la vague e-sportive est partie de Corée du Sud

Ce pays de l’est-asiatique fournit aujourd’hui les meilleurs joueurs du monde. L’engouement face à l’e-sport est devenu si important que le gouvernement coréen a dû intervenir.

Au pays du Matin Calme, le Baseball est une religion. Mais depuis une vingtaine d’années, la Corée du Sud s’est découvert une nouvelle passion, le jeu-vidéo. En 1997, l’industrie coréenne subit de plein fouet la crise asiatique. Dans le même temps, presque par accident, le pays va voir naître un phénomène qui deviendra mondial : le sport électronique.

Pour faire face à la crise, les gamers coréens qui n’ont plus les moyens de s’équiper pour s’adonner à leur passion se retrouvent dans des salles qui louent leur matériel et une connexion internet. Ces « Pc-bangs » deviennent tellement fréquentés qu’il s’en crée près de 20 000 en deux ans. Malgré l’embargo du gouvernement sur les consoles japonaises, la vente de jeux-vidéo explose. Grâce en partie à un titre qui arrive à accéder au marché sud-coréen, Starcraft. Une communauté de passionnés se forme autour de ce jeu et en 2000, le gouvernement se voit presque contraint de fonder la KeSPA (Korean e-Sport Association). Un an plus tard, le développeur Blizzard vend deux millions d’exemplaires de son titre “phare”.

Quinze années se sont écoulées, et la Corée du Sud reste le pays qui fournit les meilleurs joueurs professionnels de sport électronique. En 2013, 17 des 20 meilleurs joueurs mondiaux du jeu Starcraft II étaient coréens. Les équipes sont sponsorisées par de grandes marques, et les parties sont regardées en direct par des centaines de milliers de spectateurs. Le gouvernement a même débloqué près de 200 millions d’euros pour soutenir l’industrie du e-Sport, en attendant la construction d’un stade à Séoul pour accueillir les grandes compétitions. La finale mondiale du célèbre jeu League of Legends a déjà attiré l’an dernier près de 40 000 spectateurs dans une enceinte construite pour la Coupe du monde de football en 2002. « En Corée du  Sud, ils vivent avec des claviers. Nous, avec des ballons au pied », confirme Christopher Labbé, jeune gamer professionnel.

Si les plus jeunes vouent un culte sans faille à ce type de pratiques, le gouvernement émet tout de mêmes quelques réserves, et tente de lutter contre l’addiction des plus jeunes. Depuis 2011, la loi « Shutdown » (surnommée « loi Cendrillon » par ses détracteurs) interdit les Coréens de moins de 16 ans de jouer en ligne entre minuit et 6h du matin, avec la mise en place d’un enregistrement par carte d’identité. Mais le système est facilement contournable, et les entreprises ne voient pas d’un bon œil cette limitation. En 2013, un nouveau projet de loi « anti-addiction » a dû être suspendu.

Malgré l’inquiétude des anciennes générations, le sport électronique est toujours plus populaire en Corée du Sud, et s’est développé dans le monde entier en réunissant des dizaines de millions de joueurs. Depuis 2015, il est même reconnu comme un sport de second niveau par le Comité National Olympique Coréen. Si la présence de cette discipline aux Jeux Olympiques reste pour l’instant utopique, c’est une avancée non-négligeable dans la quête de légitimité de l’e-sport.

Tristan Baudenaille-Pessotto et Damien Canivez

 

“Yogg”, l’un des meilleurs gamers de France

Après une licence en psychologie, Damien L’Hostis a décidé de devenir joueur professionnel.

Mercredi dernier, le Meltdown affichait presque complet. Le lieu de rendez-vous des gamers parisiens organisait comme chaque semaine son tournoi Hearthstone. Par ordinateurs interposés, les compétiteurs se sont affrontés à travers le jeu de cartes (en anglais DCG, Digital Card Game) dérivé de World of Warcraft, le jeu de rôle aux 10 millions d’abonnés. Damien L’Hostis, venu prendre un verre avec ses amis, a fait ses gammes sur “WoW”, avant de passer le plus clair de son temps sur Hearthstone. « En fait je suis un grand fan des jeux développés par Blizzard » assure-t-il. « J’ai débuté il y a quelques années sur World of Warcraft et Diablo, et j’ai décidé de tester mon niveau sur les DCG ». Bien lui en a pris, car il fait désormais partie du top 10 des joueurs européens sur ce titre. S’il ne joue pas ce soir, c’est aussi parce que le niveau amateur ne l’intéresse plus.

“Yogg”, comme il se fait appeler, est un pro-gamer.  À 25 ans et après avoir obtenu une licence de psychologie à Brest, il a décidé de se consacrer totalement au sport électronique. Recruté par GamersOrigin grâce à ses résultats, il fait maintenant partie de la deuxième meilleure équipe française derrière Millenium, et peut se permettre de vivre de sa passion. Il n’a pas de sponsor, mais grâce au salaire que sa « Team » lui verse et aux résultats qu’il obtient, Damien gagne environ 900 euros par mois. « Pour l’instant, je ne fais que du coaching et des tournois,  précise-t-il, dès le mois prochain, je me lance dans le streaming ». Autrement dit, à diffuser ses entraînements en ligne sur Twitch, une plateforme de flux vidéos en direct grâce à laquelle il encaissera entre 600 et 1800 euros supplémentaires suivant le nombre de viewers (téléspectateurs) de ses parties. Son équipe s’est associée avec la chaîne Twitch « Hearthstone Strategy FR » pour produire du contenu. Des parties sont disputées en ligne par les joueurs professionnels de GamersOrigin, et sont commentées en direct par les animateurs de HSFR.

Lors de la dernière édition de la Gamers Assembly qui s’est tenue à Poitiers il y a quelques jours, “Yogg” a fini 3ème sur Hearthstone. Sa dextérité et son intelligence de jeu lui ont permis d’empocher 600 euros, une manne financière non négligeable. En France, le sport électronique reste cependant très mal réglementé. Pas de fédération, pas de statut professionnel. Les joueurs restent livrés à eux-mêmes, et il est très rare qu’ils réussissent à vivre de leur passion pendant plusieurs années. En attendant une retraite précoce, Yogg continue de cliquer sur sa souris, en espérant bientôt se rapprocher des émoluments des meilleurs mondiaux.

Tristan Baudenaille-Pessotto et Damien Canivez