Parmi les plateformes d’auto-édition, certains sites ont lancé une formule très souvent utilisée pour la musique : le crowdfunding, c’est-à-dire le financement participatif. Fort de son succès auprès des musiciens qui parviennent ainsi à contourner les maisons de disques, ce système semblait être une bonne alternative aux maisons d’édition ?
Nicolas Dehorter est spécialiste des solutions innovantes de financement depuis 2008, et le créateur du site internet « le guide du crowdfunding ». Pour lui, le financement participatif et l’édition sont compatibles. Il en a d’ailleurs fait l’expérience en inscrivant son livre (qui traite justement du crowdfunding) sur l’un de ces sites, Bibliocratie. Un clin d’œil amusant, mais également une forme de test afin de prouver la légitimité de ce système dans le monde de l’édition, et du livre en lui-même. « C’était impossible de le publier avec l’édition classique, parce que rien n’avait été écrit auparavant sur le crowdfunding et j’étais juste un blogueur. J’ai été refusé par quelques éditeurs », explique-t-il.
Il a donc fallu trouver une alternative afin de pouvoir atteindre une maison d’édition sans devoir vider son compte en banque : « Je pense que c’est tout à fait possible de passer par le crowdfunding. Il faut solliciter le lecteur en amont, mais ce système est un gain de temps : cela aide beaucoup pour financer le projet et aussi pour se faire connaître. » Cette prévente est également une forme d’assurance que le projet sera soutenu, même si les contributeurs n’ont souvent qu’une vague idée de ce qu’ils recevront une fois la campagne de financement aboutie. En cas d’échec, chacun récupère la somme d’argent investie, ce qui limite considérablement les risques, et permet aux auteurs de se lancer plus facilement.
« Avec ce mode de financement, on n’a pas d’argent à avancer, et au vu du coût de l’édition, on ne pourrait pas prendre ce risque sans cela. Pour la publication de mon livre, j’avais besoin de réunir 1400 euros », explique Nicolas Dehorter. Si le crowdfunding garantit l’aboutissement d’un projet par un soutien financier, il ne garantit pas un lectorat fidèle en revanche. Dans ce système, les rôles sont inversés, pour le meilleur comme pour le pire : ce n’est plus l’éditeur qui sélectionne un auteur et son livre pour ses lecteurs, mais bien les lecteurs qui décident du succès d’un ouvrage, ce qui peut être sujet à controverse.
Les deux auteures passées par l’auto-édition sur Librinova, Marilyse Trécourt et Catherine Choupin admettent ne pas être intéressées par ce système. « Je trouve que c’est un investissement à risque, à moins de connaître l’auteur, avoue Catherine Choupin, qui ignorait l’existence de cette alternative. En plus, je trouve cela pénible d’avoir à quémander. »
La relation privilégiée entre l’auteur et l’éditeur est donc beaucoup remise en question à travers l’édition numérique en ligne. Mais qu’il s’agisse financement participatif ou d’auto-édition en ligne, « beaucoup plus dans le secteur de décision, sans pour autant être entièrement décideur », admet Nicolas Dehorter.
Fort de son succès dans le monde de la musique, le financement participatif est parti à la conquête de l’édition littéraire. En France, de nombreuses plateformes se sont créées ou étendues pour faire place au monde des livres, non sans difficultés. Face au poids des maisons d’édition, certaines ont été contraintes de mettre la clé sous la porte. My Major Company Books en fait notamment partie. La célèbre entreprise de financement participatif, qui a permis de révéler de nombreux artistes sur sa première plateforme, avait décidé de s’adapter à l’édition en 2010, en partenariat avec la maison XO éditions. L’objectif : atteindre les 20 000 euros nécessaires à l’édition papier d’un livre par le financement des internautes, en échange d’un pourcentage sur les revenus nets générés par la suite. Une somme qui peut donner le vertige, mais qui a été atteinte pour six auteurs avant la fermeture du site. En cause : un manque de rentabilité qui a fini par causer la faillite du site.
Sur la plateforme Bookly, il n’est pas évident de comprendre que l’entreprise a également cessé ses activités. Hormis l’absence mystérieuse de nouveautés, de projets ou de e-books en cours, il est toujours possible de naviguer sur le site, de consulter la liste de auteurs et des ouvrages, comme si de rien n’était. Au téléphone, on appelle dans le vide avant de tomber sur une boîte vocale non personnalisée, et l’adresse mail du responsable est encore valide. En creusant un peu plus, on apprend que tout lancement de nouveau projet a été suspendu depuis 2015 : seuls les derniers en cours de collecte pourront être publiés comme prévu, s’ils atteignent leur objectif. La fin du partenariat de Bookly avec Prisma Editions a marqué l’arrêt du site pour une durée inconnue. Il reste à savoir si la plateforme pourra connaître une nouvelle vie et se relancer, en trouvant un nouveau partenariat.
Que quelqu’un reprenne le flambeau, c’est en tout cas ce qu’a espéré la plateforme Bibliocratie dans un dernier message adressé à ses auteurs et aux internautes, avant d’être contrainte de fermer en 2015. Ce site de financement participatif proposait aux auteurs de publier leurs livres sans intermédiaires, et aux lecteurs de les faire exister. Mais malgré une bonne volonté et des projets aboutis – notamment celui de Nicolas Dehorter – le site n’a pas fonctionné sur le long terme. Dans cette dernière publication, Bibliocratie a regretté les phénomènes de mode dans la littérature, l’uniformité du monde de l’édition pour plaire au plus grand nombre de lecteurs et le monopole de ses plus grandes maisons : « Car au-delà, notre idée était de libérer ces millions d’auteurs sans aucune possibilité d’être lus autrement qu’en étant touchés par le doigt divin d’un éditeur, d’accepter une rémunération de misère – pourquoi pas à la page lue –, de se plier à la réécriture marketing de leurs combats. […] Le livre doit s’inventer une place lumineuse, foisonnante, pleine d’erreurs et de gloires décisives, un lieu vivant parce que la liberté d’être lu vit enfin librement. »
Alors à qui la faute ? Au poids des maisons d’édition et de leur système face à des alternatives naissantes ? À la concurrence de ces plateformes, ou encore à l’incapacité du monde des livres de se faire une place sur le long terme avec le crowdfunding, comme le réussit pourtant celui de la musique ? •
Marie-Hélène Gallay et Charlotte Landru-Chandès