Les reporters, eux aussi en première ligne face au Covid-19
Pour couvrir la crise sanitaire et continuer d’informer au mieux les Français, les journalistes de terrain ont dû s’adapter aux contraintes liées au confinement et à l’épidémie de Covid-19. Comment travaillent-ils tout en se protégeant du virus ? Explications.
Pendant le confinement, les Français ont massivement regardé la télévision – 4h29 en moyenne chaque jour au mois de mars selon une étude – et en particulier les journaux télévisés et les chaînes d’information en continu, qui ont atteint des records d’audience grâce aux éditions spéciales liées au coronavirus. Dans ce contexte, les reporters de télévision ont dû respecter plusieurs règles sanitaires pour continuer d’exercer leur profession.
Des conditions inédites
Pour continuer à faire vivre l’actualité au plus près du terrain, les reporters ont dû appliquer dès le début de l’épidémie les mesures classiques qui concernent l’ensemble de la population : port du masque obligatoire, distanciation physique et utilisation du gel hydroalcoolique pour se laver les mains. De nouveaux outils ont été ajoutés pour faciliter leur travail.
« La rédaction nous a demandé de rester à un ou deux mètres de distance des gens, de faire des interviews avec une perche et de mettre une charlotte sur le micro », explique Josselin Debraux, journaliste rédacteur à France Télévisions. Dans cette vidéo publiée par LCI, une équipe de reporters montre comment les journalistes travaillent sur le terrain.
Les comportements au sein des rédactions ont aussi évolué. « Très vite, les gens ont arrêté de se serrer la main et de se faire la bise », indique Anne-Lise Rupprecht, rédactrice en chef adjointe de BFM-TV. L’organisation a été largement repensée au sein de la chaîne d’information en continu. Désormais, des équipes ont été constituées, et les reporters partent sur le terrain avec les mêmes JRI (journalistes reporters d’images).
« Si l’un d’eux est malade, ça ne met en jeu qu’un binôme et cela évite la transmission du virus », précise-t-elle. Avec l’apparition des premiers foyers de contamination, notamment en Lombardie ou dans l’Oise, les reporters qui sont allés sur place ont été mis en quatorzaine dès leur retour à Paris.
Désormais, il y a plus de souplesse, et les reporters n’ont plus l’obligation d’être présents à la rédaction. Les JRI peuvent exceptionnellement garder leur matériel de tournage chez eux pour ne pas avoir à passer au siège. « Ils ont chacun leur micro main et leur micro cravate qu’ils vont installer eux-mêmes. Ils mettent du cellophane dessus et ils le changent après chaque interview », ajoute Anne-Lise Rupprecht.
La chaîne du groupe Altice a aussi demandé à ses équipes de ne plus faire d’interviews à la volée en direct. Les reporters doivent discuter en amont avec les personnes interviewées, pour limiter les situations de danger.
Quant aux masques, ils sont devenus indispensables. « Les reporters sont masqués quand ils font leur direct et quand ils sont dans transports », ajoute la journaliste. A la rédaction, le port du masque n’est pas obligatoire, mais il est réservé en priorité à ceux qui partent sur le terrain.
Des autorisations de tournage difficiles à obtenir dans les hôpitaux
Pourtant, au début du confinement, les rédactions n’ont pas reçu le matériel nécessaire tout de suite. « La direction ne nous a pas donné de mode d’emploi. Il n’y avait pas 50 000 masques à disposition. Tout le monde n’avait pas de perches pour interviewer des personnes à deux mètres. Tout est arrivé au fur et à mesure », tempère François-Xavier Ménage, grand reporter pour TF1.
La crise sanitaire a également rendu l’accès à certains endroits plus compliqué que d’habitude pour les journalistes. Pendant plusieurs semaines, les hôpitaux n’ont laissé entrer aucune caméra de télévision. L’assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a mis beaucoup de temps avant d’ouvrir ses portes. Les autorisations de tournage ont été difficiles à obtenir, d’autant plus que la capitale est en zone rouge et que ses hôpitaux sont parmi les plus sollicités de France.
Pour contourner ce problème, France Télévisions a essentiellement envoyé des équipes en région pour filmer dans les hôpitaux moins sollicités, en attendant les autorisations de l’AP-HP. « On peut comprendre cette décision, mais c’est typiquement l’endroit où on a envie d’être en ce moment », explique Josselin Debraux. Un avis partagé par son confrère de TF1, François-Xavier Ménage. « On n’est pas là pour gueuler, on sait que le personnel a autre chose à faire. Mais les images ont manqué car on ne comprenait pas très bien ce qui se passait, et l’urgence qu’il y avait à l’intérieur des hôpitaux ».
Un dilemme entre l'adrénaline et la peur
Au plus fort de la crise sanitaire, les reporters pouvaient-ils refuser de travailler ? Ont-ils eu le choix de partir ou non sur le terrain ? Pour Anne-Lise Rupprecht de BFM-TV, la réponse est sans équivoque. « Un reporter a évidemment le choix de travailler. S’il dit non, on ne peut pas le forcer ». Selon elle, quand les équipes sont allées en Lombardie au moment où la crise a éclaté, tout s’est fait sur la base du volontariat.
« A l’époque de Fukushima, les reporters qui sont partis au Japon étaient tous volontaires. Quand la santé est en jeu, le reporter a le droit de dire non je ne pars pas ». Un exemple qui s’applique également aux reporters de guerre, qui mettent leur vie en danger en couvrant l’actualité dans les pays du Moyen Orient. Même chose du côté de TF1, selon François-Xavier Ménage. « Bien sûr qu’on a le droit de dire non. J’ai des collègues à qui ont refusé d’aller sur le terrain pour des raisons personnelles ou bien parce qu’il y avait dans leur entourage des personnes fragiles qu’ils ne voulaient pas contaminer ».
Aucune pression non plus de la part de France Télévisions. Le discours du groupe audiovisuel public se résume à cette phrase. « Si vous ne voulez pas y aller, n’y allez pas. On trouvera quelqu’un pour partir à votre place ». Josselin Debraux se souvient d’un collègue concerné par cette situation. « On lui a proposé de partir dans l’Oise. La semaine d’après, il était en vacances et allait voir ses grands-parents, donc il a refusé. Il ne voulait pas ramener le virus et le transmettre à ses proches ».
Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Pour Josselin Debraux, il est difficile pour les salariés embauchés en CDD de refuser de partir et de dire non. Le journaliste de France Télévisions explique que globalement, les personnes en CDD font ce que les autres n’ont pas envie de faire, et se sentent forcées d’aller couvrir une actualité plus périlleuse qu’une autre.
« Il y a une pression naturelle qui n’est pas bonne. Si un reporter en CDD dit non, il sait au fond de lui que ce n’est pas forcément bon pour sa carrière ». En revanche, les personnes asthmatiques en contrat à durée déterminée n’ont pas été envoyées sur le terrain pendant cette période et ont fait des sujets desk (montage et commentaire avec des images d’agences) depuis la rédaction.
Vivre l’histoire là où elle se passe
Ceux qui ont décidé de partir l’ont fait de leur plein gré, pour être au cœur de l’actualité. C’est le cas de François-Xavier Ménage. « Journalistiquement, c’est une matière première incroyable. Traiter un virus comme celui-ci avec les rues de Paris vides, avec des problématiques de plus en plus nombreuses chaque jour, et avec des conséquences qu’on commence à comprendre maintenant, c’est très excitant », indique le grand reporter de TF1, en précisant que même si cette actualité est riche car elle fournit beaucoup de matière, elle n’en reste pas moins triste.
Si les journalistes partent malgré les risques, c’est pour l’adrénaline. « Quand vous êtes journaliste, vous avez envie de vivre l’histoire là où elle se passe », témoigne Anne-Lise Rupprecht qui gère au quotidien des équipes de reporters. Selon elle, c’est le ratio entre l’adrénaline et la peur qui fait que l’on part ou que l’on reste. « Quand la peur l’emporte sur l’excitation, vous ne partez plus ».
C’est aussi dans ces moments-là que certains journalistes vivent des moments uniques dans leur carrière. Le correspondant de France Télévisions en Chine, Arnauld Miguet, a été le premier à approcher la maladie en allant à Wuhan, au cœur de l’épidémie.
« Il est resté là-bas alors que tout le monde était rapatrié », raconte Josselin Debraux. « Ça a été son choix de journaliste et d’homme de rester sur place parce qu’il y avait beaucoup de choses à dire et à traiter ». Le journaliste est resté plusieurs mois à Wuhan sans voir personne, et a dû respecter le confinement. « Je pense qu’il pourrait gagner un prix parce qu’il a été longtemps le seul journaliste européen sur place », poursuit son collègue.
Vers un retour à la normale ?
Pendant le confinement, les journalistes se sont débrouillés pour alimenter leurs journaux télévisés, notamment en demandant aux gens de se filmer eux-mêmes lorsqu’ils ne pouvaient pas tourner. Du côté de France Télévisions, les interviews via Skype ont été privilégiées pour éviter les contacts physiques. Une solution que l’on retrouve dans les JT traditionnels, sur les chaînes d’information en continu, mais qui n’est pas tenable à long terme selon Josselin Debraux. « Je ne crois pas que ce soit très beau pour le téléspéctateur d’avoir l’image d’une bibliothèque ou d’un fond blanc quand quelqu’un prend la parole ».
Autre tendance apparue pendant le confinement : les directs depuis chez soi. Dans le 20 heures de France 2 par exemple, la rubrique vrai-faux met en scène un journaliste qui débusque les fake news en se filmant chez lui sur son canapé. Et les correspondants font parfois des duplex depuis leur balcon. Pour François-Xavier Ménage, cette pratique ne peut pas se généraliser.
« La qualité d’image n’est pas incroyable, et on apporte moins d’informations quand on est sur son balcon que quand on est devant une place à Rome où il n’y a plus personne parce que la ville est confinée ». Selon lui, ces nouvelles pratiques sont justifiées pour des raisons de sécurité, mais « dès l’instant où le virus disparaîtra, on reviendra à une forme classique » parce qu’il y a une prime à l’image dans les grands rendez-vous d’information, en particulier sur TF1 et France 2.
Moins de journalistes donc moins de reportages
A cause du Covid-19, France Télévisions a réduit ses effectifs et a eu recours au télétravail. « Il y a beaucoup moins de journalistes qu’avant de début de l’épidémie », explique Josselin Debraux. Le service enquêtes et reportages est passé de seize à six ou huit personnes, et plusieurs CDD n’ont pas été renouvelés. Résultat : moins de reportages car moins de journalistes sur place.
L’autre limite, c’est aussi le risque d’attraper le virus. D’après un document que nous nous sommes procuré, France Télévisions recensait, lundi 25 mai, 273 cas diagnostiqués de Covid-19 depuis le début de la crise sanitaire. Josselin Debraux entre dans les statistiques. « J’ai eu tous les symptômes classiques un peu avant le début du confinement, fièvre, toux, frissons ».
Le journaliste a été mis en quarantaine et a repris le travail trois semaines plus tard. Selon lui, cela est dû au fait que les journalistes ne savaient pas bien se protéger au départ. « Les règles n’étaient pas très claires et ceux qui partaient ne respectaient pas forcément les mesures barrières ». Des mesures qui aujourd’hui sont appliquées sans problème.
Avec des indicateurs plutôt favorables et la circulation du virus qui reste faible, les journalistes espérent un retour à la normale au plus vite. Mais pour l’instant, c’est toujours l’incertitude. Josselin Debraux l’avoue, il ne sait pas si la façon de travailler des journalistes sera la même après la fin de la crise. En attendant, à France Télévisions, « les mesures exceptionnelles devraient durer jusqu’à la fin du mois de juin », conclut-il.
Alexandre Cool