Comment le journalisme environnemental s’affranchit des normes

Thomas Coulom


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Comment le journalisme environnemental s’affranchit des normes

Comment le journalisme environnemental s’affranchit des normes

Thomas Coulom
Photos : Thomas Coulom
18 novembre 2020

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Accélération du dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la hausse du nombre des études scientifiques et des experts environnementaux ainsi que la sensibilité accrue du public et de la sphère politique aux enjeux du développement durable ont contribué à faire de l’écologie un sujet transversal dans les rédactions françaises. 

 

Pas un jour ne passe sans que les grands médias traditionnels français n’alertent sur l’urgence climatique. S’il était auparavant courant que les journalistes s’interrogent en conférence de rédaction sur la pertinence ou non de traiter des enjeux écologiques dans leurs colonnes, les professionnels des médias se demandent aujourd’hui comment traiter ceux-ci au quotidien.

Le sujet écologique est aujourd’hui un sujet universel. Rémi Barroux, journaliste au Monde service Planète, explique : « Les sujets environnementaux sont des sujets qui percutent tout le monde. Aujourd’hui, lorsqu’on traite d’écologie, on peut partir des grandes questions de politique internationale comme les Accords de Paris comme des tenants et des aboutissants de la construction d’un rond point près de chez-vous. »

Depuis plus de dix ans, alors que les consciences s’éveillaient graduellement à l’urgence de la situation, on a pu voir, en parallèle des quotidiens traditionnels, de nouveaux médias s’emparer de la question écologique. C’est le cas de « Reporterre » ou encore de « Basta ! » lancés respectivement en 2007 et 2008. À ceux-ci s’ajoutent plus récemment de nouveaux médias nés de la démocratisation des formats vidéos sur les réseaux sociaux comme Brut. (lancement en novembre 2016) dont certains contenus sont exclusivement dédiés à la nature et à sa protection. Cette polarisation des contenus en ligne autour des sujets environnementaux s’illustre ensuite par la croissance importante du nombre de vidéastes qui produisent des contenus sur l’écologie pour les réseaux sociaux comme les « youtubers » Partager c’est sympa ou encore Nicolas Meyrieux, tout deux impliqués dans des actions militantes pour l’écologie.

Avec les accords de Paris en 2015, il s’est opéré un processus de « massification » du traitement médiatique des enjeux écologique en France. Ce regain d’intérêt s’est traduit par un changement d’approche et de traitement de l’information par les journalistes français. Plutôt que de sensibiliser les citoyens à la cause environnementale et aux « gestes du quotidien » comme cela a été longtemps le cas, les médias mettent maintenant l’accent sur l’urgence d’agir pour sauver la planète et se font l’échos des discours citoyens, militants ainsi que des experts.

Médias militants et médias traditionnels : Un traitement inégal de l’écologie

Se faisant, les questions concernant la pratique du journalisme sur les questions écologiques se multiplient. Le journaliste qui couvre le dérèglement climatique peut-il traiter cette question en restant objectif comme les chartes déontologiques le décrivent ? Les journalistes chargés des questions environnementales sont-ils forcément engagés ou, en tout cas, plus engagés que les autres ? Peut-on finalement traiter d’écologie sans être militant ou du moins, sans convoyer une opinion ? Autant de questions qui illustrent la difficile équation entre journalisme et écologie.

« Dans un média militant, et en particulier concernant l’écologie, l’exigence du lectorat est différente. Le lecteur s’attend à ce que ses thèses et ses croyances soient validées par le journaliste » Explique Rémi Barroux. « Le média ou le journaliste n’est pas là pour confronter ou expliquer la position du « camp d’en face » mais il répond à une demande, de la même manière qu’un média classique répond à une ligne éditoriale. » « Pour autant, si les journaux identifiés comme engagés pour l’environnement ne prennent pas forcément le contrepied des militants, cela ne veut pas dire qu’ils ont tort » pondère le journaliste du service Planète au quotidien Le Monde.

Rémi Barroux décrit une situation où il y a parfois chez les journalistes opérants dans des médias traditionnels une vision « dénigrante »  des médias militants. Il insiste : « Le média militant n’est pas péjoratif, il répond à une nécessité et à un besoin d’informer différemment. » Pour illustrer le sujet, il prend l’exemple du long feuilleton de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Notre-Dame-des-Landes et polarisation du journalisme sur l’écologie 

Le dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été particulièrement important dans la construction de la matrice du journalisme engagé sur les sujets environnementaux en France. Ce projet d’aéroport près de Nantes, déjà vieux d’une quarantaine d’années lors du plus fort de la crise entre 2012 et 2015, était alors contesté par une partie de la population, des ONG et différents élus dont ceux d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). La fin de l’année 2012 est marquée par des incidents violents entre opposants et forces de l’ordre. Des militants anticapitalistes, venus de toute la France, occupent le site rebaptisé « ZAD » (Zone à défendre.) En octobre 2012, une importante opération d’expulsion des « zadistes » est menée dans des fermes squattées. Plus d’un millier de policiers et gendarmes sont engagés pendant plusieurs semaines. Des milliers de personnes continuent de converger à Notre-Dame-des-Landes et plusieurs manifestations sont organisées. La mobilisation se poursuit ensuite jusqu’en janvier 2018, date à laquelle le projet est abandonné. La Zad est évacuée en avril 2018 mais certains occupants demeurent sur place et entrent petit à petit dans l’illégalité.

C’est dans ce contexte qu’Hervé Kempf, alors à cette époque responsable des sujets environnementaux au quotidien le Monde, quitte le journal en septembre 2013. Il affirme avoir été écarté par sa direction de la couverture du dossier car identifié comme trop « marqué », trop engagé donc. Au même moment, Hervé Kempf écrivait déjà sur son propre site internet Reporterre, des articles remettant en cause la pertinence du projet.

Remi Barroux, qui a pris la suite d’Hervé Kempf pour couvrir les sujets liés à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes décrit une situation où le journaliste se doit de rendre compte du conflit dans son ensemble : « lorsqu’il y a une évacuation militaire comme à Notre-Dame-des-Landes par exemple, mon rôle c’est de pouvoir expliquer les problématiques des zadistes mais aussi de donner les informations du gouvernement, de la préfecture ou des forces de sécurité sur place. Je ne peux pas me mettre en situation de dire que l’évacuation est une tuerie comme certains l’ont fait et ainsi risquer de perdre les informations de sources officielles » explique t-il. « À un moment donné, un média militant n’ira pas aussi loin qu’un média généraliste dans la confrontation des points de vues. Soit par volonté, parce qu’il ne veut pas avoir, ou donner accès à la thèse de ‘l’autre camp’ soit parce qu’il ne veut pas la traiter » poursuit Rémi Barroux.

Le journaliste engagé donnerait donc une information moins complète, voire imprégnée de subjectivité aux lecteurs ? Jade Lindgaard, journaliste spécialiste des question écologiques pour le site d’information Médiapart se décrit elle-même comme engagée pour la cause environnementale. En désaccord avec Rémi Barroux, elle explique : « Le journalisme ce n’est pas donner des points de vues différents mais donner la possibilité aux lecteurs de se faire leurs propres idées. Il faut intégrer le contradictoire et parler à tout le monde certes, mais ce n’est pas parce qu’on tient un point de vue intermédiaire qu’on est plus objectif ou complet. »

Journalisme et conflit écologique : la dissonance du traitement médiatique de la ZAD

Le traitement journalistique des événements de Notre-Dame-des-Landes est un véritable cas d’école. La question de la pertinence du projet de l’aéroport en elle-même n’est pas l’enjeu mais plutôt celui du traitement médiatique de la ZAD. L’ACRIMED proposait en janvier 2018 une analyse des différents traitements journalistique de l’évacuation de la ZAD et évoquait assister à cette occasion au « pire du journalisme (…) »

Si il convient d’appliquer une certaine distance critique à la lecture de ces lignes engagées elles témoignent tout de même d’une certaine homogénéité du traitement de l’évacuation de ZAD par la majorité des médias grand public en France. Cette analyse portée par L’ACRIMED intervient à un moment de l’histoire du pays où les médias sont considérés pour beaucoup comme uniquement le relais d’une parole institutionnelle, voire, policière. Beaucoup s’interrogent à ce moment précis sur la dangerosité réelle des zadistes installés à Notre-Dame-des-Landes. Par ailleurs le débat sur les violences policières nait à NDDL avant de devenir massif lors du suivi des manifestations des Gilets Jaunes en novembre 2018.

Sur les chaînes de la TNT, même constat de la part de l’ACRIMED. Le 13 décembre 2017, Le JT de France 2 évoque « une réplique ultra-violente des zadistes (…) armés de boules de pétanque hérissées de clous, de piques et de herses » tandis que BFM TV parle d’une « ZAD occupée par deux cents à trois cents personnes en état de siège permanent. » LCI sous-titre « Zadiste : Des ‘terroriste comme les autres ?’ » A l’inverse, Médiapart et Reporterre soutiennent publiquement les zadistes et leur initiative d’occupation des 1700 hectares de zones humides et de bocages où aurait pu s’installer l’aéroport. « Médiapart a été le journal le plus défenseur de la ZAD » affirme fièrement Jade Lindgaard. Selon elle, le traitement médiatique des enjeux environnementaux est constitué de deux camps : « Il y a des journalistes qui contestent le discours dominant et qui sont dans la critique et l’engagement et il y a ensuite toute une partie des journalistes qui sont le relais de la parole institutionnelle. »

Un relais parfois aveugle comme en témoigne le scandale provoqué par la publication d’un article intitulé : « Notre-Dame-des-Landes : Les photos secrètes de la ZAD » par le Journal du Dimanche le 16 décembre 2016. Celui-ci reposait uniquement sur des documents et photos envoyés par les services de gendarmerie. Sans vérifications, le journal publie ces photos et témoigne de « l’inquiétude des forces » de l’ordre alors même qu’une partie d’entre elles proviennent des réseaux sociaux. Celles-ci, non créditées, sont ensuite interprétées par le journaliste pour servir l’angle de son papier. Le service de fact checking de Libération expliquent : « (…) Si ces photos sont bien celles de la zone à défendre, il est fallacieux de dire qu’elles sont secrètes, comme l’expliquent a posteriori les journalistes. Aussi, les clichés ne montrent pas forcément ce qu’on leur fait dire. » Les décodeurs, service de fact-checking du quotidien Le Monde expliquent par ailleurs que dans la déclinaison en vidéo de l’article du JDD « le « reportage » emprunte également des photos à d’autres ressources telles que l’AFP. Ainsi, sur la vidéo qui accompagne l’article, la phrase « les tranchées et des barricades ont été installées dans le but de ralentir les forces de l’ordre » est illustrée avec une photo de l’agence Getty montrant le ruban « police » déployé lors de la mort d’une adolescente, en Angleterre et en 2012. » Par ailleurs, Pascal Ceaux, auteur de l’article polémique, précise aux Décodeurs : « Cet article n’est pas un reportage, fruit d’un déplacement (…) » 

L’objectivité journalistique : une fiction ?

Jade Lindgaard balaie l’idée d’un journalisme objectif d’un revers de la main : « je pense que l’objectivité journalistique est une fiction. Ça n’existe pas et ce n’est pas une bonne idée de croire que ça existe. » Elle justifie cette idée en citant la professeure Donna J. Haraway et ses apports à la construction de la théorie du point de vue situé :  « Ce qu’on perçoit et connait du monde est toujours biaisé par nos parcours de vie, nos situations sociales, de genres ou raciales » explique t-elle. Elle conclue sur le sujet : « On ne peut prétendre faire du journalisme en étant objectif. On peut s’approcher au mieux de la chronologie et de la description d’un événement mais ce qu’on écrira sera forcément partiel, tant dans l’interprétation que dans le choix des mots. Mais ça ne veut pas dire qu’un article et un tract militant sont la même chose. »

Pour la journaliste de Médiapart, le journaliste qui traite des enjeux environnementaux est « obligé d’être engagé » parce qu’il est aux premières loges des conséquences néfastes de l’activité humaine sur la planète. « On vit dans un monde où la pollution tue des dizaines de milliers de personnes par an rien qu’en France, où on est témoin de la disparition de centaines d’espèces et au même moment de la fonte des glaces. Quand on prend au sérieux les questions que pose l’écologie, on est logiquement amené à remettre en cause la manière dont la société fonctionne, la manière dont les décisions politiques sont prises et comment l’économie marche » explique la journaliste. 

C’est pourtant bien cette fameuse neutralité et objectivité journalistique que certains invoquent pour se protéger de la justice en France. Vincent Verzat, plus connu sur YouTube sous le pseudonyme « Partager c’est sympa » se décrit, suivant les circonstances, comme un journaliste, un « vidéaste-activiste,» ou comme un « youtuber exerçant une mission d’information. » Sa page YouTube comptabilise plusieurs centaines de milliers d’abonnés qui le suivent pour son son engagement et son militantisme en faveur des enjeux écologiques. 

Mercredi 11 septembre 2019, Vincent Verzat est jugé pour « vol en réunion »  au tribunal de Paris au coeur de l’affaire des « décrocheurs de portraits » aux côtés de 8 autres militants du mouvement Alternatiba. Les huit activistes ainsi que Vincent Verzat sont mis en cause pour une à trois actions de décrochage le 21 février dans la mairie du 5e arrondissement, et le 28 février dans les mairies des 3e et 4e arrondissements de Paris. Le fondateur de la chaîne Youtube « Partager c’est sympa » avait filmé l’une des actions et était accusé d’y avoir prit par suite à la publication de la vidéo sur youtube. Interrogé avant d’entrer dans la salle d’audience le vidéaste pense obtenir une relaxe. Il explique : « si je n’obtient pas de relaxe, cela fera un énorme précédent. Cela voudrait dire que selon la justice de notre pays, est complice d’un crime les personnes qui en rapporte l’information. Alors quoi ? Le journaliste qui rapporte des images d’une guerre, est complice de cette guerre ? »  

Comparant volontairement son activité à celle d’un journaliste durant son procès, Vincent Verzat à expliqué réaliser une « mission d’information journalistique citoyenne » en accompagnant les militants au sein des mairies décrocher les tableaux du président de la République. Son argument principal : « Juridiquement, je suis journaliste, puisque je recueille des informations, les vérifie et les rend accessibles au public, à titre régulier et rétribué. »

Une stratégie qui s’est avérée payante puis le mercredi 16 octobre 2019 le vidéaste est relaxé par le tribunal de Paris alors que les militants sont condamnés à 500 euros d’amende, décision contre laquelle ils ont fait appel. 

 

La question de l’engagement personnel des journalistes est transversale à l’ensemble des rubriques d’information et il est courant que le public s’interroge sur l’objectivité réelle des médias. Les questions d’écologie n’y échappent pas. Dans le cadre de la rédaction de cet article, une étude a été réalisée pour interroger les manières de s’informer du public sur les enjeux environnementaux. Mené fin octobre, ce questionnaire recense les réponses de 141 personnes et interroge leur rapport à l’engagement journalistique et au traitement médiatique de l’écologie. 

Comment s'informent les citoyens sur les enjeux environnementaux

L’étude s’appuie sur un profil général avec une proportion équilibrée d’hommes et de femmes avec toutefois une surreprésentation des 18-30 ans, majoritairement étudiants dans le supérieur ou actifs.

 

Pour la grande majorité d’entre-eux, l’écologie n’est pas un sujet comme les autres. En effet, plus de 75% des sondés se considèrent comme sensible aux enjeux environnementaux. 

Le profil général établit par ailleurs qu’en plus de se considérés comme sensibles, un bon nombre d’entre eux sont engagés ou militants. 29% des sondés se disent engagés pour la question environnementale, c’est le double de la proportion des français engagé dans une association en 2013 comme le rapporte Ouest France dans ses colonnes. 

L’enquête révèle par ailleurs qu’un journaliste engagé gagne en crédibilité auprès du public, sans pour autant qu’ils souhaitent que le traitement médiatique des questions écologiques perde en objectivité. Seulement 7,8% des sondés estiment qu’un journaliste engagé perd en crédibilité. Si 48,9 % sont neutres sur la question il est tout de même important de préciser que 43,3% d’entre-eux considèrent même qu’un journaliste engagé gagne en crédibilité. 

Enfin un élément confirme la tendance déjà marquée du succès nouveau des contenus audiovisuels sur l’écologie. Plus de 80% des sondés estiment qu’un contenu visuel sur l’écologie à tendance à plus les marquer. 

Un constat que partage Arnaud Ngatcha, directeur des opérations spéciales auprès de la direction générale des antennes et des programmes de France Télévisions. Par ailleurs Monsieur Ngatcha porte aussi la casquette d’adjoint en charge de l’international et de la Francophonie auprès de la Maire de Paris.

Fort d’une longue carrière dans l’éco-système des chaînes privées et publiques, l’élu explique : « Sur le service public, traiter d’écologie ce n’est pas nouveau, on le fait depuis longtemps. La nouveauté c’est qu’il y a depuis un peu plus d’un an une tendance lourde dans la programmation des chaînes et surtout des moyens supplémentaires. » Pour illustrer ses propos il prend l’exemple d’une émission sur laquelle il a directement collaboré : « L’émission pour la Terre » diffusée le mardi 15 octobre 2019. « Lorsque nous avons préparé l’émission pour la Terre, nous l’avons fait pour répondre à une attente. » explique l’élu.

Pour autant, si il y a un intérêt réel du public pour l’écologie cela ne veut pas dire que cette sensibilité suffit à convaincre les équipes de production et de programmation. « L’écologie, ça intéresse tout le monde, mais pour autant ça ne fait pas de bonnes audiences. Pour nous, c’était un pari d’en parler en ‘prime ’ ce n’est pas anodin » explique Monsieur Ngatcha. « Heureusement pour nous ça a plutôt bien marché » ajoute t-il rieur. Pour autant les audiences de la soirée du mardi 15 octobre 2019 indiquent un score « encourageant, sans plus » comme le souligne Europe 1 dans sa matinale. En effet l’émission n’a séduit « que » 2,3 millions de téléspectateurs soit 12,3% du public et se place donc quatrième de la soirée. « Faire ce genre d’émission en prime on le fait avant tout par volonté éditoriale. On sait qu’on ne fera pas forcément autant d’audience qu’avec du divertissement mais petit à petit nous mettons en place des moyens supplémentaires pour produire d’avantage de contenus portés sur l’écologie et ses enjeux. » Le spécialiste des opérations spéciales ajoute « Je ne sais pas si la télévision à plus d’impact que les réseaux sociaux mais tout cas cela permet de toucher une population différente. Tous les modes de diffusion sont bons pour l’écologie. Avec la télévision on touche une population plus âgée dont les médias se désintéressent peu à peu. »

 

L’écologie, un produit comme les autres

L’enjeu informatif sur les questions environnementales pour le secteur de la construction est de taille. Sur les 30 milliards dédiés à la transition écologique au sein du plan de relance, 7,5 milliards sont par exemple dédiés au bâtiment-logement. Clément Begat, directeur de projet au sein de l’entreprise G-ON, propose du conseil en environnement et innovation durable à destination des professionnels du bâtiment. Pour faire en sorte que ses clients intègrent les nouvelles normes écologiques ou se préparent au mieux à celles à venir il doit continuellement s’informer sur les questions environnementales et identifier rapidement les transformations à venir dont la gestation s’opèrent souvent au sein des milieux associatifs et militants. En plus de médias professionnels qui intègrent le discours scientifique et législatif sur ces questions il estime qu’informer sur les « signaux faibles » et les « tendances » à venir est une valeur ajoutée dans son travail. « Les milieux militants et associatifs sont toujours éclairants. Même si on doit « maquiller » ces informations pour les rendre plus lisibles aux professionnels du bâtiments souvent un peu bourrus et intéressés par les aspects rentabilités de la chose, on se doit de les sensibiliser » explique t-il.

Toutefois ses canaux principaux d’information sont avant tout professionnalisés. Certains médias comme Business Immo proposent un décryptage des enjeux écologiques appliqués directement aux questions qui intéressent ses clients. L’écologie ne s’exprime pas uniquement par le biais des des actions militantes ou des conflits environnementaux, parfois, elle s’intègre simplement à un contexte économique global. C’est ainsi que Business Immo propose par exemple une rubrique « Green » dans laquelle le site d’information propose par des contenus comme l’investissement dans la filière du bois ou les normes européennes en matière d’éclairage.

L’ancrage militant du journalisme environnemental

À mesure que le public s’informe et se sensibilise de plus en plus au enjeux de protection de l’environnement, ses préoccupations changent aussi. Avec elles, la manière de voter, de consommer et de percevoir l’information des citoyens changent. De la même manière que l’inclusion sociale  et ethnique sont aujourd’hui des enjeux importants pour les entreprises, l’écologie et la part de responsabilité d’une compagnie dans ses processus de production sont scrutés par le public. Il est devenu crucial pour les entreprises de présenter leur engagement écologiques sur les réseaux sociaux et dans les médias pour s’assurer l’adhésion des consommateurs et même des pouvoirs publics qui s’adaptent aux nouvelles préoccupations de leur électorat.

Arnaud Ngatcha, en sa qualité d’adjoint à la maire de Paris, explique par exemple que les grands axes du programme écologique d’Anne Hidalgo comme le traitement des déchets, les normes énergique de construction ou encore l’économie circulaire sont des sujets qui remontent des milieux militants et se traduisent dans les préoccupations de son électorat. « Les médias ne sont que le reflet de ce qui se passe dans la société. Lorsque je fais un état des lieux sur un sujet comme l’écologie, j’apprends des comportements des gens, de leur manière de consommer, de ce qu’ils souhaiteraient voir être mis en place. Ça part avant tout des citoyens et ce sont eux qui nous informent » explique l’élu. « Rien n’est statistique mais j’ai rarement appris des médias traditionnel sur ces questions. Certes, ils éclairent nos analyses mais c’est à la marge. Je dirais même que les médias sont plutôt suiveurs que prescripteurs si je m’appuie sur mon expérience chez France Télévision. »

Les militants et les associations font remonter des signaux faibles qui se traduisent petit à petit dans les préoccupations des citoyens. Ces signaux remontent ensuite de plusieurs manières aux oreilles du public. Par les travaux des associations et des militants qui sensibilisent à leur cause soit par la pédagogie, soit par les actions coups de points. Par les médias qui couvrent ces actions et les décryptent. Par les réseaux sociaux, qui une fois les contenus publiés, les relaient d’une manière plus ou moins efficace à une cible qui s’intègre dans le jeu des algorithmes de préférences.

Dans cette logique il est identifiable que les médias les plus proches des milieux militants auront donc la primeur d’une tendance et de l’expression de ces signaux faibles par les militants eux-mêmes. Pour l’adjoint à la maire de Paris « il y a ce qui est de l’ordre de la véracité scientifique et qui fait consensus dans les médias traditionnel. » Il poursuit : « Il y a ensuite les journaux qui sont en pointe sur les sujets environnementaux, plutôt identifiés progressifs de gauche, proche des milieux militants et qui s’adressent à un lectorat particulier, lui aussi de gauche et généralement urbain qui souhaite lire ces sujets. » 

Jean-Baptiste Comby, enseignant chercheur à l’université Panthéon-Assas explique dans son ouvrage Réseaux les  conditions de l’institutionnalisation du journalisme environnemental. Pour lui l’ancrage militant du journalisme environnemental est historique. Il explique que « la presse dite écologique et avec elle les premières informations environnementales dans les médias généralistes nationaux datent de la fin des années 1960. » Selon le chercheur cette émergence est « indissociable de la création des premiers mouvements associatifs de protection de la nature. » Par exemple, lors de sa création en 1969, l’Association des journalistes-écrivains pour la nature et l’environnement (JNE) « est organiquement reliée à la Fédération française des sociétés de protection de la nature. » Les JNE participeront ensuite activement à la campagne présidentielle de René Dumont, qui fût le premier candidat à une élection nationale représentant les intérêts environnementaux en 1974. Le chercheur compare « la production d’une information environnementale » à un véritable « acte de foi. » En effet les journalistes environnementaux peinent alors à assurer leur reconnaissance. Jean-Baptiste Comby explique que « pour mieux remplir et afficher leur exigence d’objectivité, les journalistes en charge de l’environnement doivent s’autonomiser des mouvements associatifs. » Ainsi, au début des années 1990, Claude-Marie Vadrot (grand reporter au Journal du Dimanche, auteur de livres sur l’environnement), alors président de la JNE décide de rompre avec l’association mère France nature environnement. En 1994, la nouvelle Association des journalistes environnementaux (AJE) demande à être titulaire d’une carte de presse, ce qui n’est pas exigé pour être membre des JNE. Tout au long des années 1990, les journalistes environnementaux travaillent à se détacher des milieux militants pour s’assurer la reconnaissance de leur professionnalisme. 

Petit à petit les journalistes environnementaux accèdent à la légitimité à mesure que les préoccupations sur l’environnement intègrent le débat public et citoyen. Dans les années 2000 le journalisme environnemental s’institutionnalise peu à peu et l’espace alloué au sujet écologiques augmente considérablement avec la création de rubriques régulières et de service dédié. Il reste que la polarisation se fait entre les journalistes environnementaux déjà présents avant les années 1990 et liés aux associations militantes et ceux qui rejoignent les rédactions une fois que les rubriques institutionnalisées existent. Jean-Baptiste Comby explique par ailleurs que cette distinction doit ensuite être affinée. En effet, « les journalistes qui se sont spécialisés par conviction (que les enjeux sont importants) se distinguent des journalistes entrés dans la rubrique par opportunité. »

C’est à ce moment qu’advient une polarisation des journalistes environnementaux entre ceux qu’on associent aux milieux militants et à la couverture des actions associatives et ceux qu’on associent aux milieux scientifiques. En effet nombre de journalistes environnementaux sont avant tout des journalistes sciences qui décryptent les rapports et le jargon des spécialistes pour le commun des mortels. L’enseignant chercheur appuie sur cette différence de la même manière que Jade Lindgaard le fait et estime que les « journalistes scientifiques dénoncent la tendance de leurs confrères de l’environnement à verser dans un traitement qu’ils jugent « militant » tandis  que des journalistes environnement peuvent à l’inverse regretter la « frilosité » de leurs confrères. »

Les journalistes science et environnement dans certains grands journaux comme Le Figaro et dans une certaine mesure Le Monde n’ont pas les mêmes rapports aux univers sociaux concernés par leur sujets. les journalistes sciences se référant plus exclusivement aux autorités scientifiques. C’est ce que Jade Lindgaard explique, interrogée à propos de la COP 21 : « Il y avait d’un côté les journalistes qui considéraient que la signature de l’accord de Paris était une étape incroyable pour la protection du climat et relayaient les paroles institutionnelles et ceux qui disaient que, certes c’est un moment important mais que ça n’allait rien changer à la quantité de gaz à effet de serre émis par les pays signataires. » Elle estime par exemple que le Guardian et le New-York Times outre atlantique ou encore Le Monde de notre côté de l’océan « n’étaient pas critique au processus » et « relayaient la parole institutionnelle sans distances critique. »

Cette « distance critique » comme le décrit Jade Lindgaard serait ainsi l’apanage des médias qui préfèrent publier une information qui en plus d’intégrer le discours scientifique proposent une couverture militante des sujets environnementaux. C’est ce traitement là que Arnaud Ngatcha perçoit comme «  à la pointe » de la couverture médiatique car il révèle une tendance sociale en plus d’une vérité scientifique qu’il estime déjà faire « consensus. » Dans cette polarisation, les grands médias nationaux comme Le Monde, Le Figaro, ou encore l’audiovisuel public et les chaînes privés ont tendance à se faire le relais d’une information scientifique que beaucoup qualifierait de neutre.

Toutefois l’apanage de l’engagement n’est pas seulement celui des médias militants. À mesure que l’information sur l’écologie vit un processus de « massification » comme le décrit Jade Lindgaard, les réseaux sociaux et les créateurs de contenus contribuent à médiatiser les actions militantes. Par ailleurs une myriade de médias indépendants fleurissent sur les réseaux sociaux, en particulier sur YouTube, et globalement sur internet, et s’emparent de la question écologique.

Certains n’hésite pas aujourd’hui à créer leur propre média et à s’affranchir des questions d’engagement ou de militantisme, ou au contraire, à les embrasser complètement. C’est le cas de José Rexach, fondateur du média indépendant HUMECO. « Je me définis comme un média alarmiste qui souhaite parler de cause que je considère comme vitales » explique le jeune homme.

Humeco existe aujourd’hui en tant qu’association et n’a pas encore le statut de média à part entière. Pour autant, José Rexach considère qu’il « n’a pas besoin de la carte de presse pour être journaliste. » « Aujourd’hui il y a plus de différence entre les journalistes et ceux qui couvrent des actions militantes en tant que vidéaste aux yeux de la police » explique t-il. Fort d’une équipe de 13 bénévoles et d’un coeur de rédacteurs de 4 personnes, Humeco compte aujourd’hui plus de 7500 followers sur Instagram. L’équipe fonctionne de la même manière qu’une rédaction classique avec des conférences de rédactions, une veille généralisée des sujets et des actions militantes et compte même dans ses rangs un secrétaire de rédaction.

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José Rexach aspire à obtenir une carte de presse mais souhaite se différencier des médias qu’ils estiment trop frileux sur les enjeux écologiques. Il résume : « si on n’est pas alarmiste, les gens ne comprennent pas l’importance de nos sujets. Il faut arriver à les toucher directement et qu’ils soient directement impactés par le sujet pour cela les touchent. Ça ne suffit pas de dévoiler l’information ou de relayer les rapport du GIEC. » Pour autant, il estime « garder de la réserve » concernant l’activisme et « respecter la charte de Munich. » Selon le fondateur d’Humeco « quand on traite d’écologie, on ne peut pas vraiment être neutre, mais pour garantir la qualité de nos articles, on se doit de garder une certaine objectivité. » Pour lui le débat se résume à l’importance structurelle de l’écologie pour le futur de nos sociétés : « L’urgence écologique nécessite que le message soit fort et militant pour responsabiliser les lecteurs. »

 

 

Thomas Coulom

Une réponse sur “Comment le journalisme environnemental s’affranchit des normes”

  1. Bonjour,

    Je suis Professeur en psychologie et sciences cognitives à l’Université d’Aix-Marseille et naturaliste de terrain engagé. Ceci expliquant cela, je vais publier cet hiver un ouvrage d’écologie politique mais à forte composante scientifique. Dans cet ouvrage « Pourquoi détruisons nous la planète ? Un cerveau d’humain peut-il préserver la Terre », j’analyse les déterminismes nombreux qui rendent très improbable à court ou moyen terme une gestion rationnelle de la crise environnementale actuelle. L’ouvrage sera préfacé par S. Bohler (en raison de la proximité de notre analyse de la situation actuelle et de la convergence des solutions que nous proposons) et par G. Bronner (nous partageons la même analyse mais proposons des solutions radicalement différentes).

    Pour réaliser ce travail, je me suis appuyé notamment sur mon expertise en psychologie et sciences cognitives, mais je m’appuie aussi beaucoup sur l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, l’économie, l’éthologie… Le livre a aussi une dimension Politique évidente tant il est difficile de faire des propositions sans référence à l’organisation politique actuelle.

    Je voulais vous en informer pensant que cela pouvait vous intéresser et si vous le souhaitez, je reprendrai contact au moment de sa publication.

    Thierry Ripoll

    Professeur
    Aix-Marseille Université
    Laboratoire de Psychologie Cognitive

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