Donald Trump, le grand absent des réseaux sociaux
Alors que les élections de mi-mandats aux États-Unis se soldent par un échec pour les candidats « trumpistes », le retour sur la scène politique de Donald Trump paraît incertain. D’autant plus, qu’un an après les émeutes du Capitole, le 6 janvier 2021, et la suspension définitive de son compte Twitter, l’ancien président des États-Unis semble amputé de ce qui faisait la force de sa communication: les réseaux sociaux.
« C’est sûr qu’il y a eu une fraude sur l’élection de 2020, Biden n’aurait jamais dû être élu. » Jane*, 46 ans, n’en démord pas. Pour cette habitante du Kansas, mère au foyer, Donald Trump est l’évidence. Même si cela lui a coûté sa relation avec sa fille, à qui elle ne parle plus depuis l’automne dernier et la campagne présidentielle, elle espère qu’il se représentera en 2024. « Sur Truth (social), je ne suis pas la seule à le penser. » « Truth Social », le nom est lâché. Celui du réseau social crée par Donald Trump en février 2022, après avoir été banni de Twitter et Facebook suite aux émeutes du capitole.
Aujourd’hui, alors que l’équipe de Trump a annoncé jeudi 10 novembre repousser l’annonce de sa candidature pour les élections présidentielles de 2024 après un échec aux élections de mi-mandat, la stratégie de Trump sur les réseaux sociaux est un point-clé de son retour sur la scène politique.
Pour rappel, le 6 janvier 2021, lors de l’investiture de Joe Biden comme 46e président de Etats-Unis, des partisans de Donald Trump avait pris d’assaut le Capitole. Les images évoquaient un véritable coup d’état, réalisé par des partisans attisés depuis le 4 novembre 2020 par des tweets agressifs de Donald Trump à la suite de sa défaite face à Joe Biden.
Une popularité en chute sur les réseaux depuis les émeutes du Capitole
Jouant sur la frustration de ses électeurs et sur la fracture d’une Amérique alors profondément divisée. Son compte Twitter est finalement définitivement suspendu le 7 janvier 2022, pour « incitation à la violence ». « En refusant sa défaite à la présidentielle de 2020, Donald Trump a répandu l’idée que si le résultat d’une élection ne vous convient pas, vous pouvez le rejeter. » analyse la romancière Jennifer Haigh dans La Croix. « Il a créé un précédent, a ouvert une brèche. »
Et cette brèche, les utilisateurs de Truth Social se sont engouffrés dedans. Notamment ceux de la nébuleuse conspirationniste d’extrême droite QAnon, dont se revendique Jane, persuadés que les élites démocrates, les milieux financiers et les médias livreraient une guerre secrète à Donald Trump, et seraient les auteurs de crimes pédophiles et sataniques. Le 30 août dernier, l’ancien président a d’ailleurs repartagé sur son propre compte Truth Social la réponse à un « meme », relayant du contenu de cette frange conspirationniste.
« Truth Social est le refuge numérique de « l’alt-right » américaine, ils y évoluent comme dans une bulle », décrit Alexis Buisson, correspondant aux États-Unis depuis 2014 pour Médiapart et Le Point. « Cette plateforme les radicalisent, ils ne se rendent pas compte de toutes les nuances du monde. Cela me frappe toujours supporters de Trump gens qui me disent « Regarder Biden, c’est impossible qu’il ait pu avoir autant de voix » », témoigne le journaliste.
Mais à part cette nébuleuse de l’« alt-right », qui utilise Truth Social ? « En passant de Twitter à Truth Social, Donald Trump a vraiment perdu au change », note Alexis Buisson. L’ancien président est effectivement passé de 88 millions d’abonnés sur le réseau social à l’oiseau bleu comme symbole, à 1,19 million d’utilisateurs actifs sur iPhone en juillet sur Truth social. « Est-ce parce qu’il n’est plus président, ou parce que Truth Social est tout simplement un fiasco ? » s’interroge Alexis Buisson. « Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle plateforme touche beaucoup moins de monde, et n’a pas pesé pas dans le processus des midterms 2022. »
« Donald Trump n’est plus personne », pointe Loïc Laroche
Sur l’App Store d’Apple, où il est présent depuis sa création, Truth Social arrive en 89e position dans la catégorie « réseaux sociaux ». Google n’a introduit Truth Social sur son « Play store » que le 13 octobre, après que la plateforme ait accepté de mettre à jour les règles de modération de son application. « Cela a été un plaisir de travailler avec Google et nous sommes ravis qu’ils nous aient aidés à enfin apporter Truth Social à tous les Américains, quel que soit l’appareil qu’ils utilisent », avait réagi Shannon Devine de MZ Group, gérant les relations publiques de Trump Media & Technology Group (TMTG), la maison mère de Truth Social.
« Mais on ne crée pas une habitude chez un utilisateurs en claquant des doigts », explique Loïc Laurent, enseignant-chercheur en histoire-journalisme à l’Université Catholique Lille. « Sur ses 88 millions d’anciens abonnés Twitter, beaucoup n’étaient pas des sympathisants, il s’agissait de journalistes, de professeurs, d’experts, qui n’ont jamais voulu faire la démarche d’aller sur une plateforme uniquement dédiée aux opinions de Trump. » D’où la perte de popularité numérique du si médiatique 45e président des Etats-Unis. « Il n’est plus personne ». Selon France Inter, le nombre de visites quotidiennes sur Truth Social entre février et aujourd’hui a d’ailleurs été divisé par 5.
Or, pour pouvoir revenir sur le devant de la scène politique, Donald Trump doit être là où est le public, retrouver sa communauté élargie, faire parler de lui au plus grand nombre. Pour cela, va-t-il effectuer son grand retour sur Twitter, racheté à 44 milliards de dollars jeudi 27 octobre 2022 par le milliardaire Elon Musk ? Toutes les hypothèses sont possibles. L’ancien président a en tout cas salué le changement de propriétaire : « Twitter est désormais entre de bonnes mains, et ne sera plus dirigé par les fous de la gauche radicale qui détestent véritablement notre pays », a-t-il déclaré sur Truth Social.
Vers une baisse de la modération du contenu sur Twitter
Elon Musk, adepte du « free speech », pourrait permettre le retour de certains comptes bannis, comme celui de Trump. « Toute personne suspendue pour des raisons anodines et douteuses sera libérée de la prison de Twitter » a-t-il fait savoir le dans un Tweet. Avant de préciser, plus tard, attendre « un processus clair pour le faire, ce qui prendra au moins quelques semaines de plus ».
Twitter will not allow anyone who was de-platformed for violating Twitter rules back on platform until we have a clear process for doing so, which will take at least a few more weeks
— Elon Musk (@elonmusk) November 2, 2022
A cette annonce, plusieurs « trolls » ont joué de la situation. Un faux communiqué, où l’ancien président annonçait avoir « été informé que son compte Twitter serait restauré lundi » a été partagé par le comité Trump France. Après avoir été relayée par de nombreux comptes certifiés, l’information a depuis été démentie et supprimée.
Mais pour certains observateurs, ce n’est que partie remise, avant que Donald Trump ne soit de nouveau admis sur la plateforme. « L’appréhension à la suite de ce rachat, c’est que s’ensuive une baisse du seuil de modération, qui est déjà aujourd’hui à la fois très faible et imparfaite, avec beaucoup de contenus liés au harcèlement et à la haine en ligne qui arrivent encore à circuler, » explique Tristan Mendes-France dans un entretien à La Croix. Depuis son arrivée à la tête de Twitter, Elon Musk a d’ailleurs communiqué en ce sens, postant « l’oiseau est libéré ».
the bird is freed
— Elon Musk (@elonmusk) October 28, 2022
Pourtant, si Donald Trump décide de rester à l’écart, cela pourrait lui coûter son retour en politique. Car c’est sur Twitter que ce jouent aujourd’hui en partie les campagnes présidentielles. « Twitter, à l’inverse de Truth social, est un espace public planétaire », décrypte Aude Carasco, journaliste à La Croix et spécialiste des médias. « C’est la « punchline » à porter de tous, et un tweet peut être repris par le plus grand nombre, notamment les médias. »
Cette omniprésence de Twitter dans la stratégie de campagne des politiques américains, Alexis Buisson a pu l’observer dans sa couverture des élections de mi mandats du 8 novembre 2022. « Quand je demande aux personnes que j’interviewe comment ils s’informent, ils me répondent souvent YouTube, les réseaux sociaux. » Le journaliste observe une utilisation de ces réseaux davantage présente du côté républicain. « Pour eux, c’est un moyen de contourner la presse traditionnelle, jugée biaisée, pour s’adresser directement à leurs soutiens. » Et une difficulté pour les professionnels de la presse : « Maintenant, il faut faire la traque à l’information sur les réseaux, où sont les annonces d’évènements, plutôt que passer par un traditionnel attaché de presse. »
A lire : Midterms 2022 : Donald Trump dénonce (déjà) des anomalies dans les bureaux de vote
Cette nouvelle utilisation des plateformes par les politiques trouverait sa cause dans « une polarisation des médias américains de plus en plus grande, et ce depuis la seconde guerre mondiale », explique Loïc Laroche. « Et lors de son mandat, Donald Trump était devenu son propre média. » Pour l’instant, l’ancien président des Etats-Unis a cependant estimé dans un post sur Truth Social que son réseau fonctionnait « mieux que Twitter ». « J’ADORE TRUTH », a-t-il conclu.
*Le prénom a été modifié