pas « il faut être comme ça ».

Avez-vous dû adapter vos méthodes de travail ?

Oui et non. Les personnes qui arrivent chez nous n’ont souvent aucune formation professionnelle, encore moins dans la restauration. C’est donc surtout le bon sens qui nous guide. Il y a chez nous aussi beaucoup de bienveillance. Les jeunes qui arrivent ici veulent s’affranchir des normes sociales auxquelles ils ont du mal à s’adapter… Il faut gagner leur confiance avant qu’ils puissent commencer à travailler en tant que bénévoles. Ils viennent quand ils veulent, ils participent à la mise en place du service ou pas, selon leurs envies. Pour travailler avec les personnes autistes, il faut sortir des grilles normatives. Il faut se dire qu’on peut travailler autrement et même qu’on doit travailler autrement.

Est-ce que les autistes ont leur place sur le marché du travail ordinaire ?

Dans le système actuel, notre société ne nous permet pas de travailler. Moi même je me pose la question s’il n’est pas mieux pour moi de rester à AAH (l’allocation aux adultes handicapés) et d’agir bénévolement pour des causes qui me tiennent à cœur au lieu d’aller faire un 35h. Le but ce n’est pas de faire un burn out au bout de quelques mois. J’estime que je suis plus productive en tant que bénévole. Faire 35h par semaine, peu importe si le domaine m’intéresse ou pas, c’est voué à l’échec.

Propos recueillis par Malgo Nieziolek


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