A Paris VIII, étudiants et militants réquisitionnent un bâtiment pour loger des exilés

Depuis deux mois, aidés par des étudiants et des militants, une centaine de migrants occupent un bâtiment de l’Université Paris-VIII. Un bâtiment de fortune dont la direction espère une évacuation lors des prochaines vacances.

A Paris VIII, étudiants et militants se mobilisent pour loger des exilés. Crédit : Théo Meunier
A Paris VIII, étudiants et militants se mobilisent pour loger des exilés. Crédit : Théo Meunier

Dans une dizaine de jours, la direction de l’université leur priera d’aller s’installer ailleurs. Depuis un peu plus de deux mois, des militants, bénévoles, et étudiants de l’Université Paris-VIII réquisitionnent le bâtiment A de la faculté de Saint-Denis pour y héberger des exilés. Ils viennent du Tchad, de Somalie, du Mali, d’Érythrée, du Soudan, ou d’Ethiopie, et dorment dans ces dortoirs provisoires, pour certains depuis début février. A l’origine de ce mouvement solidaire auto-géré, une poignée de militants vite rejoints par des étudiants, et quelques bonnes volontés.

Un bâtiment en auto-gestion

Ish est l’un d’eux. Militant à Act-Up, sensible à la cause des migrants et désireux d’être sur le terrain, il présente la particularité de vivre également avec les occupants du bâtiment A : « Cela fait deux mois et une semaine maintenant. Pour des raisons personnelles ça m’arrangeait ». Gestion du quotidien, des aides et des provisions, cours de français, aides administratives en vue d’une régularisation, organisation du mouvement et de ses revendications, autant d’activités qui rythment le quotidien des migrants et de leurs soutiens depuis plus de deux mois. Dans la première salle en entrant, Hasna s’affaire. Tunisienne cinquantenaire arrivée en France à l’âge de 10 ans, elle confectionne une banderole à partir de bouts de tissus découpés et collés sur un drap blanc pour former le message « tri des étudiants, tri des migrants, non à la sélection ». Faute de colle, les tissus sont fixés à l’aide de dentifrice. « On fait avec ce qu’on a. C’est de l’auto-gestion, de la récupération. On essaie de faire des ateliers artistiques et de lier cette cause avec celle des étudiants » confie celle qui se dit engagée pour les sans-papiers depuis la première guerre du Golfe.

A l'étage, le couloir donne sur de nombreux dortoirs. Crédit : Théo Meunier
A l’étage, le couloir donne sur de nombreux dortoirs. Crédit : Théo Meunier

Car plus bas, quelques centaines d’étudiants sont massés dans la cour principale en vue d’une assemblée générale pour organiser le mouvement d’opposition à la loi Vidal. Si la convergence des luttes est dans toutes les bouches qui prennent la parole, l’heure y est davantage aux thématiques de blocus, de reports d’examens et de sélection à l’université. De son côté, Hasna s’absente pour donner un coup de main en cuisine. Derrière elle, les lettres de l’alphabet et des exercices de français sont affichés sur les murs, et des livres donnés par des étudiants et des professeurs sont disposés sur un meuble.

Une volonté de convergence des luttes

Dans le couloir, certains exilés passent la serpillière sous l’oeil d’Abdou Salim, employé d’une société chargée de la sécurité incendie pour l’université et qui côtoie donc depuis deux mois les « exilés de Paris 8 ». « Le but c’est d’avoir un bâtiment relativement propre et salubre pour la santé de tout le monde. Le nombre de migrants varie, certains partent pour quelques jours puis reviennent, on tourne autour de 100 » confie-t-il avant d’indiquer l’étage des dortoirs. A l’entrée d’une chambre, on coupe des oignons pour les spaghettis du déjeuner sur une commode, et on sert le thé. Dans ce dortoir d’une douzaine de matelas gonflables, la plupart des migrants sont Ethiopiens et s’expriment en anglais. La femme et les enfants d’Hendris* sont installée en Norvège, mais il vit ici depuis deux mois et ne peut les rejoindre faute de papiers. Nombre de ses camarades sont dans une situation similaire.

A l’entrée du bâtiment, Fiona revient de l’AG qui se tient de l’autre côté du campus depuis midi. Etudiante en master 2 de danse, elle vient donner un coup de main quotidiennement : « Il y a différentes façons de s’engager, certains viennent seulement pour donner de la nourriture ou des tickets de métro, d’autres viennent de façon plus régulière. Au département de danse, on met à disposition des douches (froides) pour que les migrants puissent s’y laver. D’autres étudiants qui n’habitent pas loin laissent leur numéro pour que certains puissent venir prendre leur douche chez eux ». Les grandes assemblées étudiantes donnent une tribune pour parler de la cause des exilés et sont l’occasion de faire passer une corbeille pour les aider financièrement. Cependant, « depuis qu’il y a le blocus on a moins d’étudiants. Les gens voient les portes fermées, et ne viennent pas forcément jusqu’ici » déplore Fiona.

Devant l'entrée du bâtiments, certains exilés jouent au football. Crédit : Théo Meunier
Devant l’entrée du bâtiments, certains exilés jouent au football. Crédit : Théo Meunier
Une deadline fixée par la direction

La gestion se fait au jour le jour, mais le contexte oblige à se projeter. Le 21 avril prochain, date de la fermeture de l’université pour les vacances, la direction demande à ce que les lieux soient évacués. Pour nouer un dialogue avec les squatteurs, la direction a crée un comité de médiation constitué de personnels administratifs et de professeurs. Membre de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) Catherine Choquet n’y siège pas mais est intervenue pour défendre les droits d’un migrant placé en rétention. Celle-ci se veut conciliante : « Il faut sortir par le haut de cette situation. On aimerait avoir plus d’informations sur les migrants qui habitent ici, pour mieux les prendre en charge et éventuellement les intégrer au DU (Diplôme universitaire) réfugiés de Paris-VIII qui permet de faire une mise à niveau en français avant d’intégrer un cursus étudiant ». Pour l’instant chaque camp semble dans l’expectative. Les uns continuent la mobilisation et prévoient un rassemblement devant la préfecture de Bobigny vendredi 13 avril pour plaider la cause des exilés, les autres espèrent une évacuation rapide.

Théo Meunier

CARTE – Le personnel hospitalier mobilisé contre l’austérité

Face à la baisse des moyens et à la détérioration de ses conditions de travail, le personnel hospitalier se mobilise partout en France. Carte interactive.

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Des syndicalistes FO devant le ministère de la santé, à Paris, le mercredi 11 avril 2018. Crédit : Camille Sarazin.

Les cheminots ne sont pas les seuls à faire grève. Baisse des effectifs, suppressions de lits, horaires de travail à rallonge, appels pendant les jours de repos… Le personnel hospitalier craque. Simples tensions avec la direction à la grève du personnel ou malaise plus profond, où sont les mobilisations en France métropolitaine ?

En rouge : les hôpitaux en grève en ce début de mois d’avril.

En orange : tensions avec la direction.

En jaune : les situations préoccupantes.

 

Camille Sarazin

Mobilisation mitigée sous les fenêtres d’Areva à la Défense

A la veille d’une réunion de travail sur le nucléaire à l’Elysée, plusieurs milliers de salariés d’Areva ont manifesté ce mardi 2 juin, à l’appel de l’intersyndical. Devant le siège du groupe à la Défense, comme dans six de ses sites, syndicats et salariés ont dénoncé le « plan de réduction des frais de personnel » proposé par la direction. En cause : 3 000 à 4 000 suppressions de postes en France d’ici à 2017.

Devant l’immense tour Areva à la Défense, Michel Toudret, 54 ans, donne de la voix. Ce syndicaliste CFDT crie « pour oublier la fatigue ». Avec plusieurs de ses collègues, ils ont pris la route très tôt ce matin de Cherbourg jusqu’à la Défense. Présent dans toutes les manifestations depuis le début de la gronde en mai, Michel Toudret est venu pour « sensibiliser les cadres et salariés de la Défense » qui ont, selon lui, « autant à perdre que les ouvriers de Marcoule, de Tricastin ou de la Hague ».

Au pied de la tour de la Défense, 200 salariés ont manifesté contre un plan de licenciement proposé par la direction.
Au pied de la tour de la Défense, 200 salariés ont manifesté contre un plan de licenciement proposé par la direction.

Depuis 9 heures, entre deux coups de fil à ses « camarade de la Hague», Michel Toudret distribue tracts, banderoles et sifflets, en vain. La plupart des salariés d’Areva, comme Mathieu Bertio, passent devant l’intersyndical sans même s’arrêter. « Pas le temps et pas concerné », explique ce jeune chef de section. « On espérait mobiliser au moins 1 000 personnes », confesse Michel Toudret, « ça va être compliqué ». A la Défense, seuls 200 salariés ont quitté leur bureau pour assister à une Assemblée générale « express » au pied de la tour.

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« Je reçois des photos des autres manifestations », explique Michel Toudret, « ici à la Hague, ils étaient 90% de grévistes ».

José Montès, coordinateur Areva FO est le second à s’exprimer lors de l’AG. Comme ses collègues syndicalistes, son discours est bien rodé. « Areva est une grande entreprise viable qui continue de faire du bénéfice. il faut que l’Etat le comprenne et agisse mais il faut qu’on soit unis ». Pour lui, si le groupe a perdu 5 milliards d’euros en 2014, c’est principalement à cause d’une « vision stratégique inexistante et un actionnaire majoritaire fantôme ». L’Etat, qui détient 87% des parts du groupe, refuse de « recapitaliser » le groupe ou de réévaluer sa dette, « seule issue à la crise économique actuelle », explique José Montès.

Les cinq syndicats avaient appelés à la grève ce mardi 2 juin.
Les cinq syndicats avaient appelé à la grève ce mardi 2 juin.

Les salariés acquiescent. « Les bons problèmes sont pointés du doigt », explique Anthony Celerault, ingénieur mécanique. Pour lui comme pour sa collègue Elise, la mauvaise gestion d’Areva est la cause de bien des maux au sein du groupe. Quelques mètres plus loin, d’autres salariés hochent également de la tête. « Depuis quelques semaines, l’ambiance s’est détériorée, nous avons besoin de savoir ce qui nous attend. Beaucoup craignent pour leur avenir », précise Anthony Celerault. Les deux ingénieurs ne sont pas inquiets mais ont tenu à exprimer leur solidarité avec leurs collègues : « Nous sommes jeunes et diplômés, il sera facile de rebondir, contrairement à d’autres plus âgés ou peu qualifiés ».

Nivin POTROS