Visite de M. ben Salmane : Amnesty demande à E. Macron de mettre le Yémen au coeur des discussions

Ce lundi 9 avril, pendant que le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane déjeune avec Edouard Philippe puis rencontre la ministre des Armées Florence Parly, les associations humanitaires haussent le ton. Sur le parvis du Trocadéro, symbole des droits de l’Homme, Amnesty International a souhaité rappeler la politique répressive de la monarchie saoudienne, et condamner le commerce des armes entre la France et le pays invité. Interview d’Aurélie Perrier, coordinatrice Yémen-Arabie saoudite à Amnesty International France.

Quel message adressez-vous aujourd’hui au gouvernement ?

Aurélie Perrier : On veut l’interpeller sur la situation au Yémen, où 22 millions de Yéménites, soit 80% de la population, dépendent du droit humanitaire. Mais ce droit est violé par la coalition menée par l’Arabie Saoudite. On demande à Emmanuel Macron de mettre le Yémen au coeur de ses discussions avec Mohammed ben Salmane pour que l’Arabie saoudite lève son blocus qui empêche l’acheminement des aides humanitaires. Des centres de soin ont aussi été détruits, ce qui fait qu’en 2017, le Yémen a été le siège de la plus grave épidémie de choléra du 21e siècle, avec 1 million de cas déclarés.

Vous pointez également du doigt les contrats de vente d’armes avec la France

Aurélie Perrier : Avant le conflit au Yémen, la France vendait pour 14 millions d’euros d’armes à l’Arabie saoudite. En 2016, c’était passé à 1 milliard d’euros [700 millions d’euros, selon le média challenges]. Aujourd’hui, on ne sait pas ce que la France et l’Arabie vont signer, tout est assez secret, on ne sait pas ce qui est dit.

Amnesty manifeste aussi contre les répressions par le gouvernement saoudien des opposants politiques. Si les opposants sont muselés, si le sujet est secret, comment les organismes humanitaires peuvent-ils communiquer sur le sort des prisonniers ?

Aurélie Perrier : On a beaucoup de chercheurs affiliés à Amnesty qui se rendent sur le terrain. On a aussi beaucoup de contacts avec l’ACPRA, le Saudi Civil and Political Rights Association. Mais presque tous ses membres aujourd’hui sont en prison, certains menacés de mort.

Rien n’a changé du point de vue des droits humains depuis que MBS est devenu vice-premier ministre, en juin. Il y a eu des rafles en septembre, contre des journalistes ou des universitaires. En novembre, 300 hommes politiques ou hommes d’affaires ont été arrêtés, au nom de la lutte contre la corruption. En plus, il y a un manque de transparence, parce qu’on n’a réussi qu’à identifier seulement une soixantaine d’entre eux. Et la loi antiterroriste de 2014 est un prétexte supplémentaire pour arrêter toutes sortes d’opposants politiques.

La libéralisation des droits des femmes, comme l’ouverture en juin du permis de conduire aux femmes, c’est du flafla ?

Aurélie Perrier : On ne peut que la saluer mais il y a encore des discriminations systématiques avec le système du tutorat : pour se marier, s’inscrire dans un établissement d’enseignement supérieur, chercher un emploi ou encore se rendre à l’étranger, la femme a besoin de l’autorisation de son père, de son frère, de son mari par exemple.

Pour le permis de conduire, reste à savoir comment ça va être appliqué : les femmes devront-elles avoir l’autorisation de leur tuteur ? On a du mal à savoir si dans la réalité, la femme subira des pressions. Il y a la loi qui autorise le permis de conduire, mais ça ne suffit pas. Cette libéralisation n’est peut-être que cosmétique, un coup de communication pour plaire à l’Occident.

Mais il faut se rappeler que ces lois libérales envers les femmes, lancées par MBS, profitent à l’économie. Leur faire accéder au permis de conduire ou aux stades sportifs génèrent de l’argent, à un moment ou le prince héritier lance son plan “Vision 2030” : il veut passer d’une économie de la dépendance au pétrole à une économie plus durable basée sur le tourisme, dont les femmes font partie.

Aurélie Perrier, coordinatrice Yémen-Arabie Saoudite à Amnesty International France
Aurélie Perrier, coordinatrice Yémen-Arabie Saoudite à Amnesty International France

 

Fanny Guyomard