L’affaire Weinstein devient politique

La liste des victimes d’Harvey Weinstein grossit chaque jour. Le producteur américain est accusé par des nombreuses actrices de viol et de harcèlement sexuel. Sa proximité avec le Parti démocrate donne une tournure politique au scandale.

Angelina Jolie, Emma de Caunes, Gwyneth Paltrow, Léa Seydoux et nombreuses autres. Elles déclarent toutes avoir été agressées ou harcelées sexuellement par Harvey Weinstein, cofondateur du studio Miramax et de la Weinstein Company.  Mais aux côtés du roi d’Hollywood, c’est le Parti démocrate qui se retrouve sur la sellette. Les républicains accusent les démocrates d’avoir tardé à dénoncer les actes du producteur, l’un des donateurs de leur parti. Mercredi dernier, le Comité national républicain a publié cette vidéo sur son site, demandant aux démocrates de « rendre l’argent sale d’Harvey Weinstein ».

Plusieurs sénateurs démocrates ont commencé à rembourser l’argent obtenu grâce au producteur par le biais de versements faits aux organisations caritatives ou de défense des droits des femmes. La direction du parti a annoncé, quant à elle, vouloir rendre une partie des sommes reçues au fil des années.

Un donateur puissant

Depuis plusieurs décennies, Harvey Weinstein et ses contacts étaient incontournables pour les candidats à l’élection présidentielle démocrates. Son rôle en tant que donateur individuel était réduit par la loi américaine mais l’étendue de son réseau était essentielle au Parti.  « Les donations personnelles sont limitées aux Etats-Unis, ces sommes ne sont pas énormes. Harvey Weinstein n’a contribué à la campagne d’Hilary Clinton qu’à la hauteur des quelques milliers de dollars. Mais il jouait un rôle bien plus important, celui de l’organisateur des levées des fonds lors desquelles on arrive aux millions de dollars. Il avait plus un rôle de collecteur que de donateur », explique Corentin Sellin, professeur agrégé d’histoire et spécialiste de la politique américaine. En 2012, le producteur organise chez lui une levée de fonds en présence de Barack Obama et de grandes personnalités d’Hollywood. Le prix d’entrée : une trentaine de milliers de dollars.

Le silence des démocrates à la suite de révélations sur Harvey Weinstein a été trop long selon les républicains. « Ecoeuré! », a réagi Barack Obama mercredi, six jours après l’apparition de premiers témoignages de victimes. Hillary Clinton, dont l’un de sujets clefs de la campagne était le féminisme, n’a commenté la situation qu’après cinq jours. Mardi, elle s’est dite « choquée et consternée ». Pour les Républicains, cette réaction vient trop tard. Kellyanne Conway, conseillère de Donald Trump dénonce ce comportement dans un tweet publié mardi: « Hillary a mis 5 minutes à accuser la NRA (National Rifle Association) après la fusillade de Las Vegas, mais 5 jours pour dénoncer plus ou moins les agressions sexuelles commises par Harvey Weinstein ». 


Selon Corentin Sellin, cette réaction tardive de Hilary Clinton est le résultat de la nature des liens entre les membres du parti et les fortunés. « Elle est empêtrée dans ces relations ‘je te tiens, tu me tiens’, ces relations entre les donateurs et les hommes politiques ».

Quelles conséquences pour les démocrates ?

Le scandale de Harvey Weinstein pourrait amorcer un changement dans le fonctionnement du parti démocrate. « Les démocrates étaient déjà dans le débat sur le problème de cette vieille génération qui ‘a vendu son âme’ auprès des grands donateurs et qui n’arrive pas à passer la main à la jeunesse. Chez les jeunes membres du parti il y a une aspiration pour un financement plus transparent, pour plus d’indépendance », analyse Corentin Sellin. L’affaire Weinstein pourrait jouer un rôle de catalyseur pour ces processus de renouvellement de générations et de la mise en pratique de la transparence au sein du Parti démocrate.

Malgo Nieziolek

En France, les Américains préfèrent Bernie Sanders

A l'étranger, les démocrates ont massivement voté pour Bernie Sanders (Phil-Roeder. Flickr-Creative Commons)
A l’étranger, les démocrates ont massivement voté pour Bernie Sanders (Phil-Roeder. Flickr-Creative Commons)

Les Américains démocrates installés en France n’ont qu’un nom en tête pour la course à la Maison Blanche : Bernie Sanders. Le 4 mars, 2 800 Américains avaient fait entendre leurs voix dans les primaires par le biais de l’association Democrats Abroad, qui représente le parti à l’étranger. Bernie Sanders l’a largement emporté avec 63 % des votes contre 36 % pour sa rivale, Hillary Clinton.

Entre 4 et 7 millions d’Américains vivent à l’étranger. Côté démocrates, certains électeurs votent à distance dans leur État d’origine, mais les membres de Democrats Abroad, eux, représentent un 51e État à part entière, comme la Floride ou le Texas. « À l’issue des scrutins organisés entre le 1er et le 8 mars dans plus de 170 pays où nous sommes présents, nous élirons 17 délégués, qui seront à la Convention nationale », explique Joseph Smallhoover, président de Democrats Abroad France. Côté républicains, les Américains de l’étranger votent tous dans le dernier État où ils ont été inscrits.

L’influence du socialisme français

« Les membres de Democrats Abroad sont souvent des personnes installées en France depuis vingt ou trente ans », explique Jean Eric Branaa, maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-Assas et spécialiste de la politique américaine.  » Ils connaissent depuis des années la sécurité sociale pour tous et l’école gratuite. Pour eux, Bernie Sanders, c’est le candidat qui introduit ces idées dans leurs pays d’origine. »

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Il y a 30 ans, Kathleen Higgins Sanchez posait ses valises en France. Originaire du Minnesota, cette chercheuse en sciences de 55 ans n’a pas hésité une seule seconde avant de voter pour Bernie Sanders. « Je vois les choses différemment des gens qui n’ont jamais quitté les États-Unis. J’ai déjà connu des politiques socialistes et j’en ai vu les bénéfices », explique t-elle.  » Je n’ai plus peur du mot socialisme ». Julia Edward est arrivée en France il y a six mois pour travailler comme jeune fille au pair. Comme beaucoup d’autres étudiants, la jeune femme de 18 ans soutenait déjà activement le candidat avant son départ. «  Maintenant, je suis totalement convaincue. J’ai pu voir que le socialisme fonctionne et je suis sûre que certaines politiques peuvent être facilement instaurées aux États-Unis », témoigne-t-elle. Parmi les promesses préférées des Américains installés dans l’Hexagone : la réforme des impôts et de l’éducation, une refonte du droit du travail ou encore une politique étrangère pacifiste.

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La nouveauté contre l’establishment

A 48 ans, Elizabeth Schub Kamir a aussi donné sa voix à Bernie Sanders, malgré son envie de voir une femme à la tête des États-Unis. « Hillary Clinton a des idées trop conservatrices, surtout en matière d’affaires étrangères », confie la professeure à l’école internationale de création audiovisuelle et de réalisation. À l’inverse, c’est l’expérience de l’ancienne Première dame qui a séduit Suzy Glespen. «  Ça fait vingt ans que je soutiens Hillary Clinton. Elle a la maturité et l’expérience suffisante pour diriger le pays « , affirme la femme de 65 ans. « Elle a été sénatrice et a mené avec brio son mandat de secrétaire d’État. C’est certain qu’elle saura mener à bien ses projets à Washington. »

 » Clinton représente l’establishment américain que les expatriés ont parfois fui « , analyse Jean-Eric Branaa. « Pour autant, elle est appréciée et ceux qui ont voté Sanders sauront se mobiliser derrière elle le moment venu. »

Qu’ils aient voté Sanders ou Clinton, tous refusent de voir Donald Trump accéder à la présidence des États-Unis. « Les Américains à l’étranger ont plus à cœur que quiconque l’image de leur pays. Sanders a une bonne réputation et renvoie une image positive des États-Unis. A l’inverse, ils ont honte de Trump comme ils avaient eu honte de Bush père », résume le politologue. « Le succès de Trump n’aide pas à améliorer notre image », s’agace Elizabeth Schub Kamir.

À l’échelle mondiale, l’ancien sénateur du Vermont obtient 69 % des suffrages, soit environ 23 700 voix sur 34 500. L’influence du vote des Américains de l’étranger reste donc minime de part l’avance accumulée par Hillary Clinton. « Il n’y aura pas d’influence mathématique mais Sanders pourra au moins se vanter d’avoir su capter cet électorat particulier », conclut Jean-Eric Branaa.

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Cyrielle Cabot

Article initialement publié sur le Monde.fr le 21/03/2016