Quand le « do it yourself » s’invite dans la contraception

Inès Mangiardi, Baptiste Farge, Aglaé Gautreau

Quand le « do it yourself » s’invite dans la contraception

Quand le « do it yourself » s’invite dans la contraception

Inès Mangiardi, Baptiste Farge, Aglaé Gautreau
25 mai 2022

Pour partager la charge mentale contraceptive avec leur partenaire, des personnes se tournent vers la méthode thermique. Anneau ou slip chauffant faits maison, les utilisateurs sont confrontés à un manque d’accompagnement médical. 

Ateliers contraceptifs

Maxime est un peu pris au dépourvu. Il ignorait l’étendue des questions qu’on pourrait lui poser : « Tu veux quelle couleur ? Plutôt translucide ou opaque ? Avec ou sans paillettes ? ». Ce lundi soir, dans le XXe arrondissement de Paris, il est venu créer son propre moyen de contraception : un anneau thermique. « Moi la dernière fois, j’en ai fait un bicolore, bleu et rose », tente Lucas Larue pour le mettre à l’aise.

Lui est un habitué de ce type d’atelier. Cela fait trois ans que le vingtenaire s’intéresse à la « contraception testiculaire ». Ce terme désigne souvent la contraception masculine, mais peut aussi inclure les personnes transgenres et non-binaires. Les deux expressions font référence aux mêmes méthodes. Parmi elles, la contraception thermique, notamment l’anneau.

Encore méconnu

Ce petit objet d’une quarantaine de millimètres de diamètre s’enfile autour du pénis, au niveau du scrotum. L’objectif est de faire remonter les testicules, ce qui augmente légèrement leur température. Ainsi, le nombre de spermatozoïdes se réduit considérablement. S’il est porté correctement, à savoir quinze heures par jour, l’anneau a un effet contraceptif au bout de quelques semaines pour la personne qui l’utilise. Contrairement aux méthodes contraceptives dites “féminines”, les méthodes contraceptives testiculaires sont encore méconnues et peu nombreuses. Quand on peut facilement citer la pilule, le stérilet ou encore l’implant, utilisés depuis des années, connus de tous et toutes et dont les niveaux de confiance sont élevés,  beaucoup de contraceptions testiculaires sont encore en phase de développement

Derrière les ateliers de fabrication d’anneaux, il y a Samuel, un jeune homme de 26 ans. Depuis le mois de janvier, il en anime chaque semaine. Un projet qui tient à cœur à celui qui est contracepté depuis un an et demi : « J’ai trouvé l’expérience cool et j’ai eu envie de la partager avec d’autres ». Les « autres » ? Des hommes et des femmes, âgés de 20 à 40 ans, très souvent envoyés par le Planning familial. « Ce sont des personnes en galère de contraception », raconte-t-il. Quand, dans des couples hétérosexuels, la femme ne supporte plus la pilule et les hormones, l’anneau est, selon Samuel, la principale alternative. « C’est la seule méthode qui laisse autant d’autonomie aux gens, assure le Parisien. Tu peux fabriquer toi-même ta contraception, te l’approprier, cela ne coûte pas cher, deux euros la fabrication, et il n’y a pas d’effets secondaires. »

Du silicone, un moule, un peu d’huile de coude, et le tour est joué. Pendant la première étape de fabrication, les discussions vont bon train, sur fond de musique latine. « Tu fais quoi dans la vie ? », demande Maxime Larue à son voisin. Lucas termine ses études de cinéma. Il souhaite réaliser un documentaire sur la contraception testiculaire. « Je viens aussi ici pour savoir de quoi je vais parler. » C’est déjà la troisième fois qu’il participe aux ateliers de Samuel. A terme, il aimerait pouvoir les animer.

Tout commence dans la ville rose

Néanmoins, ce n’est pas à Paris que Lucas a fait ses premiers pas dans le domaine de la contraception, mais bien à Toulouse, sa ville d’origine. À l’époque, il assiste à une conférence de l’association toulousaine Garcon (Groupe d’Action et de Recherche pour la Contraception), qui l’interpelle sur le sujet. « Ils ont évoqué un truc dont je n’avais jamais entendu parler », se rappelle-t-il. C’est dans la ville rose que la méthode thermique s’est développée.

Le docteur Roger Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse, est pionnier sur la question. Dans les années 1980, il invente ce qu’on appelle aujourd’hui le « remonte-couilles toulousain », un slip chauffant qui a les mêmes propriétés que l’anneau. Selon l’Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine), ce docteur est le seul médecin en France qui prescrit les sous-vêtements et assure le suivi médical.

Peu d’études sur le sujet

Les études concernant l’efficacité de la méthode thermique sont rares, mais s’accordent sur la fiabilité de la technique. Entre 1985 et 1989, le docteur Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse, suit neuf couples volontaires. Tous utilisent la méthode thermique. L’andrologue note une grossesse, justifiée du fait d’une mauvaise utilisation de la technique. En 1991, le docteur égyptien Ahmed Shafik étudie la même technique de suspension des testicules sur 28 hommes. Pendant un an, le nombre de spermatozoïdes diminue considérablement chez chaque patient et aucune grossesse n’est à déplorer. A l’issue de l’étude, il s’intéresse à la réversibilité de la méthode. Six mois après la fin de l’expérience, le nombre de spermatozoïdes dans le sperme de chaque volontaire est revenu à la normale. Plus récemment, en 2018, une étude menée sur des habitants des Bouches-du-Rhône s’est penchée sur l’intérêt de la population pour la contraception thermique. Si 30 à 45 % des personnes interrogées se disent intéressées par la méthode, les principaux obstacles relevés par le panel sont l’absence d’information sur le sujet et le manque de connaissances des professionnels de santé.

Se débrouiller seul

Le manque de spécialistes sur le sujet complique-t-il l’accès à la contraception testiculaire ? Pour Lucas Larue, c’est une évidence. En septembre 2021, quand il entreprend les premières démarches, il se rend chez son médecin de famille pour faire un premier spermogramme. Problème : sa docteure ne semble pas du tout renseignée sur le sujet. « C’est moi qui lui ai fourni toute la documentation », assure l’étudiant. « Elle m’a prescrit une ordonnance pour un spermogramme, mais m’a dit qu’elle ne pourrait pas me suivre ».

La démarche a été encore plus compliquée pour Bart Lazy lorsqu’il s’est rendu chez un urologue. « Il m’a dit que ce n’était pas à moi de me contracepter, que si les filles le faisaient, c’était bien pour une raison », raconte l’étudiant en communication.

Une fois le dispositif lancé, le problème du suivi médical est toujours présent. Florian Thomas a porté l’anneau pendant huit mois avant d’arrêter à cause, entre autres, de démangeaisons.  « Je ne savais pas si je le portais bien, je devais regarder des vidéos », indique l’étudiant breton en kinésithérapie. Désormais, il aimerait recommencer à le porter, mais à une condition : être mieux suivi.

« Un désengagement de l’État dans la recherche » ?

Beaucoup d’utilisateurs de l’anneau apprennent par leurs propres moyens. Florian Rodrigues porte l’anneau depuis deux ans. Tous les trois mois, il fait un spermogramme, une démarche qu’il s’est imposée seul. Lorsqu’il a eu des soucis avec cette méthode contraceptive, après un an et demi d’utilisation, il a hésité à aller voir un urologue : « J’ai eu des problèmes pour uriner, j’ai changé de taille et le problème s’est finalement résorbé ». Aujourd’hui, le jeune rouennais n’est suivi par aucun spécialiste.

Son cas n’est pas isolé. Nombre de médecins ne sont pas informés sur le sujet. « Il faudrait que des institutions comme Santé publique France montrent l’efficacité de cette méthode ou l’absence d’effets secondaires », juge Mireille Le Guen, démographe. Or, cette spécialiste de l’évolution des pratiques contraceptives en France, estime qu’il y a « un désengagement de l’État dans la recherche ».

La dernière étude de Santé publique France sur la contraception date de 2016. Mireille Le Guen avance que « beaucoup de chercheurs travaillent sur des méthodes de contraception masculine, mais [que] la plupart du temps, ils manquent de financements ». De fait, « les industries pharmaceutiques n’ont pas intérêt à investir dans ce domaine car cela n’augmente pas leur chiffre d’affaires ».

Esseulées, les personnes qui veulent se contracepter doivent donc se confronter à un long processus. « Ça m’a pris entre quatre et cinq ans avant de faire un choix définitif », confie Bart Lazy. D’après lui, la contraception testiculaire s’apparente à un genre de « médecine parallèle ». Ne pouvant s’adresser au corps médical, ce Montpelliérain d’origine s’est tourné vers son entourage. L’un de ses amis lui a vendu un anneau thermique qu’il ne souhaitait plus porter en raison d’une contre-indication concernant sa fertilité. Cet anneau a un nom particulier : l’« andro-switch ». Son créateur ? Maxime Labrit.

« Je n’ai pas inventé la méthode, j’ai inventé un outil »

En 2007, l’infirmier à Toulouse commence à se questionner sur sa contraception. Sa compagne ne veut pas assurer cette charge seule ni utiliser des méthodes hormonales : « Ça ne me posait pas de problème, cela me semblait logique que ce soit partagé. » Maxime Labrit fait quelques recherches sur Internet et découvre la contraception thermique. « A l’époque, il n’y avait pas de tuto, c’était plus facile d’inventer un dispositif dans mon canapé », se rappelle le Toulousain.

Pendant plusieurs années, Maxime Labrit expérimente, transforme son garage en laboratoire, teste différents matériaux, comme la chambre à air. En 2018, il fait breveter un anneau : l’andro-switch. L’objet en silicone est commercialisé, vendu au prix de 37 euros en ligne. « Cela a été long, il a fallu chercher des financements. Toutes les portes se sont fermées. Personne ne connaissait la contraception masculine, donc personne ne voulait investir », assure-t-il. Il finit par s’auto-financer, et en quelques années, l’andro-switch trouve ses acheteurs : plus de 10 000 en deux ans, dans trente pays différents.

Mais en décembre 2021, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé suspend sa commercialisation. La raison : l’objet ne répond pas aux normes du marché européen. Maxime Labrit continue tout de même de fabriquer des anneaux pour aider des chercheurs. « Je n’ai pas inventé la méthode, j’ai inventé un outil », insiste-t-il. Outil que l’on peut justement fabriquer soi-même.

Bouger les lignes ?

Dans le XXe arrondissement, la confection des anneaux se poursuit. Les participants montent à l’étage. Chacun dépose son œuvre au four. Préparation à 50°C pendant 15 minutes. On en profite pour partager son expérience. « Tu le portes toi ? ». « Depuis combien de temps ? ». Les visages rougissent. Léo, qui anime la séance, admet que l’anneau lui fait ressentir des gènes. Pour l’instant, il préfère faire une pause. Paul, nouveau venu, hésite. « J’essaye de comprendre les mécanismes, déconstruire ce que je sais sur la contraception, j’aimerais bien y arriver mais j’ai besoin de temps », indique le jeune homme.

« Ces ateliers sont aussi l’occasion de discuter et poser des questions », explique Lucas, ajoutant que « les gens qui ont déjà testé peuvent rassurer les autres ». Un cadre différent du milieu médical ou même familial, l’entourage pouvant se montrer compréhensif sans accompagner pour autant la démarche. Cela reste néanmoins insuffisant d’après Samuel. « On pourrait faire mieux niveau échanges, on est souvent pris par le temps durant les ateliers, nuance-t-il. Je ne pourrais pas comparer ça à des groupes de parole ».

« Vous n’êtes pas des super-héros les mecs ! »

Parler contraception testiculaire se fait avant tout dans l’intimité. Pour ceux qui sont en couple, le projet se construit à deux. Maxime Fidèle confie que sa copine lui en est reconnaissante, mais qu’elle a des réticences. « Elle ne veut pas d’enfants, c’est sa grosse phobie », précise le libraire. Autrement dit, la décision ne dépend pas que de lui. « C’est une question qui se pose à deux quand on est en couple, assure Bart. Si elle couche avec moi, est-ce qu’elle a confiance en cette méthode? ». Et l’étudiant en communication de rappeler ses nouvelles responsabilités par rapport à sa partenaire : « Si demain j’oublie de porter l’anneau, qui en assumera les conséquences ? » 

« Avec la contraception féminine, malgré certains problèmes, on est maître de tout, on contrôle », rappelle Vanessa, 23 ans, qui entretient une relation avec Bart depuis quelques mois. D’après elle, il « faut suffisamment avoir confiance en l’autre pour se laisser aller ». Et être sûr des motivations de son partenaire.

Vanessa se souvient de l’attitude de Bart lorsqu’il a pris la décision de se contracepter. « Il en parlait tout le temps. Je trouve ça bien de communiquer sur la question, mais si l’objet de la contraception masculine est de s’enorgueillir… Vous n’êtes pas des super-héros les mecs ! », souffle-t-elle. Tout en insistant : « J’ai commencé la pilule à 16 ans, personne n’est venu me féliciter ». Et pour cause, dans les couples hétérosexuels, le travail contraceptif reste essentiellement à la charge des femmes. Mireille Le Guen met ainsi en avant l’existence d’une « norme genrée qui conduit à déresponsabiliser les hommes, du moins à les écarter de la maîtrise de la fécondité ».

Un tabou ?

Jusqu’ici, les recherches se sont donc majoritairement concentrées sur les moyens de contraception féminins. Mireille Le Guen explique : « Historiquement, les travaux montrent que l’on a plus de facilités à modifier le corps des femmes : il est pensé comme imparfait alors que le corps des hommes apparaît naturellement comme parfait. Le tabou se trouve ici. »

Tabou, ce n’est pas le terme qui parle à Maxime, Lucas et Léo. Eux n’ont pas de mal à évoquer le sujet autour d’eux et sont même fiers d’attiser la curiosité. « Certains de mes potes tombent des nues, mais je pense que je pourrais en convaincre plusieurs », imagine Maxime Fidèle. Mais avant de convaincre, il faut déjà tester soi-même. Et pour celui qui assiste à son premier atelier, petite complication au moment du démoulage. Malgré toute sa bonne volonté, des bulles d’air se sont formées. Impossible d’en tirer un anneau convenable. Symbole du long processus qui se cache derrière la contraception testiculaire. Signe aussi que le « do it yourself » n’est pas toujours adapté pour un tel enjeu de santé.

Inès Mangiardi, Baptiste Farge, Aglaé Gautreau

Crédits photos : IM, IM, Pixabay, Rachel Cotte

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