Comment construire un journal télévisé lorsqu’il n’y a pas d’actualité ? Le cas France 3
Le journal télévisé fait partie intégrante du paysage audiovisuel français. Consacré à l’information des téléspectateurs, il permet la diffusion de sujets d’actualités dites « chaudes », fraîches, évolutives. Le manque d’actualité, ou sa fluctuation, est alors un vrai défi, notamment pour les différentes antennes France 3 en région.
« Le journal télévisé, malgré ses imperfections, fixe le cadre d’un rendez-vous quotidien de l’information, bien établi vingt ans plus tard. Mais l’originalité de la télévision, c’est d’ajouter au direct déjà développé par la radio l’émotion et le spectacle des images. » Ces propos, ce sont ceux de Christian Delporte dans son article « Quand l’info devient instantanée », publiée dans La revue des médias. Paul Beaud, lui, dans son éditorial de la revue Réseaux intitulée L’information télévisée, parle du “JT”, comme “une grand-messe quotidienne”. Avec une audience « évaluée à trente millions de téléspectateurs, soit plus de trois fois le nombre d’exemplaires vendus chaque jour par l’ensemble des quotidiens français”, le “JT” est bien un, sinon LE grand phénomène collectif de notre époque.” Ancré dans les traditions, dans les “immanquables” du paysage audiovisuel français, le journal télévisé est comparable à une institution, résultat d’une réelle construction, programmée au millimètre près,. Dans un article intitulé “Comment se fabrique le journal télévisé de France 3 Champagne-Ardenne”, la rédaction fait le récit d’une journée type au sein de l’antenne régionale ; de 8h à 19h heure de diffusion, chaque jour est entièrement dédié à l’élaboration du produit fini, toujours dans le même ordre. Le JT, c’est aussi un ensemble de contraintes techniques : c’est tout d’abord faire passer une information avec moins de mots : “le texte d’un journal télévisé de quarante minutes compte entre 6000 et 8000 mots. Par comparaison, la partie rédactionnelle d’un numéro d’un quotidien imprimé de 56 pages en format tabloïde contient environ 130 000 mots” indique Jean-Jacques Jespers dans son ouvrage Journalisme de télévision. Le JT, c’est aussi un temps de fabrication du message supérieur à celui des autres médias, et notamment la presse écrite : comme l’explique Jean-Jacques Jespers, “le journaliste du JT, lui, consacre la plus grande part de son temps d’activité à fabriquer le message diffusé”, alors que dans “la presse imprimée consacre la plus grande part de son temps de travail à la collecte de l’information et à l’élaboration du message virtuel, et une petite part seulement à la confection du message diffusé, à savoir l’écriture de son article.” Enfin, réaliser un journal télévisé, c’est aussi prendre en compte les attentes croissantes d’un public baignant dans l’information : Isabelle Dumez, dans son article intitulé « Le traitement médiatique d’évènements phare de l’actualité », mentionne « des excès médiatiques » de la part des médias, notamment télévisés, lors des attentats de janvier 2015. Et pour elle, il n’y a qu’une justification possible : « il s’agissait de répondre à la demande d’un large public derrière ses écrans, exigeant des réponses immédiates à ses questions, désirant « tout voir » et « tout de suite ». En outre, avec l’émergence des réseaux sociaux et du contenu web, le téléspectateur est informé de plus en plus rapidement. De même, « la sacro-sainte tranche 20h/20h30 est battue en brèche par l’information en continu dont LCI, I-télé ou BFMTV font figure de championnes » martèle Emmanuelle Giuliani dans son article « Le JT, de la grand-messe au confessionnal » publié dans la revue Le journal télévisé. Alors une chose est sûre, priorité à l’actualité chaude ; Marine Nadal, journaliste à France 3 Poitou-Charentes, souligne son importance : “On fonctionne à France 3 avec deux journaux par jour, il faut quotidiennement du neuf pour continuer de susciter l’intérêt des gens et la curiosité.” L’actualité chaude permet généralement “d’ouvrir le JT”, elle répond aux questions d’un public toujours plus demandeur d’instantanéité. Mais le problème réside ici : l’actualité est fluctuante, et inégale selon les territoires. En France, il existe 48 journaux télévisés France 3 pour nos 13 régions métropolitaines. Certains territoires, comme les Alpes-Maritimes, sont plus porteurs d’actualité que d’autres, et chaque espace comporte des problématiques qui lui est propre. L’actualité varie aussi selon les différentes périodes de l’année ; par exemple, on sait que l’été est généralement une période moins chargée en actualités “chaudes”, et la télévision n’échappe pas au problème du manque de sujets à traiter. Une question se pose alors : comment faire face au manque d’actualité, alors que les chaînes de télévision, et notamment France 3, ont un impératif : construire deux JT quotidiens ? Quel est l’impact du manque d’actualités à traiter sur le travail du journaliste, et sur la qualité des journaux télévisés ?
Le JT, un standard sous pression
“Moi je veux toujours un sujet de “haut de canard”, parce que c’est ce que j’ai appris, et c’est ce qui intéresse les gens. Je veux au moins un sujet de “hot news”, de périssable” déclare Caroline Lebrave, rédactrice en chef de France 3 Quercy-Rouergue à Rodez. “L’actualité, je pense que c’est l’essence même du journalisme depuis déjà bien longtemps” souligne quant à elle Marine Nadal, “ parce que les premiers journaux au début du XXeme étaient des quotidiens. C’est inhérent au métier, et à la vocation des médias”. Dans le journalisme télévisé, les reportages portant sur l’actualité dite “chaude” sont placés en début de JT, en ouverture. Considérée comme essentielle pour attirer l’attention du téléspectateur, elle est aussi plus facile à couvrir pour le journaliste. Par exemple pour un fait divers, « l’intérêt va être sur ce fait là. Tous les gens qui peuvent graviter autour de ce fait divers vont être disponibles et prêts à répondre : la justice etc… Comme tout le monde va être focalisé sur cet événement, tout le monde va avoir des choses à dire” explique la journaliste de France 3. Elle souligne une “facilité à recueillir des informations”, face à l’actualité plus “froide”. “Quand tu n’as pas d’actu chaude, il va falloir identifier quel est le sujet, rechercher les bons interlocuteurs qui ne vont pas forcément te tomber sous la main.” Si elle est plus facile à couvrir, l’actualité chaude reste difficile à retranscrire : généralement, la durée des sujets d’actualité à France 3 n’excède pas 1mn45, et pour Jean-Jacques Jespers, la répartition du temps de travail en télévision, qui donne une grande importance au “déplacement sur les lieux de tournage, à l’acquisition des rushes et à leur sélection » favorise “le conformisme, le traitement superficiel, les à peu-près, les généralisations abusives, les truismes.” Des problèmes qui remettent en question l’essence même du travail du journaliste, et qui font prendre le risque de la diffusion d’une information fausse ou biaisée.
L’actualité chaude, c’est aussi prendre le risque d’avoir recours à “des sources stéréotypées” : dans un reportage d’actualité classique, on note très souvent l’intervention de sonores de différentes natures ; il y a souvent, notamment en première position, un microtrottoir de personnes concernées (par exemple, pour un reportage sur le Don du sang, on prendra des témoignages de donneurs), une personne responsable de l’action qui peut apporter une dimension supérieure au sujet (dans le même reportage, on aura le sonore d’un(e) infirmièr(e) ou d’un(e) médecin), et enfin, une “source bureaucratique” ou “experte”: “les mandataires politiques, les experts, les entreprises, la magistrature, la police, l’administration, les appareils des organisations ou des associations…” Ici dans notre reportage, on aurait un responsable du Don du sang. Ce type de sources “ont auprès des journalistes une réputation de neutralité” selon Jean-Jacques Jespers. Le risque : basculer dans un discours stéréotypé, défini par les interprétations subjectives de ces sources. Cependant, il reste nécessaire de préciser que le journaliste, dans un souci de nuance et d’objectivité, s’efforce de choisir des sources aux discours différents, qui apportent différents points de vue au sujet. De même, il peut toujours, dans son commentaire, apporter des informations supplémentaires ou des nuances aux propos des intervenants.
Une telle construction du produit télévisé met aussi en lumière un réel besoin de choix éditoriaux : en raison du format quotidien du JT, et de temps limité, le rédacteur en chef et le chef d’édition doivent impérativement réaliser “une sélection-hiérarchisation plus restrictive que celle du journal imprimé, impliquant donc “des choix plus radicaux” : généralement : la priorité est donnée à “l’actu chaude”;
Construire un JT lorsqu’il n’y a pas d’actualité
Le manque d’actualité au quotidien, Marine Nadal le connaît. Elle a travaillé longtemps pour France 3 Limousin, à Limoges. Une région qu’elle qualifie d’assez pauvre en actualité. “Quand j’étais en Limousin, ou l’actu n’est pas très porteuse, c’était parfois un peu compliqué. On faisait souvent en fonction d’un agenda, et on allait traiter des sujets, mais pas forcément de la bonne façon. Le fait qu’il n’y ait pas d’actualité chaude nous contraignait à nous rendre à des rendez-vous que nous n’avions pas fixé” Le manque d’actualité génère un risque de traiter des informations moins dignes d’intérêt, ou qui n’auraient même pas été considérées comme envisageables s’il y avait eu de l’actualité à traiter. La journaliste de France 3 évoque notamment « des dispositifs municipaux », des réunions pour l’élaboration de projets locaux, alors même que le traitement adéquat aurait été « d’attendre sa mise en place pour aller en voir les résultats et les conséquences ». Le manque d’actualité pousse aussi, notamment dans les antennes de France 3 en région, à reprendre des sujets nationaux pour les décliner à l’échelle locale. Le problème : le manque de pertinence en fonction des différentes régions selon Marine Nadal.« C’est compliqué car on sait pertinemment qu’une actualité nationale peut avoir des répercussions différentes selon les contextes locaux. Certaines choses sont très impactantes dans certains endroits et pas du tout dans d’autres. » Finalement, le manque d’actualité est responsable d’un journal télévisé de moins bonne qualité ; les informations sont choisies par dépit, et couvertes uniquement pour pallier le manque de sujets dignes d’intérêts pouvant ouvrir le journal. Le risque est également d’extrapoler certains sujets ; »le fait qu’il n’y ait pas d’actu nous conduit à « tirer à la ligne », à aller creuser des sujets auxquels, dans un autre contexte, on n’aurait pas daigné y porter attention » déplore Marine Nadal. Laurent Gervereau, auteur de l’ouvrage Inventer l’actualité : La construction imaginaire du monde par les médias alerte alors sur le risque induit par ce type de reportage : » le danger […] demeure que la volonté de novation conduise à inventer de l’actualité, c’est-à-dire, en voulant problématiser, à forger l’évènement à partir de rien. […] à défaut de vraie actualité, ceux (les journalistes, ndlr) qui ne sont pas en vacances prient, si l’on ose dire, pour une canicule sévère ou pour une multiplication des incendies de forêts dans le Sud. » Cela vient alors questionner la déontologie journalistique : jusqu’à quel point un journaliste peut traiter un sujet, tout en gardant intacte la condition d’honnêteté qu’il doit à son public ? Doit-il continuer de traiter l’information si celle-ci n’est plus valable, ou non digne d’intérêt ?
Pour le journaliste, manquer de sujets d’actualité est aussi une difficulté supplémentaire : alors que les sujets d’actualité “chaude” sont plus faciles à couvrir en raison de la forte disponibilité des sources et de leur plus grande facilité à parler sur ces sujets, le manque d’actualité pousse le journaliste à redoubler d’imagination pour trouver des sujets à proposer en conférence de rédaction. Pour la direction aussi ; Corinne Lebrave souligne le surcroît de travail dans ces conditions. “Il faut creuser, anticiper, chercher des sujets” déclare-t-elle. De même, il est souvent nécessaire d’avoir un bon réseau local. En effet, les sujets traités à la télévision, et surtout dans les antennes de région, puisent souvent leur source dans les autres médias. « Dans l’actualité télévisuelle, ce sont les autres médias (presse imprimée, radios, chaînes concurrentes) qui guident la sélection-hiérarchisation » écrit Jean-Jacques Jespers. Mais dans les territoires où l’actualité est faible, la presse écrite et la radio sont confrontées à la même problématique que la télévision. Et alors que, selon Jean-Jacques Jespers, il est difficile pour les journalistes de proposer un sujet « dont l’inspiration n’aurait pas été puisée dans la presse imprimée ou dans la production des chaînes concurrentes » car il pourrait à priori paraître a priori « suspect aux responsables de la rédaction », Marine Nadal tempère. « On a des journalistes à la rédaction qui ont un réseau très fourni et cela ne pose aucun problème au rédacteur en chef de suivre le journaliste dans ses propositions, au contraire. Il peut proposer au téléspectateur quelque chose de différent de ce qu’il a pu lire dans le journal ou entendre à la radio. »
Pour combler le manque d’actualité, la rédaction en chef n’hésite pas à faire appel aux marronniers. Le marronnier, c’est, d’après la définition de Jean-Jacques Jespers, un « sujet, reportage ou séquences convenus, à propos d’un événement attendu et récurrent. » Certaines périodes de l’année sont plus propices à ces reportages : notamment le mois de septembre, avec la rentrée scolaire, ou les fêtes de fin d’année. Le marronnier permet à la fois de combler un manque d’actualité, mais est aussi très apprécié des directions des chaînes car il « évoque des moments et des sentiments partagés par le plus grand nombre et créé, par conséquent, des occasions de renforcer la connivence entre la chaîne et son public. » Pourtant, il engendre aussi un double risque : ne pas satisfaire le public, qui pourrait potentiellement se lasser de voir le même sujet chaque année, et le basculement dans la facilité et/ou les clichés dans la façon de traiter le sujet. A ce sujet, Marine Nadal affirme que le marronnier, bien que résultante d’une certaine facilité (pas besoin de chercher une idée de sujet, interlocuteurs potentiellement déjà interrogés les années précédentes et donc contacts établis), représente un défi pour le journaliste : « traiter les marronniers, c’est parfois compliqué car cela demande de la créativité pour faire quelque chose de nouveau. »
Une autre façon de remplir le JT lorsqu’il n’y a pas d’actualités est de faire appel aux rediffusions. Certains sujets, souvent diffusés au journal télévisé de 19h, sont reprogrammés pour celui du 12h le lendemain. Pour Corinne Lebrave, la rediffusion n’est pas la solution. “Les gens n’en peuvent plus sur France 3. Il y a des sujets que tu peux avoir plaisir à revoir, mais pour certains, quand tu les revois trois, quatre fois, qu’il n’y a pas d’images, que c’est creux, mal tourné, que c’est mal monté… au bout d’un moment, les gens voient les défauts.” Mieux vaut, selon elle, privilégier “les marbres”, ces sujets d’actualité plus ou moins chaude et gardés pour une première diffusion bien en aval du tournage. Autre solution : récupérer des sujets tournés par d’autres antennes France 3. “J’attrape des sujets à Clermont-Ferrand, ou à Brive, car ils ont des territoires ou des problématiques parfois similaires.”
Enfin, on peut se dire que la pénurie d’actualité “chaude” laisse la place aux sujets « magazine ». Les sujets de ce type, qui ont une durée généralement supérieure à 2mn, sont plutôt consacrés à des actualités « froides ». « L’absence de sujets d’actualité donne du temps à d’autres reportages » explique Marine Nadal. Cependant, on peut émettre l’hypothèse que diffuser ce type de sujets fait prendre le risque de perdre du public. L’actualité chaude est « fédératrice » : elle est « très informative », et va « concerner plus de gens » d’après la journaliste. Les sujets magazine ont souvent pour thématique des sujets plus spécifiques, parfois même « de niche » : portraits d’artistes ou d’artisans, sujets sur des loisirs spécifiques, sujets historiques… plus pointus, ils peuvent aussi être moins concernants. De même, il est nécessaire de penser à l’équilibre même du journal télévisé ; avec deux éditions par jour, celui-ci est pensé pour importer des informations le midi, susceptibles d’évoluer le soir (il n’est pas rare qu’une information soit traitée simplement par un « OFF » (images tournées le matin et commentées par le présentateur à l’antenne) accompagné d’une interview le midi, et qu’elle soit ensuite la source d’un sujet complet le soir). L’actualité “froide” d’un magazine n’est pas évolutive. Ce type de sujets ne peut donc pas occuper une place trop importante. Cela serait à l’encontre même du journal télévisé, dont le principe est d’apporter aux Français une information fraîche et constamment susceptible de changer ou d’évoluer. Enfin, le sujet magazine peut aussi être entravé par les contraintes techniques inhérentes à France 3. Généralement, les équipes mobilisées sont tenues de réaliser un reportage par jour, montage compris. Il est de plus en plus rare que les montages soient réalisés le lendemain du tournage, et un magazine nécessite généralement un temps de terrain plus long.
Il est alors plus judicieux de varier les formats. En tant que rédactrice en chef, Corinne Lebrave privilégie des sujets “à l’écriture différente”, des sujets incarnés, ou des “Trois questions à”, qui permettent aussi de renouveler le JT et amenuiser la problématique du manque d’actualité.
Des remises en question nécessaires
Alors le format du JT France 3, d’une durée d’environ vingt à vingt-cinq minutes partout en France, deux fois par jour, est-il toujours adapté ? « C’est une bonne question » note Marine Nadal, « effectivement il y a des régions où il y a trop d’actualité, et où les vingt-cinq minutes ne suffisent pas, cela pousse vraiment à des choix éditoriaux. » Raccourcir le journal télévisé dans certaines régions moins denses en actualité, pour le prolonger dans d’autres reviendrait à démanteler le format traditionnel du JT, très codifié. “Nous ne sommes pas loin de penser qu’en France, un modèle “Journal télévisé de 20 heures” s’est forgé tout au long de ces quarante dernières années et que, sous peine de perdre de l’auditoire, il est bien difficile pour une direction de chaîne d’en modifier les caractéristiques essentielles » écrit Bernard Miège dans son article ““Le service public en quête d’une conception de l’information »
Pourtant, pendant le confinement, les différentes éditions de France 3 ont été mutualisées pour former des JT « Grande région », et ce bouleversement a prouvé que le JT pouvait changer de forme. Mais « la tendance est plutôt à donner plus de temps aux régions pour parler d’elles » souligne la journaliste de France 3 Poitou-Charentes. En effet, même les journaux télévisés nationaux tendent à augmenter les sujets portés sur les initiatives locales. Le 13H de TF1, très ancré dans les différents territoires français, est le premier JT d’Europe. Le 13H de France 2 a également récemment changé de forme pour accorder plus de place aux initiatives locales françaises. De plus, faire varier les durées selon les régions reviendrait également à remettre en question l’égalité des territoires, et pourrait aussi déplaire au public.
Pour Marine Nadal, la solution est ailleurs. Et notamment dans la déconstruction de la « standardisation » inhérente à l’antenne. « On a encore beaucoup de standardisation des formats, avec des sujets qui font entre une minute quarante et une minute cinquante-cinq. Il faut d’abord travailler à donner à chaque actu le temps qu’elle mérite vraiment ». Donner à chaque information « la place qu’elle mérite » reviendrait à remettre en question la définition même d’un « sujet actu » en télévision : il a bien souvent une durée fixe, et négocier un excédent de durée est parfois nécessaire. Cela contribuerait aussi à flouter les limites entre un « sujet mag » et un « sujet actu », classifiés selon leur durée.
Une autre solution pourrait être de revoir la hiérarchie des sujets. Les sujets « sport » ou « culture » sont très souvent relégués à la fin des journaux télévisés, alors même que, comme l’affirme Marine Nadal, « un artiste qui sort un album, c’est une actu ». L’idée serait alors de permettre à des sujets, qui sont parfois considérés au même titre que des magazines alors qu’ils ont une durée inférieure, de grimper en tête du journal. Mais ce n’est pas sans risque. Corinne Lebrave souligne que “la culture n’intéresse pas tout le monde”, sauf dans des cas spécifiques, comme “un concert dans le cadre du Téléthon”. “Le journal tel qu’on le construit aujourd’hui est fait pour l’actualité, c’est du factuel, du jetable, mais c’est ce que l’on doit au téléspectateur. “
Quoi qu’il en soit, renouveler le journal télévisé apparaît comme une nécessité aujourd’hui. Non seulement pour mieux répondre à la réalité des territoires, mais aussi pour pouvoir garder une audience fidèle, voire attirer de nouveaux téléspectateurs. Le 16 novembre dernier, le quotidien Le Figaro publiait un article intitulé « Audiences : la chute inquiétante du temps passé devant la télé » : au mois d’octobre 2021, « la consommation de la télévision affiche une brusque et ample baisse » en comparaison de 2020. « Les téléspectateurs sont restés en moyenne 3h22 devant leur poste, soit 34 minutes de moins qu’à la même période en 2020 ». Si ces chiffres prennent en compte la télévision en général et non le seul temps passé devant les journaux télévisés, ils restent alarmants ; et alors que le public jeune se tourne majoritairement vers l’application Tik Tok pour regarder des contenus télévisés… la pression subie par le format JT pour rester dans la course face aux nouveaux médias est grandissante.