La presse indépendante, un modèle « de l’expertise » pour Jean-Marie Charon

Le Canard enchaîné souffle ses bougies et fête mercredi 10 septembre 2025 son 110ème anniversaire depuis sa fondation. Hebdomadaire historique, le journal prospère avec un modèle garant d’indépendance : capital verrouillé et actions détenues uniquement par les journalistes ou retraités du journal. Face à un écosystème médiatique en recomposition, comment de tels modèles peuvent-ils survivre ?

LVMH, Rodolphe Saadé ou encore Patrick Drahi : ces trois noms se font concurrence. Dans un marché médiatique où la concentration des titres de presse se rétrécit, la presse indépendante se fait sa place.

Le Canard enchaîné, Mediapart, Alternatives Économiques : tous maintiennent un modèle économique indépendant, ne dépendant pas de publicité ou de financements privés. Pour Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias, le système de la presse indépendante se porte bien : “On a un paysage médiatique qui est un peu ancien, dans lequel on a eu des mass médias qui avaient la prétention de toucher les publics les plus larges possibles. A côté de cela, on a toujours des médias qui venaient compléter cette offre, plus spécialisés ou avec plus de diversité.”

Une transition du support d’information à intégrer

Un bouleversement fracasse aujourd’hui l’écosystème des médias : l’Internet. Ce phénomène réorganise le fonctionnement des médias comme l’explique Jean-Marie Charon : « Les plateformes numériques captent la plus grande partie des revenus qui sont générés par les médias, avec la publicité. Selon les chiffres de 2022-2023, 80 % de cette captation allait uniquement sur deux plateformes : Google et Facebook. »

Face à ce phénomène de rétrécissement des marchés publicitaires, les rédactions se réadaptent pour favoriser leur transition numérique. La gratuite d’Internet a également eu des conséquences sur les modèles indépendants : « Selon l’Arcom, dans les quinze dernières années, le chiffre d’affaires de la presse écrite, tout secteur confondu, c’est moins 30 % de revenus. Les éditeurs ont deux options : il faut aller concurrencer les grandes plateformes sur leur terrain. Si on part sur cette option, on part sur de la concentration. »

Comment survivre dans un modèle économique dominé par ces changements ? La récente annonce du possible rachat du titre de presse Le Parisien par le milliardaire Vincent Bolloré interroge sur la capacité de la presse indépendante à évoluer à la même vitesse. 

Une force de la presse indépendante

D’après le sociologue, certains titres de presse indépendants ont su adopter une approche différente pour assurer leur pérennité : « aller vers un public intéressé par une info approfondi, décalé, dans laquelle il va trouver autre chose que cette information de flux et il faut réinvestir dans les rédactions et l’information de fond. »

Pour Jean-Marie Charon, Mediapart constitue une réussite dans son modèle : « Ses fondateurs ne sont pas partis de rien. Ils ont réuni un capital de départ et des journalistes experts qui savent travailler dans la durée ainsi qu’une idée éditoriale forte pour le journal. » Pour l’universitaire, « on ne peut pas être complètement généraliste Il faut vraiment faire un pas de côté. Pour Mediapart, ils ont failli se casser la tête car le ‘commercial et technique ne sont pas très importants’. Ils ont compris très vite qu’ils ne pourraient pas capitaliser sans cela. »

La presse indépendante peut également compter sur son expertise, une qualité à exploiter pour Jean-Marie Charon : »Ce qui est frappant dans les autres médias généralistes, c’est à quel point ils se sont débarrassés de compétences journalistiques et des spécialisations. On est aujourd’hui tiraillé entre les demandes de l’entreprise et le besoin de se spécialiser. Cette expertise est l’enjeu de l’investigation où il faut être capable de rendre compte de la complexité du monde dans lequel on vit”. 

Le passage au numérique est également nécessaire selon Jean-Marie Charon pour les titres de presses indépendants : « Face à des acteurs qui ont la capacité de faire évoluer le goût du public, on ne peut pas dire “on ne fait que du texte”. 

Un lectorat culturel mais restreint

Malgré la bonne pérennité de cette presse, sa durée dans le temps est fragilisée par la marginalité de son lectorat. En effet, le public reste un public privilégié. Selon Jean-Marie Charon, une crainte persiste : que « la presse indépendante soit condamnée à être presse intellectuelle”. 

En s’appuyant sur les travaux de l’Arcom, le sociologue distingue deux espaces dans la sphère de l’information : « l’un avec un public éduqué, des pratiques culturelles diversifiées et qui sait utiliser la multiplicité de ressources pour s’informer et l’autre côté, ceux qui ont plutôt les réseaux sociaux et la télévision comme source d’information.”

Dans un contexte de méfiance envers les médias, la presse indépendante fait figure de garantie de l’information. Elle doit cultiver cette transparence et l’expliquer selon Jean-Marie Charon : « Il faut savoir montrer comment on travaille et quand on se trompe pour expliquer comment on s’est trompé. La situation se transforme au moment où on l’analyse donc les erreurs peuvent survenir. Il faut rendre compte de son travail”.

Fête nationale espagnole : l’unité nationale imposée en pleine crise catalane

L'aviation espagnole lors de la fête nationale espagnole. / Crédit : Inigo Sesé
L’aviation espagnole lors de la fête nationale espagnole. / Crédit : Inigo Sesé

La fête nationale espagnole se déroule cette année dans l’ombre de la crise d’indépendance catalane. L’occasion pour Madrid  de réveiller le patriotisme du peuple espagnol.

 

Des drapeaux espagnols ornent les balcons de Madrid ce jeudi 12 octobre. Ils décorent le parcours que suivront 3 900 militaires au cours de la journée lors de leur parade annuelle. Comme chaque année, l’Espagne fête son Día de la Hispanidad, jour de fête nationale. Et ce alors que le pays traverse sa crise la plus grave depuis des décennies. La Catalogne a jusqu’au 19 octobre pour revenir sur sa déclaration d’indépendance. Si la Catalogne ne cède pas, Madrid prendra le contrôle de la Catalogne comme le lui permet l’article 155 de la Constitution.

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Cette année, la célébration se fait sous le signe de l’unité nationale, avec pour slogan « fiers d’être espagnols ». Un cri de ralliement lancé par la ministre de la Défense María Dolores de Cospedal. C’est une démonstration de force que prévoit le gouvernement. Exceptionnellement, la police nationale est aussi conviée à défiler. Deux semaines plus tôt, celle-ci était accusée d’être intervenue trop durement lors du référendum d’autodétermination. Et, le ministère de la Défense a diffusé une vidéo montrant les prouesses militaires de Madrid, notamment des avions de combat.

 

« Ils ont plus peur du dialogue que de la violence »

 

« On demande le dialogue et on nous répond en mettant le 155 sur la table. Entendu », a réagi Carles Puigdemont mercredi soir, qui continue à défier Madrid. Dans un tweet, il a ajouté : « Ils ont plus peur du dialogue que de la violence ».

 

 


Le recours à la violence pour mettre un terme à la crise catalane n’est pas exclu, faisait savoir le ministre des Affaires étrangères espagnol Alfonso Dastis, interviewé ce jeudi par la chaîne CNews. « Nous espérons qu’il n’y aura pas besoin d’utiliser la force », a-t-il ajouté. Le ministre espère « ne pas devoir recourir à  » l’arrestation de Carles Puigdemont et de son entourage, dans le cadre d’une enquête judiciaire pour sédition.

 

– Jean-Gabriel Fernandez

Catalogne: Rajoy demande des clarifications

Ce mercredi Mariano Rajoy a demandé à Carles Puigdemont de clarifier explicitement sa position sur l’indépendance de la Catalogne.

Manifestation pour l'indépendance en Catalogne ©Kippleboy
Manifestation pour l’indépendance en Catalogne ©Kippleboy

Le président du gouvernement espagnol réclame un éclaircissement. Ce mercredi, Mariano Rajoy a annoncé avoir formellement demandé au président régional Catalan, Carles Puigdemont, de s’exprimer clairement sur la situation catalane. « Le Conseil des ministres est convenu ce matin d’envoyer une réquisition formelle au gouvernement de la Generalitat (exécutif catalan) afin qu’il confirme s’il a déclaré l’indépendance de la Catalogne« , a annoncé M. Rajoy lors d’une brève allocution télévisée. Le chef du gouvernement a par ailleurs menacé de déclencher la procédure de suspension de l’autonomie si jamais l’indépendance était explicitement proclamée. 

 

« Au vu de la confusion en Catalogne, le conseil des ministres a approuvé de demander à la Generalitat d’éclaircir ses positions sur l’indépendance »

Le gouvernement espagnol s’était réuni en urgence pour réclamer des explications à Carles Puigdemont après sa « déclaration implicite » d’indépendance mardi. Au cours de son allocution, il avait soufflé le chaud et le froid, saluant la victoire du « oui » à l’indépendance avant de « suspendre les effets de la déclaration d’indépendance« .

Dorine Goth

« L’histoire de la Catalogne est une longue suite d’agressions militaires par l’Espagne »

Ébullition indépendantiste en Catalogne, en juin 2010. Josep Renalias
L’ébullition indépendantiste en Catalogne est constitutive de la culture catalane. Josep Renalias (Juin 2010)

Depuis le référendum du 1er octobre, l’Espagne traverse sa plus grave crise politique depuis 40 ans. Mais les relations tumultueuses entre les Catalans et la monarchie espagnole ne datent pas d’hier.

Dans un discours, prononcé mardi dernier, le roi d’Espagne a fustigé le gouvernement catalan pour avoir « bafoué » la Constitution et menacé l’unité du pays. Une unité construite par la Constitution de 1978, qui définit l’Espagne comme un État de droit, démocratique, et comme une monarchie constitutionnelle. Elle fait également de la Catalogne l’une des 17 communautés autonomes du territoire espagnol où « le roi incarne l’unité de l’Espagne, précise Cyril Trépier, géographe, spécialiste de la politique espagnole et de l’indépendantisme catalan. « Felipe VI voulait s’adresser à tous les Espagnols et pas seulement aux Catalans. Constitutionnellement, le roi ne peut d’ailleurs pas intervenir dans la vie politique. »

Un rejet historique de la monarchie

Si le roi n’est pas censé intervenir dans la vie politique, son existence même est contestée par les indépendantistes catalans. « L’histoire est utilisée par les indépendantistes catalans pour justifier le rejet de la monarchie, indique Cyril Trépier, car ils considèrent que l’histoire de la Catalogne est une longue suite d’agressions militaires par l’Espagne. » Ce désir d’indépendance est également un reliquat du passé franquiste (le régime dictatorial de l’Espagne) fondé par le général Francisco Franco, de 1936 à 1975.

Pendant cette période, la Catalogne perd son statut d’autonomie retrouvé dans les années 30. La culture et la langue catalane y sont alors sévèrement réprimées. Les indépendantistes catalans voient, dans la constitution de 1978, une restauration de la monarchie des Bourbons et non une rupture par rapport à la dictature franquiste. La monarchie espagnole, fondée il y a 400 ans, avait mis fin à la Principauté de Catalogne, indépendante, crée en 1162.

C’est à la lumière de ces arguments que « la Catalogne lie son indépendance à l’instauration d’une République » affirme Cyril Trépier. Historiquement antimonarchistes, les indépendantistes catalans considèrent tout ce qui représente l’État espagnol comme illégitime. Pour eux, la remise en cause du pouvoir central espagnol, symbolisé par le roi, reste fondamentale. Contrairement à l’Écosse, par exemple, qui demande son autonomie politique tout en restant sous la monarchie britannique.

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Reste à savoir si la Catalogne accédera à l’indépendance. C’est désormais une confrontation entre, d’un côté, la légalité du référendum et de l’autre sa légitimité. Illégal du point de vue de la législation espagnole mais légitime dans le droit d’un peuple à se déterminer lui-même. D’ailleurs, on estime à 40% la participation au référendum, menant à 90% de oui pour l’indépendance. Ce qui représente « seulement » 2,5 millions de voix sur 7 millions.

« Si cette déclaration est faite, elle ne pourra de toute façon pas déboucher sur un État comme le souhaitent les indépendantistes. En revanche, la réponse la plus probable, et inédite, serait l’usage de l’article 155 de la Constitution qui permet de suspendre une autonomie, confie Cyril Trépier, mais cela pourrait mener à de nouvelles élections en Catalogne. »

Julien Percheron