A partir d’aujourd’hui, le Jeu de Paume à Paris expose la photographe portugaise Helena Almeida, grande figure contemporaine de notre siècle. Si l’histoire de l’art en général laisse peu de place aux femmes artistes, l’art contemporain ne fait pas mieux. Malgré une amélioration de la situation ces dernières années, c’est un monde très masculin où les femmes ont peu de visibilité, et de reconnaissance artistique. Comment expliquer aujourd’hui cette inégalité persistante ?
« The Visitor » de Marlene Dumas. AFP PHOTO/ TIMOTHY A. CLARY
Le premier coup de gueule éclate en 1985, à New-York. Le groupe d’artistes féministes Guerrilla Girls se réveille et dénonce avec des moyens artistiques (peintures, photographies, affiches) la présence quasi inexistante des femmes artistes dans le monde contemporain du moment. Leur slogan est tapageur : « Faut-il que les femmes soient nues pour entrer au Metropolitan Museum ? » Selon une étude sortie quelques années plutôt, en 1980, moins de 5% des artistes exposés dans les sections d’art moderne étaient des femmes, alors qu’elles faisaient l’objet de 85% des nus. Problème de sexualisation de la femme, de sexisme, de condition féminine ? Aujourd’hui, la situation a changé – la condition de la femme en général s’étant améliorée – mais reste peu glorieuse. Le sexe et le genre continuent d’influencer la carrière des hommes et des femmes dans l’art contemporain. En 2009, le centre Pompidou prend position et consacre une exposition 100% féminine dédiée aux femmes artistes : « Elles@centrepompidou » sur « elles, et seulement elles ». Deux ans plus tôt, en 2007, sortaient des chiffres pour le moins dérangeants : la part des femmes chez les artistes contemporains les plus chers n’était estimé qu’à … 6%.
Peu d’artistes, beaucoup de directrices
Si les femmes souffrent encore aujourd’hui d’un manque de reconnaissance et de représentation au niveau artistique, elles sont cependant beaucoup plus présentes sur le pôle institutionnel, en tout cas en France. Selon des statistiques du Ministère de la Culture et de la Communication, au 1er janvier 2015, il y avait 31% de femmes à la tête d’un établissement de type « musée » et 41% à la tête d’un musée national, tandis que dans les conseils d’administrations de musée et d’établissement de type « patrimoine » ont 50% de femmes. Enfin, au 1er janvier 2015, il y a 61% de femmes directrices de centres d’art en France. A l’international, les femmes puissantes dans le monde de l’art contemporain sont assez reconnues, et occupent des postes importants, même si elles sont encore largement moins présentes que les hommes. Kathy Halbreich est directrice adjointe du MoMa (Museum Of Modern Art) à New-York depuis 2008, Jennifer Flay est la nouvelle directrice de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) depuis 2003.
Reprendre l’art pour dénoncer
Rares sont les musées qui consacrent une exposition entière au travail d’une femme, et surtout d’une seule. Le Jeu de Paume a tenté le pari avec Helena Almeida, en choisissant une artiste dont la thématique artistique tourne autour du corps, d’où le nom de l’exposition « corpus ». Le schéma traditionnel et connu de tous se rapporte souvent au corps de la femme qui pose, la femme muse et « passive ». Mais aujourd’hui, une mise en abyme se construit : c’est justement avec l’art contemporain que la plupart des femmes artistes reconnues dénoncent la condition féminine, le conditionnement, le rapport au corps et à la sexualité. La franco-américaine Nikki de Saint-Phalle se positionne à travers ses sculptures et ses peintures pour le droit à l’avortement, tandis que la plasticienne taïwanaise Hsia-Fei Chang illustre dans ses oeuvres et ses performances l’hypersexualisation des petites filles. Aujourd’hui, Marlène Dumas est la femme artiste la plus chère au monde. Son tableau La maîtresse, d’après une photo de classe, s’est vendu 3,3 millions de dollars en 2005 chez Christie’s à Londres. Ses toiles coûtent entre 2 et 6 millions de dollars.
Mathilde Pujol