Le format témoignage sur les réseaux sociaux : quand journalisme rime avec viralité
Sur Facebook ou Twitter, ils sont omniprésents et cumulent parfois des millions de vues. Les témoignages à la première personne, diffusés sous forme de vidéo, sont la marque de fabrique de plusieurs médias en ligne, à l’instar de Brut, Konbini ou Loopsider. Faciles et rapides à produire, leur potentiel viral pousse certains titres traditionnels à s’y mettre. Mais cette quête du clic ne pousserait-elle pas à s’affranchir de quelques règles déontologiques ?
Plantés au milieu d’un décor neutre, micro-cravate fixé sur le col, ils rembobinent un bout de leur histoire face caméra, sous les lumières des projecteurs. Les sujets sont variés, souvent tabous, parfois choquants. “J’ai été victime de harcèlement scolaire”, “Avorter face au jugement des autres”, “Vivre avec la schizophrénie »… La recette, toujours la même, semble fonctionner, puisque ces tranches de vie cumulent parfois plusieurs millions de vues sur le réseau social Facebook. Brut, Loopsider ou encore Konbini, sites d’information 100% numériques, démocratisent peu à peu cette façon de fabriquer l’information.
Ces récits, qui tiennent en une poignée de minutes, mettent en lumière la réalité d’individus, souvent à travers des thèmes peu abordés par les médias traditionnels. Il s’agit parfois d’histoires insolites, de cas isolés. Mais la plupart du temps, ces témoignages individuels s’inscrivent dans un phénomène plus large, et permettent de lever le voile sur des problématiques communes.
La cible principale ? Les 18-34 ans, ces “digital natives”, « enfants du numérique » en français. Le terme désigne les personnes ayant grandi au moment de l’explosion du web. Selon un sondage publié par Ifop en 2019, internet et les réseaux sociaux constituent la principale source d’information de cette tranche d’âge.
Une information simplifiée et adaptée aux réseaux sociaux
“Mon hypothèse est que ceux qui vont voir ces vidéos, pour une partie, ne trouvent pas satisfaction dans le traitement des médias traditionnels. Soit ils ne parlent pas, soit ils parlent assez mal de certaines parties de la population. Ils ne se retrouvent donc pas dans la façon dont on parle d’eux”, formule Luc Chatel, ancien journaliste désormais enseignant en critique des médias à Sciences-Po Lyon.
D’autant que leur contenu est parfaitement adapté au fonctionnement des réseaux sociaux, tant sur la forme que sur le fond. Sur Facebook, Instagram ou Twitter, l’utilisateur passe frénétiquement d’une publication à l’autre. Proposer des sujets clivants ou qui suscitent l’émotion, et ce en un temps très court, est presque nécessaire pour capter son attention. Il permet ensuite de provoquer de « l’engagement », qui se manifeste à coup de « j’aime », de partages ou de commentaires.
Dans son livre Journalistes 2.0, Linda Be Diaf explique que la tendance à faire passer le « slow journalism » (le temps long, l’enquête) au second plan répond au souci de s’adapter aux exigences des nouveaux modes de consommation numérique.
Autre raison de leur succès, selon le sociologue des médias Jean-Marie Charon : ces témoignages ressemblent, d’une certaine façon, aux contenus publiés par les utilisateurs de ces plateformes. ”Le réseau social en lui-même, son contenu par excellence c’est quand même le témoignage, fait par des non journalistes, des personnes qui s’expriment. Intuitivement, j’aurais tendance à penser que c’est le fait qu’on se rapproche de très près, en termes de contenu journalistique, de la forme qui est précisément la plus utilisée sur ce support.”
Mais lorsqu’ils privilégient ce format journalistique, qui porte une parole unique et condensée, les médias ont souvent tendance à laisser de côté le contradictoire, ou tout du moins la nuance et la contextualisation. Au risque de parfois tomber dans une simplification excessive de l’information, et de ne pas donner suffisamment de clés de compréhension au public.