Le Théâtre d’Aubervilliers : « nous n’allons pas pouvoir garder les migrants ici »

Le Théâtre de la Commune héberge entre vingt et quarante migrants sans-papiers depuis leur expulsion de leur squat, fin octobre. Mais la situation est provisoire. La directrice appelle les autres théâtres et les autorités à se mobiliser.

Les migrants sont une petite vingtaine à être regroupés derrière la directrice, dans le hall du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Il est 11h30 en ce vendredi 4 novembre et la conférence de presse donnée pour faire le point sur leur situation commence juste.

Expulsés de leur squat le 26 octobre dernier, au 81 de l’avenue Victor Hugo, ils sont aujourd’hui entre 20 et 40 à dormir au Théâtre. Parmi eux, 21 sont dans l’attente de leurs papiers. « Pour l’instant, nous les hébergeons dans une petite salle, explique Marie-José Malis, la directrice du Théâtre. Cette situation est provisoire, mais nous avons senti qu’il était de notre devoir de les soutenir. Car nous les connaissons. Nous avons monté une pièce de théâtre avec eux l’année dernière. »

En mai 2015, le metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka monte une pièce intitulée « 81 avenue Victor Hugo », en référence à la situation des 89 migrants du squat, alors réunis en collectif. Huit d’entre eux y participent en tant qu’acteurs. La pièce est créée au Théâtre de la Commune, puis programmée au Festival d’Avignon 2015 et au Festival d’Automne 2016 à Sartrouville dans les Yvelines (8 et 9 novembre) et à Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne (15 novembre). Six des huit acteurs sont provisoirement hébergés au Parc de la Villette depuis l’expulsion.

« Je suis venue ici pour vous faire part de mon impuissance, déclare Marie-José Malis. Nous n’allons pas pouvoir garder les migrants ici. Nous allons devoir lancer un appel aux autres théâtres pour les inciter à les accueillir à leur tour. »

L’obsession des papiers

Les migrants écoutent la directrice, emmitouflés dans leurs manteaux et leurs bonnets, prêts à sortir une fois que la conférence sera finie. « Tous les jours, nous protestons à la mairie, sans succès, se désole Razak Guir-Abdou, un Ivoirien de 35 ans. Nous voulons nos papiers et un logement. »

Avant d’être remplacé en janvier 2016, le Préfet avait assuré que leur situation serait régularisée. Mais depuis l’arrivée de son successeur, elle s’est « dégradée ». La plupart des migrants, comme Ahmed Bouzouaelle, ont déposé leur dossier il y a treize mois. Ils sont depuis sans nouvelles. « On continue à travailler au noir pour notre liberté et notre dignité, explique Traoré Modibo, un Malien arrivé en France en 2009. Mais on n’a plus de force. »

La seule femme du groupe, enceinte de quatre mois, vient d’être transférée à l’hôpital, fatiguée de passer ses journées dans le froid, devant la mairie. Pour ces sans-papiers, obtenir un titre de séjour est une obsession.

« La nuit, personne n’arrive à dormir, confie Traoré Lamine, un autre Ivoirien, en France depuis 2013. Tout le monde pense aux papiers. On pense aussi à nos familles, restées au pays. J’ai une femme et un garçon en Afrique. Je reçois des nouvelles de temps en temps. »

Le Théâtre de la Commune sert d’interface entre les migrants et la préfecture. Il se veut un « point d’exemplarité », selon sa directrice. « Les autorités ont été émues par notre geste envers les clandestins. C’est grâce à cela que le ministère de la Culture a permis aux six acteurs d’être relogés. »

Les 21 dossiers déposés sont actuellement réexaminés à la préfecture. Parmi les migrants, certains ont reçu des promesses d’embauche, notamment de la part d’associations locales, d’entreprises locales et du Théâtre de la Commune. Tous espèrent être rapidement régularisés afin de pouvoir travailler de manière légale.

Charlotte Landru-Chandès

Une lettre ouverte pour sauver le patrimoine français

A l’occasion du Salon international du patrimoine culturel, plusieurs institutions sont venues présenter cet après-midi leur « Lettre ouverte aux Français et à leurs élus », paru hier. Lors d’une conférence au Carrousel du Louvre, ils ont présenté vingt-deux propositions concrètes pour améliorer la protection du patrimoine français ainsi que sa sauvegarde et contourner les failles du système actuel.

 

C’est sous la forme d’un livret blanc à la couverture épurée que onze institutions de la société civile ont souhaité s’adresser aux Français et à leurs élus. Une vingtaine d’exemplaires sont parfaitement alignés dans la salle de conférence et les spectateurs ne tardent pas à s’en procurer un. Membres d’associations, professionnels du patrimoine ou bien simple amateurs concernés, ils sont venus nombreux afin de découvrir les vingt-deux propositions retenues pour la protection du patrimoine français. Une grande première, comme le souligne Philippe Toussaint, membre de l’association « Vieilles maisons françaises » : « Nous avons réfléchi pendant un an à des propositions utiles pour l’avenir du patrimoine. Et c’est la première fois que différentes institutions se rassemblent pour en faire part ».

 

Une délégation interministérielle pour encadrer cette sauvegarde

Au fil d’une centaine de pages, ces différentes idées reviennent sur quatre grands thèmes : la définition du patrimoine, sa gouvernance, sa transmission et les aspects économiques qui lui sont liés. La date de cette publication n’est pas anodine non plus : les institutions souhaitaient faire paraître leur livre blanc avant 2017 et ses élections, afin de créer le débat et d’attirer l’attention des politiques. Pour Philippe Toussaint une chose est sûre, « il n’y a pas d’action efficace dans le domaine du patrimoine s’il n’y a pas d’action globale ».  Pour se faire, cette lettre ouverte souligne l’importance de l’Etat dans sa mission de protection. Et pour aller plus loin, elle propose également la création d’une délégation interministérielle aux patrimoines et aux sites qui aurait un rôle auprès des politiques, ainsi qu’un certain pouvoir hiérarchique envers les administrations. L’objectif : mettre en valeur les enjeux sociaux, économiques, touristiques et historiques de la politique du patrimoine. Un délégué interministériel pourrait ainsi aider à la coordination des décisions prises pour les sites par exemple.

 

Le « petit patrimoine », ou les failles d’un inventaire exhaustif

Les différentes propositions s’enchaînent et sont décryptées, et plusieurs membres d’institutions prennent la parole. De l’éducation au développement des filières en apprentissage pour transmettre le patrimoine, en passant par la revalorisation des métiers d’art pour le faire perdurer : beaucoup de domaines permettent la sauvegarde du patrimoine français et doivent se développer. Mais cette protection a de nombreuses failles, notamment en ce qui concerne « le petit patrimoine », cette culture de proximité mal recensée qui passe notamment par le bâti rural. « La difficulté du patrimoine non protégé est qu’aujourd’hui personne ne peut le chiffrer », poursuit Philippe Toussaint. Depuis 2005, un processus de décentralisation a confié les services de l’inventaire aux régions, ce qui empêche un recensement exhaustif et identique sur l’ensemble du territoire. Beaucoup de « trésors français » sont ainsi oubliés et se dégradent au fil du temps : en trente ans, un tiers du « petit patrimoine » a disparu. Pour pallier ce problème, la lettre ouverte propose de reconnaître ce patrimoine non-protégé à travers un inventaire, en suivant le modèle allemand. Ce qui faciliterait l’encadrement des travaux et l’attribution des aides financières. Mais à l’échelle des villes, cette notion d’inventaire global dépendra également de l’intérêt des maires pour faire valoir leur patrimoine, comme l’ajoute Alain de la Bretesche, membre de la fédération « Patrimoine et environnement » : « La grande difficulté sera celle des maires de petites communes, il faudra qu’ils défendent leur territoire ».

En attendant 2017 et d’éventuelles nouvelles réformes pour la protection du patrimoine français, cette longue lettre ouverte souhaite prouver que la culture d’hier contribue au dynamisme d’aujourd’hui, en considérant le patrimoine non pas comme une charge, mais comme une richesse.

 

Marie-Hélène Gallay

Prix Goncourt : le tourbillon médiatique

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Baignée d’un soleil hivernal, la Place Gaillon, au coeur de Paris, était le centre de toutes les attentions, ce midi. Une heure avant l’annonce des gagnants des Prix Goncourt et Renaudot 2016, de nombreux journalistes faisaient déjà le pied de grue devant le restaurant centenaire Drouant, rendez-vous traditionnel de l’évènement. Et si, chaque année, c’est le même rituel, l’atmosphère qui y règne est toujours aussi saisissante.

12h30 – hommes de lettres et journalistes se pressent dans le hall de l’établissement, d’où s’élève une rumeur grandissante. Chacun y va de son pronostic, et le nom de la jeune Franco-marocaine Leïla Slimani est dans toutes les bouches. Une masse se forme au pied des marches d’où doit descendre le jury du Goncourt et l’on commence à se marcher dessus, à mesure que l’heure tourne.

Pourtant l’atmosphère est plutôt calme dans l’établissement parisien. Les clients du restaurant affichent un air indifférent, comme s’ils n’avaient pas conscience de l’animation environnante, et les critiques littéraires discutent, accoudés au bar. Seule la foule des journalistes est en pleine effervescence, se préparant à capter le moindre petit détail, le moindre petit mot. On se bouscule déjà, alors que le jury est encore en train de déjeuner et de délibérer dans l’intimité des salons, à l’étage.

Un peu avant 13h, le jury fait son entrée. Du haut de l’escalier, l’écrivain et juré Didier Decoin annonce de manière lapidaire les lauréates du jour. Les pronostics ne se sont pas trompés, le prix Goncourt est décerné à Leïla Slimani pour Chanson douce (éd. Gallimard). Quelques amateurs applaudissent. Ils sont vite rabroués par les journalistes soucieux des images et des sons qu’ils ramèneront à leur rédaction. Le juré reprend, pressé par la foule. La lauréate du prix Renaudot est la romancière et dramaturge Yasmina Reza, pour son roman Babylone (éd. Flammarion). Une fois les noms dévoilés, la masse compacte se disperse pour revenir sur la place, devant le Drouant.

Commence alors une attente impatiente de l’arrivée des deux lauréates, prévenues de leur nomination. Cette fois, malgré le temps clément, l’atmosphère est carrément électrique. Les présentatrices télé piétinent, jetant des coups d’œil inquiets à leur montre, pendant que caméras, perches et micros forment une véritable haie d’honneur au bord de la route. Yasmina Reza est la première à pointer le bout de son nez, Place Gaillon, entourée de deux amies. En quelques secondes, le temps que les journalistes reconnaissent l’auteur-lauréate, la horde l’encercle et l’assaille de questions. Cachée derrière ses lunettes de soleil, elle parvient à s’arracher à la ronde des médias, cramponnée par un voiturier du Drouant, et grimpe vite à l’étage, où l’attendent les jurés.

À l’arrivée de la gagnante du prix Goncourt, la horde se transforme en meute. Sous l’oeil hagard des amateurs venus pour l’occasion, un mouvement de foule se crée autour de Leïla Slimani, qui manque plusieurs fois de se prendre un coup de perche. Bombardée de flashs et de questions, elle finit par abandonner et décide de ne donner aucune réaction avant d’être installée à l’étage, dans le salon gardé par la sécurité.

Après les secousses provoquées par les deux égéries littéraires de 2016, les journalistes quittent les lieux au compte-goutte, tournant les talons sur l’établissement centenaire, laissé en pagaille par ce tourbillon médiatique annuel. Rendez-vous en 2017!

 

Winny Claret

Pour être guide touristique, « il ne suffit pas de regarder sur Wikipédia ! »

Un projet d’arrêté interministériel destiné à élargir l’accès à la profession provoque la colère des guides touristiques, qui craignent l’arrivée d’une horde de concurrents non qualifiés.

 

« Mais elle est où ? Mais elle est où ta formation ? ». Le Conseil d’Etat d’un côté, le musée du Louvre de l’autre. Sur la place du Palais Royal à Paris, les guides-conférenciers étaient mobilisés ce jeudi 3 novembre pour défendre leur profession.

A l’origine de leur colère, un projet d’arrêté interministériel visant à élargir l’accès au métier de guide. Selon ce projet, toute personne avec un master, quel qu’il soit, et un an d’expérience cumulée sur cinq ans dans la présentation du patrimoine pourra prétendre à l’obtention de la carte professionnelle de guide.

Une « aberration » pour les guides. « Comme si un diplômé en biologie pouvait faire des visites » , lance Marie-Paule, qui dresse un parallèle avec les autres secteurs : « Vous imaginez si on faisait pareil pour les médecins ? ». Marie-Paule est guide depuis six ans. Elle travaille aujourd’hui au château de Chantilly dans l’Oise, et a dû pour cela suivre un cursus bien spécifique.

Être guide ne s’improvise pas, plaide Ryoko, agitant une pancarte où est inscrit « Le patrimoine est en danger ». « On étudie un certain temps, on s’investit beaucoup. C’est vraiment un métier de passion : il ne suffit pas de regarder sur Wikipédia ! ». Pour elle, ce projet d’arrêté n’est qu’une stratégie, « très mauvaise », pour réduire les chiffres du chômage « en donnant une carte de guide à tout le monde ».

« Profession sinistrée »

Un peu plus loin, Vincent, guide depuis quinze ans, proteste contre la concurrence déloyale que risque d’instaurer l’arrêté : « On a peur que les agences qui nous emploient ne jouent pas le jeu et embauchent un personnel moins qualifié, qui prétendra à un salaire moins élevé que nous. » Vincent travaille pour Paris City Vision. « Lorsque je parle de notre situation à des clients, raconte-t-il, ils me disent qu’ils veulent des guides qualifiés, comme moi. Mais ils ne sauront pas quelles qualifications a leur guide. »

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La crainte de la précarisation est d’autant plus forte que le secteur du tourisme connaît déjà une période difficile. « Profession sinistrée, enterrez l’arrêté », scandent les manifestants. « La saison a été désastreuse, explique Pascale. Il n’y a pas beaucoup de travail cette année, est-ce que c’est le moment pour un texte comme cela ? On marche sur la tête ! »

Ce n’est pas la première fois que les guides voient leur statut menacé. L’année dernière, une disposition de la loi Macron envisageait purement et simplement la suppression de leur carte professionnelle.

Contre cette nouvelle tentative de déréglementation de leur activité, les guides demandent au gouvernement d’appliquer les normes techniques européennes, qui définissent une formation spécifique pour être guide.

Lundi prochain, une réunion d’information est prévue entre le gouvernement et les principaux représentants de la profession (SPGIC, SNGC, UNSA, FNGIC et ANCOVAR) pour discuter du nouveau texte et de son application.

Richard Duclos