Jeunes et confinés, « Tanguy » malgré eux

Esther Michon et Camille Kauffmann

Jeunes et confinés, « Tanguy » malgré eux

Jeunes et confinés, « Tanguy » malgré eux

Esther Michon et Camille Kauffmann
1 juin 2020
Esther Michon et Camille Kauffmann

Ils ont entre 18 et 30 ans et ont élu pour domicile le cocon familial pour se confiner. Véritables équilibristes, ces jeunes adultes ont dû jongler entre l’étouffement de la cohabitation et le plaisir de redécouvrir leurs parents.

Ils ont entre 18 et 30 ans et ont élu pour domicile le cocon familial pour se confiner. Véritables équilibristes, ces jeunes adultes ont dû jongler entre l’étouffement de la cohabitation et le plaisir de redécouvrir leurs parents.

Ils ont entre 18 et 30 ans et ont élu pour domicile le cocon familial pour se confiner. Véritables équilibristes, ces jeunes adultes ont dû jongler entre l’étouffement de la cohabitation et le plaisir de redécouvrir leurs parents.

Première semaine : les joies du cocon familial

Il a poussé un soupir de soulagement à la vue de ses deux parents avec qui il allait passer les prochaines semaines… Adieu le petit appartement londonien sans salon, véritable « cage ». Adieu le moral à zéro après une année sabbatique compliquée. Adrien, 24 ans, n’a pas hésité à prendre le premier vol disponible vers la France pour se confiner en famille dans le Gers.

Et il n’est pas le seul. Ils auraient pu passer le confinement entre amis ou en couple… mais, non. De nombreux jeunes ont décidé de le passer chez papa, maman. S’il est difficile d’estimer la proportion d’entre eux partie se confiner chez leurs parents, quelques chiffres prouvent l’exil des citadins. Selon une enquête de la Fondation Jean-Jaurès, 28% des moins de trente-cinq ans sont allés se confiner au-delà du périphérique parisien.

« Rentrer au bercail a été vraiment rassurant, j’étais très heureux de revoir mes parents », Adrien, 24 ans

Une explication pragmatique au vu des habitats des moins de 30 ans. Les jeunes ont souvent quitté à la hâte leurs appartements minuscules et sans espace vert. C’est le cas d’Adrien qui a retrouvé la joie d’un grand jardin, des balades en famille, mais surtout du cocon familial dans une période anxiogène d’épidémie. « Rentrer au bercail a été vraiment rassurant, j’étais très heureux de revoir mes parents », explique le jeune étudiant en philosophie.

Pour la sociologue Sandra Gaviria, auteure de “Revenir vivre en famille, devenir adulte autrement” aux éditions Le Bord de l’eau, la jeunesse qui a pu se confiner en famille est une jeunesse doublement privilégiée. D’abord sur le plan matériel. « Si les jeunes ont un logement cela induit que les parents peuvent financer une forme d’indépendance », explique-t-elle. Mais aussi sur le plan affectif. “Cela signifie que c’est une jeunesse qui a des relations familiales assez supportables pour avoir envie de rentrer”, ajoute la spécialiste de la jeunesse.

Se délester des responsabilités d’adulte

Pour ces 18-30 ans qui s’entendent bien avec leur famille, la période de  confinement chez les paternels leur a permis de se délester d’une partie de leurs responsabilités. Retourner auprès de ses parents dans une période aussi anxiogène que le confinement a été globalement bien vécu, c’est ce qu’en conclut, au vu des séances avec ses patients, Stéphane Audiard, psychiatre : « Le confinement a été une bonne excuse pour régresser et se faire dorloter, ce qui peut manquer dans ce monde qui peut parfois être abrupte », affirme ce psychiatre spécialisé dans les jeunes adultes et la famille.

« Le confinement a été une bonne excuse pour régresser et se faire dorloter », Stéphane Audiard, psychiatre

Rassurant aussi pour ces jeunes adultes de se dédouaner de leurs responsabilités financières. Selon un sondage OpinionWay pour 20minutes et Heyme,  27% des 18-30 sondés estiment que leur situation financière s’est amélioré pendant le confinement, tandis que 15% estiment que cette dernière s’est dégradée. Certains ont en effet quitté leurs appartement et économisé le montant d’un ou plusieurs mois de loyer. Les courses alimentaires effectuées par certains parents ont aussi pu constituer une économie non négligeable. Une situation semblable à celle d’un « Tanguy », ce concept sociologique tiré du film éponyme d’Etienne Chatilllez. Il désigne un jeune, qui vit au crochet de ses parents resté vivre chez ses parents malgré son âge adulte et a été moqué.

Au sein de ce cocon familial a priori sécurisant dans une période troublée, les jeunes adultes ont eu l’impression de retourner en enfance. Certains endossant avec plus de joie que d’autres le rôle de l’enfant de la famille. Attendre le fameux « à table », ré-investir le lit de la chambre d’adolescent et ses peluches ou encore regarder le journal télévisé avec ses parents ont par exemple constitué un bond dans le passé.

Quand Axelle, étudiante de 24 ans en Espagne, est rentrée se confiner dans le Lot chez ses parents avec sa sœur, elle a retrouvé des habitudes semblables à celles de ses vacances en famille. « Un jour, on a passé trois heures à vider un carton de photos appartenant à mes parents que l’on n’avait jamais vues. On se les faisait passer, nos parents nous racontaient des anecdotes sur chaque photo... », se rappelle Axelle, désormais rentrée en Espagne pour son stage en bio-chimie.

Louis, planneur stratégique en publicité de 27 ans s’est confiné dans le grand appartement de sa mère à Paris. Tous les deux ont ressorti les jeux de société des placards :  « Elle m’a plié au Scrabble ! On jouait au backgammon aussi. Je me suis fait battre par ma mère exactement comme quand j’étais petit », souligne-t-il, un sourire dans la voix.

Troisième semaine : premières tensions et besoin d’air

La régression peut être plaisante oui, mais à quel point ? Le confinement a été mal vécu par certains jeunes adultes. Car, qui dit retour dans le cocon familial, dit aussi retour à une certaine forme d’infantilisation de la part des parents. Ça a été le cas pour Adèle, 28 ans qui a passé deux mois dans l’Aveyron avec sa mère, son beau-père et sa petite-sœur. Pour la future ingénieure en structure, la famille est « une valeur sûre, un refuge » mais ça n’a pas toujours été facile de cohabiter, surtout avec sa sœur de 15 ans. « Je me suis sentie infantilisée. On m’a mise dans la catégorie “enfant”, avec ma petite sœur », explique la Parisienne. « Les enfants, mettez la table”, « étendez le linge », autant de demandes qu’elle n’avait plus envie d’entendre après 10 ans à habiter seule.

« Je me suis sentie infantilisée. On m’a mise dans la catégorie “enfant”, avec ma petite sœur », Adèle, 28 ans

Le psychiatre Stéphane Audiard reconnaît l’impossibilité à être adulte en cette période « il vaut mieux régresser et subir cette infantilisation », affirme-t-il. Plus facile à dire qu’à faire pour Axelle qui ne supportait pas que sa mère puisse lui dicter son emploi du temps « j’ai 24 ans mais ma mère continue à me dire « bon tu ne te couches pas trop tard ce soir, comme ça tu te réveilles tôt et tu reprends un bon rythme de vie… Non, je fais ce que je veux », lui rétorquait-elle.

Pour le Docteur Stéphane Audiard, l’infantilisation est logique de la part d’un père ou d’une mère puisqu’ils retrouvent leurs habitudes et leur rôle de parents. Antoine, 26 ans, a télé-travaillé pendant les deux mois du confinement. Une preuve de vie active qui a retenu ses parents de le voir comme un enfant… non sans quelques rechutes : « ça n’a pas empêché ma mère de me proposer un goûter à 17 heures alors que j’étais en pleine réunion ! », se rappelle Antoine dans un éclat de rire.

Logique aussi pour les jeunes d’endosser à nouveau son rôle d’enfant. Adrien, retourné chez ses parents dans le Gers, reconnaît sa part de responsabilité dans cette infantilisation : « Je râlais, j’avais des réactions d’ado… en fait je suis retombé dans le schéma de l’adolescence avec les mêmes conflits que j’avais avec mon père, par exemple ». Seule différence aujourd’hui : il parvient à se recadrer lui-même en cas de grosse tension.

Repas de famille : quand les opinions politiques font des étincelles

Beaucoup de ces jeunes ont quitté le nid familial au moment de leurs études supérieures. En France, l’âge moyen du départ du domicile s’élève à 19 ans. C’est aussi souvent le moment où ils se mettent à rejeter l’idéologie familiale, ou du moins à s’en éloigner. Si certaines discussions agitées avaient déjà lieu aux déjeuners le week-end, hors confinement, cette promiscuité semble avoir accentué les débats, voire même les clashs.

« J’ai pété un ou deux câbles car on a plus du tout les mêmes avis politiquement, surtout sur la façon de percevoir le monde. Ça frustre mes parents de ne pas pouvoir en discuter normalement avec moi car je remets en cause les termes du débat dès le début, en bon élève universitaire français que je suis », explique Basile, 24 ans, qui prépare les concours de l’Agrégation d’histoire et le Capes.

Les mauvais moments du confinement pour Victoria, qui a quitté Nevers pour étudier à Paris il y a cinq ans, ce sont justement ces débats, souvent à l’heure des repas « Nos conversations révélaient le fait qu’ils étaient vieux dans leur manière de penser, malgré le fait qu’ils soient de gauche et engagés ils ont des visions éloignées des miennes. On s’engueulait sur le féminisme, sur la bisexualité et sur l’idée du mariage et de la monogamie – moi je vois ça comme des restes d’une société patriarcale et machiste – et eux jugeaient ce que je disais », raconte la jeune étudiante en médiation culturelle.

Alors, comment éviter les tensions ? Anne Keff, thérapeute, conseille aux jeunes confinés de ne pas débattre sur des sujets trop controversés en temps de confinement. « Il faut arrêter de penser que ça serait intéressant pour les parents que vous (les jeunes, ndlr) puissiez leur apporter quelque chose ou que vous puissiez les changer. Vos parents n’ont rien demandé, vous n’allez pas les changer », suggère-t-elle.

Les débats en famille qui tournent mal, c’est un grand classique. Le confinement a pû agir comme un véritable détonateur, mais aussi faire renaître de vieilles tensions familiales. Axelle en a fait l’expérience. Les disputes le temps d’un week-end lorsqu’elle passait voir ses parents étaient sans conséquence, mais « le fait d’être tout le temps les uns sur les autres » a rendu la situation explosive. « Ces deux mois ont aggravé les choses avec mes parents », reconnaît-elle.

Xxx semaine : mode d’emploi d’une cohabitation sereine

Au-delà des relations entre parents et enfants, c’est la vie quotidienne en cohabitation qui s’est révélée perturbante. Car ces jeunes et leurs parents ont dû réapprendre à vivre ensemble. Ainsi, certains se sont sentis « en trop » et on pris conscience, parfois brutalement, que leurs parents aussi s’étaient construits de leurs côtés, sans eux.

« Parfois, je disais à mes parents « on pourrait faire ça, regarder tel film » mais c’était assez compliqué. Dans leurs habitudes à deux, je ne suis pas là à proposer des divertissements », Manon, 23 ans

C’est le cas de Manon, étudiante de 24 ans et benjamine de sa famille. Ses parents n’avaient pas vécu avec leur fille depuis son départ de la maison il y a cinq ans.  « Je n’ai pas l’impression d’avoir partagé beaucoup plus du fait du confinement. Parfois, je leur disais « on pourrait faire ça, regarder tel film » mais c’était assez compliqué. Dans leurs habitudes à deux, je ne suis pas là à proposer des divertissements », explique t-elle.

Pas vraiment étonnant selon le Docteur Stéphane Audiard :  « les parents se sont adaptés au manque et n’ont plus vraiment besoin de leur enfant non plus, ils en ont fait le deuil. Cela peut être douloureux et créer un sentiment de nostalgie. Du point de vue de l’enfant, c’est une forme de rupture du contrat tacite qui nous unit jusqu’à la fin avec nos parents », relève le psychiatre.

Écrans et rendez-vous télévisés, des stratégies pour cohabiter en paix

À l’inverse, le confinement en famille a aussi pu être perçu comme étouffant, notamment pour les jeunes qui n’avaient pas de chambre individuelle. Les premières semaines et leur lot de tensions passées, comment retrouver une forme d’autonomie dans la dépendance ? Comment établir une cohabitation d’adulte à adulte pour envisager d’une façon plus sereine les jours à venir avant la fameuse date du 11 mai ?

Les écrans (téléphones, tablettes, ordinateurs) ont fait de la maison familiale une grande colocation, où chacun avait son espace. À l’inverse, ce sont aussi les écrans qui ont permis de réunir des familles. De nombreux foyers ont ainsi regardé chaque semaine la saga Harry Potter diffusée sur TF1. Ils étaient déjà 7,5 millions devant leur poste le soir de la diffusion du premier volet. C’est aussi devant le jeu d’aventure Koh-Lanta et le concours culinaire Top Chef, sur M6, que de nombreux jeunes adultes ont pu partagé certaines soirées avec leurs parents et se rapprocher d’eux. Comme si l’écart entre les générations s’estompait le temps d’un soir.

Dans certaines familles, le confinement s’est presque organisé comme une colocation. Aux enfants de s’adapter. Certains jeunes ont pris l’initiative d’organiser les tâches ménagères ou bien encore de préparer les repas de la famille, à tour de rôle ou tous ensemble. Après leurs journées de télé-travail respectives, rivés sur leur écran d’ordinateur, Louis et sa mère se retrouvaient le soir pour prendre un verre. Cette façon d’organiser leur quotidien a renforcé l’horizontalité de la relation avec sa mère, qu’il considère presque comme « une pote ».

Le 11 mai : faire son nid ou prendre son envol ?

Le 11 mai, alors que la France se déconfine progressivement, l’heure est au bilan. Qu’ont changé ces deux mois de confinement dans la relation parents-enfants ? La plupart ont été surpris de pouvoir revivre autant de temps avec leur père ou leur mère. Adèle sait désormais qu’elle pourra repasser du temps avec sa famille mais concède : ”Est ce que comme ça par pure envie je le referais ? Je ne pense pas”. Pour preuve, la future ingénieure a choisi de prolonger son confinement pour deux semaines avec des amis à la campagne.

La fin du confinement en famille a marqué pour beaucoup un moment d’indépendance retrouvée. Pour Axelle, le retour à son appartement espagnol “va faire du bien”.” Je ne pense pas que mes parents vont me manquer plus que d’habitude, là pour l’instant, j’ai envie de faire ma vie”, s’enthousiasme-t-elle.

Les “Tanguy”, des victimes de la crise à venir ?

Selon la sociologue Sandra Gaviria, l’incertitude, en grande partie économique, liée au coronavirus va favoriser un « phénomène de retour des jeunes et de non-départ ». Pour l’auteure qui a déjà exploré le retour des jeunes au domicile familial, de nouveaux facteurs liés à l’épidémie de Covid-19 pousseront certainement les 18-30 ans à rester chez leurs parents.

« Je pense qu’une nouvelle période difficile s’ouvre pour la jeunesse. Il va lui falloir réapprendre à vivre avec ses parents sur le long terme », Sandra Gaviria, sociologue

C’est le cas des bacheliers de l’année 2020. « Leurs parents ne vont pas louer un studio sans savoir les conditions de reprise. Ils privilégieront donc peut-être des études au rayon local », raconte la spécialiste de la jeunesse. Idem pour les jeunes qui financent leur étude par des petits boulots  et les jeunes diplômés qui subiront, selon elle, l’arrêt des recrutements par les entreprises. Je pense qu’une nouvelle période difficile s’ouvre pour la jeunesse. Il va lui falloir réapprendre à vivre avec ses parents sur le long terme », suggère Sandra Gaviria.

Rester chez papa maman ou rentrer à son domicile ? Plusieurs options ont été adoptées. Pour ceux dont le travail ou le stage reprenait, l’hésitation n’a pas été longue. Face aux incertitudes liées à la rentrée prochaine, certains étudiants ont dû quitter leur appartement. La cohabitation en famille se prolonge donc pour eux. Pour Manon par exemple, qui achève son master, pas d’autre choix que de faire une croix sur sa vie en colocation à Tours. Elle acte ainsi le retour au domicile familial, au moins jusqu’à la rentrée prochaine. « C’est vrai que ça fait un peu retour à la case départ mais je suis hyper reconnaissante que mes parents soient aussi accueillants. Mon but est de partir à Paris dès septembre et trouver du travail », espère Manon.

Esther Michon et Camille Kauffmann

 

 

Photo à la Une : « La vie de Famille », André Lhote. Photo (C) Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI

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