Agriculture bio : comment sortir de la crise ?

Héloise Bauchet, Johanne Mâlin, Cécile Mérieux, Nell Saignes

Agriculture bio : comment sortir de la crise ?

Agriculture bio : comment sortir de la crise ?

Héloise Bauchet, Johanne Mâlin, Cécile Mérieux, Nell Saignes
Photos : Héloïse Bauchet
24 mai 2023

Une crise secoue le marché de l’agriculture biologique depuis 2020. Face à une baisse de la consommation, agriculteurs et acteurs du milieu tentent de résister. Circuits courts, restauration collective et campagnes de communication sont envisagés pour relancer la filière biologique.

Inflation et crise de confiance

 

 

Au premier rang des accusés : une inflation rampante depuis 2020.  En un an, le prix des biens a augmenté de 5,2% selon l’INSEE. Le bio, qui passe toujours pour une dépense de luxe, pâtit de la perte de pouvoir d’achat des ménages, qui se redirigent vers les produits conventionnels, en moyenne moins chers. 

 

L’inflation pèse aussi sur les charges des producteurs, qui, comme le reste du secteur agroalimentaire, sont contraints d’augmenter leurs prix, étouffant un peu plus la demande. “L’année dernière, à la même période, je payais 2200 euros par mois d’électricité et de carburant, aujourd’hui je suis à 5000 euros par mois. On a dû le répercuter dans le coût de nos produits”, s’alarme Yves De Fromentel, éleveur et producteur de fromage en Seine-et-Marne. 

 

Mais le désintérêt s’explique aussi par la méfiance des consommateurs envers le label biologique. D’après l’Agence bio, l’établissement national chargé du bio, plus de la moitié d’entre eux ne consomme pas bio car elle doute des qualités du label. Un manque de confiance en progression, passé de 40 à 57% en un an. C’est le second motif, après le différentiel de prix, pour lequel les acheteurs boudent le bio, d’après la Fnab, la Fédération nationale de l’agriculture bio. 

 

Son président, Philippe Camburet, impute ce phénomène à la confusion du public. “Aujourd’hui les gens ont de multiples raisons de confondre les labels”, regrette-t-il. Biologique, haute valeur environnementale, Nutri-Score, label rouge… Selon lui, les mentions apposées sur les emballages pullulent sans que le consommateur n’ait les capacités ou le temps de comparer les cahiers des charges. Matthieu Le Compagnon, futur producteur de vaches laitières en bio, a en ligne de mire les labels promettant une “agriculture raisonnée”. “Il n’y a aucun cahier des charges, c’est de l’enfumage”, peste-t-il. Au contraire, “le label bio est particulièrement strict avec une exigence de traçabilité. C’est le plus contrôlé des labels”, assure Charles Pernin, délégué général du Synabio, le syndicat des entreprises bio agroalimentaires.

 

Résultat, la filière biologique a perdu 172 millions d’euros de chiffre d’affaires en un an, de 2020 à 2021. Les filières maraîchères et les éleveurs porcins, bovins et de produits laitiers sont les plus en crise, avec une baisse moyenne de 5% de leurs ventes en 2021 par rapport à 2020.

L’évolution des ventes bios par filière en millions d’euros

 

 

 

 

Plus de normes, moins d'aides

 

A cette demande en berne s’ajoutent des difficultés supplémentaires, parmi lesquelles la complexification des cahiers des charges, qui peut fragiliser le modèle économique des exploitations. Raphaëlle Resse, propriétaire d’un élevage porcin d’environ 700 têtes dans les Landes, ne voit pas le bout du tunnel des mises aux normes. “Pour répondre aux nouvelles règles européennes sur l’élevage porcin biologique, je vais devoir débourser 150 000 euros d’investissement. Mais comment répercuter ces investissements sur mes prix, alors que la viande vendue sera la même ?”, s’interroge-t-il. 

“L’année dernière, à la même période, je payais 2200 euros par mois d’électricité et de carburant, aujourd’hui je suis à 5000 euros par mois. On a dû le répercuter dans le coût de nos produits” – Yves De Fromentel

Les agriculteurs bio ont aussi dû amortir la suppression de l’aide au maintien en bio. En 2017, lors d’une révision de la PAC (Politique Agricole Commune), l’aide au maintien en agriculture biologique a été supprimée. En cause, l’explosion du nombre de conversions, qui a vidé les enveloppes destinés aux aides de l’agriculture biologique. Il a donc été choisi de privilégier l’aide à la conversion sur trois ans et de supprimer celle de maintien, au grand dam des agriculteurs bio implantés de longue date.   

 

Aides d’urgence 

Le gouvernement a finalement concédé des aides d’urgence ces deux dernières années. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, a annoncé le 17 mai un plan de soutien à l’agriculture biologique. Au total, l’aide d’urgence pour aider la filière s’élèvera à 60 millions d’euros, dans une enveloppe globale de 200 millions d’euros. À la fin du mois de février, la Première ministre avait déjà annoncé une aide d’urgence de 10 millions (comptabilisés dans les soixante millions).

 

Pour relancer l’appétence pour le bio, ses acteurs misent aussi sur des campagnes de communication, également subventionnées par l’Etat, afin de revendiquer leur spécificité et leurs vertus. “Il y a trop de temps maintenant que l’on n’avait pas communiqué sur les produits bios. Aujourd’hui, il y a plein d’autres démarches qui s’approprient les codes de l’agriculture biologique”, constate Charles Pernin, délégué général de Synabio.

 

Il a dans le viseur les allégations environnementales “sans OGM”, “sans pesticide” qui relèvent selon lui plus de l’argument marketing et du greenwashing des industries agroalimentaires qu’un réel engagement des éleveurs. De même, chaque année, un “printemps bio” propose des animations pour sensibiliser la population à l’agriculture biologique. “C’est l’occasion de dire qu’il est possible de manger des produits biologiques, locaux et de saison sans avoir besoin de chercher bien loin”, résume Philippe Camburet, de la Fnab. 

Compter sur les quotas

Pour redynamiser la demande, les agriculteurs comptent également sur un segment amené à se développer : celui de la restauration collective. La loi Egalim, promulguée en  2018, instaure des quotas de nourriture bio servie dans les établissements publics, et notamment scolaires. Nombre de producteurs entendent ainsi, en répondant à des appels d’offres publics, saisir ces nouveaux marchés.

 

“Depuis 2022, nous fournissons désormais trois collectivités en viande de porc. Nous aimerions en fournir de nouvelles l’année prochaine”, explique Raphaël Resse, de la ferme porcine des Landes. L’agriculteur se réjouit d’avoir ainsi pu diversifier ses clients, plutôt que de ne compter que sur les commandes d’un grossiste. De surcroît, ces commandes publiques sont particulièrement stables. “Quand la demande s’est contractée en 2022, notre grossiste a divisé le montant de ses commandes par deux. Au contraire, les commandes publiques sont garanties sur une année entière”, explique-t-il

 

De plus, si la loi Egalim fixe un objectif de 20% de bio, cette part n’atteint pour l’instant que 6%. Le “plan bio” du ministère de l’Agriculture, dévoilé en mai, entend faire respecter les objectifs de la loi Egalim en soutenant les collectivités territoriales à hauteur de 120 millions d’euros. 

 

Résistance 

Enfin, malgré ce contexte, un segment semble résister à la crise: celui des circuits courts et de la vente directe à la ferme, qui représente 11% de l’ensemble de la filière . Ces modes de vente sont les seuls à avoir enregistré une hausse en 2021 en volume absolu (+6%), contrairement au bio distribué dans les grandes surfaces et les magasins spécialisés. Les confinements successifs avaient attisé la curiosité des consommateurs pour les réseaux alternatifs, et poussé ceux-ci à se tourner vers des circuits de distribution de proximité, à l’instar des Amap. Une situation que Philippe Camburet jugeait conjoncturelle, constatant que  “Le recours massif et rapide à la livraison et au local lors du covid est vite retombé quand la situation est revenue à la normale”.  

 

Pour autant, en 2022, la vente directe semble toujours faire exception à la conjoncture, cette fois-ci l’inflation, à en croire tous les agriculteurs interrogés. “Même au moment du creux de la filière en 2022, nous n’avons pas constaté de baisse de nos ventes”, relève Claude Thorey. Cet éleveur bovin vend 95% de ses produits en direct à la ferme, et dit pouvoir compter sur la fidélité de ses acheteurs. “Nos clients  savent pourquoi ils viennent acheter chez nous et savent pourquoi ils consomment du bio. Ils sont prêts à accepter quelques variations dans les prix”, affirme t-il. 

 

En dépit d’un contexte tendu, ceux qui décident de repasser au conventionnel sont rares : le taux de déconversion reste stable, autour de 4%. Tous les agriculteurs interrogés clament leur détermination à se maintenir en biologique, par conviction éthique et écologiste. C’est aussi que beaucoup de ces exploitations, malgré tout, ont trouvé dans le bio un modèle spécifiquement rentable. “Mes parents étaient criblés de dettes et devaient vendre le porc à prix plus bas que son coût de production : ils ont recommencé à souffler lorsqu’ils se sont convertis en 2009”, se souvient Raphaël Resse. Et malgré la chute constatée en 2022, les exploitants relèvent des ventes plutôt dynamiques sur le dernier trimestre de l’année. 

Se lancer dans le Bio malgré la crise : portrait de Matthieu

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