Trois questions à Alexandre Lockert, psychologue clinicien et psychothérapeute spécialisé en hypnothérapie.
Qu’est-ce que l’autohypnose ?
C’est le fait de se faire de l’hypnose à soi-même. L’hypnose, c’est rentrer à l’intérieur de soi, c’est-à-dire utiliser un état modifié de conscience pour accéder à son inconscient, notre structure psychologique, où se trouvent nos émotions, nos souvenirs, notre mémoire, nos expériences, … Ce serait apprendre à mettre de côté notre petit mental, notre logique, pour pouvoir accéder à tout ce monde d’émotions. Parfois, on essaye de changer mais on n’y arrive pas. Par exemple, j’ai envie d’arrêter de fumer mais je n’y arrive pas. Qu’est-ce qui fait que ça bloque ? C’est que ma structure psychologique tourne en boucle. Des schémas se répètent et je n’arrive pas à les changer. Il faut mettre de côté le mental, pour accéder à l’inconscient, pour ensuite travailler sur ces mécanismes et mettre en place des changements. Faire de l’autohypnose, ce serait se recentrer sur soi et retrouver ses émotions.
Comment peut-on s’autohypnotiser ?
D’abord, il faut apprendre ce que c’est l’autohypnose. Soit on suit une formation, soit on regarde dans des livres, soit on regarde des vidéos sur Internet. C’est de la pratique et de l’entraînement. C’est comme le vélo. Au début, généralement, on a les petites roues. Au bout d’un moment, on les enlève et on n’y arrive pas soi-même. Les premiers procédés sont les focalisations : se focaliser sur son corps, sur le souffle, sur quelque-chose que l’on peut observer devant soi. À force de me focaliser, je vais commencer à oublier tout ce qui se passe autour de moi.
Exercice d’autohypnose:
Pour quel type d’addiction l’autohypnose fonctionne-t-elle le mieux ?
Alors, ça marche très bien pour l’arrêt du tabac. Il y a eu un effet de mode il y a une petite dizaine d’années. Après ça fonctionne pour toutes les addictions. Mais certaines sont plus compliquées que d’autres. Par exemple, les addictions aux stupéfiants, notamment l’héroïne. Quand il y a une dépendance, il faut un suivi médical en plus du suivi psychologique, c’est important. L’autohypnose ne va pas forcément enlever tous les symptômes de manque.
Selon le site Service public, la curatelle est « une mesure judiciaire destinée à protéger un majeur qui, sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans certains actes de la vie civile ». Elle peut être demandée par la personne ou son médecin. Le juge des contentieux de la protection désigne un ou plusieurs curateurs. Jean-Pierre, acheteur compulsif, en a bénéficié lorsqu’il était au bord du surendettement. Comme lui, 83% des personnes addictes aux achats seraient endettées, selon une étude du docteur Aymeric Petit. Si la curatelle renforcée peut être levée ou prolongée tous les cinq ans, Jean-Pierre souhaite la renouveler une deuxième fois car, selon lui, « en sortir tout de suite serait prématuré » : « J’ai peur de retomber dans les travers qui m’ont poussé à demander la curatelle […] maintenant que ma situation financière s’est assainie, j’ai pu même reconstituer une épargne et réaliser des investissements qui auraient été impossibles sans la curatelle ».
Avec la crise sanitaire, les commerces « non essentiels » ont dû baisser leur rideau. Cela a été un soulagement pour les acheteurs compulsifs. Mais ils redoutent la réouverture des magasins et se sentent assiégés par la société de consommation. Comment peut-on apprendre à maîtriser sa fièvre acheteuse ?
« Tout le monde peut dire en rigolant ‘oh je suis acheteuse compulsive’. Mais les personnes atteintes par ce trouble ont vraiment des pièces entières dédiées à leurs achats. Et souvent les objets ne sont même pas déballés ». Claudia Boddin, addictologue et psychothérapeute, l’assure : derrière cette expression souvent mal employée se cache un véritable trouble comportemental, appelé oniomanie, qui est source de grande souffrance. « Quand on achète quelque chose, c’est généralement pour le plaisir. Alors que quand c’est une addiction, c’est pour l’adrénaline de l’achat, c’est incontrôlable ».
Mahé, étudiante de 19 ans, décrit cette sensation : « Quand je sors, j’ai des pulsions, je me sens obligée d’acheter quelque chose. Je préfère aller en magasin car l’euphorie est plus intense, je possède mon achat tout de suite ». Comme elle, 5% à 16% de la population française souffrirait d’oniomanie, selon l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC). Un chiffre approximatif et difficile à vérifier en raison de la particularité de cette addiction « invisible et silencieuse et qui ne procure pas d’effets négatifs sur le corps », comme l’explique Émilie Pernet, sophrologue et hypnotérapeute. Si la moyenne d’âge des personnes concernées est de 38 ans, entre 5,9% et 11,5% d’entre elles sont des étudiants.
Mahé, en licence de psychologie, a commencé à dépenser de manière compulsive il y a deux ans : « Lorsque j’ai eu ma carte bleue, j’ai eu un sentiment de liberté. Je faisais des achats deux à trois fois par semaine, ce qui représentait jusqu’à 100 euros par mois dépensés inutilement. J’étais insatiable, j’accumulais les produits ». La jeune femme privilégiait des articles à petits prix, généralement des vêtements ou des babioles achetés à Primark ou Action et qui rentraient dans son budget : « Même si ça ne me plaisait pas, j’achetais, sinon je me sentais frustrée. Une fois j’ai pris des chaussettes à trois euros alors que je savais que je n’en avais pas besoin. Je me rappelle que quand j’étais petite, mon père faisait beaucoup d’achats qui ne servaient pas à grand-chose et je le voyais être content d’acheter. Peut-être que ça vient de là ». L’addiction débute généralement « très tôt dans l’enfance, avant de ressortir au moment de l’adolescence ou de l’entrée dans l’âge adulte car ce sont des périodes où il y a une sorte de crise identitaire », explique Céline Vidal, psychothérapeute. « Mais tout le monde ne devient pas addict, cela dépend du contexte environnemental, familial, culturel ».
Des habitudes d’achat bouleversées
En raison du confinement, Mahé a trouvé un certain apaisement. Peu adepte des achats en ligne car « c’est plus long, il faut faire un panier, payer et ensuite attendre l’arrivée du colis », elle a tout de même fini par céder : « Je fais une grosse commande toutes les deux semaines pour être satisfaite ». Elle redoute la prochaine étape du déconfinement avec la réouverture des magasins : « Je vais retourner à Toulouse pour mes cours et je sais que je vais être aussi tentée qu’avant ».
Le déconfinement, Joséphine le redoute aussi : « Je ne vais pas pouvoir résister après tout ce manque. Et en plus de ça, j’ai pris de nouvelles habitudes en ligne ». Si la Niçoise a hâte de retourner dans les magasins « environ trois fois par semaine”, elle a aussi pris goût aux achats en ligne, notamment sur Vinted, pendant le confinement : « Pouvoir se procurer de beaux articles à prix très réduits, ça pousse à la consommation, surtout que tout se revend très facilement. En plus, les échanges avec les autres utilisateurs m’ont permis de garder un lien avec le monde extérieur et de rencontrer des gens à une période où je n’avais plus de vie sociale ».
Quand elle est de bonne humeur, la jeune femme de 22 ans a « des pulsions ». Elle a beau essayer de résister, elle finit par craquer la plupart du temps : « Je repense à toutes les fois où j’ai hésité et à combien j’étais contente d’avoir fini par acheter. Même si je sais que c’est du gâchis, que je vais à peine utiliser mes achats et que je vais les regretter ». Une manifestation typique de l’oniomanie, comme le détaille Céline Vidal : « On peut parler d’addiction lorsqu’il y a répétition d’un acte presque un peu vital qui devient chronique et qui va procurer du plaisir dans l’instant. On ne peut pas s’en empêcher, puis juste après l’acte, on va culpabiliser. Il y a une part de notre inconscient qui agit puis il y a une conscience qui revient ».
L’addiction de Joséphine a débuté après avoir décroché son premier travail, à 17 ans : « À chaque fois que je recevais ma paie, je dépensais. Près de 400 euros par mois. Je me suis rendu compte que c’était un problème lorsque j’utilisais l’argent en priorité pour les achats plutôt que les factures. C’est uniquement à ce moment-là que j’en ai parlé à ma psychologue ». Pour la plupart des oniomanes, en parler s’avère en effet compliqué : « Il y a beaucoup de honte et de déni, les gens arrivent rarement en disant qu’ils ont un problème d’addiction aux achats, sauf si la situation est vraiment handicapante. Ils consultent pour autre chose et c’est dans la relation de confiance qu’on peut ensuite l’aborder », constate Juliette Ghiulamila, thérapeute.
Des solutions « au cas par cas »
Entre le premier et le deuxième confinement, Joséphine a suivi des séances de sophrologie et d’hypnose qui lui ont permis de « reprendre un peu le contrôle » sur l’addiction. Émilie Pernet, qui exerce à Paris, explique que l’accompagnement se fait « sur plusieurs plans. Il y a un travail de visualisation dans le passé pour comprendre d’où vient l’émotion qui déclenche le besoin d’acheter et pouvoir en redevenir acteur. On essaye aussi de changer le comportement automatique de la personne, grâce notamment à des techniques respiratoires et l’hypnose, qui permet d’aller chercher l’inconscient, la part de nous qui gère tous les automatismes ». Elle recommande aussi un suivi plus global : « En général quand on veut changer une addiction, c’est le début d’un nouveau chapitre dans une vie. C’est important de se demander par quoi toute cette énergie et tout ce temps qu’on met dans l’addiction vont être remplacés. Avec le client, on va essayer de trouver ce qui lui fait du bien, pour que cet espace qui est en lui soit remplacé par quelque chose de positif ».
D’autres moyens de se soigner existent. Parmi ceux-ci, l’analyse psycho-organique, une méthode qui est la spécialité de Céline Vidal : « On revient sur des situations passées qui font qu’aujourd’hui, il y a une souffrance que l’on a projetée sur l’objet de dépendance, en l’occurrence l’achat ». Cette souffrance est due à un besoin que la personne n’a pas pu satisfaire, généralement dans son enfance : « On accompagne l’individu vers l’origine de ce manque, notamment avec la technique du bon parent : c’est un travail de reparentage à l’intérieur de soi-même pour incarner un bon parent pour soi-même, se suffire et faire des expériences plus positives avec le monde ». Elle préfère ainsi parler de transformation plutôt que de guérison : « Je considère que la thérapie est réussie lorsque la personne retrouve un chemin d’autonomie par rapport à sa dépendance, même s’il peut y avoir des rechutes passagères […]. Au début de la thérapie, elle arrive avec une blessure sur la peau, qui saigne. Au fur et à mesure elle va se refermer, elle va se panser, elle ne fera plus mal. Mais ça reste une cicatrice, quand on va appuyer dessus elle restera un petit peu sensible ».
Juliette Ghiulamila, gestalt praticienne, décrit une autre approche thérapeutique : « En gestalt thérapie, on travaille sur la personne en contact avec son environnement. […] Il n’y a pas de baguette magique ni de protocole défini, c’est vraiment du cas par cas. Déjà, prendre conscience qu’il y a un problème, c’est un grand pas en avant. […]Chez une personne addicte, l’achat sert à combler un vide, calmer une angoisse ou un mal-être. On va donc repérer les moments où elle se sent tentée et on essaye de trouver un autre moyen de soulagement en prenant en compte ses émotions et ses ressentis ».
Un confinement bénéfique pour certains
Les trois spécialistes constatent toutes que leur clientèle est très majoritairement féminine. En effet, les femmes représenteraient 80% à 95% des acheteurs compulsifs selon les études des chercheurs Christenson et Lejoyeux. Elles seraient le plus souvent mariées et vivraient dans les pays développés. Jean-Pierre, 43 ans et sans emploi, fait ainsi figure d’exception. Et si son addiction a « drastiquement diminué » depuis neuf ans maintenant, ce n’est pas grâce à l’un des moyens médicaux évoqués dont il n’a d’ailleurs « pas eu connaissance », mais à son placement sous curatelle renforcée : « C’est une assistante sociale qui me l’a conseillé car j’étais au bord de la ruine. C’est à ce moment que j’ai pris conscience de mon addiction ». Sa curatrice s’occupe désormais de toutes ses dépenses courantes, de quoi limiter les effets de son addiction qui s’est manifestée dès l’adolescence : « Il me fallait un refuge face au harcèlement scolaire et aux viols que j’ai subis à cette période : cela a été ma passion pour les voitures ».
Jean-Pierre raconte ainsi qu’avant son placement sous curatelle renforcée, presque l’intégralité de son faible revenu lui servait à compléter sa collection de voitures miniatures. (à lire aussi La mise sous curatelle, la solution pour les formes sévères d’oniomanie) Depuis 2012, il est limité à « une dizaine de voitures dans les vide-greniers qui ont lieu le dimanche, soit entre 120 et 150 euros par mois ». Les différents confinements lui ont permis de diminuer ses achats encore davantage : « Étrangement, ça a eu un effet positif sur mon addiction. Le besoin persiste, mais le fait que les magasins soient fermés m’a permis de me concentrer sur d’autres projets. J’essaie de changer. J’ai aussi demandé à ma banque de désactiver la fonction ‘achats en ligne’ de ma carte bleue pour ne pas craquer ». Désormais, les achats ne sont plus systématiques et ne dépassent pas 30 euros : « Je reste toujours tenté à chaque fois que je sors et que je vois un rayon jouets mais il m’arrive de plus en plus souvent de résister. Sinon, c’est deux voitures maximum et je ressens un sentiment de défaite d’avoir cédé. Mes derniers achats sont même restés dans leur emballage ».
Les dispositifs bancaires possibles :
Cette évolution n’étonne pas Emilie Pernet qui pense que le confinement a plutôt permis aux personnes atteintes d’oniomanie de prendre du recul sur leur addiction et a été une opportunité de changer leurs habitudes. Mais elle souligne que cela n’a pas été le cas pour tout le monde : « D’un autre côté, la situation fait qu’on achète beaucoup plus en ligne et il y a une hausse de l’anxiété et des incertitudes, même chez des personnes qui étaient bien dans leur vie ».
Acheter pour combler l’isolement
Elsa*, une étudiante à Paris en première année de droit, âgée de 18 ans, a commencé à développer une addiction aux achats durant le confinement. « Les crises d’angoisse ont commencé l’an dernier lors du premier confinement, c’était l’année du bac », raconte-t-elle. Comme elle était chez ses parents dans l’est de la France, il n’y avait pas selon elle « de conséquences directes ». C’est durant le second confinement lorsqu’elle s’est retrouvée isolée à Paris dans un studio de 20 mètres carrés que l’oniomanie a vraiment commencé. Le manque de repères, les difficultés pour suivre un cours en ligne, l’augmentation des publicités sur Internet ont alimenté la tentation. « Le problème avec cette addiction, c’est qu’on est dans une société de consommation qui nous poursuit partout. Quand on est dans la rue, surtout en ville, c’est impossible de ne pas être tenté. Sur les réseaux sociaux et internet, les pubs sont très bien ciblées », assure Emilie Pernet.
La pulsion d’Elsa est déclenchée par ses moments d’angoisse, de mécontentement ou de frustration liés à l’incertitude qu’entraîne la crise sanitaire. Emilie Pernet explique que « l’addiction n’est pas négative au départ. C’est un comportement qu’on a mis en place, inconsciemment, petit à petit, parce que ça nous fait du bien et qu’on a besoin d’être protégé d’une émotion négative. Donc ça partait d’une bonne intention, avant que ça ne devienne trop ». L’étudiante achète « pour oublier » : « J’ai l’impression de vivre, qu’il se passe quelque chose d’excitant dans ma vie. Ça m’occupe. […] Je me dis que c’est mal mais d’un autre côté ça me fait du bien ». Elle commence à ressentir de la culpabilité vis-à-vis de ses parents en difficulté financière à cause du Covid : « Depuis les vacances de Noël je ne calcule plus ce que je dépense. Avant, je faisais quand même attention à ne pas me mettre dans le rouge. Mes parents me donnent 900 euros par mois pour subvenir à mes besoins, ça fait quatre fois de suite que je finis à découvert à la fin du mois. […] Une fois j’ai inventé une fausse réparation de matériel qu’Apple m’a facturée 200 euros pour leur expliquer mon découvert ».
Elsa est loin d’être un cas isolé. Le confinement et la crise sanitaire ont pu être propices à une hausse des addictions selon Céline Vidal : « Il y a un risque car à cause du confinement et de l’isolement, on a été davantage face à nous-mêmes, et donc confrontés de manière plus forte à ce qu’on vit, notamment nos souffrances ». De plus en plus de personnes n’hésitent plus à suivre une thérapie depuis le premier confinement et certains de ses collègues ont même dû « décliner des prises de rendez-vous parce qu’ils étaient complets ». Très redoutée par Mahé, Joséphine et Elsa, l’ouverture des commerces le 19 mai sera une nouvelle épreuve.
Un addict n’est pas toujours condamné à de la prison ferme, il peut aussi être contraint par la justice à se soigner. Si cette peine est souvent prononcée, son efficacité reste encore à prouver, en partie parce qu’il est difficile de forcer une personne à suivre des soins si elle n’a pas au fond le désir de changer.
« Ma consommation de cannabis, c’est tout un engrenage. Dès qu’on met le doigt dedans… Ça m’a toujours porté préjudice, posé problème », s’apitoie Ayoub W. depuis le box des prévenus. Au tribunal judiciaire de Nanterre, les comparutions immédiates s’enchainent ce lundi après-midi. Parmi elles, des affaires liées aux stupéfiants, la forme d’addiction la plus rencontrée en justice. Arrêté quelques jours plus tôt après avoir fui un contrôle de police alors qu’il possédait 172 grammes de cannabis et 400€ sur lui, Ayoub W. justifie que le magot dans sa sacoche était dédié à son usage personnel.
Si le tribunal le croit, cela lui permettrait d’éviter la peine de prison ferme et d’obtenir à la place un sursis avec obligation de soins. Ce dispositif autorise en effet le condamné à se tenir loin des barreaux, à condition de respecter un suivi médical et de rendre compte de ses efforts vers la guérison à la justice.
Son avocate, qui croit « fermement aux peines de sursis renforcé » prend sa défense : « Il est un très grand consommateur, ses infractions sont toujours liées au cannabis ». L’homme frêle de 30 ans serait parvenu à « arrêter temporairement les stupéfiants, mais a replongé à la suite de problèmes personnels ».
Ayant écouté ces explications, la présidente du tribunal Nabila Mani-Saada tique : « En 2012, le prévenu a déjà effectué une peine de sursis assortie d’une obligation de soins, et le voilà de nouveau devant le tribunal ». La procureure de la République Anne-Marie Marnet voit les choses de la même manière : « Le prévenu est en état de récidive légale. Avec un casier judiciaire portant six mentions, dont quatre liées au cannabis, et des sursis probatoires qui n’ont pas fonctionné, il n’y a pas d’autre possibilité que de le maintenir en détention ». Elle requiert en ce sens douze mois de prison ferme, ce à quoi la juridiction fera droit.
Soigner plutôt que punir
Le prochain accusé, Damien N., suit un traitement de substitution à la méthadone et est parvenu à décrocher de l’héroïne. Lorsqu’il a été arrêté à Antony le 29 avril, il était en train de livrer du cannabis au volant de la Clio II prêtée par « la tête du trafic ». L’homme a déjà été condamné à cinq ans de prison en 2016 pour sa participation à un « go fast », peine lors de laquelle il a contracté une dette envers un codétenu en prison. Touché de plein fouet par la crise économique liée au confinement, il a replongé dans le trafic pour éponger son dû. « Ma copine et moi, on s’est retrouvé à la rue. On a repéré une maison à la campagne, on a parlé de fonder une famille, vivre loin de tout ça. J’avais emprunté 3 500 euros à mon codétenu dont j’avais besoin après ma« sortie sèche » (sans aide ni accompagnement NDLR). Il nous a menacés si je ne les lui rendais pas ».
Le tribunal, qui souhaite l’encourager à « tourner la page définitivement » le condamne à douze mois d’emprisonnement avec possibilité d’aménager sa peine. Il ressort libre. Le prévenu a respecté son obligation de soins par le passé et montré des efforts, il obtient une peine plus légère que celle d’Ayoub W. qui lui n’a pas réussi à se soigner.
Chaque année, ce sont environ 35 000 personnes qui comparaissent pour ces mêmes faits de trafic ou consommation de substances. 12 000 d’entre elles aboutissent à de la prison avec sursis assortie à une obligation de soins. Concrètement, la personne suit des soins afin d’« aller mieux » et ne plus reproduire de comportements illégaux influencés par sa consommation.
Le texte de loi, l’article 132-45 du Code Pénal, prévoit exactement que la personne condamnée doit « se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation. » Elle peut concerner tout type d’addiction : au tabac, aux écrans, sexuelle, aux jeux de hasard, à l’alcool… mais est le plus souvent prononcée pour une addiction aux stupéfiants. Les comparutions de ces deux prévenus montrent cependant que le dispositif n’est pas encore optimal, puisqu’il existe des cas de récidive, mais il ne demande qu’à être amélioré. Plusieurs organismes réfléchissent à une meilleure prise en charge des personnes ayant commis une infraction liée à leur addiction. Depuis la loi relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie du 31 décembre 1970, l’objectif n’est plus seulement de punir les addicts mais de les accompagner.
Contrainte ou faveur ?
Après la condamnation, c’est le juge d’application des peines (JAP) qui prend le relais. Un des premiers obstacles est la difficulté pour le condamné de comprendre l’intérêt de s’engager dans ce processus. « Les psychologues et les psychiatres, c’est uniquement pour les fous, genre les schizophrènes. J’en ai pas besoin », est un propos qu’une de ces juges a déjà entendu. Elle témoigne dans un tweet :
(Essayer de) déconstruire les idées reçues, ça occupe une bonne partie du temps d’entretien JAP (et SPIP). Ne pas essayer de susciter l’adhésion aux soins, c’est risquer d’occuper inutilement des soignants déjà débordés.
Ainsi, certains condamnés ont du mal à s’engager dans cette procédure de soins. Ce qui fait suggérer à Katherine Cornier, magistrate et ancienne présidente de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, que pour certains soignants, « les soins ordonnés pénalement portent atteinte au libre consentement de la personne ». Toutefois, « ils ne sont pas réellement ordonnés » raconte un avocat bien habitué des tribunaux correctionnels. « Le sursis est plutôt une sorte de dernière chance. Le condamné n’est pas obligé de se soigner. Mais s’il ne le fait pas, il part en détention », ajoute-t-il.
Installée à Neuilly-sur-Seine, Hortense Lacarrière a travaillé pendant six ans en Centre Médico-Psychologique. Elle explique que la principale préoccupation d’un professionnel par rapport à ce type de patients est de leur donner l’envie de progresser : « le « challenge » est de créer l’alliance thérapeutique et de faire émerger une demande personnelle qui vienne vraiment d’eux. » Il arrive que certains ne soient pas envoyés par le SPIP et fassent les démarches d’eux-mêmes nous indique t-elle. « Il est arrivé qu’un patient prenne contact avec moi justement pour ça. J’ai eu le cas à mon cabinet l’année dernière. »
« Le « challenge » est de créer l’alliance thérapeutique et de faire émerger une demande personnelle qui vienne vraiment d’eux. »
Les patients ont un rapport très varié au suivi psychologique. « Chaque profil est différent. Certains sont dans une démarche volontaire et ont envie de changement, d’autres vont subir. Le désir de guérir peut aussi évoluer au cours du temps. », avance un psychologue rennais. Il évoque également ceux pour qui le jugement a eu un impact assez important pour mettre un terme à leur addiction : « Il y a des personnes pour qui le suivi n’est pas utile puisqu’ils ont déjà mis des choses en place du fait des répercussions judiciaires. On peut suivre pendant deux ans des personnes qui vont très bien. L’attestation de suivi reste partiellement remplie. »
Un itinéraire entre justice et santé
Médecins, psychiatres ou psychologues sont habilités à recevoir ces types de patients. Libres de se soigner où ils le souhaitent, les justiciables doivent présenter à un conseiller du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) les preuves qu’ils ont effectué des démarches en lui communiquant une fiche de suivi remplie par ces professionnels de santé. Ce sont majoritairement dans les centres de soins publics, les Centres médico-psychologiques (CMP) et les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) qu’ils les reçoivent. Selon des chiffres de 2015, 62 % des personnes venues consulter sont adressées par la justice : 40,8 % sont en lien avec le cannabis, 13,3 % avec alcool et 7,9 % pour d’autres drogues.
Le centre d’addictologie de Rennes est l’un des centres français qui accueille des personnes dirigées par la justice. « Nous recevons dans un premier cas des patients après un rappel à la loi. C’est le délégué du procureur qui émet l’avis. Il n’y pas de jugement mais l’obligation de rencontrer quelqu’un et de justifier d’au moins un rendez-vous. », raconte un psychologue. Si la personne a commis un acte plus grave sous l’effet de substances, c’est là qu’elle doit suivre une thérapie renforcée ordonnée par le tribunal : « Ce sont pour les personnes jugées pour un délit en lien avec la consommation : la conduite, des violences, des vols ou autre. C’est le juge qui pose une mise à l’épreuve et elles ont l’obligation d’être suivies pendant généralement quatre mois. »
La Fédération Addiction travaille à améliorer ce lien entre le champ de la santé et de la justice afin de faciliter le processus. « Chacun est un peu tenté de rester campé sur ses positions. Pour que la personne concernée ait un parcours qui se déroule au mieux, il vaut mieux que toutes ces parties prenantes se parlent. », dit Marine Gaubert, membre du réseau.
Pour l’instant, la communication reste encore trouble et inégalitaire selon les régions. « Cela dépend des endroits mais il y a des zones de frottement où ça ne se passe pas très bien. Le magistrat peut considérer le centre de soins comme un prestataire et demander la production de plusieurs documents, ce que peut refuser le centre de soins. »
Un des obstacles au bon fonctionnement du dispositif, continue Marine Gaubert, est le manque de compréhension par la justice du temps que nécessite un suivi psychologique. « Ce qui peut finir par se réaliser, c’est la production d’une analyse biologique, avec des bandelettes urinaires, pour voir si la personne consomme toujours. » Cependant, ces tests médicaux ne sont pas un repère suffisant pour noter le progrès d’un patient.
« Il y a une différence de compréhension entre les deux secteurs sur ce sujet-là. Du côté des soignants en addictologie, on va considérer que l’efficacité d’un soin ne se mesure pas seulement à l’abstinence alors que le magistrat peut considérer que comme la personne consomme toujours, elle n’est pas dans une démarche de soins. »
Elle admet :« L’idée est tout de même de plus en plus acceptée qu’on ne peut pas arrêter sa consommation de but en blanc. » Autre problématique qu’elle évoque, les attestations qui ne témoignent pas précisément du progrès d’un patient. « Il y a toute une problématique aujourd’hui autour de la communication sur le fait qu’une personne adhère à des soins, tout en ne rompant pas le secret médical. Il faut pouvoir donner une appréciation qualitative de la démarche sans trop en dire. »
Un dispositif perfectible
Si l’avis des psychologues et psychiatres reste nuancé, celui de certains professionnels de la justice est tranché : cette peine paraît insuffisante, elle ne prévient pas la récidive. Dans les couloirs du tribunal correctionnel de Nanterre, un avocat se montre prudent : « Cela rassure les juges mais ça ne suffit pas. Je n’ai jamais vu aucun de mes clients revenir vers moi en me disant que l’obligation de soins lui avait permis de s’en sortir », sourit-il. Il met par ailleurs en avant l’une des principales failles de ce système : il s’agit du fait que les textes ne définissent pas quel type de suivi, ni par quel spécialiste. « Les personnes condamnées peuvent aller voir un médecin généraliste pour leur parler de leur mal de dos. Avec le secret médical, il fera seulement une attestation pour expliquer que cette personne est venue le voir, mais personne n’aura la preuve qu’il s’agissait de se soigner face à une addiction. »
« Je n’ai jamais vu aucun de mes clients revenir vers moi en me disant que l’obligation de soins lui avait permis de s’en sortir. »
Il ajoute qu’il y a des cas d’abus dès l’accusation : « Il y en a qui ont une vraie addiction, mais pour d’autres, c’est dans leur intérêt d’être positif et de passer pour des addicts afin d’éviter la peine. Ils mettent des substances dans leur caleçon pour obtenir le sursis probatoire. C’est un cirque. » Il finit tout de même par admettre que le dispositif part d’une bonne intention et qu’il s’agirait de l’améliorer : « L’utilité de ce sursis, c’est que le concerné a une épée de Damoclès au-dessus de la tête et il sait que c’est dans son intérêt de suivre les soins s’il ne veut pas partir directement en détention, car c’est très rare qu’on obtienne un deuxième sursis. Légalement, les juges peuvent la prononcer deux fois mais en pratique, cela n’arrive qu’une fois, car s’il y a récidive, ça signifie que cela n’a pas marché. »
C’est pour tenter d’améliorer le dispositif que le gouvernement travaille à un nouveau plan encadré par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Des interventions de sensibilisation aux risques des conduites addictives sont également dispensées.
#Formation 🎓 | Cet après-midi, le Dr N. Prisse, Pdt de la MILDECA intervient en ouverture de la 32e session nationale de la formation « Sécurité et justice » de l’@IHEMI_fr sur le thème « Les conduites addictives : une question de société »
Le point de départ du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 est un constat de son président, Nicolas Prisse : le dispositif pourrait être efficace s’il était amélioré, notamment par la création d’un « référentiel » commun aux soignants et aux professionnels du droit. Les membres de la mission préconisent de « renforcer la formation des acteurs de la justice en terme de pratiques addictives » et renforcer le lien entre justice et santé, à l’instar de l’action de la Fédération Addiction. Il préconise également de ne plus prononcer pénalement cette idée d’« abstinence immédiate » qui n’est pas réalisable dans l’immédiat selon les médecins.
Si l’incarcération n’est pas la solution, il est difficile pour certains condamnés de se prendre en main seuls. Le rapport pointe du doigt le fait que pour les « justiciables qui cumulent les difficultés : précarité, isolement social, addictions et troubles cognitifs », il sera encore plus difficile de s’en sortir. « Nous demandons donc la mise en œuvre d’alternatives à l’incarcération crédibles qui prennent en compte le parcours des justiciables », expliquent-ils.
À la fin de la période de suivi, certaines personnes souhaitent continuer les soins et se sortir totalement la tête de l’eau. Dans d’autres cas, comme en témoignent les audiences du tribunal correctionnel de Nanterre, ce sursis reste inefficace et n’empêche pas la récidive. Pour palier aux manquements que peut revêtir l’obligation de soins, des mesures alternatives sont de plus en plus plébiscitées depuis quelques années, comme le stage de sensibilisation ou l’injonction thérapeutique. Des dispositifs dans ce même sens pourraient se développer dans les années à venir afin de mieux comprendre et prendre en charge les personnes commettant des infractions dû à leur addiction.