Interview – Dans le monde de l’édition, même à l’époque des révolutions numériques, l’éditeur reste « un filtre »

Nous avons rencontré Thierry Fiorile à la Maison de la Radio à Paris pour connaître son point de vue sur l’édition numérique et le phénomène de l’auto-édition. Pour cet amoureux des livres et des librairies, rien ne peut remplacer un roman en tant qu’objet. Face au phénomène de l’auto-édition qui prend de l’ampleur en France, le rôle de l’éditeur classique reste également primordial et irremplaçable. Une interview sans langue de bois.

 

Thierry Fiorile, spécialiste littérature à France Info
Thierry Fiorile, spécialiste littérature à France Info

 

Que pensez-vous de l’édition numérique ?
Je n’en pense pas du bien. Je déteste lire sur une tablette, moi j’adore le livre en tant qu’objet. C’est vivant un bouquin : le papier est irremplaçable. Il se prête, il s’annote, il vit. L’édition numérique est un gâchis monumental, c’est la mort des libraires.

Pour avoir plus de chances d’être publiés, de plus en plus d’auteurs s’inscrivent sur des plateformes d’édition en ligne. Quel est votre avis sur ce phénomène de l’auto-édition ?
Beaucoup de manuscrits arrivent chez les éditeurs et c’est un petit milieu. L’édition numérique a amplifié le phénomène de l’auto-édition et de la publication à compte d’auteur. Mais c’est n’importe quoi, dans le sens où il y a de tout. Alors oui bien sûr, il peut arriver qu’il y ait une pépite. Mais je trouve que ce phénomène révèle avant tout un problème d’ego : le numérique permet de se montrer. Il y a un côté vaniteux, un peu comme les Youtubers qui ne chantent pas bien mais qui se lancent. On est dans une époque de surproduction culturelle, et ce qui m’inquiète en France, c’est le gap entre les best-sellers et les autres livres…

Que pensez-vous du travail des éditeurs sur ces plateformes en ligne ?
Pour moi il n’y a aucun travail d’édition. Je défends le travail de l’éditeur, et ce ne sont pas des éditeurs. Au-delà du travail sur le texte, il n’y a pas ce lien ou ces grandes histoires d’amitié entre un auteur et son éditeur comme par exemple Samuel Beckett et Jérôme Lindon, qui l’a traduit en France.

Certains sites proposent même de financer les livres grâce au crowdfunding, le financement participatif, ce qui est très fréquent pour la musique. Est-ce que cela peut vraiment marcher pour l’édition ?
Les jeunes ont appris à se débrouiller et ils n’ont plus besoin de managers, ils peuvent sortir des albums de qualité avec peu de moyens. Alors comme pour la musique, c’est inévitable. Mais c’est un peu différent avec l’édition, les processus sont plus lents. Je pense qu’on ne peut pas comparer musique et littérature. Le crowdfunding a un côté sympathique.

Dans ces cas-là, ce sont les lecteurs qui créent les succès. Pensez-vous qu’ils puissent avoir autant de légitimité qu’un éditeur ?
Non, le lecteur n’est pas éditeur. Car éditeur, c’est un métier, il faut avoir du flair. Chacun a sa place. Ils ont un parcours de passionné et ont souvent fait des études littéraires poussées. Ils sont souvent entrés comme lecteurs dans les grandes maisons d’édition. Ils ont l’œil, ils savent détecter le truc. Ce sont des personnes extraordinaires, ils ne se trompent jamais.

A cause de leur sélection, il peut arriver que les maisons d’éditions classiques passent à côté de phénomènes. Est-ce que les plateformes d’auto-édition peuvent être des concurrentes sérieuses ?
Non, je ne pense pas que ces plateformes soient une menace pour l’édition classique. J’ai tendance à croire les éditeurs, et je n’ai pas l’impression qu’ils aient raté beaucoup de choses. De toute façon ils récupèrent toujours les phénomènes qui ont rencontré du succès. •

 

Des propos recueillis par Marie-Hélène Gallay et Charlotte Landru-Chandès