Ces jeunes militants écologistes qui optent pour des méthodes radicales

Dylan Berrached, Imane Lyafori, Laura Merceron & Keisha Mougani

Ces jeunes militants écologistes qui optent pour des méthodes radicales

Ces jeunes militants écologistes qui optent pour des méthodes radicales

Dylan Berrached, Imane Lyafori, Laura Merceron & Keisha Mougani
Photos : AFP
25 mai 2023

Face à l’urgence climatique, les jeunes sont de plus en plus nombreux à militer pour tenter de faire bouger les choses. Si certains se contentent de changer leurs habitudes et de participer à des manifestations, pour d’autres ce n’est pas suffisant. Ils optent alors pour des méthodes radicales. Ces jeunes, désireux d’agir et prêts à faire face aux risques, ne représentent cependant qu’une petite partie de leur génération.

« Pour quelles causes parmi les suivantes vous semble-t-il essentiel de vous engager personnellement ? » À cette question, posée par l’Ifop à 1001 jeunes de 18 à 25 ans dans le cadre d’un sondage pour la Fondation de France, publié en octobre 2022, ils sont 36 % à citer la lutte contre le changement climatique parmi leurs trois réponses, dont 17 % en première position. Depuis 2018 et la mobilisation de la jeune militante suédoise Greta Thunberg, les marches pour le climat attirent un nombre croissant de jeunes désireux d’agir pour l’écologie.

Mais ils sont de plus en plus nombreux à tourner le dos à ces manifestations au profit de méthodes radicales. Blocage de routes, dégradation d’œuvres d’art ou de lieux publics, occupation de lieux : ces actions, que l’on peut rassembler sous le terme de « désobéissance civile », se multiplient. Elles sont principalement lancées par des collectifs tels qu’Extinction Rebellion ou Dernière Rénovation.

 

Des jeunes sensibilisés très tôt

Camille* a pris conscience de la situation climatique alors qu’il était au collège. « Ma famille et mes amis ne faisaient pas assez de choses selon moi », affirme-t-il. Les conflits avec ses proches se multiplient sur le sujet, Camille souffre d’éco-anxiété et développe une « posture apocalyptique » lorsqu’il s’agit de penser à l’avenir. Au point de vivre pendant quatre ans une profonde dépression, qui l’entraîne à être suivi un moment en hôpital psychiatrique.

Malgré sa prise de conscience précoce, Camille n’a pas pu s’impliquer avant l’âge de 18 ans. En arrivant à Toulouse pour travailler et étudier, iel a modifié son mode de vie pour qu’il soit cohérent avec sa lutte. « Je fais attention à l’eau, à ce que je mange, je fais beaucoup de récupération, je ne me déplace qu’en transport en commun », énumère-t-il.

Arriver dans la « ville rose » a aussi été pour Camille, aujourd’hui âgé d’une vingtaine d’années, l’occasion de rejoindre un groupe de militants. C’est pour l’antenne locale d’Extinction Rebellion qu’il a opté. « Je me suis dit que c’est là que j’aurais un poids. » Ce mouvement de désobéissance civile non violente a été fondé au Royaume-Uni en 2018 avant de s’exporter à l’international. Participer à ces actions avec d’autres militants a permis à Camille d’atténuer son éco-anxiété : « Je constate toujours que la situation n’est pas bonne, que ça va de pire en pire, mais sentir que j’agis et être entouré de gens qui pensent comme moi, ça me fait du bien. »

« En s’engagneant, ils deviennent acteurs. Dans un sens, ils participent au progrès »

« L’engagement climatique représente quelque chose de très concret, estime Robi Morder, politologue spécialiste des mouvements lycéens et étudiants. Les conséquences sont imminentes, contrairement à la retraite, par exemple, où l’impact pour les jeunes est plus éloigné dans le temps. » Pour lui, c’est cette urgence qui pousse les jeunes à s’impliquer de plus en plus jeunes. « En s’engageant, ils deviennent acteurs. Dans un sens, ils participent au progrès », ajoute-t-il.

Pour Hopla** aussi, la cause climatique a trouvé très vite une place dans sa vie. Son engagement s’est fait progressivement : « J’ai commencé par signer des pétitions, puis j’ai incité ma famille à consommer bio. » Elle est aussi devenue éco-déléguée de son lycée : « On a voulu organiser une friperie pour sensibiliser les élèves aux alternatives à la fast fashion. Ça faisait des années qu’on voulait le faire, mais convaincre l’administration n’était pas facile. On nous a dit une fois « n’imaginez pas que vous allez changer le monde. » »

Se sentir utile

Pendant le confinement de 2020, l’envie d’agir de la jeune fille s’est renforcée. Elle s’est alors intéressée à l’activisme en faisant des recherches sur Internet. Mais c’est l’élection présidentielle de 2022 qui a été pour elle un déclic. Quelques mois plus tard, en août, elle a rejoint le mouvement Youth For Climate, initié en 2019 par Greta Thunberg et connu principalement pour l’organisation des marches pour le climat. « Pour moi, c’était agir comme une citoyenne. »

Alors qu’elle est encore mineure, Hopla participe en octobre à sa première action : une campagne antipub, durant laquelle les militants retirent les publicités de marques qu’ils considèrent comme représentatives de l’hyperconsommation. « Quand il y a une pub pour un Iphone, c’est plutôt plaisant à retirer », s’amuse Hopla. À la place, ils collent leurs tracts.

Des jeunes déçus des manifestations

La jeune militante participe activement, en mars dernier, à un rassemblement en soutien au mouvement Stop EACOP, nom du projet de Total, qui prévoit de construire un oléoduc géant entre la Tanzanie et l’Ouganda. Ce jour-là, les militants se rassemblent devant le siège d’Amundi, premier actionnaire de l’entreprise, pour exiger qu’il s’oppose publiquement à ce projet et au plan climat du géant pétrolier. « Avec cette opération, les employés nous ont pris au sérieux », raconte Hopla.

Des actions ciblées, à échelle locale, jugées par certains militants comme plus efficaces que les marches. « Organiser une marche, c’est beaucoup d’organisation. C’est mobiliser une quinzaine de personnes, quand pour une action locale, on a seulement besoin de 4-5 personnes », explique la militante.

Une mobilisation en baisse

Depuis la crise sanitaire, ces manifestations mobilisent moins les foules. « Au sein de Youth for Climate, il y a eu un engouement en 2019, mais depuis le COVID-19, c’est plus clairsemé », remarque Léna Lazare, porte-parole de Youth For Climate et membre des Soulèvements de la Terre, collectif écologiste à l’origine de la mobilisation contre les méga-bassines à Sainte-Soline en mars 2023. Pour elle, ces manifestations « ne sont plus suffisantes ».

Même si elle déplore leur faible utilité, Sasha*, 21 ans et membre d’Extinction Rébellion Toulouse, estime qu’il faut continuer d’organiser des manifestations. « Ça permet de mettre en avant la cause, mais il faut aussi des actions plus concrètes. Dans une lutte, on a besoin de tous les modes d’action : de marches, de désobéissance civile… Et parfois même de violence. » Elle pense notamment aux casseurs, qui dégradent les bâtiments publics lors de rassemblements initialement non violents. « Je n’irai pas casser une vitrine, mais ça reste un moyen d’action parmi d’autres. Ça permet de faire réagir les gens et de leur faire prendre connaissance de notre combat. »

« On a besoin de tous les modes d’action : de marches, de désobéissance civile… Et parfois même de violence »

La jeune femme de 21 ans a longtemps milité seule dans son coin, auprès de ses amis et sur les réseaux sociaux. Après la canicule de l’été 2022, elle décide d’agir, découvre Extinction Rebellion à l’occasion d’un camp climat organisé à Toulouse, et en devient membre à l’automne 2022. Avec eux, elle participe à de nombreuses actions de désobéissance civile, tels que le blocage de routes ou des rassemblements non déclarés.

Cette implication lui « redonne un sentiment de puissance », affirme-t-elle. À l’image de la désobéissance civile, dont les actions ciblées peuvent avoir un véritable impact. Les 22 et 23 avril, Sasha a participé à la mobilisation contre le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Elle est consciente que ce rassemblement n’a pas mis fin au projet. Mais pour elle, même les petites victoires sont encourageantes. « Empêcher la coupe d’un arbre pendant deux semaines, c’est déjà deux semaines de gagnées. »

Des jeunes préparés aux risques

Risque juridique faible, moyen ou élevé, avant de participer à une action, les militants d’Extinction Rebellion doivent savoir à quoi ils s’exposent. Comme Youth For Climate, le mouvement prône la désobéissance civile non violente : commettre un délit, qui ne mène pas à la confrontation avec les forces de l’ordre et qui ne doit pas mettre en danger la vie de tierces personnes. La participation à certaines actions peut mener à la garde à vue, voire au procès. « Mais on en a très peu », explique Zachary*, à la vingtaine de personnes venues assister à une formation en désobéissance civile, le 7 mai, à Paris. Si sanctions il y a, les militants risquent, entre autres, de payer une amende ou d’effectuer des travaux d’intérêt général.

Accompagné de Nébula**, une autre militante, Zachary présente pendant une demi-journée les différents rôles qui composent une action. Parmi les plus exposés, il y a ceux de bloqueur et contact-police (pont entre les forces de l’ordre et les militants). Tous deux sont facilement identifiables par la police. « Le contact-police peut se faire embarquer rapidement si le policier en a marre de s’expliquer avec lui », développe Zachary. Le bloqueur quant à lui est statique et donc exposé aux tentatives de délogements.

« J’avais peur que ma participation à une action soit inscrite dans mon casier judiciaire »

Parmi les participants, il y a Romain*. Le jeune homme de 25 ans a rejoint le mouvement il y a six mois. Très engagé dans le mouvement, il préfère participer à des actions qui ont peu de risques juridiques, comme les campagnes anti-pubs. Il a toujours hésité à prendre le risque d’aller en garde à vue, pour des raisons professionnelles : « J’ai une formation en recherche et je suis amené à travailler dans la fonction publique, j’avais surtout peur que ma participation à une action soit inscrite dans mon casier judiciaire et soit visible par l’employeur », confie-t-il. Une précaution qu’il prend en plus de la protection de son identité.

Comme la plupart des militants, Romain utilise un pseudonyme et communique avec les autres uniquement via Signal, une application de messagerie. « C’est essentiellement pour éviter d’être identifiable, si jamais les forces de l’ordre lisent les conversations de l’un d’entre nous. Tout le monde peut s’inscrire aux formations en désobéissance civile, intégrer nos groupes sur Signal, y compris une personne qui fait partie des renseignements », ajoute-t-il.

Les mesures de sécurité vont également jusqu’à la non-divulgation du vrai lieu de rendez-vous, pour éviter que les forces de l’ordre ne soient prévenues. Seule une poignée de participants connaît l’adresse. Le jour J, l’un d’entre eux se charge d’aller chercher les autres militants à un point de rendez-vous pour ensuite les y conduire. Les téléphones sont par ailleurs mis de côté afin d’éviter que des informations sur l’action ne fuitent.


Désobéissance civile, quels risques sur le plan juridique ?

Avec un nombre d’actions en hausse depuis 2018 et la première grève étudiante pour le climat lancée par Greta Thunberg, les actes de désobéissance civile sont devenus un moyen privilégié, pour les militants écologistes, d’exprimer leur mécontentement. Si c’est une méthode de plus en plus utilisée, il n’existe aucune trace de la notion de « désobéissance civile » dans le droit français.

Si elle n’est pas un droit, la désobéissance civile n’est pourtant pas pénalement répréhensible, en tant que telle. Dans le code pénal, il n’existe pas de délit de « désobéissance civile ». Ce n’est donc pas juridiquement punissable. En résumé, il n’est pas possible d’être accusé, devant un tribunal, de « désobéissance civile ». Pourtant, les militants risquent des sanctions juridiques. L’association Attac met à disposition un « guide juridique pour les actions de désobéissance civile » dans lequel elle précise les risques encourus. Les actions se déroulant à plusieurs, les participants peuvent, par exemple être jugés pour attroupement « susceptible de troubler l’ordre public ». Une autre sanction qui est mise en avant par l’association est celle qui est encourue pour dégradations. Dans les deux cas, la peine maximale est de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Il existe d’autres délits comme l’entrave à la circulation ou l’intrusion dans une propriété privée telle qu’une entreprise. Dans le premier cas, la peine maximale est de deux ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amendes. Dans le premier cas, elle est d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Ce qui s’apparente le plus à la désobéissance civile est la notion d’état de nécessité. C’est une notion juridique qui consiste à autoriser une action illégale pour empêcher un dommage plus grave. Elle est ainsi décrite dans le code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

La liberté d’expression et l’état de nécessité pour se défendre

À l’été 2019, cinq militants écologistes décrochent le portrait du président de la République dans trois mairies du Gers. Ils font l’objet d’une comparution le 13 octobre, pour « vol en réunion » et « complicité de vol en réunion ». Pour leur défense, leurs avocats avancent deux arguments : l’état de nécessité et la liberté d’expression. C’est cette dernière qui est retenue par les magistrats. Les cinq accusés sont relaxés. Cette décision, prise au nom de la liberté d’expression, est une première en France. Finalement, les cinq « décrocheurs » sont condamnés en appel mais dispensés de peine. Si cette décision est inédite, elle n’a pas fait office de jurisprudence, la Cour de cassation confirmant, en 2022, la condamnation de douze « décrocheurs », estimant qu’ils ne pouvaient pas justifier leur action au nom de la liberté d’expression.


 

Des jeunes issus de milieux favorisés

Éviter d’être identifiable, c’est maximiser les chances de ne pas être placé en garde à vue, dans un premier temps. « La justice n’est pas la même pour tout le monde », déclare Nébula, qui insiste sur le fait que la garde à vue peut déboucher sur des discriminations ou des sanctions juridiques plus lourdes si l’activiste est étranger ou issu de la diversité. Lors de cette formation d’Extinction Rebellion, ils ne sont d’ailleurs que quatre à entrer dans cette catégorie d’activistes, sur une vingtaine de personnes présentes.

« Dans un quartier, les jeunes ont d’autres priorités »

« Extinction Rebellion attire toujours plus de monde, mais c’est un public particulier qui peut se permettre de prendre des risques », explique Marie*, militante toulousaine. Des risques humains, face aux discriminations dont peuvent souffrir certaines personnes, mais aussi financiers. Affronter la justice suite à une arrestation a un coût que tout le monde ne peut se permettre de supporter. « Le manque de minorité sociale ou raciale est une des grosses lacunes des mouvements de désobéissance civile, déplore la jeune femme d’une vingtaine d’années. La très grande majorité des membres sont blancs et issus de classes moyennes ou supérieures. »

Ce manque de diversité visible reflète l’environnement social des manifestants. Cette donnée reste déterminante dans la sensibilisation à cette cause émergente. « Face à l’engagement climatique, on observe d’abord une approche intellectuelle. Quand on est dans un lycée ou une université, on peut s’organiser plus facilement que dans un quartier. Dans le premier cas, c’est un lieu qui regroupe exclusivement des jeunes et dans l’autre, ce n’est pas le cas. D’autant plus qu’ils ont d’autres priorités », analyse Robi Morder en évoquant la précarité ou encore le chômage.

À chacun son rôle

“Plein de rôles ne nécessitent pas de prendre des risques », estime Marie. Elle cite par exemple tous les rôles de préparation des actions. « Selon moi ce sont les rôles les plus gratifiants et qui ne nécessitent pas de prendre de risques, parce qu’on déconseille fortement aux organisateurs d’aller sur le terrain ensuite. » S’ajoutent à cela les missions de communication, de formation ou de relation avec la presse.

La jeune militante estime que mettre en avant ces rôles est essentiel pour que chacun puisse trouver sa place et s’impliquer dans la lutte. Pour autant, elle ne s’attend pas à ce que les choses changent du jour au lendemain : « Je comprendrais qu’une personne noire n’ait pas envie de se retrouver avec 70 personnes blanches qui parlent de leurs peurs face à la crise climatique. »

Dylan Berrached, Imane Lyafori, Laura Merceron & Keisha Mougani

 

*Le prénom a été modifié
**Utilisation d’un pseudo

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