La communauté asiatique de Paris rentre dans l’année du singe. Un défilé était organisé lundi après-midi par une association de kung fu qui rassemble des jeunes d’horizons divers.
Les tambours chinois n’ont pas le pouvoir d’arrêter la pluie, mais ils ont celui de réveiller le quartier de Belleville (XXe arrondissement de Paris). Depuis le terre-plein du métro homonyme, on les entend de loin annoncer l’arrivée du cortège de la nouvelle année. Pour porter bonheur aux magasins et aux restaurants du quartier, les jeunes du dojo de kung fu Wu Dong remontent la rue du Faubourg du Temple (XIe) avec leurs survêtements noirs et leurs pantalons à plumes colorés. Mené par un grand fanion et quelques lanternes, dont les plus fragiles finissent dans les poubelles sur le chemin, le défilé finit par s’arrêter au coup de sifflet de Han To, l’entraîneur. Face au restaurant qui fait l’angle avec le boulevard de la Villette (XIXe), les percussionnistes se mettent en place, tandis qu’une dizaine de jeunes s’agenouille en rang. Lorsqu’ils se relèvent, ils se sont métamorphosés en trois dragons de deux mètres de long, rouge, noir et jaune.
Pendant quelques minutes, les dragons vont danser au son des cymbales et du grand tambour. Puis, l’un après l’autre, ils pénètrent dans le restaurant et en ressortent, escortés par d’autres membres de l’association et par le gérant du restaurant. Ce dernier finit par sortir de son arrière-boutique une salade entière, accrochée à un mât de bambou, qu’il tend aux gueules des dragons. Juchés sur les épaules de leur partenaire, les danseurs qui figurent la tête de leur dragon se battent pour décrocher la salade. La scène ressemble à une fête foraine, les spectateurs rient et encouragent les dragons malgré le son assourdissant des percussions. Le cortège abandonne la devanture du restaurant aux cris de « bonne année ! » souhaitée en chinois et en français, et ne laisse que des feuilles de salade en souvenir.
Brian, le kung fu dans les veines depuis huit ans
Chaque année, le dojo de la rue Hector Guimard (XXe) organise cette cérémonie, héritée de plus de cent ans de culture Wu Dong, un ordre d’arts martiaux de l’Est de la Chine. « Ça s’appelle la danse du Lion, explique l’entraîneur Han To. Cela fait partie de notre enseignement de faire fuir les mauvais esprits en apportant la chance et le bonheur. » Devant trois magasins de la rue de Belleville, la démonstration se répète, pour le plus grand bonheur des passants qui filment la scène. Parmi eux, des Chinois, mais pas seulement : l’événement, à l’image de Belleville, rassemble les cultures. Un mélange que Han To applique également dans son dojo : « Nous accueillons tous les passionnés de kung fu, se réjouit-il. Dans le groupe, il y a des jeunes de toutes les origines, maghrébine, africaine, etc. »
Justement, Brian, le joueur de tambour, fait partie de ces jeunes qui n’ont pas vraiment grandi avec la culture chinoise et asiatique. « Je fais du kung fu depuis huit ans et pour moi, le dojo est une vraie famille », raconte-t-il. Une famille, et surtout une culture différente de celles de ses ancêtres africains. « J’ai grandi dans le XIIIe arrondissement », sourit le jeune homme de 21 ans, comme pour justifier cette attirance. « Il faut s’ouvrir aux autres cultures, c’est une nécessité, pour mieux les appréhender et vaincre la peur de l’autre », ajoute-t-il. Cette ouverture d’esprit, Brian l’a développée grâce à la philosophie du kung fu, un sport fondé sur l’équilibre entre ying et yang, et l’harmonie de l’esprit avec le corps. Alors quand le groupe se relâche un peu, Han To n’hésite pas à rappeler la discipline du sport : « Les cinq derniers arrivés font cinquante pompes ! » hurle-t-il aux retardataires, qui s’escriment à tirer le charriot du tambour sous la pluie battante.
Paul Verdeau