Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes femmes se font dépister à l’aube de leur vingtaine, entre leurs 17 et 25 ans. Mais le dépistage tardif continue d’être la norme, au prix d’une souffrance parfois insurmontable.
Certaines femmes se découvrent atteintes d’endométriose passé la quarantaine. C’est le cas de Françoise, 48 ans, diagnostiquée il y a à peine cinq ans “J’ai eu de la chance, car la maladie s’est déclarée tardivement, mais une fois que j’ai commencé à souffrir, ce qui a été le plus difficile, c’est sa non-reconnaissance”, confie-t-elle. “Une fois, j’ai fini aux urgences. On m’a donné des antidouleurs, mais on ne m’a fait faire aucun test. On ne cherchait pas la cause. C’est difficile psychologiquement de repartir de l’hôpital et qu’on vous dise ‘Vous n’avez rien’. On me faisait passer pour une folle”.
Tout commence en 2010, lorsqu’elle accouche par césarienne de sa fille Marie. A l’époque, elle a 36 ans. Ses règles ont toujours été accompagnées de maux de ventre, mais après cet accouchement, la souffrance devient exponentielle. Elle commence à ressentir des douleurs abdominales et pelviennes, ses rapports sexuels deviennent pénibles; s’y ajoute une fatigue chronique. Les différents gynécologues qu’elle consulte évoquent des règles douloureuses. Comme beaucoup de femmes, Françoise souffre en silence pendant des années : “Je n’osais pas dire, par exemple, que je ne pouvais plus avoir de relations sexuelles”.
Six ans après la naissance de sa fille, c’est son ostéopathe qui évoque la possibilité de l’endométriose. “C’est grâce à lui que j’ai commencé à faire mes propres recherches. On n’en entendait pas parler à l’époque. L’endométriose c’était un truc de minettes, voilà elle a ses règles, elle a mal, point”. L’année d’après, Françoise passe une IRM qui confirme une endométriose localisée dans l’utérus, appelée aussi adénomyose. Françoise aura passé sept ans à tenter de comprendre l’origine de cette souffrance. C’est d’ailleurs la durée moyenne entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic, selon une étude parue en 2018.
“Sexualité : l’endométriose n’est pas une fatalité”
Céline Vendé est sexologue, elle-même atteinte d’endométriose, et nous partage quelques-uns des conseils qu’elle prodigue à ses patientes.
Quels sont les troubles de la sexualité auxquels font face les femmes atteintes d’endométriose ?
Le premier symptôme reste les douleurs pendant les rapports sexuels, appelées dyspareunies. Parfois, cela peut même aller jusqu’au vaginisme : les muscles du périnée se contractent de façon involontaire et inconsciente pour éviter toute pénétration. Cela représente un quart, voire un tiers des femmes que je suis. Mais leurs troubles sexuels sont bien plus vastes : elles ont une image dégradée de leur corps, qu’elles voient comme un corps douloureux, qui entraîne des handicaps; elles le rejettent. Elles se voient comme des organes à examiner, et à soigner et non plus comme des corps charnels, sensuels et érotiques. Concrètement, elles n’ont plus d’envie, plus de désir.
Comment accompagnez-vous vos patientes ?
D’abord, j’accueille leur parole. Puis, je leur propose de redonner du sens à leur sexualité, et de se reconnecter à leur sensorialité, en passant par le toucher. Même pas forcément en se masturbant, simplement en se regardant dans un miroir, en se caressant le corps, le bas-ventre, en faisant des exercices de respiration, de contraction et décontraction du périnée. Le but est de se réapproprier les sensations que peuvent provoquer un toucher doux et non médical, et d’érotiser de nouveau leur corps. Souvent cette étape est la plus longue, et les conseils sexuels plus “techniques” coulent de source.
Je peux par exemple les orienter vers des lubrifiants à base de CBD pour décontracter les muscles du périnée, des sextoys non pénétrants, avec des vibrations douces. Je conseille aussi souvent des positions où la pénétration est moins profonde, comme la cuillère ou le lotus.
Sexuellement, l’endométriose peut-elle être aussi vectrice de positif ?
Complètement. L’endométriose n’est pas une fatalité : il y a des possibilités de s’épanouir. Parfois, cela peut même être l’occasion de se poser des questions sur le sens qu’on donne à sa sexualité, de la rendre plus épanouie, plus à l’écoute de son corps, plus curieuse et plus investie.
Souvent, la sexualité des femmes atteintes d’endométriose sort d’une sexualité phallocentrée et hétéronormative. Elles vont être plus à l’écoute de ce qui va leur provoquer du plaisir d’autres manières, en n’ayant par exemple pas recours systématiquement à la pénétration.
|
Endométriose : première cause d’infertilité chez les femmes
Ces retards de dépistage ont aussi parfois des conséquences irréversibles. Claire, directrice commerciale de 48 ans, a passé des années à essayer d’avoir un enfant sans savoir qu’elle était malade : “J’ai appris le terme ‘endométriose’ quand j’ai fait une fausse-couche, juste avant mes 40 ans. C’était il y a moins de dix ans”.
C’est après cet événement traumatisant que Claire cherche à comprendre son infertilité et ses douleurs chroniques : “Beaucoup de gynécologues me disaient que c’était normal, qu’il y a des femmes qui sont faites pour faire des enfants, d’autres pas. Il y avait ce côté très misogyne. On ne faisait pas passer d’IRM pour ça il y a 15 ans, c’était réservé aux problèmes cérébraux. Si j’avais su que j’avais de l’endométriose à 20 ans, cela aurait tout changé”.
Elle regrette que son retard de diagnostic l’ait empêchée d’anticiper son désir de grossesse : “Dépistées à temps, les jeunes filles peuvent congeler leurs ovocytes. Je pense que j’ai toujours été malade, et que lorsque j’ai voulu faire un enfant naturellement, ça n’a pas marché”.
Claire et Françoise ont toutes deux passé la majeure partie de leur vie sans savoir que l’endométriose existait : “Pourtant, explique Claire, c’est une maladie vieille comme le monde. Il y a toujours eu des femmes avec de l’endométriose mais c’était normal de souffrir parce que vous étiez une femme.”
Une maladie inflammatoire et évolutive
Le professeur Patrick Madelenat, chirurgien obstétrique en charge du service gynécologie de l’hôpital Bichat (Paris, 18e) possède, lui, le mantra suivant : “l’endométriose, quand on y pense toujours, on n’y pense pas encore assez”. Il milite pour un diagnostic “le plus tôt possible”, car il explique qu’il s’agit d’une “pathologie évolutive”. Autrement dit, chaque cycle de règles aggrave la maladie, aggrave donc les douleurs, et, à terme, augmente le risque d’infertilité.
Alors le professeur Madelenat le rappelle : “le meilleur moyen d’éviter l’infertilité reste le dépistage”. Ce dernier consiste en une IRM et une échographie vaginale, prescrites par le ou la gynécologue après reconnaissance des symptômes de l’endométriose lors du rendez-vous en cabinet.
“Plus tôt on la dépiste, plus vite on peut traiter la maladie”, déclare Patrick Madelenat. L’un des traitements efficaces selon lui consiste d’ailleurs en “l’aménorrhée” (la mise au repos des cycles menstruels) : “Une femme endométriosique, moins elle a ses règles, mieux elle se porte”, conclut-il. 30 à 40% des femmes atteintes d’endométriose sont néanmoins devenues infertiles, bien souvent en raison d’un diagnostic tardif.
Et, le Professeur Madelenat lui-même le reconnaît : le corps médical y est pour beaucoup. “Avant les années 1980, on ne parlait même pas d’endométriose dans les congrès de gynécologues”, se souvient-il. “On ne posait pas de questions sur la vie sexuelle des patientes, on avait tendance à penser que les règles douloureuses c’était normal et qu’il n’y avait rien à faire. Puis à force de voir des patientes dont la qualité de vie était altérée, la maladie a été mieux reconnue”.
Aujourd’hui, les tabous commencent à être brisés, l’information circule et les médecins sont mieux formés. Et Patrick Madelenat en ressent les conséquences au sein de sa patientèle, diagnostiquée de plus en plus jeune : “Le nombre de jeunes femmes de moins de 20 ans qui viennent me consulter pour leur endométriose a considérablement augmenté”, constate le spécialiste.
“Tout doit être amélioré, on part de rien”
L’Etat commence également depuis peu à contribuer à la reconnaissance de la maladie. Les premières mesures gouvernementales sont évoquées en 2019, mais écartées par la crise sanitaire. L’endométriose redevient une préoccupation politique en janvier 2022. Dans une vidéo publiée sur Twitter, le président Emmanuel Macron déclare : «Ce n’est pas un problème de femmes. C’est un problème de société». Il annonce alors la création d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. Parmi les mesures annoncées : une meilleure formation des médecins en exercice, davantage d’accessibilité aux soins sur tout le territoire et un programme de recherche.
Autant d’initiatives que salue la présidente de l’association Endofrance, Yasmine Candeau, qui a elle-même participé à l’élaboration du projet. “Le fait que des annonces gouvernementales aient été faites va permettre à certains médecins qui ne connaissent pas assez la maladie de prendre plus au sérieux leurs patientes”. “ Tout doit être amélioré, on part de rien.[…] On a perdu beaucoup de temps : à chaque nouveau quinquennat, il fallait réexpliquer ce qu’était l’endométriose au nouveau ministre de la Santé. Là, le président n’a pas changé, on espère rester dans la continuité des travaux”.
De son côté, l’association continue de lutter contre la méconnaissance de la maladie, en organisant des opérations de sensibilisation, notamment dans les entreprises et les écoles. Dans l’attente de la concrétisation des annonces, la présidente de l’association se veut optimiste, bien que prudente : “C’est une première victoire mais il ne faut pas que ça s’arrête là.”
Eléana Bonnasse, Lise Cloix, Julia Courtois, Lola Dhers