Les épouses du Christ, une vocation inconnue
Elles vivent parmi nous et pourtant sont promises au Ciel. Les vierges consacrées, “épouses mystiques du Christ”, ont choisi le célibat pour accorder plus de temps à la prière et au service des autres, tout en conservant leur travail. Un choix de vie religieuse, active et solitaire, méconnu du grand public.
« C’était le soir de mes 24 ans, la veille de Pâques, deux mots sont apparus en lettres de feu dans mon esprit, se rappelle Marie*, 30 ans, des étoiles dans les yeux. Le lendemain, j’ai tapé ces mots sur internet : célibat consacré. » Telle est la manière dont cette employée dans une agence de communication parisienne a reçu son « appel », le moment où Dieu enjoint une personne à lui consacrer sa vie selon les croyants. Une surprise totale pour la jeune catholique : « Avant ce jour-là, j’étais sûre et certaine de vouloir me marier avec un homme en chair et en os. » Cette révélation a bouleversé tous ses plans et fait naître en elle un désir de célibat en tant que vierge consacrée.
Remontant aux toutes premières heures du christianisme, cette forme de vie religieuse est peu codifiée par l’Eglise catholique. Les vierges consacrées n’ont pas de mission spécifique, si ce n’est d’être des témoins vivantes de l’amour de Dieu sur terre. Elles s’engagent à un rythme de prières régulier. Elles font vœux de virginité et de célibat pour se consacrer toute entière au Christ, notamment à travers le service aux autres et à l’Église diocésaine. Selon l’Ordre des vierges consacrées, elles seraient près de 4 000 dans le monde, dont 600 en France.
Investies « dans le monde »
Contrairement aux religieuses, qui vivent à l’écart dans une communauté, les vierges consacrées vivent « dans le monde », c’est-à-dire au sein de la société civile. Elles exercent un métier et sont financièrement indépendantes. Pharmacienne, juriste, cantinière, étudiante ou retraitée, les parcours de ces femmes sont très différents. Aucun signe visible ne les différencie des autres femmes, une particularité qui a plu à Marie. « Quand j’ai reçu cet appel, j’ai eu d’abord très peur. Je n’avais pas du tout envie d’être religieuse, mais je me suis dit : “Calme-toi, si c’est Dieu qui t’appelle, il veut te rendre heureuse où que tu sois”. Ça a été une immense joie pour moi de découvrir en fouillant sur internet qu’il existait une vocation qui permettait de rester dans mon environnement habituel, avec mes amis, mes parents, mes collègues… »
Le soir de son appel, ce fut pour elle un grand soulagement. « J’ai réalisé que la voix du mariage était trop étroite pour moi. Je voulais avoir le cœur libre pour pouvoir annoncer à tous ceux qui m’entourent l’amour fou du Christ pour chacun d’eux, exprime Marie dont l’enthousiasme se lit dans ces grands gestes. Toutes mes errances amoureuses précédentes ont pris un sens. » La jeune femme n’a en effet jamais connu d’amour réciproque.
La nouvelle de cette vocation n’est pas toujours facile à recevoir pour les concernées, ni à comprendre pour leur entourage. « Pendant les trois premières années de cheminement, je n’en avais parlé qu’à quelques personnes très proches, confie Stéphanie, kinésithérapeute lilloise de 36 ans, consacrée depuis un an. Ce n’est qu’une fois le choix posé que je l’ai dit à mes parents. Ça leur a fait l’effet d’un seau d’eau sur la tête. Tout comme mes frères et sœurs, ils sont très heureux dans leur mariage et ils souhaitaient la même chose pour moi. Il leur a fallu un certain temps avant qu’ils me soutiennent. » C’est en 2013, à la suite d’un pèlerinage en Terre-Sainte, que le désir s’est progressivement imposé en elle. Comme Marie, c’est en cherchant sur internet qu’elle a découvert cette forme de vie consacrée qui correspondait à ses aspirations. « C’est une vocation très mal connue. On dit que c’est une voie de vieilles filles qui ne trouvent pas leur place. Ce n’est pas vrai, moi j’ai vraiment posé un choix. »
Cet engagement laisse davantage de temps pour se consacrer aux gens qu’elles rencontrent. « Ne pas avoir de mari ni d’enfant permet d’être d’autant plus disponible pour les autres, explique Stéphanie d’un ton enjoué. Je suis avec eux, pour eux, sans autre chose en tête. Je suis toute donnée à Dieu pour être donnée aux autres. Je suis faite pour être dans le monde, en totale autonomie, les mains dans le cambouis. » La plupart de ces femmes ont fait le choix d’exercer un métier dans le social, répondant à leur désir de servir les autres. Cependant, leur vocation reste généralement cachée. “ Je ne veux pas que le fait que je sois consacrée interfère dans mes relations au travail, affirme posément la Lilloise. Mes collègues le savent et même s’ils rejettent l’Église, ils ont une certaine curiosité. Je ne porte aucun signe visible et je ne parle pas de ma foi à mes patients pour rester très ouverte. Mais je les soigne et je prie pour eux.”
Un amour transcendant
Pour ces femmes, être consacrée a l’avantage d’abolir toute relation de séduction avec les hommes. Déjà engagées dans une union indéfectible, les relations sont alors sans ambiguïté. Une simplicité à laquelle Isabelle, 28 ans, étudiante parisienne en théologie, s’était habituée lorsqu’elle pensait encore devenir vierge consacrée. « Mon cœur était formaté à la vie consacrée, à aimer les autres à part égale. Avant, j’abordais les garçons sans enjeux, il n’y avait pas de portes ouvertes pour une hypothétique vie de couple. C’était sans ambiguïté, gratuit. Je pouvais faire des compliments facilement sans que ce soit mal interprété. »
L’engagement au célibat permet aussi d’éviter d’éventuels malentendus avec d’autres femmes selon Laurence, 56 ans. “Dire que je suis consacrée au Seigneur aide à tisser des relations, notamment avec les couples car la jalousie des femmes n’est jamais loin. Le fait d’être engagée me permet d’être beaucoup plus libre dans les relations qu’avant », soutient cette pharmacienne dans les Yvelines.
Si les choses sont claires, le désir amoureux est néanmoins toujours possible. « Je sais que je peux tomber amoureuse d’un homme, reconnaît Stéphanie, pour cela il faut que je reste vigilante, ne pas le voir seule. C’est à moi de faire attention. Mais c’est comme dans le mariage, il faut se rappeler pourquoi on a fait ce choix. Je me pose la question : qui peut arriver à la cheville de Jésus ? »
Parmi la jeune génération de vierges consacrées, si certaines, comme Marie, n’ont jamais eu de rapport sexuel ni même de relation de couple, beaucoup ont eu des petits copains auparavant. « On a vécu et on sait ce que l’on quitte, assure la trentenaire. Il y a toujours des combats mais ce qui est important c’est de savoir pourquoi on a posé ce choix. »
Une vocation peu définie
Avant cette fameuse consécration, plusieurs années de formation sont nécessaires. En juillet 2018, le Vatican a publié un ouvrage d’instructions précisant le statut de cette forme de vie consacrée et fixant le cadre de la formation. Parmi les « qualités requises et critères de discernement », il est exigé la vérification que la candidate soit apte à remplir ses engagements « par l’âge, la maturité humaine et spirituelle, et par l’estime dont elle jouit dans la communauté chrétienne où elle est intégrée. » Ainsi, il faut non seulement un désir manifesté par la candidate, mais aussi une validation par l’évêque suite à une enquête auprès des acteurs diocésains. En outre, il est requis que « la personne ne soit jamais mariée et n’ai jamais vécu de manière manifeste dans un état contraire à la chasteté. »
La formation est le fruit de plusieurs années de réflexion. « Il y a un parcours en trois étapes, décrit le Père Philippe Potier, référent des vierges consacrées des Yvelines. Il y a tout d’abord une période de discernement d’au moins un an pour les postulantes qui ont senti un appel, au terme de laquelle, l’évêque admet ou non en candidate. Puis, en ce qui concerne la région parisienne, il y a un parcours de formation avec trois grands week-ends par an qui traitent des spécificités de la vocation. La troisième étape est le discernement final, qui dure quelques mois ou années. La décision finale revient à l’évêque.» Lors de la consécration, la candidate reçoit une lumière, un livre de prière et un vêtement blanc. L’évêque leur remet un anneau, symbole de l’alliance avec le Christ. « La candidate va mettre ses mains dans celles de l’évêque, prononcer son désir de s’engager irrévocablement dans le célibat pour le royaume de Dieu et demander à être consacrée dans cet ordre. Alors les femmes sont engagées jusqu’à la fin de leur vie. »
« Cette forme de vie religieuse très ancienne a connu des hauts et des bas, relate Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions. Au départ, c’est un groupe de femmes qui voulaient consacrer leur vie entière au Christ, y compris leur virginité. En faisant don de leur corps et de tout leur amour pour le Christ, elles veulent aimer tous les hommes plutôt qu’un seul qui serait leur époux.” Perpétuée jusqu’au début du XXe siècle, cette forme de vie consacrée a été abolie par l’Eglise catholique dans les années 1920. A la faveur d’un renouveau charismatique, le Concile Vatican II rétablit l’Ordo virginum, l’ordre des Vierges consacrées, en 1965. “Les anciens ordres se sont renouvelés, explique le sociologue. Il y avait tous les choix de vie possible : hommes ou femmes célibataires, des couples mariés, des religieux et des laïcs, des communautés très variées. La vocation des vierges consacrées a ainsi été réinvestie. »
Appelées à aimer autrement
Le sociologue s’étonne que cet ordre, dont le nom peut paraître désuet, attire encore aujourd’hui des centaines de femmes. Une telle vocation peut en effet surprendre dans une société post-mai 68 où les courants de pensée féministes ont trouvé leur place, exaltant la jouissance sexuelle sans entrave. Un contexte bien différent de celui de la jeunesse d’Elisabeth*, aujourd’hui 90 ans, la voix chevrotante mais les idées bien en place. « A mon époque, les relations hors mariage n’étaient pas du tout courantes, ou alors ça se faisait dans le secret car c’était condamné par l’Eglise. » L’ancienne éducatrice spécialisée, consacrée depuis 7 ans, reconnaît que les mœurs de son temps ont probablement joué un rôle dans son choix de vie. « Pour mes parents, une femme n’était pas censée travailler, son mari devait s’occuper d’elle. Il y avait beaucoup de mariages arrangés mais c’était impensable pour moi d’épouser quelqu’un que je n’aimais pas. J’ai refusé plusieurs demandes et je ne l’ai pas regretté. Le contexte n’est plus le même aujourd’hui. » C’est finalement en Dieu que la nonagénaire a trouvé le mari idéal.
Si les jeunes femmes renoncent à un mariage et à une union charnelle, c’est parce qu’elles trouvent dans l’union à Dieu un plus grand accomplissement. Laurence s’est sentie attirée par Dieu dès ses 17 ans, alors qu’elle cherchait un sens à sa vie. S’en est suivi une longue période de discernement, durant laquelle la pharmacienne a effectué plusieurs séjours humanitaires et s’est même fiancée avant de rompre sa relation. « Je ne pouvais pas avoir un mari, c’était fade ! A partir du moment où l’on ressent cet amour du Christ de manière profonde, on ne peut pas se donner à un homme. Je me sens vraiment complète et heureuse alors que je n’ai ni mari ni famille. » Après 33 ans de cheminement, cette femme énergique et souriante a finalement été consacrée l’année passée. « Ce fut très beau de l’annoncer à mes collègues, ils ont très bien compris et ils voient bien que cela me rend heureuse. J’ai invité plein de monde à ma consécration, c’était vraiment un très beau moment. »
Cependant, toutes les aspirantes ne parviennent pas jusqu’au jour de leur consécration. Certaines se découragent, réalisant que cette vocation ne leur correspond finalement pas. “J’ai quitté ce chemin là qui était trop dur pour moi, raconte Isabelle, qui n’a jamais achevé sa formation. Au bout de quatre ans, j’étais épuisée d’un rythme dans lequel je devais assumer vie professionnelle, formation théologique, engagement dans la vie de l’Église, solitude affective et un diocèse qui ne m’accompagnait pas suffisamment. J’étais dans le brouillard, et le désir naturel de la vie conjugale a réémergé.” Pour l’étudiante, devenir vierge consacrée était trop difficile en raison des exigences. “Les femmes sont laissées à elles-mêmes, il n’y a pas de règles précises, peu d’écrits, et pour moi les trois weekends de formation étaient insuffisants.” Même si elle n’est pas allée au bout, elle soutient le bien-fondé de cette vocation et se souvient des joies que son cheminement a pu lui procurer. « Il n’y a rien à faire, ça interpelle. Les gens se demandent comment ce type de vie est possible, cela les renvoie à la réalité de leur vie. C’était l’occasion de se plonger dans des réflexions profondes ensemble. »
Maintenant revenue sur sa décision de devenir vierge consacrée, Isabelle espère bien trouver un homme avec qui fonder une famille. Cependant, son expérience de postulante lui a forgé une manière d’être avec les autres qui l’handicapent pour établir une relation exclusive. “je ne suis pas très douée avec la drague et je risque de ne pas voir les signaux qu’on m’envoie. Avant, je faisais facilement des compliments mais maintenant je fais plus attention aux messages que j’envoie. j’aspire à ce qu’un garçon porte son attention sur moi. En tout cas, j’attends Dieu au tournant sur ce point !”
*Les prénoms ont été modifiés.
Lexique du non-initié
Vie consacrée : vocation comportant un engagement public à suivre le Christ de manière plus radicale pour un catholique, en observant les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance.
Vierge consacrée : épouse mystique du Christ, elles font vœu de virginité et de célibat afin de pouvoir pleinement prier et servir leur prochain, de la manière dont elles l’entendent. Elles vivent « dans le monde » et sont financièrement indépendantes.
Vivre « dans le monde » : vivre dans la société civile sans être dans une communauté religieuse, en exerçant une activité professionnelle.
Ordo Virginium : Ordre de l’Église catholique (mais non religieux) rassemblant les vierges consacrées, liées par des vœux solennels.
Religieuses : familièrement appelées bonnes sœurs, il s’agit de femmes membres d’une communauté religieuse qui font généralement vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.
Chasteté : si elle peut être associée à la continence pour les personnes consacrées, la chasteté ne s’y identifie pas nécessairement. Au sens large, elle est une vertu permettant la juste intégration de la sexualité à l’amour, en fonction de l’état de la personne. Ainsi, elle exclut la volonté de posséder l’autre, et peut être vécue par tous, couples ou célibataires, vierges ou non.
Diocèse : découpage administratif regroupant plusieurs paroisse (assemblées de fidèles) d’un même territoire.
Évêque : dignitaire de l’église catholique responsable d’un diocèse, spirituellement et administrativement.
Sortie/renvoi de l’Ordo Virginium
D’une part, la vierge consacrée peut être amenée à sortir de l’Ordo Virginium par souhait personnel. Elle doit alors écrire à l’évêque diocésain pour exprimer les raisons de son départ. Un temps de discernement est accordé à la vierge et à l’évêque pour observer les motivations.
D’autre part, la vierge consacrée peut être renvoyée de son ordre sur décision de l’évêque pour des “causes très graves” de non-respect des obligations de la consécration. Par exemple, en cas d’abandon de la foi catholique, de contraction de mariage, d’implication dans un délit grave ou suscitant un scandale dans l’Eglise. Après lancement d’une procédure par l’évêque pour rassembler des preuves, un procès peut être établi, laissant l’opportunité à l’accusée de se défendre. Si la faute n’est pas réparable, et si le Saint-Siège confirme le verdict, la concernée est renvoyée. La décision est communiquée à l’ensemble de l’Ordre des vierges consacrées et inscrite sur le registre des baptêmes.
Source : Ecclesiae Sponsae Imago, Vatican, 2018