En 2020, la jeunesse asiatique de France se libère

En 2020, la jeunesse asiatique de France se libère

En 2020, la jeunesse asiatique de France se libère

28 mai 2020

Ostracisés avec l’apparition du Covid-19 , la communauté asiatique a fait les frais d’une montée des attaques xénophobes et racistes à son encontre. De ces violences sont nées des actions de sensibilisation et de mobilisation anti-raciste à l’initiative de jeunes représentants des communautés asiatiques. Cette mobilisation virale marque un tournant dans la quête de visibilité d’une communauté réputée invisible. 

 

 

 

Discrets, riches, travailleurs… Voilà une image qui colle à la peau de la communauté asiatique dans l’imaginaire galvaudé de certains. Souvent considérées comme un modèle d’immigration et d’intégration, les communautés asiatiques sont peu visibles dans les médias français. Récit du réveil d’une nouvelle génération qui a su libérer sa parole. 

Ostracisés avec le développement du Covid-19 à Wuhan en Chine, la communauté asiatique a fait les frais d’une montée des attaques xénophobes et racistes à son encontre. De ces violences sont nées des actions de sensibilisation et de mobilisation anti-raciste à l’initiative de jeunes représentants des communautés asiatiques. Cette mobilisation virale marque un tournant dans la quête de visibilité d’une communauté réputée invisible.

Pour Flora Maïno, responsable médias et communication de l’AJCF (Association des Jeunes Chinois de France), la réaction forte des jeunes membres de la communauté asiatique en France illustre un tournant historique dans les mentalités des immigrés d’origines asiatique sur le territoire aujourd’hui.

« Depuis 2016 on avait déjà observé une libéralisation de la parole des communautés asiatiques en France, mais avec les mobilisations liées au coronavirus ça a explosé » décrit la jeune activiste. Plus criant encore, la responsable associative explique qu’aujourd’hui les institutions publiques « ouvrent grand les portes des départements ministériels » pour rencontrer les associations qui puissent représenter les  communautés franco-asiatiques.

Atelier de débat sur l’identité Franco-Chinoise – crédit photo : AJCF

 

Dernière proposition en date, le cabinet ministériel de l’éducation nationale aurait demandé à L’AJCF de participer à la création des manuels historiques pour faire de la prévention racisme selon-elle. Du haut de ses 27 ans, Flora Maïno prend du recul sur la situation : « Oui il y a du racisme. Mais avec cette réaction médiatique, on a aussi eu la sensation que la nouvelle génération était enfin visible. » 

Une gestion de crise en cinq étapes 

 

Lorsque les appels à la haine s’accumulent sur les réseaux sociaux Flora Maïno décide de prendre les choses en main avec son équipe : 

  1. L’AJCF s’approprie en premier lieu un hashtag qui buzz sur les réseaux sociaux : « JeNeSuisPasUnVirus. » Créé à l’origine par une jeune fille d’origine coréenne, Flora Maïno décide d’amplifier ce hashtag et le fait circuler à de nombreux membres de la communauté franco-chinoise. L’association recueille les témoignages des victimes de racisme.
  2. L’équipe de Flora Maïno se charge ensuite de lever le voile et de condamner le racisme lattant de certains comptes sur les réseaux sociaux. Dans le même temps l’AJCF met l’accent sur la une décriée du courrier picard intitulé « Alerte Jaune. »
  3. C’est que la responsable associative appelle la phase de « debunkage. » Elle et ses équipes rappellent la situation réelle à Wuhan en s’appuyant sur les données scientifiques. Il s’agit pour eux d’apaiser la situation et la psychose qui entoure les communautés asiatiques en France.
  4. Grâce à la traction gagnée par les nombreuses réactions anti-raciste et les messages de soutient aux asiatiques de France, l’association cherche à donner la parole à ses représentants et à lever le voile sur l’identité asiatique. Il s’agit par exemple de monter l’impact économique que le racisme anti-asiatique à eu sur les restaurants ou les tabacs tenus par des asiatiques.
  5. Dans les bureaux de l’association Flora Maïno et son équipe s’affairent pour créer des vocations chez les jeunes asiatiques, il s’agit de faire de cette crise une victoire pour eux en poussant la nouvelle génération à s’exprimer librement sur leur conditions de vie en France. 

 

Thomas Coulom 

Les États-Unis comme modèle, la France dans le coeur 

Les jeunes générations de descendance asiatique peinent encore à trouver des modèles dans la société civile, les médias ou la politique. « On manque de modèles en France. On peut citer Frédéric Chau ou Grace Ly évidemment mais ça ne montre qu’une seule facette de nos communautés » explique la jeune femme. Comme beaucoup de ses amis, pour trouver des modèles, Flora Maïno tourne son regard en direction des États-Unis : « Là bas il y a des femmes et des hommes politiques, des acteurs ou même des humoristes asiatiques et ce sont des modèles de réussite pour tous, aussi bien pour les asiatiques que pour les noirs ou les blancs. On en voit les prémices aujourd’hui en France mais on est bien loin d’avoir de tels exemples. »

Aux États-Unis, où les statistiques ethniques sont légales, il est vrai que la communauté américano-asiatique est le groupe ethnique qui grandit le plus depuis 10 ans, devant les hispaniques ou les africains-américains. Outre-Atlantique, le nombre de membres du congrès américano-asiatique a triplé en dix ans, tandis que sur les réseaux sociaux, les très nombreuses campagnes de sensibilisations anti-racistes ont permis une meilleure visibilité de la population asiatique aux États-Unis. Dans le même temps, grâce à la démocratisation des outils digitaux, de nombreux médias américano-asiatiques ont vu le jour comme « Angry Asian Man, » « 8Asians, » ou  « Reappropriate. »

Ces nouveaux médias permettent aux jeunes asiatiques des États- Unis de trouver une représentation de leurs communautés dans la vie publique. En réponse à cette demande, des médias américains comme le Huffington Post et NBC lancèrent respectivement « HuffPost Asian Voices » et « NBC Asian America. » Si ils sont nombreux à espérer que la France prenne exemple sur les Etats-Unis en terme de représentativité des communautés asiatiques, les membres fondateurs de l’AJC sont fiers de leur esprit français.

Rui, 32 ans, décrit les sentiment qu’il a vécu lors des grandes manifestations de 2017 consécutives à la mort de Lui Shaoyo dans le 19ème arrondissement de Paris : « Mais par-dessus tout c’est cet esprit révolutionnaire, qui fait de moi un Français. Dans la culture chinoise, l’éducation met l’accent sur l’obéissance, le respect des ainés et de la hiérarchie en général. En France, c’est tout le contraire. Vous êtes intégrés dès l’instant où vous vous sentez à même de critiquer, surtout si la critique porte sur l’État ou le gouvernement. Il s’agit d’une particularité typiquement française, presque d’une maladie, je dirais ! Dans ce pays, nous sommes Français, il nous est demandé de l’être, et cela requiert une mentalité très spéciale. Je pense que mon mode de pensée définit ce qu’est un Français : je crois fermement que le gouvernement peut toujours, toujours, être changé. Je crois à la puissance de la révolution pour changer nos vies. »

Un moment charnière

Ces dernières années, la représentation dans les médias, la politique, la culture ou encore dans les milieux associatifs de personnes issues des communautés asiatiques a tout de même grandi. Pour Simeng Wang, chargée de recherche au CNRS et auteure du livre Illusions et souffrances. Les migrants chinois à Paris (Éditions rue d’Ulm, 2017) les jeunes générations franco- asiatiques sont au coeur d’un moment clé pour la question de la visibilité dans la société française : « Ce qu’on observe c’est avant tout un tournant générationnel. Les descendants de migrants de deuxième et de troisième générations arrivent à un âge où ils ont atteint une maturité sociale. Avec cette situation ils accèdent à un capitale économique, culturel et social supérieur et donc à des moyens d’expression plus étendus. À cela s’ajoute un accès grandissant aux postes décisionnaires et une dilution accrue des 3ème générations de descendants dans l’ensemble des pans de la société civile. »

Toutefois, selon Simeng Weng, la dilution de la communauté asiatique peine à avancer dans certains corps de métier cruciaux pour « rendre visibles » les asiatiques de France. La chercheuse explique que « concernant les métiers qui s’appuient sur la parole, la production intellectuelle ou l’écriture il y a relativement peu de personnes d’origines asiatiques représentées. » D’après la spécialiste il est possible de « compter sur les doigts d’une main les journalistes connus d’origines asiatiques. » En effet de notre côté de l’océan Atlantique, le magazine bimensuel « Koï » dédié aux cultures asiatiques lancé en septembre 2017 est l’unique média français qui peut se targuer de parler directement aux communautés asiatiques dans l’hexagone. Ce manque de représentativité est « lié au modèle français qui privilégie l’intégration et la réunion des particularismes au sein du modèle républicain » pour la chercheuse.

Des nouveaux acteurs politiques 

Elle rend le même constat concernant l’arène politique ou parmi les députés ou les membres du gouvernement « il n’y en a que très peu issus des communautés asiatiques. » Une tendance qui commence à changer peu à peu grâce à de jeunes acteurs issus des communautés asiatiques de France de plus en plus impliqués dans les rouages politique du pays. Darivath mey est l’un de ces nouveaux acteurs. Assis à la terrasse d’un café parisien du second arrondissement il sirote un Old Fashion entre deux textos sur son smart-phone. La figure élancée, costume et cravate noir au cou, ce jeune conseiller municipal à La Verrière, dans les Yvelines, incarne cette nouvelle génération libérée des pressions parentales et prête à prendre la parole. Issu de seconde génération d’immigrés, il garde un oeil critique sur la question de la représentation des populations asiatiques en politique : « On ne se sent pas du tout représentés certes, mais la question est de savoir si cela serait utile ? Dans un cas cela permettrait une meilleure reconnaissance de nos cultures mais de l’autre côté, on doit éviter les bulles communautaires et l’effet de repli sur soi. » Le vrai problème de la quête de représentativité des franco-asiatiques selon lui réside dans le manque d’actions.   « Nous sommes uniquement dans la réaction. Sans le racisme et cette réaction au racisme il n’y aurait pas eu ce réveil. Très peu de jeunes franco-asiatiques prennent habituellement la parole pour parler de leur communauté. »

Ce manque de représentativité n’est un problème pour tous. Au contraire pour certains comme Alexandre Nguyen, lycéen en classe de première et issu de la 3ème génération d’immigrés venus d’Indochine, la question ne se pose pas : « Je suis contre les communautarismes, quelqu’ils soient. Mes modèles, je peux les trouver dans des personnalités qui ne me ressemblent pas » décrit le jeune homme. Engagé politiquement et militant syndiqué au sein de l’UNI (Union nationale inter-universitaire) Alexandre Nguyen doit pourtant faire face aux discriminations. Si du haut de ses 17 ans il ne s’inquiète pas plus que cela du manque de représentation de sa communauté sur le plan politique, il se bat en revanche pour une reconnaissance égale de ses compétences : « Certains sous-entendent que parce que je suis asiatique je n’ai rien à faire en politique. Je trouve ça aberrant parce que je me sens totalement français et que j’ai autant mon mot à dire qu’un autre. »

Miser sur la culture pour gagner en visibilité 

Une situation symbolique de ce que nombreux franco-asiatique vivent en France d’après les responsables de l’AJCF. « Le système français refuse de reconnaitre les particularismes communautaires tout en peinant à combattre les discriminations. Nous sommes nombreux à être coincés entre notre identité pleinement française et une identité asiatique vers laquelle on nous renvoie qu’on le veuille ou non » explique Flora Maïno. Une chose est sûre, leur quête de représentativité est réelle. Les débuts de la pandémie et les réactions de ses jeunes franco-asiatiques face à la montée du racisme ambiant à leur encontre à prouver leur capacité à se faire entendre, globalement et avec force. La clé de voute d’une meilleure visibilité des asiatiques en France ? « La construction d’un plus grand capital culturel et social » explique Simeng Weng. Selon l’écrivaine « Les secondes générations participent de plus en plus à ce processus aujourd’hui et les troisièmes générations aussi, mais de manière inconsciente. » Elle détaille : « Pour que ce changement s’opère dans la société les descendants asiatiques ne  doivent plus seulement s’orienter vers des carrières dites  « commerciales » ou orientées  « business » sinon la situation ne changera jamais. Ça ne fera que renforcer les stéréotypes et enfermer la communauté sur elle-même. Le capital économique seul ne suffit pas à donner de la visibilité à une communauté. »

Thomas Coulom

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